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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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Les techniques numériques : l'ouverture des possibles (1ere partie) (à partir du texte de Carole Desbarats) Préalables
: - Définition : on parlera plus volontiers des techniques numériques que du numérique dans l'abstrait. Il s'agir de l'encodage d'informations et de leur traitement via une numérisation. En conséquence, ces techniques se retrouvent à tous les stades de la fabrication du film, du scénario écrit grâce à des logiciels qui facilitent le traitement du texte dialogué à, dans certains cas, la diffusion par projection numérique. - Le cinéma est un objet différent des autres porteurs de numérique. Internet, les jeux vidéo sont aussi intrinsèquement liés aux techniques du numérique mais l'on n'en parlera pas ici si ce n'est pour rappeler que du film circule sur le Net, de manière plus ou moins pirate, et que, d'autre part, les jeux vidéo sont un concurrent privilégié du cinéma puisque, depuis quelques années le bénéfice financier lié aux jeux vidéo a dépassé celui du cinéma. Le cur de la question numérique est l'ouverture des possibles : le fait de passer par le calcul binaire ouvre l'éventail des propositions avec une apparente facilité qui n'est pas exempte de conséquences, il faudra y revenir, mais dont l'essentiel est que les possibles y sont vertigineusement nombreux. On en prendra un exemple très clair, la séquence du train de Dancer in The Dark de Lars von Trier. Cette séquence a été tournée à cent caméras DV et montée en système virtuel. On n'imagine pas cette possibilité en tournage pellicule, pour des raisons financières évidentes, ni en montage traditionnel pour des raisons de gestion des rushes. Le tournage à cent caméras entraîne donc une multiplicité des points de vue. Ce fractionnement se répercute forcément dans le récit mis en place qui se trouve donc être très différent de la transparence recherchée dans les séquences de comédies musicales de la grande période du musical américain des années cinquante. On rappellera que le titre du film de Lars von Trier est tiré d'un numéro célèbre du film de Minnelli, Tous en scène, (The Band Wagon, 1953). Lars von Trier fait ici l'inverse de ce qu'il a tenté dans Breaking The Waves, où il tourne en film et demandait à son chef-opérateur Robby Müller de cadrer comme en mini DV. Cours
: Au
départ, Méliès donc, et ses trucages, et, dans
les années vingt, l'expressionnisme s'ouvre avec le Cabinet
du Docteur Caligari de Robert Wiene, film en partie célèbre
pour ses déformations de décor opérées
par les trois décorateurs, Hermann Warm, Walter Reimann, Walter
Rohrig. L'exemple, connu de tous, est intéressant parce que
le travail de transposition de l'univers mental d'un fou dans le décor
donné à voir au spectateur part d'un principe qui lie
la technique à l'expression. C'est déjà là
un premier pas vers une transformation de la réalité
qui s'est opérée sans le recours aux techniques numériques,
et pour cause. Mais plutôt que de suivre les grandes étapes
marquées par les cinéastes qui ont travaillé
la représentation du réel pour la modifier profondément
comme le feront ensuite les techniques numériques, on suivra
ici sommairement un exemple à travers les âges du cinéma
ce qui permettra d'étayer mon hypothèse, à savoir
que l'utilisation des effets spéciaux dit beaucoup de ce que
peut représenter l'apport du numérique à la fin
du siècle dernier, et donc, de manière métaphorique,
de cette ouverture des possibles. En 1989, dans The Abyss, Cameron tente une première : son personnage virtuel est un élément liquide qui prend figure humaine voire entre en contact physique avec l'héroïne du film. " Ainsi, la scène où l'héroïne touche avec son doigt la créature peut-elle être considérée comme le premier contact "intéressant" entre une créature numérique et un acteur ", écrit Guillaume Renouil dans " Numérique, année zéro ? " son mémoire de fin d'études. (2000. Fémis. p.15). Et en France ? Renouil signale une première utilisation des images de synthèse dans un film passé inaperçu, l'Unique de Jérôme Diamant-Berger. En 1989, les Mille et une nuits de Philippe de Broca qui y font également appel émeuvent la profession mais toujours pas le public. Plus forte est, sur ce terrain l'impression laissée par l'utilisation du morphing dans Terminator II : Judgement Day en 1991. Cameron reprend la thématique du changement d'état, de la métamorphose avec T1000, autre créature liquide après celle de The Abyss dont les transformations sont d'autant plus fascinantes que la matière qui le constitue n'est pas transparente comme l'eau de The Abyss mais métallisée comme du mercure, les cent millions de dollars du budget aidant considérablement à ce genre de recherches. On le voit, depuis la Guerre des Etoiles, tous ces films font plus ou moins appel aux techniques numériques pour leurs effets spéciaux, habituant de plus en plus le public aux métamorphoses permises par le numérique et qui commencent à n'être perçues que lorsqu'elles innovent vraiment visuellement, comme le fait le morphing dans Terminator II. La perfection technique atteinte par les effets de Jurassic Park fait elle, en revanche, impression sur le grand public : si ce qui est dans la mouvance de 2001, donc de la science-fiction est vécu comme une perfection ajoutée à un héritage, il n'en va pas de même pour Jurassic Park qui renoue avec une tradition certes connue mais dont la filiation s'est interrompue, celle du film de dinosaures voire d'animaux préhistoriques ou monstrueux de King Kong à Godzilla. En fait, la perfection réaliste donnant l'illusion du vivant est ce qui a caractérisé ce " progrès ". Par ailleurs, si, comme pour le Chanteur de jazz, on s'attache au sens mis en place par le scénario, force est de constater que, quatre ans après la chute du mur de Berlin en 1989, l'homme impuissant sans repères fiables fait florès : dans Jurassic Park, le scénario