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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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La décentralisation culturelle (Guy Saez, 2004) - Regards sur l'actualité n° 303, septembre 2004.




Du fait de son histoire, la décentralisation entretient avec le domaine culturel des relations tendues, ambivalentes, qui en font l'objet d'incessantes controverses. Pour certains, la décentralisation est toujours excessive et menace la qua lité de la culture ; pour d'autres, elle est insuffisante et continuelle ment « oubliée ». Il arrive qu'on l'acclame dans son principe mais qu'on la récuse dans sa réalisation, qu'on la cantonne à un rôle pu rement fonctionnel ou qu'on la veuille instrument sacralisé d'un profond changement politique et culturel. Ces controverses sont nourries par l'existence de deux régimes de décentralisation distincts bien que complémentaires. Le premier régime - la décentralisation artistique ou culturelle - se fonde sur la nécessité de définir les conditions d'une action publique culturelle susceptible d'atteindre le plus vaste public tout en restant conforme aux attentes et exigences des acteurs cul turels ; il s'oriente de plus en plus vers une décentralisation-gouver-nance. Le second régime - la décentralisation institutionnelle - s'intéresse prioritairement aux procédures de fonctionnement et à l'organisation des autorités publiques qui interviennent dans le champ culturel : il s'agit d'une décentralisation des compétences.

La décentralisation est traditionnellement présentée comme un en eu politique relatif à la reconnaissance d'une capacité de décision autonome des élus locaux et comme un enjeu administratif sous l'angle de l'organisation des pouvoirs publics. En France, à ces principes de légitimité accrue de l'action publique, de démocratisation de la vie politique en général, de meilleure efficacité des services publics est associé un objectif de correction des inégalités territoriales. Le domaine culturel illustre bien la diversité de ces attentes. La décentralisation y est perçue comme un enjeu artistique dans la mesure où l'on reconnaît que la production, la création, l'expression culturelles peuvent ou doivent émaner de la pluralité des territoires locaux plutôt que d'être mona po isées par la ville capitale. Elle doit aider à la définition d'un véritable aménagement culturel du territoire et rapprocher, par une gestion de proximité, les biens et services culturels de leurs publics. En ce sens, on peut dire qu'elle est aussi un enjeu sociologique puisqu'elle permet à des publics de s'approprier des images et des symboles à travers lesquels se déroule un processus d'identification à un territoire.

L'ambivalence entre les deux régimes de décentralisation de même que les enjeux multiples dont elle est 'objet sont inscrits dans la trajectoire historique de 'institutionnalisation des politiques culturelles. On les retrouve dans les conditions de mise en oeuvre de la réforme de décentralisation de 1982-1983 et, enfin, dans les orientations les plus récentes de l'action publique territoriale.

La décentralisation artistique, facteur de l'institutionnalisation des politiques culturelles

Si 'idée de décentralisation a pris dans le domaine culturel différentes orientations selon les époques, elle est restée pendant longtemps un des mythes mobilisateurs pour les agents culturels. La décentralisation culturelle se confond souvent avec l'autre grand mythe : la démocratisation. Il est vrai que ces deux principes sont inextricablement liés à travers l'histoire et se renforcent mutuellement.
À la fin du XIXe siècle, un courant de pensée où se retrouvent des hommes de théâtre et des militants politiques formule un projet de décentralisation théâtrale. Il ne s'agit pas, comme on pourrait le croire, d'apporter le théâtre dans des villes où il n'existe pas, mais de promouvoir un autre théâtre, pour un autre public. En effet, les villes françaises de quelque importance disposent de salles de théâtre ou d'opéra, qui sont quelquefois des monuments prestigieux de l'architecture urbaine. Mais ces théâtres ne produisent pas leur propre « saison » et sont la plupart du temps voués à accueillir, pour un public bourgeois ou petit-bourgeois, les succès de la scène parisienne. D'un autre côté, à Paris même, ces militants déplorent que tout, dans l'organisation du théâtre, sujets, mises en scène, formes de sociabilité, reflète la domination des goûts des classes dominantes et l'exclusion corrélative de tout élément populaire.
Lorsque, en 1895, est créé le « Théâtre du peuple » à Bussang (Vosges), cette double problématique se trouve illustrée, et d'une certaine manière fixée pour de nombreuses décennies : il s'agit d'un théâtre à vocation populaire, implanté en province. Un pionnier comme Firmin Gémier renoue avec le théâtre itinérant en créant le « Théâtre national ambulant » en 1911 et, en 1920, un « Théâtre national populaire ». D'autres initiatives voient le jour, l'installation de Jacques Copeau et de sa troupe en Bourgogne, et bien d'autres troupes dans lesquelles une génération d'acteurs-animateurs de théâtre fait son apprentissage. Néanmoins, la reconnaissance par les pouvoirs publics d'une action artistique dans sa forme, populaire dans son objectif, tarde à venir. Si le Front populaire est logiquement acquis au thème du théâtre populaire, il se contente de bonnes intentions en ce qui concerne la décentralisation. « Nous avons songé également à la province où presque tout, en matière de loisirs intellectuels et artistiques, est à créer. Pour nous, l'effort principal pour l'organisation des loisirs est un effort de décentralisation ; il faut des théâtres, des cinémas, des bibliothèques ambulantes qui parcourent notre pays » (1).

