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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Théorie du cinéma


Théorie du cinéma

TABLE RONDE avec la participation de

CHRISTIAN METZ, MICHEL FANO, JEAN-PAUL SIMON, NOËL SIMSOLO
(février 1977)

  L'Office de Création Cinéma­ tographique a organisé, en février dernier, un colloque intitulé « Théorie et Recherche Cinéma­ tographique » dont nous avons rendu compte brièvement dans notre numéro 219. Nous souhai­ tions y revenir en compagnie des organisateurs et de quelques par­ticipants pour en situer plus préci­ sément les objectifs et en tirer éventuellement quelques leçons. Pouvez-vous répondre d'abord sur le premier point?

 

BRISER LA COUPURE TRADITIONNELLE THEORIE/PRATIQUE

Jean-Paul Simon - Notre objectif initial était de confronter un certain nombre de recherches à partir d'un lieu dont nous disposions (l'UNESCO). En tenant compte de cela, notre but était de permettre à des gens, spécialistes ou non, de se rencontrer et de faire le point sur les recherches concernant les théories cinématographiques, recher­ ches dont nous connaissions l'exis­ tence dans plusieurs pays. Mais aucun rassemblement de ce genre et sur ce thème n'avait eu lieu auparavant en France, ni, à notre connaissance, dans un autre pays. Certes une idée iden­ tique avait été déposée au ministère par Joël Farges qui fut, avec Michel Fano et moi-même, l'un des organisateurs de ce colloque. Son projet était l'organisation d'une rencontre à partir de recherches théoriques dans le champ du cinéma. Nous avons voulu faire plus en réunis­ sant chercheurs et cinéastes de diffé­rents pays afin de briser la coupure traditionnelle théorie/pratique et de faire se confronter divers types de réflexions.

 

Michel Fano - II faut préciser qu'il y avait eu, en janvier 1976, à Beaubourg, une exposition de cinéma expérimental. En proposant ce colloque à l'Office, je comptais réagir contre le terrorisme intellectuel qui s'était exercé au mo­ ment de cette précédente manifestation. En effet, un article du Monde avait désigné l'exposition de Beaubourg comme « L'Histoire du Cinéma »,es­ sayant ainsi défaire croire que l'histoire du cinéma, c'était l'histoire du cinéma expérimental. Certes, nous nous intéres­ sions au plus haut point à ce type de cinéma, mais nous pensons qu'entre le cinéma expérimental (non-narratif) et le cinéma commercial, qualifié par Clau­ dine Eizykman de N.R.I. (Narratif, Représentatif et Industriel), il demeure un vaste éventail de cinéma de recher­ che, en particulier, celui, dysnarratif, de Robbe-Grillet. Donc, sans pouvoir tout couvrir dans ce nouveau colloque, nous avons voulu montrer que la théorie et la recherche ne s'appliquaient pas qu'au seul do­maine du cinéma expérimental et qu'il était faux d'y limiter l'histoire du cinéma.

 

Noël Simsolo - En tant que specta­ teur de ce colloque, j'ai été frappé de son esprit de sérieux. Pas d'hystérie, ni de sourires méprisants amusés autour des diverses formes de recherches théoriques et pratiques qui furent exposées.

 

Jean-Paul Simon - En évitant le terrorisme, en réagissant devant les limitations de l'exposition de Beau­ bourg en 1976, nous réagissions aussi violemment devant la réduction insen­ sée traditionnelle au cinéma com­ mercial. Economiquement, sociologiquement, le cinéma dominant est un phénomène important qu'il faut com­ prendre et qui donne lieu à des métho­dologies qui ne sont pas nécessaire­ ment ies mêmes que celles qui condui­ sent à des réflexions très importantes sur les objets de type, disons, « avant- gardistes ».

Noël Simsolo - J'aimerais revenir sur l'idée de travail dont parlait Michel Fano. Je voudrais dire que l'idée de travail n'exclut pas le plaisir de voir le film. Il est faux de s'imaginer qu'un chercheur voit un film de façon décalée, avec une métaperception qui le coupe de l'aspect physique du film, lequel deviendrait alors un simple objet de dissection immédiate...

