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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Discours sur la culture et intérêts sociaux


Marcel FOURNIER

" Discours sur la culture et intérêts sociaux "

Table des matières

 

Introduction

I. De la « culture primitive » à la « culture populaire »

II. Discours savant et culture populaire: quelques exemples

A. Léon Gérin, Marius Barbeau et l' « École de Laval »

B. Théophile Bertrand, Edmond Caron et la « raison ouvrière »

III. Les niveaux de culture

Résumé

 

Introduction

Comme d'autres disciplines, intellectuelles et scientifiques, les sciences sociales ne peuvent s'institutionnaliser que si elles acquièrent une légitimité intellectuelle et sociale mais, contrairement à la plupart des autres disciplines, celles-ci ne peuvent se voir attribuer une telle légitimité par la seule affirma­tion de leur neutralité et par la mise sur pied de mécanismes garantissant leur autonomie institutionnelle: pour que les sciences sociales puissent prétendre à une: quelconque neutralité (et objectivité), il est aussi nécessaire qu'elles apparaissent distantes par rapport aux pouvoirs et souvent, elles ne peuvent y parvenir qu'en exerçant une fonction critique et aussi en se définissant comme « sciences du peuple », c'est-à-dire des sciences qui se veulent « au service du peuple » et qui ont comme objet privilégié le peuple ou les classes populaires. Avec le développement des sciences sociales et en particulier de la sociologie, l'on cesse d'interroger seulement les grands hommes politiques et de ne déchiffrer que les textes des grands auteurs philosophiques pour prendre en considération l'opinion de tous et chacun et pour étudier la culture des sociétés primitives ou des classes populaires : la réflexion sur le sens (des choses et de la vie) passe par l'analyse du « sens commun ». Mais ce « recours au peuple » ne serait-il pas, pour la sociologie et les autres sciences sociales connexes, le moyen par excellence pour remplir adéquatement, c'est-à-dire en la masquant, leur fonction spécifique, qui est de contribuer à la reproduction des rapports sociaux non seulement par la rationalisation de la gestion des ressources humaines, mais aussi par l'imposition de représentations du monde social? La formulation de cette question est peut-être inexacte, mais elle permet d'aborder un problème central de la démarche sociologique contemporaine, à savoir l'engagement social, l'une de ses expressions récentes, l'intérêt pour la « culture populaire ».

 

I. De la « culture primitive » à la « culture populaire »

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Depuis une dizaine d'années, la « culture populaire » s'est installée au centre des préoccupations ou curiosités des spécialistes en sciences humaines non plus seulement des folkloristes mais aussi des historiens, des ethnologues et des sociologues: elle constitue maintenant un thème important d'articles, de revues, de colloques et autres activités intellectuelles (expositions d'arts populaires, etc.), suscitant de nombreuses interrogations méthodologiques et épistémologiques (sur l'histoire ou récit de vie, sur l'utilisation des magnétophones etc.).

 

Le renouveau de l'intérêt pour la « culture populaire » qui, jusqu'à tout récemment, était, un objet d'étude monopolisé par les folkloristes, dont la tâche était de répertorier, d'étiqueter et de recenser des objets et des discours (contes, chansons, légendes) pour les musées et les centres universitaires (par exemple Ven Gennep en France, Marius Barbeau et Luc Lacoursière au Québec) apparaît en histoire et conduit à écrire une histoire qui n'est plus seulement celle des princes et des grands hommes » mais aussi des petites gens. Au Québec, cette tendance qui est très présente en France (LeRoy Ladurie, Furet et Ozouf, etc), se manifeste dans le développement de l'histoire régionale (N. Séguin, la Conquête du sol du XIXe siècle, Québec, Boréal Express, 1977) et aussi de l'histoire du mouvement ouvrier (mise sur pied d'un groupe de chercheurs en histoire du mouvement ouvrier et création d'une revue Le Travailleur / Labor). Dans une jeune revue, Nouvelles Recherches québécoises, Claude Morin, professeur à l'Université de Montréal, critique l' « histoire savante », dont la fonction n'est souvent que de rédiger la mémoire du pouvoir et invite ses collègues à mettre leur science au service des causes populaires, par exemple en « restituant au peuple sa mémoire, en exhumant, grâce à des entrevues et aux journaux personnels, les expériences ou les témoignages des paysans, d'ouvriers, de militants, de ménagères, etc., de ceux qui, sans avoir fait ou écrit l'histoire, ont vécu l'Histoire et ont de ce fait contribué, anonymement, à la construire   ».

 

Même si la sociologie continue pour sa part de privilégier l'enquête par questionnaire auprès de grands échantillons (ex. sondages), la préoccupation pour l'analyse qualitative réapparaît aussi (ex. sémiologie); de plus, l'attention tend à se porter non pas seulement sur les « grands » phénomènes sociaux mais aussi sur la « vie quotidienne » et permet le développement de l'interac­tionnisme symbolique » et de l'ethnométhodologie. Enfin, au plan des techni­ques de collecte de données, l'on redécouvre l'histoire orale. Si au Québec, l'analyse (psychosociologique) des interactions demeure, dans les départe­ments de sociologie, marginale et que l'étude des structures est toujours dominante, l'on n'en remarque pas moins la réalisation de recherches qui portent sur la vie quotidienne (Yves Lamarche, Marcel Rioux et Robert Sévigny, Aliénation et idéologie dans la vie quotidienne, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1974), et sur le « monde ordinaire » (Marie Letellier, On n'est pas des trous de cul, Montréal, Parti pris, 1970), ou qui utilisent les techniques de l'histoire orale et de l'enregistrement par magnétophone de témoignages (numéro spécial de Recherches sociographiques sur «le vécu»).

 

Enfin, même intérêt dans les milieux intellectuels des maisons d'édition et des revues. En France, les maisons d'édition ouvrent ou élargissent des collections («Vie quotidienne» chez Hachette, «La mémoire du peuple», chez Maspero, etc.) et publient de nombreuses histoires de vie, récits de voyage et témoignages, dont certains connaissent de grands succès de librairie (Pierre Jakez-Helias, le Cheval d'orgueil, Paris, Plon, 1978). La multiplication de tels livres écrits par ou sur les «gens ordinaires» et aussi d'ouvrages sur le patrimoine et les arts populaires est aussi très évidente au Québec, mais dans ce cas-ci elle prend une signification différente: la problématique des «gens d'en bas», de la découverte du patrimoine et des mours populaires, en milieu intellectuel a un impact d'autant plus grand qu'il s'articule et appuie un mouve­ment d'affirmation nationale. L'ingéniosité dont les ancêtres et les «petites gens» ont dû faire preuve pour s'adapter au climat, pour vaincre l'isolement est souvent investie, remarque Martin Even au sujet des Patenteux du Québec, de « valeurs plus que sociales, mythologiques   ». L'intérêt renouvelé pour la « culture populaire», qui a incité des magazines à publier des chroniques sur les arts populaires, etc., se manifestera probablement par la parution prochaine de numéros entiers de revues consacrés à ce thème (comme en France le fait la revue Autrement : « Avec nos sabots », « Médecine populaire », « Flagrants délits d'imaginaire») et par l'élaboration d'un discours savant, tel celui d'un Michel Certeaux  , sur la culture populaire ou l'homme ordinaire.

 

Dans une certaine mesure, ce retour (ou recours) au peuple, qui n'est pas totalement indépendant de la situation de chacune des disciplines universi­taires impliquées - historiens en quête de nouvelles sources, ethnologues, qui, chassés de leurs terrains d'investigation coloniaux, sont en mal de terrain, sociologues qui n'ont plus la conviction ni les moyens financiers pour effectuer des enquêtes systématiques auprès de larges échantillons, etc. - n'est pas sans analogie avec l'intérêt que manifestaient des intellectuels, dont les anthropologues, pour les «primitifs» et les «sauvages» au milieu du XIXe siècle. Les diverses études de la «culture populaire» ou de la «culture du pau­vre» et les nombreuses réflexions sur l' «homme ordinaire» ne rejoindraient-elles pas à la fois dans leur contenu et dans leur fonction, les récits de voyage et les études ethnologiques des «primitifs»   ?