A défaut de pouvoir prendre des décisions dont il est pourtant convaincu, Léo Lagrange charge Charles Dullin d'un rapport sur la question. Le rapport qu'il remet au président du Conseil Edouard Daladier en 1938 préconise la création et l'entretien de plusieurs troupes se déplaçant et jouant hors de Paris. C'est encore une combinaison originale entre décentralisation et théâtre populaire. Sous le régime de Vichy, une dure répression s'abat sur le théâtre, cependant les autorités mettent en place avec «Jeune France » un organisme d'animation culturelle explicitement chargéd'une mission de décentralisation. Dès la fin de 1942, le gouvernement dissout «Jeune France », comme il dissout, par exemple, l'Ecole des cadres d'Uriage, dont les membres passent en nombre à la Résistance. Il est important de souligner que, parmi ces membres, qui fondent à la Libération des associations culturelles influentes comme Peuple et culture et Travail et culture, se trouvent « des animateurs de théâtre » qui ont fait leurs premières armes sous le Front populaire, et qui seront les protagonistes de la première institutionnalisation de la décentralisation dramatique.
Dans l'effervescence des années qui suivent la Libération, il s'agit de réaliser les promesses non tenues du Front populaire et de concrétiser les espoirs nés pendant la Résistance. L'idée de décentralisation théâtrale, jusque-là portée par des militants culturels et des associations, devient, à partir de 1945, une véritable politique publique, sans aucun doute la première politique publique moderne dans le domaine culturel. À cette politique est attaché le nom dejeanne Laurent, sous-directrice à la Direction générale des Arts et des Lettres, qui va s'employer à créer entre 1946 et 1952 les premiers centres dramatiques nationaux en région (Strasbourg, Rennes, Toulouse, Saint-Etienne, Aix-en-Provence) (2). Le dispositif inauguré à ce moment fixe pour longtemps les caractères de la décentralisation. Au plan juridique et organisationnel, cette décentralisation se passe de législation spécifique. Il surfit que l'État, la ville d'accueil et le responsable du centre dramatique se mettent d'accord sur un objectif de qualité artistique (installer un théâtre de création), sur le partage des dépenses pour son entretien (équipement et fonctionnement), sur les principes de fonctionnement du centre dramatique (irrigation du territoire, promotion des jeunes artistes). Au plan sociologique, elle suppose 'existence d'un public, plus ou moins constitué, suffisamment nombreux pour assurer la base économique nécessaire, capable de s'impliquer et de se mobiliser pour défendre la nouvelle institution.
On retrouve ces caractères institutionnalisés dans la politique des maisons de la culture lancée à partir de 1961 par le tout récent ministère des Affaires culturelles, dirigé par André Malraux. Cette deuxième vague ne concerne donc plus seulement le théâtre, puisque les maisons de la culture sont pluridisciplinaires, mais l'inspiration est la même : la démocratisation culturelle, conçue comme la mission de rendre accessible le plus largement possible « les grandes œuvres », devient le fondement de la politique (3). Dans le contexte politique de modernisation de la France voulu par le président Charles de Gaulle, deux instruments d'action publique complémentaires sont fortement privilégiés : la planification et l'aménagement du territoire. C'est ainsi que le projet de décentralisation hérité de la période précédente est notablement infléchi pour enrichir le principe d'égalité sociale devant la culture par celui d'égalité territoriale ; l''art et la culture doivent certainement être accessibles socialement, encore faut-il qu'ils soient disponibles territorialement. Une intense politique d'implantation d'équipements, coordonnée entre l'Etat et les villes, se met a ors en place, qui vise à créer des maisons de la culture, des centres d'action culturelle, puis des bibliothèques, des musées...
Pendant que cette politique d'aménagement culturel du territoire se poursuit, le secrétaire d'Etat à la Culture Michel Guy introduit un nouveau dispositif, promis à un grand avenir. Dès 1974, il sollicite des collectivités territoriales désireuses de participer à son programme de « chartes culturelles ». L'objectif est d'étendre le principe de la décentralisation artistique, jusqu'ici largement dominé par le théâtre, à l'ensemble des domaines de la culture, d'étendre par là-même la notion de culture à nombre d'activités, au-delà d'une acception restrictive des beaux-arts. Les chartes culturelles, qui seront contractuelisées avec des villes, des régions, des « pays », sont l'occasion d'engager un dialogue entre les collectivités et l'État sur l'ensemble des activités des collectivités susceptibles de recevoir une aide du ministère. Cette aide est globalisée et fait 'objet d'une programmation financière pluri-annuelle. Par ses caractéristiques de contractualisation, de globalisation et de planification, la politique des chartes rend plus visible et permet de mieux identifier la politique suivie. Elle instaure la collectivité territoriale comme un partenaire apte à définir ses priorités culturelles, à les hiérarchiser et à établir une stratégie globale et de moyen terme. C'est sur cette base, que Jack Lang, ministre de la Culture à partir de 1981, perfectionnera et généralisera, que se construit la politique des « conventions de développement culturel ».