 

Christian Metz - Je peux, sur ce problème, apporter un témoignage personnel, puisque l'on m'a souvent collé le label de « théoricien stratosphérique » et de « cerveau sur allu­mettes ». Il se trouve, par exemple, que je suis un spectateur enthousiaste de westerns ; quand le bon a descendu le méchant, je trépigne. Je « marche » donc à bloc, si l'on veut, sans que cela m'empêche de conserver un esprit et un regard critiques pendant la vision du film comme après cette vision. Nous portons tous un spectateur de premier degré en nous-même et, com­me le disait Edgar Morin il y a plus de quinze ans, nous sommes tous des nègres, nous portons tous en nous notre négritude. Le théoricien, aussi, comme tout le monde... Enfin, comment pourrions-nous parler du phénomène social-cinéma si nous ne le portions pas en nous ?...

 

Jean-Paul Simon - Si l'on se situait toujours au second degré, on n'étudie­rait pas le cinéma ; et - justement - beaucoup de théoriciens ne s'intéres­sent guère au cinéma pour cette raison.

 

Noël Simsolo - On peut avoir un plaisir à la vision d'un film et s'interroger ensuite sur la raison de ce plaisir. C'est un travail possible pour tout le monde. Quand un film nous rend euphoriques, on peut se demander sur quelle base, quelle aliénation ou quel système, ce type de plaisir est distribué. Nous sommes loin des stéréotypes de cer­tains qui caricaturent le théoricien comme l'homme qui, la tête entre les deux mains, cherche pendant la vision du film les raisons pour lesquelles l'acteur principal a tant de poils aux sourcils ou dans les narines... Il faut lutter contre cette fausse image.

 

Michel Fano - Je voudrais souligner la différence d'approche qui existe dans le public le plus varié, entre le cinéma et les autres arts. On réfléchit sur la musi­que, on réfléchit sur la littérature, on réfléchit sur la peinture - c'est même de très bon ton - mais le cinéma doit d'abord distraire, faire rire, au besoin faire pleurer. Pour 95 % des specta­teurs, « l'OBJET-FILM » est une chose qui n'existe pas : le fonctionnement de son texte, encore moins.

 

Christian Metz - Ce type de position sur le cinéma est fréquent. Personnel­lement, j'en suis d'autant plus conscient que l'on a taxé mes livres de « diffi­ciles ». S'il s'était agi de livres de linguistique, de musicologie ou de sociologie, je n'aurais jamais entendu ce type de commentaire. Il faut croire qu'en matière de cinéma, l'attente générale était que l'on écrive des trucs débiles. Dans cette triste optique, mes livres se révèlent effectivement «diffi­ciles » ; en fait Langage et Cinéma, par exemple, n'est pas plus difficile que n'importe quel livre basique de musi­cologie un peu sérieux.

 

Michel Fano - A ce propos, il suffit de penser à Beaubourg, qui se veut un instrument de culture populaire, et où le cinéma n'y tient guère de place réelle : tout au plus un strapontin. Ce qui prouve que, dans cette conception de l'étalement culturel, de la réflexion sur l'art, le cinéma n'a pas sa place.

 

Jean-Paul Simon - Donc, une des bases de notre colloque était bien de faire reconnaître l'existence du cinéma et des recherches qui le concerne car nous sommes encore dans la plus parfaite illégitimation : un critique de cinéma ne peut se permettre - sans recevoir ricanements ou exclamations de mépris - l'emploi d'un vocabulaire « compliqué » ; alors que pour d'autres arts, il a toute légitimité de le faire.

Cette absence de légitimation se retrouve partout si l'on examine par exemple comment le cinéma est entré dans l'université, on constate que la légitimation est venue du politique et non du cinéma. Le cinéma est toujours perçu comme secondaire. Il est mis dans « l'audiovisuel » ou « l'information » etc. Ces étiquettes justifient légitiment cette présence du cinéma à l'intérieur de l'université ou en d'autres lieux.

