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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Les controverses culturelles : Benoît Duteurtre : Requiem pour une avant-garde (Robert Laffont 1995)


 

Diapason, mai 1995, Philippe Meyer


Requiem pour une avant-garde

En tête des qualités de Requiem pour une avant-garde il faut sûrement placer la sérénité de son ton et la solidité de son information. Benoît Duteurtre ne s'inscrit pas ici dans la lignée des pamphlétaires : il ne mord pas, il ne griffe que par accident. Posément, il ronge. C'est-à-dire qu'il introduit méthodiquement le doute dans un univers régi, surtout en France, par la magie du recours au sacré et à ses inévitables conséquences : l'adoration, la vérité révélée, les affirmations dogmatiques, les appareils et les hiérarchies cléricales, les excommunications, la bigoterie, l'inquisition, l'hypocrisie et la recherche de l'obéissance perinde ac cadaver. Voilà trente ans que, dans le monde musical français, il est impossible de discuter, il est proscrit de débattre, il est honteux de s'interroger lorsqu'il est question d'oeuvres atonales ou sérielles et de leur rejet par le public... depuis trente ans. Le mélomane est sommé d'admettre. d'admirer, d'adhérer ou de se voir à jamais confondu avec les réactionnaires et les ennemis de l'humanité, voire avec les fascistes, étant sous-entendu qu'il portera aux yeux de l'Histoire la responsabilité rétroactive de tout ce qu'elle doit aux manigances de la réaction et aux exactions du fascisme. Les années 90 auront été celles de la contre-attaque. Après les salves d'artillerie légère et les charges pleines de panache de Maryvonne de Saint-Pulgent, de Marc Fumaroli et de Michel Schneider, Duteurtre aspire à la réunion d'une sorte de conférence internationale ou d'Etats généraux des amateurs de musique auxquels il fournit un dossier consistant, construit et constructif.

Je ne veux évidemment pas dire que Requiem pour une avant-garde est le livre d'un observateur neutre et extérieur. C'est le fruit du travail et de la réflexion d'un mélomane actif, ouvert et curieux devenu définitivement critique de l'atonalisme et de ses avatars mais qui n'use pas, pour étayer son opinion, de l'argument d'autorité. Ce qu'il écrit n'est pas seulement sujet à un débat contradictoire mais invitation à un tel débat, en vue duquel il produit honnêtement ses pièces. Ceux qui essaient de faire passer ce livre pour autre chose devraient bien s'aviser que leurs manoeuvres en disent beaucoup plus long sur eux-mêmes que sur l'objet de leur déchaînement...

Les pages qui répondent à la question " qu'est-ce que la musique atonale ? " (et pas seulement dans le chapitre qui porte ce titre) constituent, dans cet esprit, l'une des plus utiles réussites du Requiem . Exposées avec limpidité, remises dans la perspective de l'histoire de la musique comme dans celle de l'histoire des idées, la théorie et la pratique de l'atonalisme apparaissent comme les manifestations d'un utopisme dont les intentions ont pu valoir mieux que les résultats, mais dont les échecs et les impasses ont abouti à ce que Duteurtre, après d'autres, analyse justement comme un néo-académisme qui, pour camoufler sa nature et sa stérilité, a, au fil des années, de plus en plus besoin de justifications, de gloses, de proclamations, d'une rhétorique du persécuteur-persécuté et de ce que George Steiner appelle " des byzantinismes (...), c'est-à-dire des jeux de mandarins qui dansent sur les ruines des bibliothèques ". En France, et en France seulement, comme le Requiem le souligne, ce néo-académisme est devenu un art officiel, installé et protégé par des gouvernements de droite, puis sanctifié par la gauche avant de retrouver le soutien de la droite revenue aux affaires. En France, et en France particulièrement, cette utopie impérialiste jouit du concours bénévole et enthousiaste de "compagnons de route " (ceux que Lénine appelaient " les idiots utiles ") qui propagent avec zèle, et à destination du bas clergé, les paroles vides grandioses qu'il conviendra de répéter sans discussion.

Requiem pour une avant-garde établit et illustre par de multiples exemples que le refus informé de l'atonalisme ne relève ni d'un embarras devant la complexité ni d'une frilosité devant la nouveauté. A propos de compositeurs modernes (Stravinsky, Strauss, Roussel, Bartok...), comme de compositeurs contemporains (Ligeti,Copland,Dutilleux, Britten,Glass,Reich,Tippett ou Adams), Duteurtre montre que les créateurs et les amateurs font leur affaire et leurs délices de l'une et de l'autre et savent mettre leurs pieds hors des pas de leurs aînés tout en se tenant à l'écart de l'impératif catégorique de l'atonalité hors duquel il n'y aurait ni salut, ni progrès, ni succès légitime.