La décentralisation des compétences

Avec les lois du 2 mars 1982 et des 7 janvier et 22 juillet 1983, le domaine culturel sort de son exceptionnalité et 'inspiration décentralisatrice « culturelle » qui avait prévalu jusqu'ici semble entrer en contradiction avec la logique qui anime la réforme. Il faut souligner, en premier lieu, la nette réticence opposée par le ministrej. Lang et une large partie des milieux culturels à admettre le principe même de transferts de « blocs de compétences » au profit des collectivités territoriales, qui implique le contrôle politique et financier par les élus locaux sur les programmes dont ils ont la responsabilité. Pour le ministre, la « décentralisation est achevée » et la France est par nature décentralisée puisque l'article 72 de la Constitution leur offre la plus grande autonomie possible : voici venir le temps des « 36 000 ministres de la Culture ». Toutefois, il acceptera deux transferts de compétences au profit du département : les archives départementales et les bibliothèques centra es de prêt (BCP). Dans le premier cas, le transfert est peu coûteux pour l'État car les départements finançaient déjà largement leurs archives. Le deuxième cas est plus complexe car si certains départements finançaient déjà les BCP, d'autres en étaient dépourvus. Le ministère a donc créé un programme spécial de « mise à niveau » des bibliothèques départementales, qui court (jusqu'en 1990) bien au delà de la « départementalisation », juridiquement achevée en 1986, et un « concours particulier » dérogatoire aux règles de la décentralisation pour continuer à « piloter » la modernisation des bibliothèques municipales (décret du n° 86-424 du 12 mars 1986).
Peu attiré par la logique des transferts de compétences, le ministère de la Culture accentue au contraire le volume et l'ampleur des opérations relevant de sa doctrine traditionnelle de décentralisation culturelle. C'est en application de cette doctrine que l'on verra une décentralisation de l'art contemporain avec la création des Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) et des Fonds régionaux d'acquisition des musées (FRAM). Inspiré du schéma paritaire Ville/État des maisons de a culture, le mode de gestion des FRAC associe représentants des régions et du ministère dans une forme de cogestion où doivent s'équilibrer les attentes des deux partenaires. Mais la longue pratique de cette forme de décentralisation dans le domaine du spectacle laissait supposer qu'en réalité le modèle normatif défini par les experts ministériels s'imposerait face à l'inexpérience des élus et à l'absence d'une expertise territoriale.
Cette politique vise également à rassurer les professionnels de la culture qui avaient, bruyamment quelquefois, exprimé leur inquiétude de se voir livrés aux « pressions locales » sans la protection de l'administration tutélaire. En même temps, la plupart de ces élus étaient bien conscients qu'ils ne pourraient donner quelque ampleur à leur projet de développement culturel local sans le soutien financier et technique du ministère.

