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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Le public et le cinéma (Ricciotto Canudo, 1922)


La question du public au cinéma est peut-être la clé de voûte de cet édifice énorme et récent, où grouille une des plus puissantes industries du monde, l'industrie du film.

Toutes les classes sociales y sont intéressées, tellement la vague de cinéma a dépassé ce que pouvaient rêver dans leurs laboratoires peu somptueux, les [Etienne-Jules] Marey, les [Georges] Demeny, les frères [Auguste et Louis] Lumière. Et l'attitude du public, ses réactions qui se manifestent plus que par la violence, par l'absence, dans les salles où le spectacle ne plaît pas, ainsi que ses engoûments fructueux, commencent à émouvoir les maîtres de l'écran. Ceux qui détiennent les capitaux, aussi bien que ceux qui manient les innombrables «pinceaux de lumière» de tous les studios où l'on fabrique du film, s'en préoccupent.

Cette question du public, de ses goûts, de ses desiderata prend partout une allure importante et fort actuelle.

La crise qui règne en France et ailleurs, compte parmi les causes qui la déterminent, celle du public qui, en définitive, est le véritable maître du marché. Mais, jusqu'ici, on ne s'efforçait point d'aller au devant de ses désirs, pour la raison essentielle que le public, le premier, ignorait ce qu'il fallait pour lui plaire. Le Cinéma l'accueillait, le recevait à tout moment pendant ses spectacles continus, et le spectateur y restait le temps nécessaire à son repos entre deux courses.

Et voilà que, brusquement, dans ces dernières années, le spectacle cinématographique a pris un tel essor, que le public, l'acceptant comme une puissance nouvelle d'expression et d'émotion, au même titre que le Théâtre, est devenu très exigeant. Il n'admet plus tout ce qu'on lui montre, charmé par des images faciles, par un gros drame dont la compréhension ne demande aucun effort, et permet la plus intermittente des attentions. Il veut choisir, et prétend, de plus en plus, qu'on lui fournisse les éléments de son choix avec beaucoup d'égards.

Dès lors, le véritable problème du Cinéma s'est imposé, dans les cinq pays producteurs des films qui courent à travers le monde colportant de continent à continent les visions et l'émotion fixées sur des millions de kilomètres de pellicule. Il consiste à enrichir le langage visuel de tout ce que sa prodigieuse expansion peut apporter au plaisir des foules sans en abaisser le niveau de la sensibilité, mais au contraire en l'élevant. Cet art collectif par excellence commence donc un peu partout à abandonner les gros sentiments factices, les intrigues que la littérature, même feuilletonesque avaient abandonnées, les noeuds et les dénouements grossiers dont l'émotion qu'ils répandent est de la plus avilissante qualité. Et en France, en Allemagne, en Suède, en Italie, voire en Amérique, toute une phalange d'auteurs et d'écranistes cherchent, dans un plan sentimental supérieur, les larges fables humaines, générales et nobles, destinées à émouvoir les peuples les plus divers. Le film du plus grand écraniste américain, qui en ce moment déroule à Paris ses péripéties angoissantes, est brossé avec une telle grandeur michelangesque, qu'il nous emporte dans le débat des âmes sur un thème très simple d'amour et d'infamie. L'on en garde une émotion visuelle telle, qu'elle nous laisse comme une crainte d'être injuste dans notre propre existence, et que l'on veut se sentir meilleur.

C'est que cette grande puissance moderne d'expression est autre chose qu'une industrie. C'est une langue universelle parlée en images plastiques. Et le besoin orga­nique d'élévation est si fort chez tous les êtres sains, qu'on demande aujourd'hui au Cinéma de trouver des visions nobles et harmonieuses dans tous les conflits intérieurs, pour demeurer, comme tout art, ce qu'un poète appela «la médecine des âmes».

J'ai vu le public d'un faubourg de Paris le plus actif et le plus intéressant, des mécaniciens et des ouvriers d'usine, siffler de gros mélos qu'on avait cru populaires , réclamant ainsi, au Cinéma, une élévation hors la banalité quotidienne, vers les états plus nobles de l'esprit. C'est le propre de tout art de satisfaire à ce besoin spirituel très général, qui consiste à tendre toujours du plus bas vers le plus haut, en quelque sorte de la bête vers Dieu. C'est le propre de tout art de rénover les peuples et d'en révéler la vie la plus profonde. Le Cinéma ne saurait plus faire exception.

Le Cinéma aussi, il faut l'avouer avec joie, montre une tendance à entrer avec toute sa jeune vigueur dans ce domaine des Arts, et à partager avec eux une autorité morale. Dans quelques jours, le «Salon annuel du Septième Art» ouvrira ses portes, pour la deuxième fois. On sera étonné de voir, au Grand Palais, le chemin parcouru par le film d'année en année, dans les champs émouvants où l'intelligence se mêle étroitement à la vie sentimentale des individus et des races.

Informe et presque amorphe, le Septième Art sort assez rapidement de sa gangue. Il accuse des qualités multiples, il se répand dans les chemins innombrables de l'émotion. Ce mouvement, capable de l'ennoblir aux yeux de ceux qui, jusqu'ici, se contentaient de le mépriser et de le traiter de lanterne magique pour le populaire, ne peut que s'accentuer, encouragé par l'opinion publique, et malgré, il faut le dire, la plupart des potentats de l'écran.

Comoedia , 14 novembre. 1922, p.1