 

Dans un premier temps, c'est-à-dire pour les pionniers de l'anthropologie qui, souvent influencés par le darwinisme, tentent de théoriser la relation de domination entre Occidentaux ou «civilisés» et «primitifs» ou peuples colo­niaux, il ne fait aucun doute que le «primitif» se caractérise par une pensée différente qui, semblable à celle de l'enfant, est incapable d'abstraction et demeure confuse: largement animiste, celle-ci apparaît alors pré-logique, pour ne pas dire irrationnelle. Mais rapidement la controverse est engagée et certains tentent, tout en reconnaissant les diversités culturelles, de mettre en évidence l'unité psychique de l'humanité: dans une critique de la thèse de Levy-Bruhl, Durkheim et Mauss insistent sur la parenté - «les caractères essentiels communs» - entre les classifications primitives et les classifications scientifiques et élaborent ce que Parades et Hepburn appellent le «paradoxe de la culture et de la connaissance». Plus récemment, Levi-Strauss reprend, dans la Pensée sauvage, cette thèse de l'unité psychique et, même si, comme Durkheim il attribue à la pensée scientifique certaines qualités propres - celle-ci aborde le monde physique de façon abstraite et sous l'angle des propriétés formelles -, il met en question la fausse antinomie entre mentalité logique et mentalité prélogique. Cette perspective qui, sans nier les particularismes culturels des diverses collectivités (relativisme), affirme l'identité des proces­sus cognitifs (universalisme) a acquis en anthropologie un caractère paradig­matique: elle sous-tend par exemple un courant de l'anthropologie américaine contemporaine - l'ethnosémantique - dont la tâche spécifique est d'inventorier et d'analyser, en les comparant, les systèmes de classifications propres à diverses cultures  .

 

Toutefois, la controverse est loin d'être totalement écartée: la question «Y a-t-il universalité des structures logiques de l'intelligence?» réapparaît en sciences humaines. Ainsi, deux anthropologues, Hepburn et Parades relancent le débat au sein de leur discipline en soulevant le problème complexe des différences de culture et de connaissance (science) entre la Chine et les pays occidentaux: leur hypothèse concerne l'existence de différents processus co­gnitifs (mode de pensée linéaire/non linéaire, abstrait/ concret, analytique/ relationnel, etc.), qui varient en fonction des diverses cultures (et aussi des sous-cultures, des classes, des individus) et dont la base est neurologique, i.e. selon l'importance de l'hémisphère droit ou de l'hémisphère gauche  . Par ailleurs, alors même que la question « Les peuples traditionnels partagent-ils les mêmes processus logiques que les gens des pays industrialisés? » semble perdre de sa pertinence en anthropologie et en sociologie, elle suscite en psychologie beaucoup d'intérêt: souvent inspirés des travaux de Piaget sur le développement de l'intelligence, des psychologues tentent de démontrer l'exis­tence de compétences logiques différentes (par exemple au niveau du processus d'inférence, de la maîtrise du syllogisme, etc.) et réalisent, auprès de diverses cultures, de nombreuses recherches empiriques (et expérimentales)  .

 

Il peut paraître étonnant que l'ethnocentrisme qu'a d'abord manifesté une anthropologie pré-scientifique qui se cantonnait dans la tâche de constater la barbarie des « primitifs » réapparaisse, sous une forme plus sophistiquée, en psychologie. Mais, pas plus qu'il n'existe une force innée de l'idée vraie, une théorie ne s'impose pas, dans une discipline ou un milieu intellectuel, par ses seules qualités internes. « Il s'en faut, écrivait Durkheim, que les concepts, même quand ils sont construits suivant les règles de la science, tirent unique­ment leur autorité de leur valeur objective. Il ne suffit pas qu'ils soient vrais pour être crus. S'ils ne sont pas en harmonie avec les autres croyances, les autres opinions, en un mot avec l'ensemble des représentations collectives, ils seront niés   . » Et pour sa part, Marcel Mauss affirmait: « Si notre façon de penser dérive à chaque instant de tout ce qui constitue la vie sociale, on ne saurait en réparer non plus la mentalité scientifique, si intimement liée à toute la mentalité  . » De toute évidence, l'ethnocentrisme qu'a manifesté l'anthropo­logie et qui en partie était déterminé par la relation observé/observateur  , n'était nullement indépendante de l' « esprit du temps », plus spécifiquement de l'idéologie des classes dominantes qui instauraient entre les groupes, peuples et sociétés étudiées (colonies) et les sociétés occidentales des relations de domination. Et si cet ethnocentrisme réapparaît, sous une autre forme, en sciences humaines, il ne faut pas en imputer la cause uniquement au faible développement des connaissances ou des paradigmes dans ces disciplines: dans une certaine mesure, cette attitude ne semble pas indépendante de l'exa­cerbation des problèmes raciaux (relations noirs/blancs aux États-Unis), du développement des mouvements ethniques et nationaux dans diverses sociaux et de l'accroissement des populations d'émigrants dans les sociétés industri­elles occidentales. Parce que l'image ou la définition du «primitif», du «sauva­ge», du «nègre» ou de l  «autre» constitue un aspect important de la représen­tation du monde social que les collectivités occidentales se donnent et cherchent à imposer, les sciences sociales et humaines, dont une des fonctions est précisément d'élaborer une version savante et légitime de cette représen­tation, deviennent nécessairement un enjeu social important et peuvent beaucoup moins facilement que d'autres disciplines scientifiques s'autonomi­ser de l'ensemble des rapports sociaux dans lesquels elles s'inscrivent  .

 

Pas plus que l'anthropologie culturelle ou la psychologie de la connais­sance, la sociologie de la « culture des classes populaires » (de la « culture populaire », ou de la « culture de pauvreté ») n'échappe à cette difficulté : qu'elle manifeste une certaine compassion (pour les « petites gens ») ou qu'elle soit imprégnée d'une volonté de glorification (des « gens du peuple »), celle-ci n'exprime souvent que les propres contradictions culturelles des intellectuels euxmêmes qui ont un rapport privilégié à la production et à la vulgarisation de la culture et qui souvent cherchent à monopoliser la définition sociale de la culture  . Nombre d'études en sociologie (et une anthropologie) des classes populaires ne parviennent en effet à retrouver la spécificité de la culture de ces classes que dans le manque ou le manquement (de « bon goût », de « savoir vivre », de culture savante ou lettrée, etc.) et donnent de ces clas­ses une image opposée à celle que se donnent d'elles-mêmes les classes moyennes et supérieures: inconscience ou imprévoyance, inaptitude à gérer rationnellement un budget et à planifier des dépenses, etc. Au sujet du paupé­risme, Proudhon n'écrivait-il pas que celui-ci «ruine le corps, délabre l'esprit, démoralise la conscience, abatardit les races, engendre toutes les maladies et tous les vices, l'ivrognerie entre autres et l'envie, le dégoût du travail et de l'épargne, la bassesse d'âme, l'indélicatesse de conscience, la grossièreté des mours, la paresse, la gueuserie, la prostitution et le vol   ». Et même si un anthropologue contemporain tel Oscar Lewis, qui introduit la notion de «culture de pauvreté», évite de la définir uniquement en termes de déviance, de déprivation économique ou de désorganisation sociale et qu'il l'analyse comme un mode d'adaptation ou un mécanisme de défense - déve­loppement d'un « esprit de corps » afin de «tenir le coup» sans «être dans le coup» -, celui-ci n'en présente pas moins une longue énumération de traits culturels dont la plupart sont chargés, dans les classes moyennes et supé­rieures américaines, de négativité et apparaissent pathologiques: absence de l'enfance, structure de l'ego faible, déprivation maternelle, manque d'intimité ou de vie privée, esprit grégaire, alcoolisme, recours fréquent à la violence pour régler les querelles, châtiments corporels pour les enfants, initiation précoce à la vie sexuelle, etc.  . Fondée sur l'enregistrement minutieux de biographies et de conversations, cette étude qui, dans une certaine mesure, relève du voyeuris­me (ou d'une forme de pornographie pudique), ne parvient donc pas à déconstruire l'image du «pauvre» et fait toujours apparaître ce dernier comme «autre», c'est-à-dire mauvais, violent, sordide et criminel (pour ne pas dire «laid, sale et méchant»). Mais son auteur n'en manifeste pas moins une volon­té d'éviter toute forme de moralisme et adopte une attitude - de relativisme culturel - qui apparaît alors aussi dans la sociologie des classes populaires: comme le souligne Jean-Claude Passeron, la publication en 1957 du livre de Hoggarth, The Uses of Literacy, qui met systématiquement en relation les conditions objectives de l'existence des groupes avec leurs conduites régulières ou réglées, n'est pas étrangère à la multiplication et surtout au style des travaux consacrés dans les années 60 à la condition des classes populaires, a leur système de valeurs et à l'organisation concrète de leur existence quoti­dienne: mise en lumière de la valorisation sentimentale du cercle familial, perméabilité des relations de parenté aux relations de voisinage, utilisation de circuits personnels de solidarité et d'entraide, etc.  Toutefois, toute la littéra­ture sociologique consacrée à la condition et à la culture des classes populaires ou à la famille ouvrière n'échappe pas à une certaine forme, plus ou moins bien masquée, d'ethnocentrisme: par exemple les travaux à caractère psycho­sociologique sur l'autoritarisme  ou sur le faible degré d'achievment des classes populaires. Et si, au début du XXe siècle, la psychopathologie est, entre les mains des défenseurs de l'ordre social - Lombroso, LeBon, etc. - une arme puissante pour stigmatiser les leaders des mouvements communistes socialistes ou anarchistes, les analyses sociologiques ou pseudo-sociologi­ques des classes populaires risquent souvent, même lorsque se donnent toutes les conditions d'objectivité, de remplir des fonctions analogues, c'est-à-dire de disqualifier le mode de vie et la culture de ces classes. Pensons aux travaux en psychologie scolaire et en sociolinguistique qui ont permis la formulation de la théorie du déficit et l'élaboration du con­cept de «privation verbale» : Jensen soutient sur la base d'enquêtes empiriques (tests) que la classe moyenne blanche se distingue de la classe ouvrière blanche et noire par son aptitude à l' « apprentissage cognitif, conceptuel » (intelligence de niveau II) qu'il oppose au simple « apprentissage associatif » (intelligence de niveau I) et réactualise, dans les débats académiques, la thèse de l'infériorité génétique  . Même le sociolinguiste anglais, Basil Bernstein qui prend toutes les précau­tions (théoriques, méthodologiques et oratoires) pour éviter que sa démonstration ne puisse cautionner une quelconque théorie ou croyance de l'infériorité génétique des enfants de la classe ouvrière, ne parvient en fait à distinguer les usages que font de la langue les classes ouvrière et moyenne qu'en établissant entre ces usages une hiérarchie  . Or, comme le montre clairement William Labov, les formulations savantes reposent souvent sur une utilisation peu critique des techniques d'enquête (situation d'entrevue, test psychologique, etc.) et traduisent habituellement les jugements des classes moyennes à l'égard de la classe ouvrière. Quant à la notion de «privation verbale», elle serait un produit mythologique de la psychologie scolaire et n'aurait aucun fondement dans la réalité sociale: les enfants noirs des ghettos urbains semblent en effet «disposer du même vocabulaire de base, de la même capacité d'apprentissage conceptuel et de la même logique que quiconque apprend à parler et à comprendre l'anglais   ».