La question de l'accompagnement de la décentralisation fut donc jugée prioritaire. Pour mener à bien son projet, le ministère a mis en oeuvre, avec les conventions culturelles, une modalité d'intervention généralisée à tout le territoire. La Direction du Développement culturel, créée en 1982, sera l'instrument administratif chargé de coordonner cette politique tant avec les autres Directions centrales « sectorielles » que dans une relation privilégiée avec les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), renforcées en personnel et en moyens (4). La place considérable que vont prendre désormais les DRAC comme administration territoriale dans la gestion culturelle des collectivités locales montre que le ministère était en phase avec au moins l'une des dimensions de la réforme Déferre : le renforcement de la déconcentration. Les DRAC sont devenues de véritables analystes de la complexité des situations locales par leurs reations quotidiennes avec les élus et les acteurs locaux de la culture. Elles sont également stratèges dans la mesure où elles se voient confier la coordination des contrats de plan entre Etat et région, ou, plus récemment, celle des schémas de services collectifs (5). Enfin, elles ont gagné une certaine autonomie par rapport aux directions centrales puisque, depuis la charte de la déconcentration (décret du 1er juillet 1992) et les mesures prise en 1998, elles répartissent directement une large part des attributions financières des collectivités.

Cette articulation étroite entre décentralisation et déconcentration soulève, au moment du bilan de la réforme, un certain nombre d'ambiguïtés (6). Sans doute le ministère a-t-il trouvé dans la procédure des conventions et le re ais des DRAC un moyen efficace de faire partager ses choix, d'autant qu'il disposait, avec un budget presque doublé entre 1982 et 1984, d'une ressource politique déterminante pour les élus locaux. En acceptant de s'engager dans ces procédures, ces élus acceptaient aussi un modèle - l'Etat culturel - à son apogée. Mais on doit souligner que c'est à la faveur d'une forte politique culturelle de l'Etat que sont apparus de nouveaux acteurs culturels comme la région, que les départements se sont affirmés et que les villes se sont constitué une gamme complète d'équipements. C'est bien à la faveur des incitations du ministère que les dépenses culturelles des collectivités locales se sont gonflées, surtout quand l'administration centrale se désengage une fois 'impulsion initiale donnée. D'autres problèmes ont été sou evés comme des travers de la décentralisation : l'obsession de la médiatisation de la culture, la tendance à l'instrumentaliser pour des retours d'image, la crainte de voir la dynamique et la diversité des expressions culturelles locales sacrifiées au profit du financement de grandes institutions. C'est la raison pour laquelle le rapport Rizzardo avait insisté pour que la décentralisation ne se résume pas à un modèle contraignant qui aurait indistinctement concerné les communes, les régions et les départements.

Il nous semble, pour rester dans 'esprit de ce rapport, que l'éva uation de la décentralisation culturelle des années 1980 doit éviter la vision simpliste gains/pertes dans laquelle on voudrait l'enfermer lorsqu'on déplore que la culture soit 'oubliée de la décentralisation (les collectivités sont perdantes) ou, au contraire, lorsqu'on assure qu'il s'agit du sacre de notables locaux (la qualité artistique dont le ministère est garant est en péril). Elle doit en conséquence se garder de juger par rapport à la logique des compétences et se pencher plutôt sur les caractères de l'action publique culturelle. Celleci tire son identité actuelle du fonctionnement d'un véritable système de coopération qui relie entre elles les différentes collectivités publiques dans des réseaux de projets et de financements contractualisés. Si les accords bilatéraux entre l'Etat et les villes pour aider au fonctionnement des festivals, assurer la diffusion et la création dans le domaine du spectacle vivant, rénover les musées et les bibliothèques, s'imposent par leur nombre et leur ampleur financière, les régions et les départements participent également à a coopération culturelle. Celle-ci s'étend encore avec la participation de l'Union européenne à travers les programmes d'intérêt communautaire financés par la Commission. Les programmes Leader, Interreg ou Urban comportent parfois un « volet culturel » défini en liaison avec un projet de développement territorial. Ainsi, 'acteur européen est de plus en plus présent dans le jeu culturel local. D'autres nouveaux acteurs interviennent pour élargir encore le champ des politiques culturelles locales. C'est le cas du ministère des Affaires étrangères qui, par l'intermédiaire de l'AFAA (Association française d'action artistique), cherche à rationaliser dans des conventions spécifiques les « échanges culturels extérieurs » des collectivités. Une forme de gouvernance territoriale de la culture se met en place, associant une diversité de plus en plus grande d'acteurs politico-administratifs, modernisant les références de l'action publique mais sans doute en la rendant moins lisible par les citoyens.