 

Noël Simsolo - Ce que revête la nature même des thèses sur le cinéma ! On ne voit pas de thèse sur « l'objet-cinéma selon Lang-. mais beaucoup sur « l'idée de culpabilité dans l'ouvre de Fritz Lang ».

 

Michel Fano - Pourquoi un plan a telle durée, comment il fonctionne par rapport à un autre ou pourquoi ce qui était à gauche de l'écran est passé à droite: tout cela on en parle jamais puisqu'on ne parle jamais de l'objet-film.


Noël Simsolo - Pourtant, ce sont des questions que tout vrai metteur en scène se pose dans sa pratique. En dehors des textes critiques faits par des cinéastes, les écrits sur le cinéma occultent généralement cela. C'est plus qu'une lacune aberrante : c'est souvent une incompétence. Généralement, le critique de peinture connaît l'objet dont il parle.

 

Jean-Paul Simon - C'est qu'il est formé ou s'est formé par un travail préliminaire sur l'histoire de l'art, l'esthétique, etc. Alors que de nom­breux critiques de cinéma s'improvisent comme tel sans aucune interrogation préalable à ce niveau.


L'URGENCE EST DE PRODUIRE UN TRAVAIL REEL SUR LA MANIERE DONT FONCTIONNE LE CINEMA


Où situez-vous précisément le travail du théoricien par rapport à celui du cinéaste ?

Jean-Paul Simon - Le théoricien s'efforce de travailler sur des bases scientifiques et ses recherches dans le champ sémiologique le font rejoindre le cinéaste qui travaille, fui, sur des bases matérielles et pratiques. Leurs travaux se complètent.

 

Michel Fano - Je voudrais m'attarder encore sur ce que nous avons dit précédemment et apporter un témoi­gnage. J'ai appartenu, à une certaine époque, à diverses commissions : sélections de festivals, avances sur recettes, etc. Dans ce domaine, l'argu­ mentation faite à propos des films ou des projets ne se fait jamais sur le film. Elle se fait sur ce que « raconte » le film. Les membres de ces commissions évoquent par exemple, la démarche psychologique des personnages, l'inté­ rêt de telle ou telle situation, jamais l'objet-film.

 

Noël Simsolo - Et l'on en voit le résultat! Ce manque d'analyse se ressent dans le cinéma dit « politique » dont les défenseurs invoquent les idées représentées pour vanter le produit, oubliant absolument le « comment c'est représenté ». Comme ce « comment c'est représenté » métamorphose sou­ vent des idées de gauche en produit aliénant, voire réactionnaire, c'est très grave. A ce titre, le travail du colloque, les travaux de Metz, ceux des Cahiers du cinéma sont importants. D'autres revues, à leur manière, compte tenu de leur vocation spécifique, commence à entreprendre des recherches dans ce sens. Et, l'interrogation sur l'objet-film devient déterminante car l'objet-film peut faire mentir les idées énoncées dans le scénario. Ce qui prouve, entre autres choses, qu'aucun film n'existe sans son langage de film.

 

Michel Fano - Et l'on comprend dès lors combien le problème devient insoluble pour des responsables politi­ ques : comment déterminer la valeur militante d'un film comme Octobre ?

 

Christian Metz - Cinéma politique et Cinéma militant ne sont pas synony­mes. On retombe sur ce problème.

Noël Simsolo - Inversement pour le cinéma hollywoodien. Grâce à Ray­ mond Bellour qui a refusé par exemple de se limiter aux recherches thémati­ ques sur Hitchcock pour entreprendre un plaisir sur l'objet-film hitchcockien, nous savons que le plaisir d'avoir peur devant ces films n'était pas seulement une question de fantasmes de société, mais la résultante du fonctionnement d'images précises entre elles, de leur cadre de leur montage et de leur durée.

 

A ce propos, où situez-vous l'urgence ? Le travail sur le ci­ néma grand public est-il au­ jourd'hui prioritaire par rapport au travail sur le cinéma non narratif ?

Michel Fano - Un cinéma n'est pas plus important qu'un autre. L'urgence est de donner à tous conscience de la nécessité d'être à l'écoute d'un film. Comment pratiquer cette écoute, com­ment ouvrir de nouvelles lectures, pour être attentif à un « autre » cinéma, différent des habitudes socio-cultu­ relles d'aujourd'hui.