 

II. Discours savant et culture populaire: quelques exemples

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Si de telles variations dans les points de vue ou théories témoignent du faible développement paradigmatique des diverses sciences humaines et sociales, elles illustrent aussi la faible autonomie que ces disciplines ont acquises: les prises de position dans les débats internes (adoption de telle ou telle thèse, critique de telle ou telle notion, etc.) n'apparaissent en effet jamais totalement indépendantes du développement des luttes externes (de classes) et de la fonction que remplissent ces diverses sciences humaines et sociales : en plus d'assurer une gestion meilleure et plus rationnelle de ressources humai­nes, celles-ci contribuent aussi à élaborer et à imposer, sous une forme sou­vent méconnaissable parce que neutralisée et euphéminisée, une représen­tation dominante du monde social. Pour s'en convaincre, il suffit d'analyser rapidement quelques discours (savant) que tiennent au Québec des intellec­tuels sur la « culture populaire ».

 

A. Léon Gérin, Marius Barbeau et l'« École de Laval »

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Lorsque le sociologue Léon Gérin, à son retour au Québec en 1866 après un bref séjour à Paris où il entre en contact avec des disciples de LaPlay et s'initie à la science sociale, entreprend ses premières monographies de famil­les paysannes, il ne cache nullement sa grande sympathie pour ces familles qu'il observe - il s'exhalte devant le cour des braves gens, la vénérabilité des personnes âgées et la productivité des femmes d'habitants, il valorise les traditions familiales et religieuses, etc. - mais il n'en adopte pas moins la thèse de la supériorité des Anglo-Saxons, qu'ont élaborée ses maîtres parisiens, Desmolins et de Tourville: aussi rigoureuse et «positive», comme il aimait à le dire, soit-elle, son oeuvre apparaît aussi comme un effort pour démontrer le caractère spécifique, c'est-à-dire «non particulariste», de la famille canadienne-française et constitue de ce fait une invitation au changement culturel, c'est-à-dire à l'adoption de la culture et des institutions anglo-saxonnes (système d'enseignement qui éveille l'initiative personnelle, initie aux sciences et oriente vers les carrières industrielles, etc.). Par ses diverses recherches, Léon Gérin confirme alors l'hypothèse du retard (culturel) du Canada français et consolide l'image (de la «tardivité») que Canadiens anglais et Américains se font de cette population. L'on peut se demander, à titre d'hypothèse, si l'apparition d'une première sociologie au Québec n'est pas en relation avec le processus d'unification du Canada qui est initiée par la création de la Confédération canadienne (1867): cette unification, qui est principalement fonction des intérêts d'une bourgeoisie financière anglophone, ne peut en effet se réaliser de façon parfaite que par l'imposition de la légitimité de la culture et de la langue dominantes (anglaises) et par une forme de déclassement des langues régionales, des patois, des usages et des arts populaires, bref, par une folklorisation de la culture canadienne-française (et aussi de la culture amérindienne). D'ailleurs, à la même époque, afin d'éviter que « les matériaux soient perdus à tout jamais et que les générations futures soient dans l'impossibilité de trouver des données authentiques au sujet des races aborigènes de leur pays », l'on met sur pied, au sein de la Commission géologique du ministère des Mines d'Ottawa, une division d'anthropologie, qui, confiée à Edward Sapir, réalise des études ethnologiques, linguistiques et archéologiques, d'abord auprès des populations amérindiennes et ensuite, lorsque la Division se transforme en Musée national, auprès des populations rurales de langue française (les recherches de Marius Barbeau sur le folklore canadien-français)  . Tout porte à croire qu'en transformant les « cultures traditionnelles » en objets d'études et d'émerveillement, les sciences sociales opèrent une disqualification de ces cultures qui sont celles des groupes mino­ritaires et qui ne peuvent « survivre » qu'à la condition de devenir des objets de musée et « des reliques »   ; celles-ci contribuent ainsi, par une forme subtile de condescendance qui valorise et idéalise les différences culturelles, à la consolidation de la hiérarchie (et de la domination) qui s'instaure alors entre les divers groupes ethniques et nationaux.

 

