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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Les techniques numériques : l'ouverture des possibles (1ere partie)
(à partir du texte de Carole Desbarats)


Préalables :

- Auteur :
Carole Desbarats enseigne le cinéma. Elle est aussi essayiste et a écrit plusieurs livres sur Eric Rohmer, Jean-Luc Godard et Atom Egoyan, …Elle est actuellement la directrice des études de la Femis (Ecole Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son) et anime le groupe de réflexion des « Enfants du cinéma ».

- Définition : on parlera plus volontiers des techniques numériques que du numérique dans l'abstrait. Il s'agir de l'encodage d'informations et de leur traitement via une numérisation. En conséquence, ces techniques se retrouvent à tous les stades de la fabrication du film, du scénario écrit grâce à des logiciels qui facilitent le traitement du texte dialogué à, dans certains cas, la diffusion par projection numérique. - Le cinéma est un objet différent des autres porteurs de numérique. Internet, les jeux vidéo sont aussi intrinsèquement liés aux techniques du numérique mais l'on n'en parlera pas ici si ce n'est pour rappeler que du film circule sur le Net, de manière plus ou moins pirate, et que, d'autre part, les jeux vidéo sont un concurrent privilégié du cinéma puisque, depuis quelques années le bénéfice financier lié aux jeux vidéo a dépassé celui du cinéma. Le cœur de la question numérique est l'ouverture des possibles : le fait de passer par le calcul binaire ouvre l'éventail des propositions avec une apparente facilité qui n'est pas exempte de conséquences, il faudra y revenir, mais dont l'essentiel est que les possibles y sont vertigineusement nombreux. On en prendra un exemple très clair, la séquence du train de Dancer in The Dark de Lars von Trier. Cette séquence a été tournée à cent caméras DV et montée en système virtuel. On n'imagine pas cette possibilité en tournage pellicule, pour des raisons financières évidentes, ni en montage traditionnel pour des raisons de gestion des rushes. Le tournage à cent caméras entraîne donc une multiplicité des points de vue. Ce fractionnement se répercute forcément dans le récit mis en place qui se trouve donc être très différent de la transparence recherchée dans les séquences de comédies musicales de la grande période du musical américain des années cinquante. On rappellera que le titre du film de Lars von Trier est tiré d'un numéro célèbre du film de Minnelli, Tous en scène, (The Band Wagon, 1953). Lars von Trier fait ici l'inverse de ce qu'il a tenté dans Breaking The Waves, où il tourne en film et demandait à son chef-opérateur Robby Müller de cadrer comme en mini DV.


Cours :

Ce sont ces ouvertures du possible que cherche la partie du cinéma qui, dès les origines se coule davantage du côté du merveilleux que du regard sur le réel capté, encore et toujours Méliès vs. Lumière. Et c'est là la caractéristique principale du numérique aux yeux de quelqu'un qui se place du côté d'une observation des modifications esthétiques qu'introduisent les évolutions technologiques : les techniques numériques transforment profondément le rapport au réel, en particulier parce qu'elles reportent impossibilités, freins et contrainte de l'ontologique vers l'économique. Ainsi, si la possibilité de faire un film s'est considérablement démocratisée (avec une petite caméra numérique et un logiciel de montage disponible sur ordinateur domestique, on peut faire un film), en revanche, le passer en salles est, pour l'instant, une autre affaire : il faudrait pour cela faire revenir le fichier de l'ordinateur domestique sur pellicule, ce qui reste pour l'instant, très cher. Mais, la possibilité est ouverte. De même, faire revivre un acteur mort et utiliser son image, inventer des sons de synthèse, modifier les couleurs d'un coucher de soleil avec une infinité de nuances que l'étalonnage traditionnel ne permettait pas, effacer des antennes de télévision qui gênent la vraisemblance d'un film en costumes, tout cela n'est plus qu'une question de budget et de temps, plus d'impossibilité.
Or, dès les débuts du cinéma, la question de dépasser le réel se pose avec le désir de travailler le merveilleux et ce, dès Méliès, qui a inauguré toute une batterie d'effets spéciaux qui sortaient d'emblée le cinéma de la représentation réaliste.