 

Christian Metz - Moi, je dirais que l'urgence est de produire un travail effectif de réflexion tous azimuts. Je me méfie de la notion d'urgence sur les contenus car, même si on ne le veut pas, le schéma de l'urgence devient vite terroriste. Et c'est toujours conjonc­ turel. L'urgence, c'est de produire un travail réel. Tel celui de Bellour, évoqué tantôt. Depuis des années, on nous dit qu'il faut attaquer, critiquer, démasquer te cinéma hollywoodien. C'est vrai, mais il était plus urgent encore de montrer comment il fonctionnait. C'est ce qu'a fait Bellour en démontant les rouages, les mécanismes, en dépassant le niveau manifeste, comme par exemple la dénonciation globale, rituelle et tonitruante, de l'usine à rêves, pour montrer comment fonctionnait réellement, dans le réel, cette usine à rêves.

 

Noël Simsolo - Ce qui a contribué à ouvrir un champ d'analyse différente du cinéma hollywoodien. Quand Straub déclare que John Ford est un cinéaste brechtien, l'analyse de l'objet-film lui donne raison. Car l'objet-film peut pervertir positivement le dit d'un film. Certains cinéastes hollywoodiens l'ont fait, inconsciemment ou non : Fuller, Tourneur, Lang, Hitchcock, Jerry Lewis, Billy Wilder, etc.

 

Jean-Paul Simon - On ne peut en rester à la simple dénonciation de l'idéologie qui consiste à dire que le cinéma dominant est issu de la classe dominante...

 

Michel Fano - Prenons par exemple le cas de Bach en musique... Il a été mis à la porte plusieurs fois de son église alors qu'il ne composait que des messes et des cantates. Cependant, on estimait - à juste titre - que la facture de ses produits n'était pas dans la tradition. Evidemment, quelle ouvre moins conventionnelle que La Passion selon St Jean par exemple ; ça atteint la libido et les curés allemands de l'époque le sentaient avec un sûr instinct.

 

Christian Metz - Le processus de perversion d'un produit par sa facture est très vif, très aigu et toujours très intéressant à analyser.

OUI, IL Y A UNE PSYCHANALYSE DU SIGNIFIANT

II semble que la présence capitale de la psychanalyse ait été remarquée au cours de votre colloque. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

Noël Simsolo - En tant que partici­ pant, cette présence capitale m'a plu. Jusqu'ici, face au signifiant inscrit sur é cran, le spectateur se réfugiait dans le signifié pour justifier la nature de son plaisir ou l'impression de qualité d'un film. En analysant le signifiant, hors du signifié thématique ou scénaristique, on s'aperçoit qu'il donne un nombre « x » d'informations qui sont reliées à l'un des nouveaux champs de ta psychanalyse. Là, l'image fonctionne à un autre niveau qu'on essaie de gommer souvent par un brouillard idéologique.

 

Christian Metz - Ce qui soulève un problème important : celui de l'image très inexacte, et même fabuleuse, que beaucoup de gens ont de ta psychana­ lyse. Ceux-là pensent que parler de la psychanalyse au cinéma, ça veut dire voir des fesses. C'est absolument faux. La psychanalyse est un formidable instrument d'analyse du signifiant, du rapport image/son. Il y a toute une psychanalyse des opérations textuelles d'une part, et, d'autre part, de l'institu­ tion cinéma. Une institution sociale, et, d'autre part, de l'institution cinéma. Une institution sociale a son imaginaire, son symbolique, ses fantasmes irrigateurs... Oui, il y a une psychanalyse du signifiant.

 

Michel Fano - C'est même la seule qui est intéressante.

 

Noël Simsolo - Et c'est également pourquoi le film porno est intéressante analyser sur le rapport du spectateur au produit plutôt qu'en tant que pur produit. La fonction de l'image n'y est souvent que naturalisme.

 

Jean-Paul Simon - L'intéressant, c'est l'excès de naturalisme qui le fait dysfonctionner.