Au-delà, d'ailleurs, de la critique de l'idée de progrès en art - critique dont les impasses artistiques et les comportements despotiques des "progressistes" ont peu à peu assuré le succès et la diffusion -, Duteurtre propose plusieurs thèmes de réflexion dont on peut espérer de riches prolongements. Je retiendrai d'abord celui de l'influence de la Vienne du début du siècle dont il paraît urgent, et pas seulement en musique. de réexaminer le bien-fondé. Nos arrière-neveux s'amuseront sans doute de voir quel statut, tantôt glorieux, tantôt infâme, nous aurons, dans notre vie culturelle, donné simultanément à l'Autriche.

Directement ou non, cette remise en cause aboutit à une reconsidération - les idiots utiles vont hurler à la réaction - de l'importance des cultures et des traditions musicales nationales dans la recherche d'une expression universelle et de l'intérêt d'une nouveauté qui se circonscrit à la recherche " d'une perfection nouvelle de l'usage, à un génie personnel de la tournure ". Si Requiem n'aborde que cursivernent ce thème, il apporte beaucoup, dans sa dernière partie, en développant une réflexion détaillée sur les deux modernités qui coexistèrent, en Europe, à l'orée du XXe siècle : l'allemande, qui s'est imposée, et la russo-française, qui s'est étiolée.

Benoît Duteurtre achève son livre par une méditation sur l'état de la création artistique contemporaine, tous arts confondus. On pourrait, à propos de ces pages, parodier Debussy écrivant du Sacre du printemps : "C'est une musique sauvage avec tout le confort moderne." C'est ici un désespoir avec toutes les ressources de la pharmacopée de 1995, autrement dit un constat de faillite et de carence qui hésite trop s'il doit conclure à la fin du monde ou à l'urgence de le réhabiter. Au demeurant, si l'auteur du Requiem avait renoncé à cette coquetterie mélancolique tout à fait d'époque, on voit bien que c'est la seconde conclusion qu'il aurait adoptée. Tout son livre est sous-tendu - et c'est sans doute ce qu'on lui pardonnera le moins - par l'idée que l'on peut remettre l'église au milieu du village, entendez que la redécouverte du plaisir. de la délectation et de l'hédonisme peuvent nous convier à une renaissance

Philippe Meyer

" La modernité académisée. antithèse de la curiosité moderne "

" La notion de modernité met l'accent sur une qualité temporelle de l'art, plutôt que sur sa qualité matérielle, jugée difficile à évaluer. Mais l'appréhension de la spécificité artistique est indissociable de cette réflexion plus complexe, qui renvoie également aux valeurs immédiatement esthétiques : cohérence formelle, virtuosité d'écriture, harmonie du trait, puissance émotionnelle, etc. Quoique relative, cette réussite esthétique immédiate n'en est pas moins le préalable à toute valeur universelle. Pour Picasso: " En art, il n'y a jamais ni passe ni futur. Ce qui n'est pas dans le présent ne sera jamais. " La nouveauté d'une úuvre d'art se voit souvent réduite à une trouvaille historique, au sein de la ligne de progrès prédéterminée ; alors qu'elle réside d'abord dans l'accomplissement individuel plus complexe d'un discours, fût-il apparemment peu novateur : tel le génie de Bach, sa fidélité à un langage arriéré pour l'époque, mais aussi la façon dont il transfigure les vieux usages polyphoniques ; telle la subtilité d'écriture d'un concerto de Mozart ou d'une valse de Chopin, qui n'apportent rien de neuf à l'histoire évolutive de l'harmonie ou du rythme, sinon une perfection nouvelle de l'usage, un génie personnel de la tournure, tel le romantisme de Brahms, historiquement vieux beethovénien dépassé par Wagner, mais toujours expressément brahmsien dans chaque détail de son écriture.
Les compositeurs modernes d'après-guerre ne négligent jamais de soumettre ces subtilités au cadre d'une évolution générale conduisant, d'étape en étape, à leurs propres choix. une vision utilitariste de l'histoire artistique les pousse à sélectionner à posteriori, dans le passé, toute justification d'eux-mêmes. Et, puisque leur art demeure hermétique à presque tous, ils désignent comme valeur tout élément de l'histoire, qui semble justifier leurs difficultés. Le présent, incontestable, donne prix à tout ce qui lui ressemble. Tandis que les premiers " modernes " relisaient l'histoire pour nourrir leurs intuitions, la modernité " académisée " exige une réécriture de l'histoire comme caution de ce qui est ; elle rejette toute contradiction et apparaît comme l'antithèse de la curiosité moderne. "

Philippe Meyer

 

 

Le Monde, 14 Avril 1995, Anne Rey

L'avant-garde révisée

Dans un " Requiem " pamphlétaire, Benoît Duteurtre, antiboulézien, réécrit l'histoire de la musique moderne.