Bien sûr, il ne s'agit ici ni d'un plaidoyer pro-Méliès contre les héritiers des frères Lumière, ni de minorer la force du cinéma attaché à la captation du réel, qu'il soit d'héritage bazinien dans la fiction ou de recherche documentaire.
Il s'agit plutôt du choix d'un cadrage, d'un angle de prise de vue pour ces deux conférences : soumettre la technologie à la question du sens telle qu'elle est vitalisée par l'esthétique. Et adopter un parti pris ne veut dire sous-estimer certains autres aspects parce qu'on les méprise ou les ignore mais plutôt se concentrer sur ce à quoi il semble important de sensibiliser : si le cinéma est un art, comme le disait Malraux, il est aussi une industrie, donc une technique. Alors, on ne parlera pas ici du documentaire parce que, dans son approche même, ce geste cinématographique manifeste moins le désir de dominer la réalité qui est la posture de fonds de la fiction. Même si, bien sûr aujourd'hui, le documentaire est monté sur système virtuel, et si les documentaristes peuvent avoir envie d'effets proposés par les techniques numériques. Et il faut l'affirmer d'emblée, le cinéma a toujours eu des velléités de tenter ce qu'aujourd'hui les techniques numériques permettent : on en verra un exemple ici grâce à deux extraits de film, le premier date de 1959, l'âge d'or du cinéma classique américain, il s'agit de la fin de Soudain l'été dernier de Joseph Mankiewicz, (Suddenly Last Summer), le second date de trente ans plus tard, 1988, Faux Semblants de David Cronenberg (Dead Ringers). Dans les deux cas, il s'agit de rendre la division de l'être humain, son clivage, soit par la schizophrénie dans le premier cas, soit dans la gémellité dans le second. Dans les deux cas, les techniques sont parfaitement adaptées. Chez Mankiewicz, une surimpression à l'ancienne, chez Cronenberg, un split-screen, dont la précision est assistée par ordinateur. : il s'agit donc bien d'un héritage en ligne directe.


Au départ, Méliès donc, et ses trucages, et, dans les années vingt, l'expressionnisme s'ouvre avec le Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene, film en partie célèbre pour ses déformations de décor opérées par les trois décorateurs, Hermann Warm, Walter Reimann, Walter Rohrig. L'exemple, connu de tous, est intéressant parce que le travail de transposition de l'univers mental d'un fou dans le décor donné à voir au spectateur part d'un principe qui lie la technique à l'expression. C'est déjà là un premier pas vers une transformation de la réalité qui s'est opérée sans le recours aux techniques numériques, et pour cause. Mais plutôt que de suivre les grandes étapes marquées par les cinéastes qui ont travaillé la représentation du réel pour la modifier profondément comme le feront ensuite les techniques numériques, on suivra ici sommairement un exemple à travers les âges du cinéma ce qui permettra d'étayer mon hypothèse, à savoir que l'utilisation des effets spéciaux dit beaucoup de ce que peut représenter l'apport du numérique à la fin du siècle dernier, et donc, de manière métaphorique, de cette ouverture des possibles.

En 1925, un film peu connu ouvre une voie que Shoedsack et Cooper, puis Spielberg vont emprunter. Il s'agit du film de Harry O. Hoyt, le Monde perdu (The Lost World). Une expédition à la recherche d'un monde perdu décrit à l'origine par Conan Doyle, va se retrouver face à un univers dans lequel brontosaures et autres animaux préhistoriques ont survécu. Ils capturent un brontosaure qui, ramené à Londres, fait ce que l'on attend de lui : il déclenche la panique avant de se noyer dans la Tamise. Les maquettes de Marcel Delgado et les trucages de Willis O'Brien ont joué dans la cohérence du film. D'ores et déjà, ce film de 1925, muet donc, utilise une technique dont on parle beaucoup avec le numérique : la superposition des images d'acteurs sur des images de maquette pour concilier le problème des différentes échelles. Aujourd'hui, on appelle cela le compositing, à la différence que l'on peut superposer non deux types d'images mais une infinité, selon la puissance du logiciel utilisé. Dans le premier quart du XXe siècle, on se contente de mélanger quelques éléments, soit d'une image sur l'autre, soit en mélangeant marionnettes et décor comme le grand chef-opérateur Eugen Schüfftan l'avait imaginé en 1926 pour Metropolis de Fritz Lang. Il est à noter que c'est ce même directeur d'effets spéciaux, Willis O'Brien, qui a travaillé sur le Monde perdu qui intervient logiquement sur King Kong, en 1933, utilisant tout l'arsenal de maquettes et de marionnettes de l'époque, mâtiné de prises de vue réelles, celles qui mettent en jeu de vrais avions pour l'attaque de l'Empire State Building. Sans commentaires. Spielberg a probablement pensé à lui en imaginant les effets spéciaux, numériques cette fois, de Jurassic Park en 1993, avant même que d'imaginer à son tour un Monde perdu.