 

Noël Simsolo - Parce que toute inflation d'un code produit une subver­ sion de ce code. Mais la psychanalyse au cinéma, c'est aussi le spectateur face à l'objet. Toute image est érotique.

 

Christian Metz - Absolument ! Le spectateur, c'est le regard instituant : il fait exister le film. Et sur le porno, Bazin remarquait que le film porno se con­ tente de jouer le voyeurisme direct, non sublimé : il n'offre qu'une vision gros­sissante de tout film. Tout film fonc­ tionne sur le voyeurisme, mais il ne faut pas limiter le terme au fait de regarder un cul. Le voyeurisme, c'est la passion de voir, de percevoir ; c'est une des bases de l'institution cinéma.

 

Noël Simsolo - Les dessins animés de Walt Disney par exemple, sont des films pornos et le plus grand film porno, c'est sans doute Psychose , qui, comme l'avait admirablement démontré Jean Douchet, joue sur le désir, la saturation et la frustration.

 

Christian Metz - La psychanalyse, n'est rien d'autre qu'un outil. La frustration du regard, par exemple, pose le problème du cadre, de l'écran rectangulaire. La frustration, sous la forme de la rétention fait partie du jeu scopique, du jeu voyeuriste, y compris dans les exercices érotiques ordinaires. La rétention retarde et relance le jeu scopique et la jouissance finale, ce qu'en effet Psychose démontre magis­tralement. Sur cette question, il faut renvoyer, entre autres, aux recherches de Jean- Paul Simon, de Bonitzer, de Roland Barthes, etc. Ils ont produit des textes sur le mécanisme voyeuriste-fétichiste qui est à l'ouvre dans le cadre, le rectangle écranique, comme étant la forme de coupure qui existe, centrale, dans le fonctionnement du fétiche.

 

Noël Simsolo - Voir la perfection du cadre dans le cinéma hollywoodien et l'analyse qu'on pourrait faire - et qui serait passionnante - entre la distance produite par cette perfection et le processus d'identification au héros hollywoodien que tente de produire ce cinéma NRI (ceci impliquant un jeu avec la frustration).

 

Christian Metz - C'est Bazin qui disait que, dans L'Ange bleu, le sexe de Marlène occupe le centre diagonal de l'écran dans certains plans. Inutile de psychanalyser Jannings ou Von Sternberg à ce sujet. C'est l'écran qui compte comme lieu de tension et de désir.

 

Noël Simsolo - On parlait du porno, mais, justement, dans le porno, il y a une perte de jouissance chez le spectateur par rapport au cadre et à l'institution cinématographique.

 

Christian Metz - Justement, ce que je reproche au cinéma porno, c'est de ne pas être porno. Il se figure que la pornographie est dans le contenu en oubliant qu'elle est dans le regard. La question du point de vue de la caméra n'y est jamais posée. Ce n'est plus de la pornographie, mais de l'étalage de charcuterie.

 

Noël Simsolo - II n'y a pas de plaisir érotique sans frustration et, à ce titre, le cinéma d'Eric Rohmer est exemplaire.

 

DE L'ABAISSEMENT IDEOLOGIQUE DE LA DIMENSION SONORE DANS NOTRE CIVILISATION

Sur un autre plan, croyez-vous important le travail théorique sur le son?

Michel Fano - Je pense que la dimension sonore, négligée, est pour­ tant celle qui accède le plus directement à l'inconscient. Cette dimension a été très longtemps gommée par les créa­ teurs qui travaillaient surtout sur l'image. Pour le son, on a institué un système de clichés sécurisants qu'on retrouve toujours : par exemple, la « musique de film ». Cela permet d'évi­ ter l'agression.

 

Jean-Paul Simon - Rappelons-nous que le travail du son, chez Godard, était perçu comme quelque chose d'obs­ cène.

 

Noël Simsolo - Même chez les techniciens, il y a toujours cette notion de « son propre » et de « son sale ».

 

Christian Metz - C'est le discours de la défense. A la sortie de Lola Montes jadis, il y eut d'homériques bagarres à ce sujet.