que David Koepp écrit à partir de Michael Crichton, met en scène un milliardaire qui fait extraire de l'ADN de dinosaure par des scientifiques. A partir de là, il crée des animaux préhistoriques qui s'échappent et sèment la dévastation ad libitum. A la différence du film de 1925 et de celui de 1933, le Monde perdu et King Kong donc, dans le film de Spielberg, les animaux fabuleux ne sont pas qu'une incarnation d'un état de nature miraculeusement préservé. Ils ont été ressuscités par un savant et l'on se souvient de la manière dont Spielberg et le studio s'étaient battus autour de la véracité potentielle de cette utilisation de l'ADN. D'une certaine manière, le public a peut-être senti là les potentialités ouvertes à l'imaginaire, non seulement par les recherches génétiques, potentiel confirmé depuis, mais aussi les possibilités ouvertes par les techniques numériques qui cassent l'irrémédiable, qui aident à nier l'impossible, celui de l'action après les ruptures idéologiques de 1989. Pour en revenir un instant au public de cinéma, il faut s'attarder sur le fait qu'il est non seulement contemporain des fractures instaurées par le politique mais qu'il est également travaillé par les bouleversements idéologiques qu'apporte l'évolution des sciences : le cinéma naît en 1895, l'année où Röntgen découvre les rayons X et il permettra lui aussi, d'une certaine manière de voir à l'intérieur du corps ; les films du début du siècle dernier que nous avons évoqués, le Monde perdu, King Kong essuyaient de plein fouet la pénétration des idées mendéliennes dans la société d'alors : Mendel découvre ses lois sur l'hybridation en 1866, le public des biologistes en prendra connaissance dans les années 1900. La diffusion des idées scientifiques ne se faisant pas au même tempo au siècle dernier qu'aujourd'hui, on peut tout de même supposer que vingt ans plus tard, elles ont commencé d'intéresser le grand public. On rappellera que la troisième des lois de Mendel (outre celle sur la pureté des gamètes et celle sur la dominance) porte sur la recombinaison des gènes, autrement dit, l'hybridation à la base des théories génétiques. On sait par ailleurs que les années 1990 ont vu des bouleversements importants dans le domaine de la génétique : que les manipulations génétiques aient fasciné à ce moment-là n'est donc pas étonnant : Jurassic Park est un film contemporain de ces mutations, tant idéologiques, scientifiques que technologiques avec les développements des techniques numériques. Dans le film de Spielberg, la perfection de la représentation cinématographique du vivant (les dinosaures), relayée par la puissance de tir du merchandising redoutable des produits dérivés, est une sorte de métaphore de ce que peut le numérique : ouvrir les possibles, faire revivre de la matière inerte à partir d'ADN, rendre vraisemblable et plus vrai que vrai l'impossible avec l'hyperréalisme que produisent les techniques numériques. L'essai est, comme on dit au rugby, transformé l'année suivante, en 1994 avec le film de Zemeckis, Forrest Gump dont les effets spéciaux introduisent véritablement, je crois, la rupture épistémologique apportée par les techniques numériques : c'est bien à un personnage de benêt, interprété par Tom Hanks, que revient de partager le même espace cinématographique, le même plan que feu JFK, que l'on ressuscite pour l'occasion, non pas à partir de son ADN comme on le fait pour les dinosaures de Spielberg mais à partir de son image numérisée. Ce personnage principal est le premier véritable héros d'une série qui marque la dernière décennie du siècle passé, celle qui met en scène des " idiots ", soit des personnages de post-chute des idéologies séculières, post-mur de Berlin pour aller vite, des personnages qui ont besoin d'être privés d'intelligence active pour encore croire à quelque chose... Ces deux films de 1993-1994 marquent un tournant non seulement dans l'irruption des techniques numériques dans la réception commune du cinéma mais aussi dans une façon de conter les histoires et d'envisager le monde. Pour le dire autrement, le montage n'est plus interdit entre un personnage de fiction et un être réel. Jusqu'alors, la coexistence dans le plan était possible, et acceptée sur la base du merveilleux comme dans nos deux exemples, mais elle était visible, comme lorsque Gene Kelly dansait avec un personnage de dessin animé par exemple. A partir du début des années quatre-vingt-dix, la rupture entre deux mondes s'efface : le tremblement est moins de mise lorsqu'un être de chair touche une créature virtuelle comme dans The Abyss, voire ne s'impose plus lorsque l'on se sert d'images d'êtres humains disparus. De nouveau, le montage n'est plus interdit mais pour des raisons autres que celles que décrivait Bazin : dans une époque de scepticisme généralisé, faire coexister deux éléments d'essence différente dans le même plan ne pose plus problème. A travers le fait de s'emparer de l'image d'un être réel mort et de lui prêter propos et actes qu'il n'a jamais commis, on pénètre dans un autre monde, celui où les techniques numériques rendent possible ce que la déréliction engendrée par la chutes des grande idéologies rend envisageable. Tout est possible. Les techniques numériques sont l'outil de cette nouvelle perception du monde. Reste la question essentielle : qu'en faire lorsque l'on reste campé dans l'expression artistique ? C'est pourquoi l'on montrera tout à l'heure un film fait par un homme qui a à peu près quatre-vingts ans au moment du tournage et qui utilise le numérique en le soumettant à son point de vue d'artiste, sans en chercher la perfection technique mais plutôt pour garder la force des personnages et leur incarnation là où le décor est renvoyé à un artifice utile. En fait, en 2000, Rohmer continue avec les moyens techniques d'aujourd'hui une recherche stylistique commencée en 1978 avec Perceval le Gallois. Texte disponible sur http://www.cinematheque.be/fr/cours1.htm |
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