C'est précisément la filiation entre ces trois films, le Monde perdu, King Kong et Jurassic Park qui permet d'éclairer le parti pris consistant à voir le développement des techniques numériques non du côté de l'industrie, mais, ici, depuis les questions de sens et d'esthétique. En effet, Jurassic Park, dont on se rappelle surtout qu'il s'agit d'un film de tyrannosaures et ptérodactyles divers, ne comporte en fait que sept ou huit minutes d'images de synthèse. Certes, elles ont stupéfié le public par leur perfection, il y a dix ans de cela et ont compté dans la découverte que le grand public a faite des questions du numérique. Peut-être doit-on aller au-delà de ce constat.
En fait, les images numériques on fait effraction en deux temps dans l'imaginaire du grand public à ce moment-là, d'abord avec les dinosaures de Spielberg puis, un an après, avec celles de Forrest Gump de Robert Zemeckis qui marque un pas : Zemeckis n'utilise pas d'images numérisées d'animaux préhistoriques mais bien celles d'hommes historiques réels et morts, ainsi le personnage porteur du film rencontre-t-il le héros des États-Unis, John F. Kennedy.
Ces deux films méritent que l'on s'y arrête parce qu'il est intéressant de s'attarder sur la manière dont les changements technologiques sont perçus par le public. On fera ici un parallèle avec un autre changement technologique majeur, qui est souvent comparé à celui qui nous occupe. Il s'agit du passage du muet au sonore.

On le sait bien, les technologies permettant de sonoriser les films existent bien avant 1927. Ainsi, par exemple, en 1900, la firme allemande Tobis exposait-elle un système à cet effet lors de l'Exposition universelle. Le son n'a pas pour autant été généralisé au cinéma. Ce qui est intéressant est que le bouleversement apporté par le sonore s'opère autour d'un film précis, le Chanteur de jazz (The Jazz Singer), d'Alan Crosland, et, en particulier il est instructif de ses pencher sur le scénario de ce film : il s'agit d'une triple transgression. Un fils refuse d'obéir à son père, l'objet de sa révolte est qu'il choisit le chant profane (le jazz) contre le chant sacré (la liturgie juive) que son père veut lui imposer, et pour cela, lui qui est blanc se grime en noir. Et le public américain est sidéré par l'utilisation de quelques minutes de son, de chant, jazz et Kol Nidré, et quelques paroles " You ain't seen all yet, Ma'm ! " (" Tu n'as pas encore tout vu, maman. ")

Je ne crois pas que la seule prouesse technique puisse déclencher de forts mouvements d'émotion.
L'Amérique de la pré-crise de 1929 s'est-elle reconnue dans ce métissage culturel ? C'est possible. Si l'on en revient à la question des techniques numériques, on peut poursuivre ce parallèle ébauché avec l'arrivée du sonore. En 1982, un film sort en salles qui mélange prises de vues réelles et images de synthèse, Tron de Steven Lisberger. Il aurait pu constituer la première entrée forte des techniques numériques pour le public puisqu'il y faisait appel, or, ce film n'a pas trouvé de public large, probablement parce que le sujet était à l'époque trop loin des connaissances du grand public pour cela : il s'agissait pourtant d'un classique du genre apprenti sorcier. Un concepteur de jeux vidéo s'y trouvait pris au piège de son propre jeu, passé qu'il était de l'autre côté du miroir, c'est-à-dire à l'intérieur de son ordinateur. En 1982, la connaissance des jeux vidéo n'était pas aussi étendue qu'aujourd'hui et cette ignorance a certainement joué contre le film, même si ceux qui l'ont vu, et dont je faisais partie, ont pensé que quelque chose de fort mais d'incompréhensible se jouait là.
Dix ans plus tard, donc, le formidable succès de Jurassic Park. Entre temps, le parc d'ordinateurs domestiques s'est considérablement accru, banalisant une connaissance des éléments de base du numérique, la transcription du binaire en sens et Georges Lucas, par la science-fiction, a de plus en plus utilisé les techniques numériques pour les différents épisodes de la Guerre des Etoiles. Mais ces effets sont sentis comme la continuation de ceux qui ont été crées pour 2001, l'odyssée de l'espace, dont le créateur, Douglas Trumbull sera également celui des effets de Rencontres du troisième type en 1977, Star Trek en 1979 et Blade Runner en 1982.
Pour le dire rapidement, en 1977, Star Wars, (l'épisode IV) est le premier des épisodes à sortir. Lucas y utilise des techniques d'assistance par ordinateur non pas tant pour fabriquer les images ou les sons eux-mêmes que pour obtenir une précision non humaine au niveau du pilotage des maquettes de ses vaisseaux spatiaux. Ainsi, seule la perfection du mouvement de ces objets miniaturisés liée à l'utilisation d'un bras mécanique piloté par ordinateur est une trace de l'utilisation des techniques numériques. En 1982 dans Star Trek 2, la conception d'un plan d'une minute demande cinq mois de travail mais il ne s'agit que d'un plan.
Pas plus pour ce film que pour Tron la même année n'arrive la claire conscience de ce que permettent les images numériques, en tous cas, au-delà d'un cercle d'initiés.