 

Michel Fano - Cette idée de son agressif aboutit à ce que l'on n'entend pas le son dans les salles. Les projec­tionnistes règlent rarement leurs appa­ reils à un niveau normal. On entend les films à 25 décibels, c'est-à-dire ratta­ chés à la source visuelle et pas à l'oreille.

 

Noël Simsolo - Cela a commencé avec la mise en film des pièces de théâtre de Broadway ou du Palais Royal. Ce son propre est aberrant car il donne également une fausse idée du théâtre.

 

Christian Metz - Un des rôles du travail théorique se situe là. Entre 1927 et 1933, cette question du son fut beaucoup discutée. Il existe un vérita­ ble dossier de ce problème avec les interventions de Rudolf Arnheim, le « manifeste du contrepoint orchestral », signé par Eisenstein, Poudovkine et Alexandrov, la polémique Pagnol-René Clair, les théories de l'« asynchro­ nisme» et de la «non coïncidence» image/son, les réflexions de Balazs, etc.

 

Michel Fano - Curieusement, le manifeste du contrepoint orchestral, signé Alexandrov, Poudovkine et Ei­ senstein, texte théorique capital, n'a guère été appliqué par la suite chez Eisenstein qui, avec Alexandre Newsky, a contribué à la conception de « la musique de film ». Cet écart est surpre­ nant.

 

Noël Simsolo - II en résulte que le spectateur de Robbe-Grillet ou de Carmelo Bene est furieux de pas entendre le son propre auquel on l'a habitué. Sans oublier que la majorité des spectateurs voit des films post­ synchronisés.

 

Christian Metz - Post-synchronisa­tion qui faisait dire à Bresson, horrifié : « La parole, c'est la rumeur du person­ nage ».

 

Jean-Paul Simon - Le cinéma pro­ duit des codes de lecture et des codes de plaisir, ce qui fait que toute tentative de faire autre chose est perçue comme violation, transgression...

 

Noël Simsolo -... Ou iconoclastie, ce qui est symptomatique du jeu de réassurance.

 

Christian Metz - Ce n'est pas un problème exclusivement cinématogra phique, cet abaissement de la dimen­ sion sonore dans notre civilisation. C'est un phénomène historique et idéologique, qui se situe partout, y compris dans notre propre groupe et à l'intérieur des travaux théoriques.

 

NE PAS TRAVAILLER EN FONCTION D'UNE ABERRANTE COLLOQUITE IDEALE

Certains participants à votre colloque, ont fait remarquer que l'opéra, le théâtre, la bande des­sinée ont été peu évoqués. Pour quelles raisons ?

Jean-Paul Simon - Nous voulions le faire, mais on s'est trop attardé sur d'autres choses.

 

Michel Fano - Et puis notre travail d'organisateur comportait diverses besognes qui prenaient notre temps : transport, manutention, affichage, intendance...

 

Jean-Paul Simon - Parce que nous étions à l'UNESCO, beaucoup de personnages ont cru que nous bénéfi­ cions d'une infrastructure riche et importante. M n'en était rien.

 

Michel Fano - Le plus gros du travail a été effectué par Jean-Paul Simon et Simone Raskin... En outre, nous avons eu des pépins comme le blocage en douane des films apportés par Annette Michelson. Bien sûr, ce colloque comportait des lacunes. Il est vrai que l'opéra n'a pas été évoqué alors que ce spectacle populaire est justement celui dont le cinéma a pris le relais. Alban Berg avait compris ce rapport puis- qu'avant sa mort, il envisageait de faire un film de «Woyzeck». Il en avait commencé le découpage peu de temps avant sa mort.

 

Christian Metz - Le grand rêve de Diderot n'était-il pas un art total qui inclurait l'opéra?

 

Noël Simsolo - Le roman populaire, la bande dessinée des années trente et son interaction avec le cinéma holly­ woodien d'aventure ou les fumetti italiens d'aujourd'hui qui agissent directement en rapport avec le cinéma italien populaire, sur le plan de l'érot isme et de la violence, ne furent jamais évoqué. De même que la théâtralisa­ tion.