Pierre Boulez aura décidément reçu tous les honneurs pour ses soixante-dix ans. Y compris celui d'un pamphlet dont il est, sinon le seul accusé, du moins la principale cible. Requiem pour une avant-garde excède, comme son titre l'indique, la seule critique boulézienne. L'auteur, romancier à ses heures, et directeur de la collection " Solfèges " au Seuil, ne retrace pas moins que les cinquante années qui viennent de s'écouler. Son projet est de faire enfin tomber de leur socle ceux qu'il appelle les " bons élèves de l'audace ", tous ceux qui, depuis l'après-guerre, auraient passé leur temps à être encensés par le pouvoir et à ennuyer les foules. Bref, il vise ces mêmes modernes " auxquels Jean-Paul Aron avait, au milieu des années 80, consacré une suite d'articles d'une exemplaire méchanceté.

Passons en revue les thèses du néopolémiste. Aimer l'art, et principalement l'art de son temps, est devenu un conformisme. La modernité s'apparente plutôt à une régression qu'à un progrès. L'après-guerre, qui consacra l'atonalité et le sérialisme, fut le temps du déclin, celui de la table rase imposée à tous au risque d'être exclus de l'intelligentsia, la fin d'un âge d'or qui avait de tout temps assimilé le bon artiste au bon ouvrier. Vient ensuite, sous la plume d'un Duteurtre plus énervé, la thèse du complot : cette musique atonale, " rejetée par la totalité des amateurs

de musique " est soutenue à bout de bras par un petit milieu soudé par les mêmes intérêts, elle est sous la coupe d'ur1 groupe d'influence " réduit par le nombre mais puissant par ses réseaux ". Le public reste allergique, bien sûr, à ses balbutiements artistiques, d'autant que ceux-ci s'accompagnent de dissertations théoriques byzantines, inaccessibles aux veaux. Mais " comme dans la révolution soviétique " les apparatchiks atonaux refusent leur échec patent et imposent leurs vues utopiques en infiltrant proches et sympathisants dans l'ensemble des médias, dans les cénacles intellectuels, au sein des émissions radiophoniques, des éditions discographiques, des journaux. Livres, dictionnaires, biographies, notices de présentation, discours officiels deviennent les instruments de cette " propagande " - le mot est lâché.

Et Duteurtre de clouer au pilori en vrac la revue Musique en jeu (née dans la mouvance de Tel Quel et qui n'a jamais caché ses préférences pour un art " qui avance ") ; le Larousse de la musique (cinq colonnes pour Schoenberg, une seule pour Fauré) ; l'essai d'André Boucourechliev sur Le Langage musica1 " reflet díun très intransigeant courant de pens eÊ ; Adorno, bien sûr, dans son refus philosophique de l'hédonisme musical ; tel de nos confrères coupable d'avoir brocardé Poulenc ; Rolf Liebermann, suspect restaurateur du prestige de notre Opéra de Paris puisque " compositeur dodécaphoniste " ;Stéphane Lissner et le mélange " d inculture et de suffisance " qui l'a fait transformer le Théâtre du Châtelet en " annexe de l'Ircam "... On en passe. Passons également sur les interprétations tendancieuses (une citation tronquée, d'autres extraites de leur contexte), négligeons les erreurs de perspective et de dates (non, la musique aléatoire n'a pas sonné le glas de la musique sérielle ; non, la mort des Halles de Baltard ne correspond pas " chronologiquement " à la fin de l'exil de Boulez).

Reste que si Benoît Duteurtre soutenait sa thèse avec moins d'approximations et de nonchalance, mêlant à ses diatribes contre l'impérialisme de la culture germanique une ode à... L'accordéon, il faudrait bien parler de révisionnisme. C'est d'ailleurs en tentant de déboulonner Lautréamont, en prétendant que tout le monde s'était trompé sur Les Chants de Maldoror-- qui ne seraient en fait qu'une vaste mystification - que Robert Faurisson entama la carrière que l'on sait.