En 1989, dans The Abyss, Cameron tente une première : son personnage virtuel est un élément liquide qui prend figure humaine voire entre en contact physique avec l'héroïne du film. " Ainsi, la scène où l'héroïne touche avec son doigt la créature peut-elle être considérée comme le premier contact "intéressant" entre une créature numérique et un acteur ", écrit Guillaume Renouil dans " Numérique, année zéro ? " son mémoire de fin d'études. (2000. Fémis. p.15).
Et en France ? Renouil signale une première utilisation des images de synthèse dans un film passé inaperçu, l'Unique de Jérôme Diamant-Berger. En 1989, les Mille et une nuits de Philippe de Broca qui y font également appel émeuvent la profession mais toujours pas le public.
Plus forte est, sur ce terrain l'impression laissée par l'utilisation du morphing dans Terminator II : Judgement Day en 1991. Cameron reprend la thématique du changement d'état, de la métamorphose avec T1000, autre créature liquide après celle de The Abyss dont les transformations sont d'autant plus fascinantes que la matière qui le constitue n'est pas transparente comme l'eau de The Abyss mais métallisée comme du mercure, les cent millions de dollars du budget aidant considérablement à ce genre de recherches.

On le voit, depuis la Guerre des Etoiles, tous ces films font plus ou moins appel aux techniques numériques pour leurs effets spéciaux, habituant de plus en plus le public aux métamorphoses permises par le numérique et qui commencent à n'être perçues que lorsqu'elles innovent vraiment visuellement, comme le fait le morphing dans Terminator II. La perfection technique atteinte par les effets de Jurassic Park fait elle, en revanche, impression sur le grand public : si ce qui est dans la mouvance de 2001, donc de la science-fiction est vécu comme une perfection ajoutée à un héritage, il n'en va pas de même pour Jurassic Park qui renoue avec une tradition certes connue mais dont la filiation s'est interrompue, celle du film de dinosaures voire d'animaux préhistoriques ou monstrueux de King Kong à Godzilla. En fait, la perfection réaliste donnant l'illusion du vivant est ce qui a caractérisé ce " progrès ".
Par ailleurs, si, comme pour le Chanteur de jazz, on s'attache au sens mis en place par le scénario, force est de constater que, quatre ans après la chute du mur de Berlin en 1989, l'homme impuissant sans repères fiables fait florès : dans Jurassic Park, le scénario que David Koepp écrit à partir de Michael Crichton, met en scène un milliardaire qui fait extraire de l'ADN de dinosaure par des scientifiques. A partir de là, il crée des animaux préhistoriques qui s'échappent et sèment la dévastation ad libitum. A la différence du film de 1925 et de celui de 1933, le Monde perdu et King Kong donc, dans le film de Spielberg, les animaux fabuleux ne sont pas qu'une incarnation d'un état de nature miraculeusement préservé. Ils ont été ressuscités par un savant et l'on se souvient de la manière dont Spielberg et le studio s'étaient battus autour de la véracité potentielle de cette utilisation de l'ADN. D'une certaine manière, le public a peut-être senti là les potentialités ouvertes à l'imaginaire, non seulement par les recherches génétiques, potentiel confirmé depuis, mais aussi les possibilités ouvertes par les techniques numériques qui cassent l'irrémédiable, qui aident à nier l'impossible, celui de l'action après les ruptures idéologiques de 1989.