 

Jean-Paul Simon - C'est un pro­blème d'animation. Nous voulions trop de choses.

 

Christian Metz - II y a eu aussi le problème du nombre des communica­ tions, souvent trop important pour laisser assez de temps à la discussion générale.

 

Jean-Paul Simon - Ceci dit, l'afflux d'interventions sur les communications démontre l'aspect positif du colloque.

 

Christian Metz - Certaines person­ nes ont critiqué le côté désordonné du colloque. Je ne suis pas d'accord. Je suis un vieux routier des colloques dans diverses disciplines et généralement, c'est beaucoup plus bordélique que cela. Ceux qui firent ces critiques parlaient au nom d'une sorte de collo quité idéale, perfectionniste, que je n'ai vue réalisée nulle part.

 

Comment ont fonctionné les groupes de travail ?

Jean-Paul Simon - Un seul a vraiment fonctionné, c'est celui réuni autour de Noël Burch et Jorge Danna. Ils ont fait un travail d'analyse des normes implicites de production dans les films, en se servant d'une émission de télévision et d'un film inédit : La Communion solennelle de René Féret. Ils ont travaillé sur ce film et des chutes du film avec les techniciens et le réalisateur. Ce groupe va continuer ses analyses.

 

Comment voyez-vous l'avenir de ce colloque?

Michel Fano - II faudrait prévoir un nouveau colloque dans deux ans où l'on chercherait à combler les lacunes de celui-ci. On s'attarderait moins sur les nouveaux supports car la recherche est très lente dans ce domaine. Il convien­drait d'orienter le colloque vers ce qui avance vite en matière de recherche, en élargissant les approches afin d'éviter le reproche de nous retrouver entre nous.

 

Christian Metz - Ces réserves faites, on peut affirmer que ce colloque a marqué un progrès très important de maturité dans le niveau général du discours sur le film. Pendant cinq jours, on a entendu des discussions sur le cinéma et sur les films où, tout naturel­ lement, on parlait de linguistique, de psychanalyse, de théorie des idéolo­ gies, etc. M ne faut pas fétichiser cela, mais c'est effectivement le travail qui se fait aujourd'hui.


 

QUELLES POURRAIENT ETRE LES DONNEES D'UNE VULGARISATION THEORIQUE

POSSIBLES ?

Comment expliquez-vous le fait que votre manifestation ait été si peu répercutée par la presse en
général et les critiques de cinéma en particulier ?

Michel Fano - Je crois que l'absence de retombées dans la presse était à prévoir pour des raisons citées plus haut (travail avec le film) beaucoup de vos confrères, qui sont en quelque sorte un reflet du public, ne se sont pas sentis concernés. La plupart ne sont pas venus à ce colloque pour éviter d'avoir à écrire à propos de phénomènes qu'ils maîtri­sent encore mal.

 

Christian Metz - Je nous trouve bien sévères. Je le dis d'autant plus sereinem ent que j'ai eu à souffrir souvent des agressions stupides ou des silences de la critique. Mais il faut tenir compte des contraintes professionnelles spécifi­ ques de ce métier : voir beaucoup de films, en parler vite, dans des conditions de travail souvent mauvaises. Dès lors, s'ouvrir aux avancées de la pensée réelle représente pour beaucoup un travail difficile. Rares sont ceux qui peuvent le mener à bien (il y a eu Bazin, notamment...).

 

II est vrai que l'exercice de la critique cinématographique s'effectue dans de mauvaises conditions économiques. Mais il est tout aussi vrai que 90 % de nos confrères en reste, par paresse intellectuelle ou négligence, à une forme d'analyse du film, d'ordre thématique ou psycholo­gique, qui néglige complètement récriture, alors que leur influence pourrait être grande en matière de vulgarisation théorique. Pourquoi cette lacune? Pourqui ce fossé entre les théoriciens de haut niveau de conscience et le travail de base effectué, par exemple, dans des organismes comme l'IFACC ? Quelles solutions pré­conisez-vous pour réduire cet écart et élargir nos champs d'action respectifs ?