Et puis, le jeune fossoyeur de lí" avant-garde institutionnelle " ne joue pas franc jeu. Il oublie de préciser ses liens avec Marcel Landowski, compositeur de musique tonale avant d'avoir été le premier directeur de la musique d'André Malraux et le bras droit pour la culture de Jacques Chirac à la Mairie de Paris. Il néglige de signaler qu'ils s'occupent, l'un et l'autre, d'une association vouée à l'exécution de " toutes les musiques, sans exclusives " intitulée Musique nouvelle en liberté - comme si la musique avait été si longtemps bâillonnée !11 ne dit pas d'où lui vient cette hargne contre Boulez dont le nom apparaît dès la page 23 de ce Requiem pour ne plus guère disparaître ensuite : Boulez le grand manipulateur, le protégé de Georges Pompidou, l'homme de pouvoir, le cumulard, Boulez dont le seul but, en créant le Domaine musical, 1'Ircam et l'Ensemble InterContemporain, fut de faire jouer sa propre musique et celle de ses affidés.

Duteurtre ne se fait-il pas ici avec quelque naïveté l'écho de vieilles haines qui menèrent Marcel Landowski au faîte des honneurs (il est aujourd'hui secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts : l'homme de pouvoir, c'est lui), Boulez devant se contenter d'un poste de professeur au Collège de France après avoir quitté nos contrées entre 1966 et 1974 ? C'est vrai que le départ fut fracassant, que Boulez traita Landowski de " personnage falot et inconsistant ", mais tout cela valait-il un Requiem aussi téléphoné ?

Que Duteurtre aime l'accord parfait, l'harmonie classique, les rythmes clairs et bien balancés, les jolies mélodies, qu'il ait l'oreille chatouillée par les excès du chromatisme qui ont mené à l'atonalité (sans rupture historique, contrairement à ce qu'il prétend), puis à la très brève période du sérialisme intégral, on ne saurait lui en faire grief S'il a comme idéal musical Steve Reich, Gorecki, Poulenc, Menotti, Henri Sauguet, Nino Rota, personne ne lui en voudra. S'il adore à l'égal de Fidelio les nombreux opéras de Marcel Landowski, qu'il nous fasse partager son enthousiasme. Plutôt que d'enterrer sur un peu plus de deux cent soixante pages une avant-garde qu'il juge surévaluée, qu'il exalte les " bons auteurs " en proportion de leur vertu. Ce Requiem n'est qu'une suite de Dies Irae.

Anne Rey

 

 

 

Le Monde 19 mai 1995

Benoît Duteurtre répond au " Monde "

Au titre du droit de réponse, légalement réglementé, nous avons reçu de Benoît Duteurtre la lettre qui suit.

J'ai été stupéfait de découvrir, dans Le Monde du 14 avril denier, que le fait d'émettre un jugement critique sur certains courants de l'art contemporain pourrait conduire à nier l'existence des chambres à gaz dans les camps nazis.

C'est en effet ce qu'exprime l'article désolant de votre collaboratrice Anne Rey consacré à mon ouvrage Requiem pour une avant-garde (éditions Robert Laffont). Tant d'imagination laisse songeur, et je m'étonne que vous laissiez paraître une chose aussi extravagante, ne serait-ce que par respect pour les victimes du nazisme. L'ouvrage que j'ai écrit est une réflexion sur la musique contemporaine, sur<< l'académisme d'avant-garde " et sur la façon dont un courant artistique historico-scientifique a pu masquer des mouvements plus vivants de la création. Retraçant l'histoire de la musique " atonale>, (celle de Boulez, Stockhausen, Xenakis...), je m'efforce d'analyser les raisons de son échec, voire demi-réussites. Une autre partie du livre est consacrée à l'étude de la musique contemporaine " tonale " (celle de Reich, Adams, Gorecki...) qui a, selon moi, innové de façon plus convaincante.

Face aux grands courants de la musique contemporaine, je propose une lecture différente de celle qui est habituellement enseignée en France. Je n'attaque pas l'art moderne mais un dogmatisme pseudo moderne. Je conteste l'idéologie du progrès en art invite à réfléchir sur ce que Debussy appelle une beauté " sensible ", avant d'évoquer de stimulantes perspectives fondées notamment sur le " métissage " artistique. Ces positions auraient-elles un caractère fascisant ?

Tel est le sens du réquisitoire dressé par Anne Rey. Plutôt que de parler du livre, elle construit le portrait d'un réactionnaire, manipulé par les pouvoirs, procédant à des " règlements de comptes ", occupé à " réviser " l'histoire pour des motifs personnels intéressés.