Au Québec, les sciences sociales vont connaître un autre développement institutionnel et intellectuel important au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire à un moment où s'effectue, à la suite d'une phase de décentralisation, un processus de centralisation des pouvoirs au niveau du gouvernement fédéral. De cette période agitée, la mémoire collective ne retient que l'action politique des jeunes spécialistes en sciences sociales de l'Université Laval qui, sur la base d'une critique des postulats du nationalisme canadien-français et aussi d'enquêtes (empiriques), remettent en question à la fois l'idéologie et la légitimité des « élites » traditionnelles et participent au renversement du gouvernement de l'Union nationale. Mais l'on oublie que leur adhésion à la thèse du « rattrapage » repose sur l'adoption au plan économi­que, de la théorie de Keynes et aussi au plan sociologique, de la théorie du « continuum folk-urban », diffusée alors par le sociologue américain Everett-Cherrington Hughes, auteur de la Rencontre des deux mondes et professeur invité à l'Université Laval; pour ces jeunes intellectuels, le problème du Canada français réside non tant dans les relations avec les Canadiens anglais et dans les relations constitutionnelles entre la ]Province de Québec et le Gouvernement fédéral que dans l'existence d'un décalage entre d'une -part la réalité économique (nord-américaine) et d'autre part les institutions (famille, enseignement) et la mentalité canadiennes-françaises. En d'autres termes, tout le « drame » du Canada français réside dans l' « antinomie entre son identité religieuse et culturelle et la civilisation américaine et urbaine   » et explique la difficile et lente entrée du Québec dans l' « ère de la modernité », entrée qui peut être assurée non pas par le « repliement derrière les barreaux d'une impossible Laurentie » mais bien par l' « intégration lucide à un nouveau fédéralisme ». Tout le paradoxe de la situation est que l'épanouissement de la culture canadienne-française ne semble guère possible qu'au prix, d'une part, d'une plus grande intervention sur les plans économique, social et culturel  du Gouvernement fédéral, qui seul semble en mesure d'assurer l'accroissement et la stabilisation du bien-être de la population francophone et d'autre part de la disparition du something différent, c'est-à-dire de certains traits culturels qui, propres au Canadien français, apparaissent comme des défauts, à savoir: complexe de vassalité et de jeunesse à retardement, xénophobie latente, colo­nialisme, une sorte d'arrivisme, de mesquinerie intellectuelle, une tendance à un insularisme parfois intransigeant, qui l'empêche d'établir des relations harmonieuses avec ses compatriotes anglophones et à s'ouvrir sur le monde, etc. Même si elle reconnaît que le Canada français se caractérise par le fait de parler la langue française, de pratiquer la religion catholique et d'avoir vécu des événements historiques particuliers et qu'elle s'engage à défendre cette spécificité, cette jeune génération de spécialistes en sciences sociales à l'université Laval n'en définit pas moins cette société comme une société «autre», «différente», qui ne peut surmonter son handicap qu'à la condition d'accélérer son passage de la société traditionnelle à la société moderne, d'abandonner nombre de ces traits culturels (rapport à l'épargne et au crédit, rapport aux traditions et à l'autorité cléricale, esprit sédentaire, etc.) et enfin, de mieux s'intégrer, par la pratique du bilinguisme, à la société canadienne. Dans une certaine mesure, la prise en considération de la culture canadienne-française et aussi l'étude de certaines de ses caractéristiques, c'est-à-dire le discours savant sur la culture, ne sont encore, cette fois-ci, nullement disso­ciables du processus de disqualification et de folklorisation dont celle-ci est l'objet et ne peuvent dévoiler leur fonction que si elles sont reportées aux rapports sociaux et ethniques, dans lesquels elles s'inscrivent.

 

B. Théophile Bertrand, Edmond Caron et la « raison ouvrière »

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Si les écrits des Gérin, Barbeau et autres spécialistes en sciences sociales ont connu une grande diffusion et ont assuré à leurs auteurs une reconnais­sance de la part de leurs pairs et de leur collectivité nationale (prix, nomina­tion à des sociétés, etc.), il en est tout autrement du petit livre qu'un avocat et un comptable, Théophile Bertrand et Edmond Caron, ont publié à la fin des années 1950 et qui s'intitule modestement l'Apprentissage, Principes et réalisations dans le Québec (Montréal, Fides, 1958). Faiblement connus dans les milieux intellectuel et universitaire, ceux-ci n'entendent pas faire oeuvre de science ou de littérature: leur objectif est en fait de décrire la formule d'apprentissage ou d'enseignement professionnel adoptée par le Québec tout en espérant revaloriser ce qu'ils appellent la «raison ouvrière» et diffuser un «idéal de culture populaire». Toute leur argumentation, qui s'inspire largement d'écrits de Jacques Maritain (Art et scholastique), repose sur la distinction entre les deux fonctions de l'intelligence - la fonction spéculative et la fonc­tion pratique - auxquelles correspondent deux raisons: la «raison spéculative», celle qui travaille dans la théorie et la « raison ouvrière », celle qui s'exerce « dans l'ordre du faire » et qui « ne connaît que dans et par l'action de travailler, de produire ». Cette distinction est d'autant plus importante qu'elle autorise, pour la formation de la « raison ouvrière », une pédagogie tout à fait différente de l'académisme: parce qu'elle est une « connaissance-expérience, une connaissance vécue, qui ne s'exprime pas en concepts », cette « raison ouvrière » ne peut se développer, « s'apprendre que par le travail lui-même » et exige un « apprentissage », c'est-à-dire une éducation ouvrière qui, effec­tuée sous la direction d'un maître, permet à la fois l'acquisition d'un métier et l'inculcation de la « fierté et de la dignité du travail manuel ». Enfin, inspirée d'une philosophie chrétienne et personnaliste, cette réflexion sur la « raison ouvrière » conduit à une apologie des « petits et des humbles qui ont su conserver et sauver les valeurs fondamentales » et qui possèdent la véritable connaissance, la véritable sagesse.

 

Notre paysan illettré d'hier était souvent, écrivent-ils, un homme cultivé, il jugeait du sens et de la valeur des choses, il les comprenait personnellement et les dirigeait en guidant sa vie au milieu de la nature et des institutions humaines rudimentaires qui l'entouraient  .

 

Plus rapidement et plus facilement que les études sociologiques sur la « culture ouvrière », le discours (savant) de Bertrand et Caron sur l'enseigne­ment professionnel dévoile qu'il n'est qu'une rhétorique dont la fonction précise est de justifier l'adoption en 1945 de la Loi de l'aide à l'apprentissage et à la mise en valeur du capital humain et de prendre la défense de toutes les réalisations (création de Centre d'apprentissage) auxquelles elle a donné lieu. Et lorsqu'on prend en considération le contexte économique et politique et que l'on examine les programmes et le mode de fonctionnement des Centres d'ap­prentissage, il apparaît que la publication de l'ouvrage de Bertrand et Caron s'inscrit dans un mouvement qui cherche non seulement à répondre au nou­velles exigences du marché du travail dans divers secteurs industriels (chaussure, automobile, construction, imprimerie, etc.) mais aussi, à un moment où les conflits ouvriers sont plus nombreux et plus violents, tend à exercer un meilleur contrôle social et idéologique des jeunes générations d'ouvriers: le discours sur « la raison ouvrière, la notion aristocratique du tra­vail manuel et la sagesse des humbles » s'articule en effet à un programme d'éducation qui accorde une grande importance à la formation morale (cours de sociologie catholique dont le but est de montrer que la «question sociale est avant tout une question morale et religieuse», présence officielle d'un conseil­ler moral ou aumônier, organisation de cercles d'études, etc.) et constitue un élément du processus de moralisation de la classe ouvrière qu'initie alors le Gouvernement du Québec  .

 

Dans la conjoncture particulière du Québec des années 1940 et 1950, un tel discours fournit donc une contribution à la reproduction des rapports sociaux: ses auteurs veulent fournir, par la « déprolétarisation intérieure » de la masse des travailleurs, une « contribution exceptionnelle à la victoire contre le matérialisme marxiste ou- technique, à la promotion de l'ordre social ». Par leur analyse savante (référence à la philosophie, langage juridique, statisti­ques, etc.), qui institue la « raison ouvrière » comme autre, différente, Bertrand et Caron non seulement légitiment la division entre le travail manuel et le travail intellectuel mais aussi masquent les relations hiérarchiques ou de domination. Et compte tenu de l'importance qu'ils attribuent à la formation morale et à l'aumônier dans l'enseignement professionnel, l'on peut se demander si leur discours sur la « condition ordinaire de l'humanité » n'a d'autre fonction que de contribuer à mettre des gens ordinaires sous la tutelle d'un Ordinaire!

 

III. Les niveaux de culture

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Parce que l'étude sociologique de la culture et en particulier de la « culture populaire» implique la confrontation de deux regards ou points de vue, celui de l'observé et de l'observateur, celle-ci n'a guère de chances d'être quelque peu objective qu'à la condition de se soumettre à l'objectivation de ses propres conditions sociales de possibilité  , d'expliciter les relations qu'elle entretient, en tant que discours savant ou « culture seconde »  , avec la « culture pre­mière » et avec l'idéologie et donc de fournir ou de s'appuyer sur une théorie générale de la culture (et de l'idéologie). Or une telle entreprise est d'autant plus difficile que peu de mots dans le vocabulaire sociologique et anthro­pologique n'ont été l'objet d'une aussi grande controverse que ceux de culture et d'idéologie; et même lorsque d'un auteur à un autre les mots restent les mêmes, les concepts changent radicalement et renvoient à des problématiques différentes et souvent opposées. La distance est en effet très grande entre d'une part une sociologie de la culture, qui habituellement est d'inspiration fonctionnaliste et qui tend à subsumer sous la notion de culture une large part de la réalité sociale et une grande variété de comportements humains - la culture est l'ensemble des connaissances, croyances, arts, morales, lois, coutumes et tout autre habileté et habitude acquise par l'homme en tant que membre de la société - et d'autre part l'analyse marxiste qui délaisse la notion de culture au profit de celle d'idéologie, dont l'extension est très grande puisqu'elle recouvre à la fois la culture (au sens anthropologique), la culture savante (la philosophie) et aussi les idéologies (au sens restreint du terme). Et même si le matérialisme historique n'a pas fourni une véritable théorie des superstructures et qu'elle véhicule toujours certaines faiblesses -par exemple au sujet des relations (métaphore du reflet) entre l'infrastructure et la super­structure et au sujet de l'exclusion de la langue et de la science de la superstructure -, la notion très élastique d'idéologie s'est largement imposée en sciences sociales.