Jean-Paul Simon - Ces questions sont trop importantes pour être réglées brièvement. Cette lacune est aussi un effet de l'absence de légitimation dont le cinéma reste l'objet. Il faut éviter de moraliser l'attitude de la critique : la défense d'un objet non légitime conduit toujours à des stratégies de défense et de reconnaissance, d'où les innombra­ bles présentations du cinéma comme art, le passage par des types d'analyses reconnus en d'autres lieux (analyse littéraire, théâtrale) et donc le plus souvent : thématique (tel film sera intéressant pour son thème reconnu, il existe un catalogue implicite des « bons thèmes »).

Là encore on se trouve face au même problème: l'idée que le cinéma impli­que un type de travail spécifique, des moyens propres et donc l'accès aux documents et matériel n'est toujours pas globalement acceptée. Le résultat de tout cela est l'impossibilité de travailler autrement qu'au coup par coup, et sans échange. Or le travail dans des organismes comme l'IFACC implique aussi, quoique diffé­ remment, une rupture, un décalage vis-à-vis des modes habituels de penser et de travailler sur le cinéma. De plus l'expérience montre que certaines théories réputées difficiles passent remarquablement vis-à-vis d'un public non spécialisé lorsqu'il est possible de travailler dans certaines conditions, comme le montre entre autres l'expé­ rience d'enseignement de l'audio-visuel dans l'enseignement secondaire d'Alain Bergala (cf à ce sujet : Bergala Alain, Pour une pédagogie de l'audio-visuel, Ligue Française de l'Enseignement, UFOLEIS).

 

Christian Metz - En cette matière comme en bien d'autres, je ne crois pas qu'il faille espérer de solution totale. Certains critiques de cinéma travaillent dans des conditions matérielles qui excluent toute réflexion théorique. Ou bien, c'est un niveau minimal de formation intellectuelle qui leur fait défaut. Parfois, on rencontre aussi une « résistance » active, une fermeture délibérée aux avancées théoriques modernes, une attitude agressive qui recouvre une grande peur de dépos­ session. Ces divers facteurs peuvent d'ailleurs se cumuler, ll y a donc des cas où on ne peut pas faire grand-chose. Mais il reste (heureusement) tous les autres cas. Là, rien de désespéré. Simplement, un problème - un gros problème, mais qui est le revers normal du progrès scientifique, et qui n'est pas spécial au seul domaine du cinéma -, un problème de diffusion des méthodes et des concepts de la recherche ré­ cente. Je n'ai pas de remède-miracle. Au­cune solution, j'en suis persuadé, ne fera l'économie d'un double itinéraire, d'un effort et d'un travail réels de part et d'autre. Les critiques doivent lire et étudier, prendre le temps de réfléchir, de se mettre au courant, de se donner une formation qui soit plus à jour. Mais les théoriciens, de leur côté - et c'est actuellement l'un de nos objectifs à l'Ecole des Hautes Etudes, déjà partiel­ lement rempli grâce aux efforts de certains des chercheurs qui travaillent autour de moi, comme par exemple Geneviève Jacquinot, Michel Marie, Guy Gauthier, Bernard Leconte, Alain Bergala, etc. - les théoriciens doivent intervenir de façon régulière et fré­ quente dans les associations et les stages d'animation. Ils doivent accepter de consacrer une partie de leur temps - car c'est une de leurs fonctions propres et permanentes - à écrire des ouvrages d'introduction didactique (de haut niveau) à la recherche contemporaine sur le cinéma. Il ne s'agit pas exacte­ ment de « vulgarisation » : ce mot a une nuance inégalitaire et méprisante que je n'aime pas. Il s'agit d'apprentissage, de dialogue, de circulation réelle des connaissances. Ce qu'on appelle la «théorie» n'est pas un sanctuaire réservé aux grands esprits, ce n'est rien d'autre qu'une exigence de rigueur et de précision, une certaine façon de poser les problèmes. C'est une chose qui s'apprend (comme toute le reste). Il suffit de le vouloir. Et de se mettre au travail.

 

Propos recueillis par Gaston Haustrate
texte original publié dans la revue Cinéma 77, avril 1977.