La gouvernance culturelle reste cependant en pointillé en ce qui concerne les partenariats locaux public - privé. La loi du 13 juillet 1992 (loi Sueur) remédie en partie à ce que certains observateurs ont considéré comme une lacune gênante en ce qui concerne la capacité pour les communes de subventionner directement des exploitants privés pour maintenir une large diffusion cinématographique (7). Désormais, les communes peuvent intervenir avec d'autres choix que celui de « municipaliser » une salle de cinéma déficitaire. Ce mode de participation est attendu pour des librairies ou d'autres commerces dont les services sont considérés comme indispensables. La question du soutien local et, plus largement, la formalisation du partenariat entre les industries culturelles et les pouvoirs publics locaux, est un chantier d'avenir.


Les orientations récentes de la décentralisation : maintien de la dualité des régimes

En 2001, le gouvernement de Lionel Jospin a introduit une réflexion nouvelle destinée à remettre un peu d'ordre dans le foisonnement des activités des collectivités territoriales et à définir progressivement les grands principes de régulation de l'action publique. Deux idées-force traduisent cette volonté : la responsabilisation d'un « chef de file » et la possibilité de 'expérimentation. Dans cette perspective, le ministère de la Culture a proposé à des régions et départements volontaires de signer des contrats instaurant des « protocoles de décentralisation culturelle ». Il s'agissait de rationaliser la distribution actuelle des compétences dans deux grands domaines : le patrimoine et les enseignements artistiques. Le choix du patrimoine est significatif dans la mesure où il illustre la volonté des collectivités d'intervenir dans ce champ soit en fonction d'opportunités politiques, soit pressées par une forte demande sociale (8), sans qu'aucune compétence ait été formellement transférée. Il manifeste également les limites de l'administration centrale à piloter elle-même et à financer les conséquences de l'élargissement de la notion de patrimoine et les multiples projets qui en découlent. L'expérimentation a donc ici pour objectif de clarifier les missions des divers acteurs et de trouver des accords sur les engagements précis des uns et des autres. Les régions Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Lorraine et les départements de l'Isère, de la Lozère et de la Seine-Saint-Denis ont signé des protocoles d'expérimentation du patrimoine. La région Nord a signé un proto-co e concernant les enseignements artistiques. Un groupe d'experts dirigé par René Rizzardo a été chargé d'observer et d'évaluer la mise en place de cette nouvelle phase de décentralisation. Ses premières conclusions, dans l'ensemble très favorables à ce type d'expérience, ont été formulées au moment du changement de gouvernement en 2002.

Les orientations du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, loin de mettre fin à la dualité des conceptions de la décentralisation dans notre domaine, contribuent à la pérenniser. Lors de son passage au ministère de la Culture, Jean-Jacques Aillagon a pris la décision de construire à Metz une « antenne » du Centre Beaubourg (dont il fut le président). Cette décision s'inscrit dans la perspective cassique de la décentralisation conçue comme un correctif des inégalités territoriales et du déficit d'image culturelle de la ville de Metz par rapport à d'autres villes en France et en Europe. Le Louvre a un projet du même type à Blaye. Autre exemple : le comité interministériel d'aménagement du territoire du 17 décembre 2003 a confirmé le projet de création du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée à Marseille, qui est une délocalisation du musée des Arts et Traditions populaires de Paris. Si l'on reste dans la tradition, il est important de noter l'infléchissement de l'argumentation gouvernementale. En effet, la légitimation de ces décisions repose davantage sur des préoccupations d'image, de compétition entre villes et de développement économique que sur des critères de qualité culturelle et artistique comme dans le passé.