Je serais obsédé par Pierre Boulez. Comment ne pas reconnaître le rôle central joué par le théoricien du mouvement post-sériel dans le Paris de l'après-guerre ? Mais je m'intéresse d'abord aux principes de cette musique, à leur élaboration par Schönberg, à la façon dont un Stockhausen, un Berio s'en sont inspirés. Il se trouve toutefois que Pierre Boulez est le seul de ces musiciens à occuper une position sociale d'hégémonie. Maryvonne de Saint Pulgent ou Michel Schneider l'ont souligné avant moi : loin de " se contenter d'un poste au Collège de France " (comme l'affirme Anne Rey), le même homme aura cumulé les fonctions de direction ou d'influence de l'lrcam à la Cité de la musique, en passant par líEIC l'Opéra Bastille, l'Orchestre national, etc.

Le deuxième point de l'attaque de Mme Rey découle d'une vision policière de l'art et de la pensée. Découvrant que Marcel Landowski préside l'association que je dirige (Musique nouvelle en liberté), notre détective en déduit que mes idées seraient le fruit d'une manipulation. Mon Requiem " téléphoné " constituerait l'instrument naïf de la guerre de pouvoir Landowski-Boulez. Je n'en serais même pas l'auteur et J'ai pourtant publié nombre d'articles sur la musique contemporaine avant de connaître Marcel Landowski, et celui-ci n'a jamais eu besoin de moi pour dire ce qu'il pensait. Nos relations professionnelles (et amicales) m'interdisent-elles toute analyse personnelle ? Je voudrais signaler à Mme Rey que l'esthétique de la musique contemporaine est un débat d'idées (cela existe b, un peu partout dans le monde, quoiqu'il demeure souvent occulté en France. Si elle m'avait mieux lu, elle saurait également que ma réflexion sur la " tonalité " est relativement éloignée des préoccupations spirituelles développées par Marcel Landowski. Elle ne ferait pas de moi le porte-parole de Menotti, Sauguet ou Rota (musiciens à peine évoqués dans ces pages) ; elle n'affirmerait pas que j'aime particulièrement l'accord parfait, mais soulignerait plutôt mon admiration pour les polyphonies de György Ligeti ou la jeune musique afro-américaine.

Le comble est toutefois atteint lorsque cette dame explique que la critique de l'art moderne risque de me conduire là où elle a conduit Robert Faurisson. Partant d'une tentative de démystification des Chants de Maldoror, celui-ci en serait arrivé, presque naturellement, à la négation de l'existence des chambres à gaz... Je ne connais pas les textes de M. Faurisson sur Lautréamont ; mais il y a vraiment quelque chose d'odieux dans cette façon d'éliminer le sujet musical, en me clouant soudain - sans aucun motif - au pilori du révisionnisme, de l'antisémitisme et de la haine raciale. Comment ose-t-on établir une relation de cause à effet entre la réflexion sur l'art contemporain et une tendance néonazie ? Mme Rey englobe-t-elle dans ses soupçons Claude Lévi-Strauss, Witold Gombrowicz ou Guy Debord, cités dans mon livre pour avoir remis en question, eux aussi, I'ordre avant-gardiste ?

Mm. Rey veut faire de moi le porte-parole de la " réaction ". Mais la virulence de son propos m'autorise à me demander quelle cause elle défend elle-même. Celle d'une avant-garde nationale qu'elle n'a jamais négligé de célébrer, au fil de son parcours journalistique, tout en ignorant nombre de mouvements plus significatifs ? Celle de la modernité considérée comme une religion, avec ses procès en sorcellerie ? À líissue d'une révolution artistique décevante, notre "musique contemporaine " demeure le royaume de la langue de bois. Dans ce microcosme aux abois, ceux qui osent discuter se voient traités de fascistes ou de révisionnistes. En pratiquant l'anathème, Mme Rey vient involontairement confirmer mon analyse.

On peut attaquer les idées que je défends, à condition de recourir à des arguments. Au lieu de cela, Mme Rey (qui me reproche " une citation tronquée ") se contente de prélever ici ou là des mots destinés à conforter sa thèse, quand bien même mon ouvrage dirait exactement le contraire.

Pouvez-vous tolérer qu'un journal comme Le Monde évite de parler d'un livre pour développer une fausse polémique - sans rapport avec le sujet - et dresser en toute malveillance le portrait à charge de son auteur ?

Benoît Duteurtre

Le Monde indique que ce droit de réponse aurait dû être publié dans " Le Monde des Livres ", du 12 mai, mais qu'un problème technique l'en a empéché.