 

Cependant il n'est peut-être pas impossible de recourir en s'appuyant sur les apports récents de la linguistique, de l'anthropologie culturelle et de la sociologie de la connaissance, aux deux notions de «culture» et d' «idéologie», mais une telle opération, qui risque de conduire à l'éclectisme, exige au préalable que soient nettement distingués, au sein de la superstructure idéologique (ou du système culturel) divers niveaux ou couches. Il s'agit évidemment d'une opération qui peut apparaître arbitraire mais qui s'appuie sur une «tradition» au sein des auteurs marxistes eux-mêmes et de leurs commentateurs. Ainsi, pour Gramsci, l' « idéologique » comprend non seulement l'idéologie dominante proprement dite mais aussi la conception du monde qui homogénise le corps social (philosophie, religion, sens commun, folklore) et la structure idéologique (organisations qui créent et diffusent l'idéologie)  . Pour sa part, Plekhanov, que cite Jakubowsky  , établit une distinction entre la « psychologie de l'homme social » et les idéologies diver­ses, distinction que l'on retrouve chez certains commentateurs, par exemple chez Georges Gurvitch qui évite de confondre la conscience réelle (indivi­duelle ou sociale) et l'idéologie ou la superstructure (déformations partisanes, systématisées par les doctrines dogmatiques et par la religion). Dans une certaine mesure, cette distinction n'est pas entièrement différente de celle que-K. Mannheim introduisait entre la conception totale de l'idéologie (caractéris­tiques et composition de la structure totale de l'esprit à une époque ou vision du monde) et la conception particulière de l'idéologie (travestissement plus ou moins conscient de la nature réelle d'une situation dont la reconnaissance ne serait pas en accord avec ses intérêts). Enfin plus récemment Martha Harnecker, qui s'appuie largement sur les travaux de Althusser, espère apporter une clarification en différenciant dans la superstructure idéologique deux systèmes: d'une part le système d'attitudes-comportements qui sont «constitués» par l'ensemble des habitudes, des mours et des tendances à réagir d'une manière déterminée et d'autre part le système d'idées-représentations sociales (les idéologies au sens restreint)  . Pour sa part, un autre lecteur d'Althusser, Thomas Herbert préfère parler, dans un article publié en 1968 « Pour une théorie générale des idéologies   », non pas de deux systèmes mais de deux formes de l'idéologie, l'une « empiriste » qui met en jeu la fonction sémantique (mise en relation d'une signification avec la réalité qui lui correspond) et l'autre «spéculative (articulation des significations entre elles sous la forme générale du discours). Ces deux formes de l'idéologie ont non seulement des sources distinctes - pour l'une il s'agit du champ technique (et le procès de production) et pour l'autre du champ politique (et les rapports sociaux de production) -, mais aussi elles renvoient à deux conceptions ou facettes de l'homme: l'homme en tant qu'animal écologique producteur et distributeur de significations et l'homme en tant qu'animal social inséré dans un système de significations.

 

Loin d'être arbitraire, cette dernière distinction entre deux formes ou deux niveaux de l'idéologie correspond à deux modes d'expérience que nous pou­vons avoir non seulement de l'idéologie mais aussi du langage - comme outil, comme milieu - et conduit, en sciences sociales et humaines, à l'élaboration de démarches analytiques tout à fait différentes : par exemple le marxisme et le structuralisme  . Il ne semble cependant pas que l'on puisse, tout au moins en sociologie de la culture, appréhender la langue seulement du point de vue du « sujet entendant » ou comme instrument de déchiffrement: il faut aussi l'analyser du point du « sujet parlant » ou comme moyen d'action et d'expression  . De même, dans l'analyse des systèmes symboliques, il apparaît indispensable de subordonner le déchiffrement des structures internes à l'interrogation des fonctions pratiques que remplissent ces systèmes symbo­liques et qui ne réduisent pas à des fonctions de communication ou de con­naissance: ces systèmes ont aussi des fonctions politiques et économiques  .

 

Afin de rendre compte de ces deux formes d'expérience du langage, de l'idéologie ou de tout système symbolique, il convient de bien différencier au sein de la culture (ou de la superstructure idéologique) deux niveaux, celui de la culture première (au sens anthropologique du terme) et de l'idéologie (au sens restreint du terme) et de les distinguer de ce qui permet de saisir cette différenciation-distanciation et de l'analyser et qui constitue la culture seconde ou savante.

 

Par culture première , il faut entendre l'ensemble des manières de penser (structures mentales et langue), ou pour reprendre la terminologie de l'anthro­pologie de la connaissance  , le système de catégories perceptuelles et con­ceptuelles par lesquelles gens codent, à travers le langage, leurs expériences et organisent en l'étiquettant leur milieu. De ce premier niveau de culture, l'on peut aussi dire ce que Marx affirmait, dans l'Idéologie allemande, au sujet du langage lui-même: « Le langage est aussi vieux que la conscience, le langage est la conscience réelle pratique   ». Produit de l'histoire même des collecti­vités humaines, dans leurs efforts continuels de maîtriser la nature et d'établir entre chacun de ses membres des moyens de communication et de cohésion, ce premier niveau de culture, qui constitue un « milieu », a acquis une plus grande autonomie et échappe en partie aux variations (et donc aux détermi­nations) sociales; toutefois même si cette culture « première » peut, tout comme d'ailleurs la langue, dans les sociétés différenciées, apparaître indiffé­rente à la division en classes et à leurs luttes, il ne s'ensuit pas que les classes soient indifférentes à la langue et à la culture: comme l'illustre le processus social conduisant à l'élaboration, la légitimation et l'imposition d'une langue officielle (unification linguistique) dans diverses formations sociales  , celles-ci les utilisent au contraire d'une façon déterminée dans le champ de leur antagonisme, en particulier de leurs luttes politiques.

 

Mais, en autant que tout système de catégories perceptuelles et concep­tuelles n'est jamais indépendant des pratiques qu'il engendre et par lesquelles il est constitué - «c'est la vie qui détermine la conscience» - la culture est très étroitement associée à un ensemble de manières d'agir qui sont souvent iden­tifiées aux habilités, aux habitudes et aux coutumes, mais qui, plus profon­dément reposent sur des habitus, c'est-à-dire sur des « systèmes de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionnent à chaque moment comme des matrices de perceptions, d'appréciations et d'actions   ». Et si les déterminations sociales (dont la position de classe) peuvent atteindre la culture, c'est le plus souvent à travers ces systèmes de dispositions qui sont le produit des conditions objectives: ainsi la compétence linguistique ne se limite pas à la seule maîtrise d'une langue (capacité de parler) mais aussi implique une disposition à l'égard du langage, c'est-à-dire une manière socialement conditionnée de réaliser une potentialité naturelle, et conduit à des usages différents (usage savant / pratique) du langage. Ainsi, s'il est exact d'affirmer qu'il n'existe pas comme tel de monopole de la langue - les impératifs de la production et aussi de la domination imposent un minimum de communication entre les classes, dont l'accès des plus démunis à une sorte de minimum vital linguistique - il n'en demeure pas moins que la classe dominante impose habituellement un usage légitime de la langue, et s'en sert comme un signe d'appartenance et d'exclusion  .