Pour en revenir un instant au public de cinéma, il faut s'attarder sur le fait qu'il est non seulement contemporain des fractures instaurées par le politique mais qu'il est également travaillé par les bouleversements idéologiques qu'apporte l'évolution des sciences : le cinéma naît en 1895, l'année où Röntgen découvre les rayons X et il permettra lui aussi, d'une certaine manière de voir à l'intérieur du corps ; les films du début du siècle dernier que nous avons évoqués, le Monde perdu, King Kong essuyaient de plein fouet la pénétration des idées mendéliennes dans la société d'alors : Mendel découvre ses lois sur l'hybridation en 1866, le public des biologistes en prendra connaissance dans les années 1900. La diffusion des idées scientifiques ne se faisant pas au même tempo au siècle dernier qu'aujourd'hui, on peut tout de même supposer que vingt ans plus tard, elles ont commencé d'intéresser le grand public. On rappellera que la troisième des lois de Mendel (outre celle sur la pureté des gamètes et celle sur la dominance) porte sur la recombinaison des gènes, autrement dit, l'hybridation à la base des théories génétiques. On sait par ailleurs que les années 1990 ont vu des bouleversements importants dans le domaine de la génétique : que les manipulations génétiques aient fasciné à ce moment-là n'est donc pas étonnant : Jurassic Park est un film contemporain de ces mutations, tant idéologiques, scientifiques que technologiques avec les développements des techniques numériques.
Dans le film de Spielberg, la perfection de la représentation cinématographique du vivant (les dinosaures), relayée par la puissance de tir du merchandising redoutable des produits dérivés, est une sorte de métaphore de ce que peut le numérique : ouvrir les possibles, faire revivre de la matière inerte à partir d'ADN, rendre vraisemblable et plus vrai que vrai l'impossible avec l'hyperréalisme que produisent les techniques numériques.
L'essai est, comme on dit au rugby, transformé l'année suivante, en 1994 avec le film de Zemeckis, Forrest Gump dont les effets spéciaux introduisent véritablement, je crois, la rupture épistémologique apportée par les techniques numériques : c'est bien à un personnage de benêt, interprété par Tom Hanks, que revient de partager le même espace cinématographique, le même plan que feu JFK, que l'on ressuscite pour l'occasion, non pas à partir de son ADN comme on le fait pour les dinosaures de Spielberg mais à partir de son image numérisée. Ce personnage principal est le premier véritable héros d'une série qui marque la dernière décennie du siècle passé, celle qui met en scène des " idiots ", soit des personnages de post-chute des idéologies séculières, post-mur de Berlin pour aller vite, des personnages qui ont besoin d'être privés d'intelligence active pour encore croire à quelque chose...

Ces deux films de 1993-1994 marquent un tournant non seulement dans l'irruption des techniques numériques dans la réception commune du cinéma mais aussi dans une façon de conter les histoires et d'envisager le monde.
Pour le dire autrement, le montage n'est plus interdit entre un personnage de fiction et un être réel. Jusqu'alors, la coexistence dans le plan était possible, et acceptée sur la base du merveilleux comme dans nos deux exemples, mais elle était visible, comme lorsque Gene Kelly dansait avec un personnage de dessin animé par exemple. A partir du début des années quatre-vingt-dix, la rupture entre deux mondes s'efface : le tremblement est moins de mise lorsqu'un être de chair touche une créature virtuelle comme dans The Abyss, voire ne s'impose plus lorsque l'on se sert d'images d'êtres humains disparus. De nouveau, le montage n'est plus interdit mais pour des raisons autres que celles que décrivait Bazin : dans une époque de scepticisme généralisé, faire coexister deux éléments d'essence différente dans le même plan ne pose plus problème. A travers le fait de s'emparer de l'image d'un être réel mort et de lui prêter propos et actes qu'il n'a jamais commis, on pénètre dans un autre monde, celui où les techniques numériques rendent possible ce que la déréliction engendrée par la chutes des grande idéologies rend envisageable. Tout est possible. Les techniques numériques sont l'outil de cette nouvelle perception du monde.
Reste la question essentielle : qu'en faire lorsque l'on reste campé dans l'expression artistique ? C'est pourquoi l'on montrera tout à l'heure un film fait par un homme qui a à peu près quatre-vingts ans au moment du tournage et qui utilise le numérique en le soumettant à son point de vue d'artiste, sans en chercher la perfection technique mais plutôt pour garder la force des personnages et leur incarnation là où le décor est renvoyé à un artifice utile. En fait, en 2000, Rohmer continue avec les moyens techniques d'aujourd'hui une recherche stylistique commencée en 1978 avec Perceval le Gallois.

Texte disponible sur http://www.cinematheque.be/fr/cours1.htm

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