De son côté, très attaché à réussir « l'acte II de la décentralisation », le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s'est employé à parachever la réforme de 1982, en reprenant à son compte la perspective de la décentralisation-compétences. On notera que le gouvernement n'a pas inscrit la question de l'intercommunalité culturelle à son agenda alors qu'i s'agit manifestement d'un problème majeur d'organisation des pouvoirs territoriaux, qui met en cause non seulement l'avenir de l'intercommunalité (9) mais aussi la recomposition du rôle des départements. Le projet est ambitieux puisqu'il introduit dans les institutions de 1958, par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, une modification de l'article 1 de la Constitution au terme duquel il est précisé : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. (...) Son organisation est décentralisée ». Au-delà de l'aspect de consécration symbolique de la décentralisation, une loi organique du 1er août 2003 relative à l'expérimentation par es collectivités locales autorise ces collectivités « à déroger, à titre expérimental aux dispositions législatives régissant 'exercice de leurs compétences » pendant cinq ans. Restait à définir le champ d'application de cette expérimentation. C'est l'objet du projet de loi relatif aux responsabilités locales qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 14 avril 2004 et par le Sénat le 1er juillet 2004. S'agissant du domaine culturel, ce projet permet de transférer aux régions ou aux départements « qui en font la demande (...) la propriété des immeubles classés ou inscrits au titre II du livre IV du Code du patrimoine figurant sur une liste établie par le Conseil d'État, ainsi que la propriété des objets mobiliers appartenant à 'Etat ou au Centre des monuments nationaux. » II revient à ces collectivités nouvellement propriétaires d'assurer la plénitude des missions d'une politique patrimoniale : conservation, valorisation, animation, avec le concours du personnel spécialisé dont la gestion est également transférée aux collectivités.

Dans un rapport remis le 17 novembre 2003 au ministre de la Culture et de la Communication, la commission Rémond a proposé le transfert de 162 (sur 298) monuments historiques (10). Ces monuments peuvent participer d'un intérêt territorial et leur mise en valeur sera amé iorée par une gestion de proximité. On re èvera que la commission a pris acte du tournant territorial en considérant que la propriété des monuments historiques par les collectivités devrait être la règle et que c'est e maintien sous la responsabilité de l'Etat qui doit être justifié. Une nouvelle réforme de l'archéologie préventive a été promulguée avec la loi du 1 er août 2003. La loi du 1 7 janvier 2001 avait été en effet sévèrement critiquée comme une « recentralisation » autour de l'Institut national de recherches archéologiques préventives, dont le monopole en ce qui concerne l'exécution des opérations et des diagnostics est désormais aboli : les collectivités pourront confier les travaux à leurs services archéologiques ou à des opérateurs agréés indépendants.
La question d'un transfert de l'Inventaire général, qui avait été un point fort discuté par certains départements dans l'expérimentation de 2002, fait l'objet d'une disposition nouvelle : l'inventaire est transféré aux régions qui peuvent, à leur tour, transférer aux autres collectivités, départements ou communes, « qui en font la demande, la conduite, dans leur ressort, des opérations d'inventaire général ». Mais l'inventaire reste sous le contrôle normatif et scientifique de l'Etat, ainsi que le pouvoir de « classement » des monuments. Les dispositions qui concernent les enseignements artistiques du spectacle sont beaucoup plus simples. En effet, les établissements (conservatoires de musique, de danse et d'art dramatique) ne sont pas soumis à la logique du transfert puisqu'ils sont déjà de la responsabilité des villes. La loi entend rationaliser les initiatives locales, nombreuses et encore peu coordonnées en ce domaine, en donnant mission aux départements d'établir, en concertation avec les communes, un schéma départemental pour améliorer l'offre de formation et les conditions d'accès à l'enseignement.

À la suite de l'opération portant sur les « protocoles de décentralisation », le ministère a souhaité engager de nouvelles « expérimentations de décentralisation » avec les régions Lorraine et Midi-Pyrénées. L'objectif, cette fois, n'est pas de tester quelles nouvelles compétences pourraient être assumées par les collectivités locales, mais d'améliorer le cadre de la coopération entre les divers acteurs de la région. La mission est ainsi explicitée :« faire un bilan des répartitions de compétences en matière culturelle, une évaluation des politiques culturelles menées par l'État et les collectivités locales »... « dresser un état des lieux, une cartographie de l'action et des partenariats engagés, ... savoir qui fait quoi, savoir par qui et comment le service public de la culture est assuré, ... identifier et éviter les éventuelles redondances, . . . repérer les éventuelles carences. ..» (11) Il s'agit donc de mieux articuler les registres d'action, les ressources et les représentations de ces acteurs pour aboutir à une coordination optimale, c'est-à-dire à la construction d'une communauté régionale d'acteurs culturels. Le suivi de cette opération a été confié à l'Observatoire des politiques culturelles (12).