 

Ce pouvoir dont dispose la classe dominante de définir la langue légitime et de s'approprier la langue ainsi définie, n'est en fait possible qu'en raison de la distance que celle-ci a acquise à l'égard de la « culture première » et dont la condition est l'appropriation de la « culture savante ». Fernand Dumont n'a donc pas tort de parler de la culture savante ou « seconde » - des arts, de la littérature, du droit, de la philosophie et aussi des sciences  - comme d'une forme de dédoublement de la culture première, dont elle réalise en quelque sorte la systématisation. Certes, à leur origine, les sciences, qui acquièrent rapidement une autonomie en se donnant, par le recours à la mathématique, une langue formalisée distincte des langues usuelles, trouvent souvent dans la culture et le savoir-faire populaire un matériau premier qu'elles explicitent généralement, systématisent et théorisent   : celles-ci se constituent en effet par l'assimilation de nombreux métiers et savoir-faire qu'elles détruisent ou disqualifient tout en se donnant le pouvoir de les engendrer à nouveau et de s'élever au-dessus d'eux  . Mais la constitution de ces sciences ou de culture seconde en tant que niveau autonome de la culture n'est nullement indépen­dante de la dissociation entre le travail manuel et le travail intellectuel - d'où l'apparition d'intellectuels spécialistes - et par là d'importantes transformations sociales et économiques qui marquent le passage du féodalisme au capitalisme et imposent la domination de la bourgeoisie. Pour d'aucuns, ces transforma­tions ont provoqué un effritement de la culture première, mais il serait en fait plus précis de parler d'un éclatement du système culturel (ou de la super­structure idéologique) qui entraîne une différenciation-autonomisation de chacun des niveaux  et assure à la culture seconde (en particulier à la science) une dominance.

 

Un intérêt de la distinction entre la « culture première » et la « culture savante » est d'éviter de postuler l'existence de cultures fondamentalement ou « essentiellement » différentes (par exemple, la culture «prolétarienne», la culture « bourgeoise »): les différences culturelles entre groupes ou classes sociales se définissent non tant par des différences de contenus que par des différences de rapport à la culture, l'un pouvant être pratique et l'autre savant. De la «culture populaire», l'on peut évidemment dire qu'il s'agit, pour reprendre la terminologie de Gramsci, du «sens commun» et du «folklore» propres aux classes populaires, mais celle-ci ne s'institue en tant que telle, c'est-à-dire en tant que différente (et aussi inférieure) qu'en autant que les classes supérieures introduisent et imposent comme légitime un autre rapport à la culture (et à la langue) qui est un rapport savant et qui exige une distance, une autonomie par rapport à la situation et aux fonctions pratiques (de la culture et de la langue). Le développement du système scolaire, qui devient le lieu privilégié de diffusion de la culture savante, contribuera pour une part déterminante à cette opération de déclassement qui consiste d'une part à rejeter, en les transformant en «folklore», les modes d'expression propres aux couches populaires ou aux populations de diverses régions et, d'autre part, à inculquer la reconnaissance de la culture légitime et du rapport légitime à la culture.

 

À l'instar de la culture savante, l'idéologie apparaît aussi comme un dédou­blement de la culture première: elle consiste en effet en un ensemble de propositions qui sont organisées en un système de croyances (ou de doctrines) et dont l'objet et le matériau premier sont les catégories perceptuelles et conceptuelles. Cette distinction entre ces deux niveaux de culture est parfois présente en anthropologie de la culture: pour sa part Goodenough établit une distinction entre d'une part la façon dont les gens organisent leur expérience du monde réel afin de lui donner une structure, i.e. les systèmes de classifi­cation, et d'autre part les propositions et les croyances par lesquelles ils expliquent les événements et élaborent des stratégies pour accomplir leurs objectifs  .

 

C'est précisément cet ensemble de propositions et de croyances (et aussi de « valeurs ») que nous suggérons d'appeler « idéologie », mais qui, faut-il préciser, n'avait dans les sociétés dites traditionnelles ou ethnologiques, qu'une très faible autonomie par rapport aux deux autres niveaux de culture: les mythologies qui semblent remplir des fonctions analogues aux idéologies dans les sociétés dites « modernes », fournissaient en effet à la fois une ontologie (système de catégories perceptuelles et conceptuelles), des savoir-faire (souvent routinisés) et une vision du monde ou un ensemble de croyances et de valeurs. Corrélativement au développement de la culture savante et en particulier des sciences, l'idéologie s'est différenciée des autres niveaux de la culture et a acquis un mode de fonctionnement et aussi des fonctions propres: celle-ci tend en effet à n'être que «spéculative» et à se manifester le plus souvent sous la forme de discours, qu'élaborent des intellectuels-définisseurs de situation. De plus, parce que d'une part la conception du monde (naturel) repose de plus en plus sur le développement des sciences et que d'autre part l'économie acquiert un poids déterminant, l'idéologie réduit son champ d'action aux rapports sociaux et, lorsque l'État se voit attribuer une importance grandissante en tant que mécanisme de régulation sociale, aux luttes politiques elles-mêmes. Aussi l'idéologie, qui devient, selon l'expression de Dumont  , une «définition de la situation en vue de l'action», et dont la fonction est d'assurer une mobilisation et une convergence, constitue-t-elle alors un enjeu et un instrument de la lutte des classes.

 

Toutefois, même dissociée des autres niveaux de la culture, l'idéologie a habituellement tendance à s'articuler à des éléments de la culture première et aussi à trouver appui sur des produits de la culture seconde. Ainsi l'idéologie religieuse ou la religion, qui représente pour Marx le prototype et le modèle de toute idéologie, parvient comme le note Jacques Le Goff pour la culture ecclésiastique au Moyen Âge, à intégrer, souvent par oblitération ou par dénaturation, des thèmes ou des pratiques de la « culture folklorique » et aussi à « utiliser l'héritage méthodologique et scientifique de la culture gréco-romaine »  . Cette liaison étroite entre l'idéologie religieuse et le « sens commun » explique peut-être l'attachement que dans les périodes de sécuralisation, les classes populaires manifestent à l'égard de la religion, mais leur attachement est d'autant plus grand que ces classes ne sont pas en mesure, en raison de leur faible maîtrise de la culture savante, de remplacer leur ancienne conception du monde par une autre, plus « nouvelle », plus « rationnelle ».

 

Par ailleurs, depuis que la connaissance à la fois du monde naturel et du monde social est étroitement dépendante du développement des diverses sciences, l'idéologie n'est souvent pas en mesure de fournir un système de propositions et de croyances qui ne soit pas immédiatement disqualifié ou considéré comme ensemble d'illusions que si elle emprunte aux sciences à la fois des informations ou données et un style d'argumentation: tel est le cas du recours aux sciences biologiques dans le discours sur la hiérarchie et les inégalités sociales. L'on produit alors ce que Canguilhem appelle des « idéologies scientifiques »  , c'est-à-dire des discours savants qui élaborent des croyances en se référant à une science déjà instituée dont on reconnaît le prestige et dont on cherche à imiter le style: lui-même présente l'exemple de l'ouvre d'Herbert Spencer qui trouve dans la biologie de Darwin une garantie scientifique pour faire valoir la thèse de l'évolutionnisme et pour défendre un projet de société (légitimation de la libre entreprise, de l'individualisme politique correspondant et de la concurrence). De nombreux autres exemples peuvent aussi être trouvés dans le mode de gestion technocratique des ressour­ces humaines propre aux sociétés capitalistes modernes: ainsi, la science économique - il faut entendre l'économie officielle qui se forge dans les anti-chambres du pouvoir - est indissociablement une méthode d'investigation scientifique et un véhicule de l'idéologie dominante en ce sens qu'elle vise à fournir des méthodes rationnelles de gouvernement nécessaires pour assurer la reproduction de l'ordre établi  .

 

 

De l'éclatement du système culturel, de cette «crise de l'Occident» (« crise religieuse », « crise sociale », « crise de civilisation ») dont aiment parler les intellectuels, l'une des meilleures expressions est sans aucun doute la constitution des sciences sociales, et en particulier de la sociologie: « parce que la société ne repose plus désormais sur des archétypes éternels, elle requiert, dira Dumont, une incessante lecture de son destin empirique ». À ce moment où l'ancienne unanimité se disloque et qu'apparaît le caractère arbi­traire des formes traditionnelles de légitimation du pouvoir, l'intellectuel se voit attribuer la tâche de définir non seulement, comme le faisait le philosophe (social), de nouveaux objectifs et de nouvelles valeurs mais aussi la société elle-même. Née de l'éclatement du système culturel, la sociologie trouve en fait dans sa distance à l'égard de la culture première et de l'idéologie à la fois sa condition de possibilité et sa fonction principale. Par le « travail » qu'elle effectue sur les cultures de divers peuples ou populations, sur les religions et les systèmes de croyance, sur ce que l'École sociologique française appelait les « représentations collectives», celle-ci contribue à rendre manifeste et aussi à accentuer la déstructuration des anciens systèmes culturels, dont elle dévoile le caractère arbitraire de sa cohérence interne et dont elle disqualifie les éléments constituants : la sociologie permet non seulement, par la collecte de données statistiques ou par la réflexion théorique, de remettre en question les idées ou opinions communes - le « sens commun » - que diverses popu­lations se sont faites de tel ou tel problème, de tel ou tel phénomène social, mais aussi, par des enquêtes d'opinion, d'opérer une réduction de ces opinions en explicitant leurs conditions sociales de possibilité. Parmi les divers éléments de la culture seconde ou savante, cette discipline est probablement une des seules qui puissent permettre de remettre en question des cultures premières et des idéologies - pensons à l'analyse critique que la sociologie québécoise a faite de la «mentalité traditionnelle» non seulement à la fin des années 1940 mais aussi au milieu des années 1960 (recherches élaborées en Gaspésie dans le cadre du BAEQ) - et aussi, souvent au nom de la science et du progrès, d'en valider d'autres. Aussi n'est-il guère étonnant que la sociologie soit rapidement apparue et demeure toujours un enjeu de la lutte entre les classes sociales dans le champ politique: tout en étant un instrument privilégié pour disséquer les représentations que se sont données diverses collectivités ou sociétés, celle-ci autorise, souvent en donnant aux discours idéologiques les apparences et la respectabilité scientifique, à produire et à inculquer de nouvelles représentations collectives du monde social. De ce fait, la sociologie apparaît, plus que tout autre discipline, en mesure de fournir une solution pour surmonter la « crise » et pour imposer un nouvel ordre établi; tout au moins fournit-elle une contribution précieuse à la légitimation de l'ordre établi et un renforcement à l'arsenal des instruments symboliques de domination.

 

Dès lors, il apparaît plus évident que toute analyse sociologique de la culture (et en particulier des cultures populaires ou dominées) ne peut prétendre à une quelconque objectivité qu'à la condition de rendre explicites ses propres conditions de possibilité: celle-ci n'a en effet de chance d'échapper à son statut de «discours savant à fonction idéologique» que si elle explicite les liens qui la relient, en tant que culture seconde, à la fois à la culture première et à l'idéologie et qu'elle démasque les intérêts qu'implique toute intervention ou réflexion sur la culture et sur l'idéologie.

Résumé

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L'analyse des diverses études sur les « cultures traditionnelles » et sur les « cultures populaires » permet de penser qu'en transformant en objet d'étude et d'émerveillement ces cultures qui sont habituellement celles de groupes minoritaires ou dominés, les sciences sociales produisent leur disqualification et contribuent ainsi à la consolidation de la hiérarchie et de la domination qui s'instaurent soit entre divers groupes ethniques ou nationaux soit entre diverses classes sociales. Toute étude ethnologique ou sociologique de la culture n'a guère de chance d'être objective qu'à la condition de se soumettre à l'objectivation de ses propres conditions de possibilités, en particulier d'expli­citer les relations qu'elle entretient en tant qu'élément de la culture savante, avec la culture et l'idéologie.

SUMMARY

The analysis of various studies on 'traditional cultures' and 'popular cultures' gives one reason to think that by transforming what are usually minority or dominated group cultures into objects of study and wonderment, the social sciences bring about their disqualification and thus contribute to the consolidation of the hierarchy and domination existing either among different ethnic or national groups or among different social classes. No ethnological or sociological study of culture has much chance of being objective except on the condition that it submits itself to the objectification of its own conditions of possibilities, and in particular that it makes explicit the relations it maintains with culture and ideology as an element of academic culture.

 

RESUMEN

El análisis de diversos estudios de las «culturas tradicionales» y de las «culturas populares» conduce a pensar que las ciencias sociales, que transforman esas culturas (habitualmente de grupos minoritarios o dominados) en objeto de estudio y de admiración, producen su descalificación, contribuyendo de esta manera a la consolidación de la jerarquía y la dominación que se instaura ya sea entre diversos grupos itnicos o nacionales o entre diversas clases sociales. Todo estudio etnológico o sociológico de la cultura podra ser objetivo a condición de someterse a la objetivación de sus propias condiciones de posibilidades, en particular deberá mostrar explicítamente las relaciones que mantiene, como elemento de la cultura científica.


NOTES

Claude Morin, « Pour un rapport actif au passé: réflexions sur le discours et la pratique historiques», Nouvelles Recherches québécoises, vol. 1, no 1, 1977, p. 20. Parmi les références européennes, qui fondent ce point de vue, l'auteur privilégie un petit livre publié chez Maspero (Du Passé faisons table rase? Paris, Maspero, 1976) et aussi Michel De Certeau (I'Écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975) et P. Joutard, la Légende des camisards, Paris, Gallimard, 1977). Dans le premier numéro, l'on publie, sous le titre, « Mémoires d'un colonisateur », le témoignage oral de J.E. Laforce (1879-1977).

Martin Even, « Les bricoles des picoteux québécois », Autrement, no 16, novembre 1978, p. 266. Dans les Patenteux du Québec, les auteurs affirment: « Ils ont dû pour survivre réinventer leur architecture, leurs outils, leur façon de s'alimenter, de se vêtir, de même que leurs fêtes » (L. de Grosbois, R. Lamothe et L. Nantel, les Patenteux du Québec, Montréal, Parti pris, 1974). Cette rhétorique nationaliste se retrouve aussi chez Michel Lessard qui s'est spécialisé dans la publication d'ouvrages à caractère ethnologique sur le patrimoine québécois (Encyclopédie des antiquités du Québec, Montréal, éd. de l'Homme, 1971; Encyclopédie de la maison québécoise, Montréal, éd. de l'Homme, 1972).

Michel De Certeau, la Culture au pluriel, Paris, 10/18, 1974; les Cultures populaires, Paris, Privat, 1978; Pratiques quotidiennes et manières de faire, Paris, 10/18, 1979.

Cette même question est à l'origine du livre de Gérard Leclerc, l'Observation de l'homme, Une histoire des enquêtes sociales, Paris, Le Seuil, 1979, 363 p.

Stephen A. Tyler, (édit.) Cognitive Anthropology, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1969.

J. Hepburn et A. Paredes, -The Split Brain and the Culture-and-Cognition Paradox-, Current Anthropology, 17, 9, March 1976, pp. 126-127.

Par exemple, H. Werner et B. Kaplan, «The Developmental Approach to Cognition: Its Relevance to the Psychological Interpretation of Anthropological and Ethnolinguistic Date», American Anthropologist, 58, 1956, p. 866-880. Au sujet de cette controverse en psychologie, voir: M. Cole et S. Scribner, Culture and Thought: A Psychological Introduction, New York, Wiley, 1974 ; P.N. Johnson-Laird et P.C. Wason, Thinking, Readings in Cognitive Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1977.

Émile Durkheim, les Formes élémentaires de Ici vie religieuse, Paris, P.U.F., 1968, p. 635.

Marcel Mauss, «Cours de 1938-1939 au Collège de France», dans Oeuvres, vol. II, Paris, Minuit, 1969, p. 576.

Pierre Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique, Genève, Droz, 1972.

Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique », Sociologie et sociétés , vol. 7, 1, 1975, pp. 91-118.

Jean-Claude Passeron, «Présentation», dans Richard Hoggart, la Culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970.

Cité par Colette Pétonnet, Ces gens-là, Paris, Maspero, 1969.

Oscar Lewis, les Enfants de Sanchez, Paris, Gallimard, 1964.

Par exemple, H.J. Gans, The Urban Villagers, New York, Free Press, 1962.

Th. Adorno, The Authoritarian Personality, New York, Harper and Row, 1954. La thése de l'autoritarisme de la classe ouvrière qui se manifesterait dans la participation politique et dans le vote est reprise par S.M. Lipset, qui en présente quelques principes explicatifs : manque d'éducation, apathie politique, insécurité, isolement par rapport aux autres milieux sociaux, abus de l'autorité familiale, etc. (S.M. Lipset, l'Homme et la politique, Paris, Le Seuil, 1960, pp. 110-147).

A. Jensen, «How much Can we Look IQ and Scholastic Achievment?», Harvard Educational Review, no 39, 1969; M. Deutsch, I. Katz et A. Jensen, Social Class, Race and Psychological Development New York, Holt Rinehart and Winston, 1968.