De ces deux chantiers différents mais complémentaires, seul celui sur les compétences se traduit aujourd'hui par des dispositions concrètes, celles-là mêmes qui sont en instance dans la loi sur les responsabilités locales. Ces dispositions doivent maintenant être soumises de nouveau à 'Assemblée nationale pour le vote en dernière lecture. Ce vote interviendra dans un climat politique fort différent de celui qui avait présidé aux premières discussions. La large victoire de la gauche aux élections régionales et cantonales du printemps 2004 change en effet le climat de la coopération entre les collectivités territoriales et le gouvernement. Si ce projet de loi n'est pas contesté dans son principe, il fait l'objet d'une suspicion des nouveaux exécutifs territoriaux quant à ses incidences financières, en dépit du principe selon lequel tout transfert de compétences doit s'accompagner d'un transfert de moyens financiers. Ce que craignent les élus locaux, c'est que les dynamiques sociales et culturelles qui naîtront immanquablement de ces transferts les entraînent dans des dépenses nouvelles que l'Etat ne pourra pas compenser. On peut donc s'attendre, comme cela est conforme à la double dynamique de décentralisation que nous avons exposée, qu'une moindre avancée, sinon un recul, sur le chantier décentralisation-compétences soit suivi par un progrès compensatoire sur le chantier décentralisation-gouvernance culturelle.


GUY SAEZ, directeur de recherche au CNRS, CERAT-PACTE Grenoble


(1) Extrait du rapport d'activité du sous-secrétariat aux Sports et aux Loisirs, cité in E. Raude, G. Prouteau, Le message de Léo Lagrange, Paris: La compagnie du Livre, 1950.
(2) Sur ces questions, voir D. Gonlard, La décentralisation théâtrale, Paris, SEDEIS, 1973.
(3) Philippe Urfalino, L'invention de la politique culturelle, Paris, Hachette littératures, 2004.
(4) Voir J.-L Bodiguel, L'implantation du ministère de la Culture en région. Naissance et développement des directions régionales des affaires culturelles, Paris, La Documentation française, 2000.
(5) Les schémas de services collectifs (SSC) prévus par la loi Voynet de 1999 dans une optique de prospective territoriale à l'horizon 2020 insistent, pour la culture (article 14), sur la coordination des politiques culturelles menées par l'État et les collectivités, sur les objectifs de l'Etat et sur le contrat comme instrument, mais évoquent la décentralisation plutôt que l'aménagement du territoire. Le rapport sur les SSC (Datar 2000) évoque, pour réduire les inégalités territoriales, "la délocalisation d'un certain nombre d'activités et projets culturels qui méritent d'être soutenus". Il reconnaît que les transferts de compétences ont été limités sans en proposer d'autres. En revanche, il insiste beaucoup plus sur la contractualisation et la nécessité de coordination.
(6) Voir R. Rizzardo, La Décentralisation culturelle, rapport au ministre de la Culture, Paris, La Documentation française, 1990. Pour une analyse détaillée de l'ensemble du processus, voir P. Moulinier, Politique culturelle et décentralisation, Paris, L'Harmattan, 2002.
(7) Cf. J.-C. Nemery, F. Thuriot, Le cinéma en France et en Europe, Reims, Presses universitaires de Reims, 1999.
(8) Voir H. Glévarec, G. Saez, Le patrimoine saisi par les associations, Paris, La Documentation française, 2002.
(9) A. Faure, E. Négrier, La politique culturelle des agglomérations, Paris, La documentation française, 2001.
(10) Voir « Le rapport Rémond sur la décentralisation des monuments historiques >, Regards sur l'actualité, n° 300, avril 2004, pp. 73-78.
(11) Cf. Ministère de la Culture et de la Communication, « Expérimentation de décentralisation culturelle - Note méthodologique » Courrier du ministre de la Culture..., op.cit., http://www.culture-gouv.fr
(12) M. Pongy, Vers une gouvernance ferriforiafe de fa culfure. l'expérimentation de décentralisation culturelle en région, rapport au ministère de la Culture, 2004, 24 p.