B. Bernstein, Langage et classes sociales, Paris, Minuit, 1975.

William Labov, le Parler ordinaire, la langue dans les ghettos noirs des États-Unis, Paris, Minuit, 1978, 2 t.

M. Fournier, Institutionnalisation et différenciation de disciplines dans une situation de double dépendance, Paris, EPHE, thèse de doctorat de 3e cycle, 1974.

Selon l'expression de Marius Barbeau qui se donne comme tâche ou mission de « sauver du naufrage notre répertoire oral » et de « le conserver précieusement au Musée national, à son véritable titre de relique » (« Notre tradition, que devient-elle ? », Culture, 1, 1974, p. 8). Dans une autre conjoncture, c'est-à-dire à un moment où le rapport de force est modifié, un tel travail peut remplir une toute autre fonction: ainsi depuis la constitution d'un mouvement nationaliste s'opère un processus de «reclassement» du patrimoine, opération dont les Marius Barbeau et Luc Lacoursière apparaissent (paradoxalement) comme les pionniers.

Jean-Charles Falardeau, «Existe-t-il une culture canadienne-française définitive ou en voie de disparition?», l'Action nationale, vol. 17, mars 1941, p. 212.

À titre d'exemple, notons la participation à titre de vice-président du R.P. Lévesque, op. à la Commission d'enquête sur les arts, les sciences et les lettres au Canada (Commission Massey), qui, en présentant son rapport en 1949, suggéra la création du Conseil des arts du Canada.

Th. Bertrand et E. Caron, l'Apprentissage, Principes et réalisations dans le Québec, Montréal, Fides, 1958, p. 52.

M. Fournier et Charles Halary, Entre l'école et l'usine, Enquête sur l'enseignement professionnel au Québec, Département de sociologie, Université de Montréal, 1975. Il est à noter que dans une autre conjoncture, un tel discours pourrait avoir une autre significa­tion sociale: par exemple s'il était lié à un mouvement de luttes syndicales et d'organisation politique de la classe ouvrière.

Pierre Bourdieu, «Sur l'objectivisation participante. Réponse à quelques objections», Ac tes de la recherche en sciences sociales, 23, septembre 1970, pp. 67-70.

Selon l'expression de F. Dumont, le Lieu de l'homme, Montréal. H.M.H., 1968.

Dominique Grisoni et Robert Maggiori, Lire Gramsci, Paris, Éditions universitaires, 1973; Gramsci dans le texte, Paris, Éditions sociales, 1975.

F. Jakubowski, les Superstructures idéologiques dans la conception matérialiste de l'histoire, Paris, Edi, 1971.

Marta Harnecker, les Concepts élémentaires du matérialisme historique (1969), Bruxelles, Contradiction, 1974, pp. 86-87.

Thomas Herbert, « Pour une théorie générale des idéologies », Cahiers pour l'analyse, été 1968, pp. 87-88. L'idéologie sous sa forme empiriste n'est pas très différente de l' « idéologie pratique » dont parlera plus tard Louis Althusser.

À ce sujet, voir F. Dumont, les Idéologies, Paris, P.U.F., 1974, p. 26-41.

Charles Baily, Le Langage et la vie, Genève, Droz, 1965.

Pierre Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique, op. cit., p. 168-169.

S. Tyler, Cognitive Anthropology, op. cit.

Karl Marx et Friedrich Engels, l'Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, p. 59.

Pierre Bourdieu, « Le fétichisme de la langue », Actes de la recherche en sciences sociales, no 4, juillet 1975, pp. 2-33. Au sujet du débat sur la langue à l'intérieur du marxisme, voir Marcellesi et Gordin, « Position historique du problème: la langue est-elle une superstructure et un phénomène de classes? », dans Introduction à la socio-linguistique, Paris, Larousse, 1974.

Pierre Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique, op. cit., p. 178.

Pierre Bourdieu, « Le fétichisme de la langue », op. cit., p. 31.

Il s'agit de l'ensemble des « biens symboliques » que produisent, dans les sociétés différenciées, les intellectuels : ces diverses productions occupent les unes par rapport aux autres des positions hiérarchiques différentes et remplissent aussi des fonctions différentes. Au niveau inférieur du champ de production symbolique, l'on pourrait situer l'ensemble des mass media à large diffusion produites par les industries culturelles. Parce qu'ils véhiculent souvent les conceptions et perceptions populaires, ces mass media sont parfois à tort assimilés à la « culture populaire ». Il faudra interroger plus spécifiquement ce mode d'intervention de la culture seconde sur la culture première.

Les exemples ne manquent pas pour illustrer que plusieurs renouvellements de la culture savante, en particulier en littérature, se fondent sur une appropriation de la culture populaire ou dominée (langue, personnages, légendes, etc.): pour le XIXe siècle au Québec, l'on peut penser au musicien Ernest Gagnon et au poète Louis Fréchette (Fernand Dumont, « Pour une histoire de la pensée québécoise », dans la Philosophie au Québec, Montréal, Bellarmin, 1976).

De cette opération de déclassement, l'on peut donner comme exemple au Québec la constitution de la science botanique : en effet, lorsqu'il rédige sa Flore laurentienne, le frère Marie-Victorin, professeur à la faculté des sciences de l'université de Montréal, reconnaît que la systématique paraclassique constituée par les bûcherons canadiens-français a diverses qualités, qu'elle est «très élaborée, très complexe et plus intrinsè­quement juste qu'on le croît», qu'elle témoigne d'une «étonnante acuité d'observation» (ingéniosité des ségrégations, sûreté des distinctions, finesse des identités) et qu'elle «a peu à envier à la systématique moderne». Et dans une certaine mesure, ce scientifique qui rend aussi hommage « au génie poétique du peuple » et qui est conscient de l'étroite relation entre les nomenclatures savantes et le folklore botanique - « Les botanistes professionnels ne firent souvent que latiniser les noms vernaculaires déjà en usage » - élabore sa Flore laurentienne en systématisant les connaissances populaires: «Nous assistons, écrit-il, à un processus dont l'histoire de la science doit tenir compte : des hommes sans expérience scientifique, explorant les ressources forestières d'un nouveau continent dans un but purement utilitaire, reconnaissent la nécessité d'un schéma quelconque de botanique systématique, ils demeurent par là même, sans le savoir et sans le vouloir, des pionniers de la science» (Frère Marie-Victorin, la Flore laurentienne, Montréal, P.U.M., 1938, p. 6). Mais en même temps, celui-ci disqualifie cette systéma­tique populaire -postulat anthocarpologique, nombre trop restreint de noms par rapport au nombre d'espèces, etc. - pour la remplacer par une nomenclature savante, qu'il qualifie de «bourgeoise» et qui permettra de répondre aux «Moins de la langue polie, de la littérature et de l'art, du commerce et de l'industrie ».

Cet éclatement fait aussi disparaître la cohérence propre au système culturel et introduit entre chacun de ces niveaux diverses contradictions. Aussi, ceux qui analysent le Québec des années 1940 s'aperçoivent rapidement de la difficulté de vouloir «concilier le souci d'une certaine prospérité collective avec les exigences spirituelles de la culture (française) et du christianisme » (Jean-Charles Falardeau, Perspectives, Essais sur le Québec con­temporain, Québec, P.U.L., 1954). Dans une certaine mesure, il s'agissait de redonner cohérence à un système culturel éclaté en tentant de concilier avec une culture première (francophone) et une idéologie (catholicisme) une nouvelle culture savante (science américaine).

W.H. Goodenough, Culture, Language and Societies, Addison-Wesley Publishing Co., 1971, p. 22. Voir aussi M.B. Black, «Belief Systems», dans J.J. Honigmann, édit., Handbook of Social and Cultural Anthropology, Rand McNally College Publishing Co., 1974, pp. 509-578. L'on utilise aussi, pour parler de ces systèmes de propositions et croyances que les gens explicitent eux-mêmes, un terme qui a été introduit par H. Conklin («Ethnogenealogical Method», dans S. Tyler, op. cit.) et qui demeure encore mal défini: celui d'«ethnomodèles».

Fernand Dumont, les Idéologies, Paris, S.U.P., 1974.

Jacques Le Goff, «Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne», dans Pour an autre Moyen Âge, Temps, Travail, Culture en Occident, Paris, Gallimard, 1977, pp. 223-236.

G. Canguilhem, Idéologie et rationalité, Paris, Vrin, 1977, pp. 35-46.

P. Bourdieu et L. Boltanski, « La reproduction de l'idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, juin 1976, p. 52.


Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,

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