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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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L'Etat et la culture, de la Révolution à 1959 L'Etat et la culture de la Révolution à 1959, par Pascal Ory extrait de
"Institutions et vie culturelles",
Les Notices de la Documentation française, 1996 (réed. 2005) Résumé : Dans la continuité de la monarchie, l'État en France, traditionnellement centralisateur, a conservé dans le domaine culturel un rôle important de mécénat, de protection et de contrôle. Liant éducation du peuple et culture, il lui a consacré une importante réglementation et a favorisé la création de nombreux organismes et institutions, mais ce n'est qu'à la suite d'un long processus que naîtra un ministère de la Culture à part entière.
Chronologie : l'État et la culture avant 1959 1530 : Création du « Collège des lecteurs du royaume » qui deviendra le Collège de France. 1635 : Richelieu officialise l'Académie française. 1667 : Première exposition des travaux des Académiciens. 1680 : Naissance de la Comédie française. Sous le règne de Louis XIV, le roi mécène encourage, pensionne, fait travailler artistes et écrivains. Colbert détient - entre autres fonctions - celle de surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures. L'État, en favorisant la création intellectuelle, peut aussi l'orienter. 1725 : Installation dans le Salon carré du Louvre de l'exposition des travaux des Académiciens : le « salon » est né. 1789: Sous la Révolution française, deux décrets transfèrent au pouvoir civil la surveillance de l'éducation. 1791 : La Commission des monuments envisage la création d'un musée par département. Un décret proclame la propriété du dramaturge sur les représentations de ses pièces. Le Salon, longtemps réservé aux artistes membres ou agréés de l'Académie, devient libre. Condorcet propose son « plan » pour l'enseignement. : Ouverture du musée du Louvre. 1795: Création du Conservatoire des arts et métiers, de l'Ecole normale supérieure et du Conservatoire de musique. 1798: Le Salon est placé sous le contrôle d'un jury d'admission issu de l'Institut. 1802: Loi sur l'instruction publique créant les lycées qui remplacent les écoles centrales du Directoire. 1806 : Loi instituant l'Université impériale. Décret renforçant le monopole universitaire en limitant
plus étroitement le rôle des institutions privées et religieuses. Décret de Moscou réglementant la Comédie française. 1850 : Loi Falloux : l'instituteur est placé sous la surveillance du clergé. 1853-1870: Travaux d'Haussmann à Paris, En 1862, commence la construction de l'Opéra Garnier. 1855, 1867, 1878, 1889, 1900: Expositions universelles, organisées en France par l'État. 1863 : Tenue du « Salon des refusés ». 27 janvier 1870: Création du ministère des Lettres, Sciences et Beaux-Arts. Le 28 août, ses attributions passent au ministère de l'Instruction publique. 1872 : Création de l'École libre des Sciences politiques. 1881, 1882 : Premières lois scolaires organisant la gratuité, la laïcité et l'obligation. 1881 : Liberté de la presse. Éphémère "Ministère des Arts" au sein du cabinet Gambetta. 1882 : Le Salon est placé sous le contrôle de la Société des artistes français. 1901 : Loi sur la liberté d'association. 1905 : Loi de séparation des Églises et de l'État. 1920 Création du Théâtre national populaire à l'instigation de Gémier. Juin 1936-juin 1937: Sous le Front populaire, Jean Zay devient ministre de l'Éducation nationale et Léo Lagrange sous-secrétaire d'État aux Sports et aux Loisirs. 1940-1944: Régime de Vichy (chantiers de jeunesse, école des cadres d'Uriage, etc.). 1946-1947: Premier «concours des jeunes compagnies» (théâtrales) ; premiers « centres dramatiques nationaux ». Création du Centre national de la cinématographie. 1948 : Loi du 23 septembre instaurant la taxe de sortie des films, mécanisme qui constituera la base du système d'aide au cinéma. 1951 : Nomination de Jean Vilar à la tête du TNP. (D'après Jean-Luc Bouf, Culture et société, Cahiers français, n ° 260, 7993, pp. 14-15)
La Révolution française fonde, sans conteste, l'État moderne en France en posant les valeurs essentielles qui, désormais, et sauf quelques exceptions (la Restauration, le régime de Vichy), régiront sa vie politique. Mais elle hérite aussi d'une longue tradition monarchique, d'un pouvoir central fort tout à la fois protecteur, ordonnateur et unificateur. Cette empreinte n'est pas sans influence au XXe siècle sur ce que l'on désigne sous le vocable de « politiques culturelles », qu'on entende celles-ci au sens large - c'est-à-dire couvrant toutes les activités de la création, esthétique et intellectuelle, de la médiation, éducative et informative, et du loisir - ou dans son sens restreint qui sera retenu dans cette notice - soit les seules politiques de création et diffusion des productions symboliques. La Révolution va en effet structurer les trois lignes qui, désormais, inspireront les acteurs de ces politiques. La ligne monarchique, qui survivra à la disparition des monarchies, maintient le pouvoir politique - central aussi bien que local - dans une position de mécène. Elle sera volontiers patrimoniale, intrinsèquement centraliste et tendanciellement ostentatoire, mais peut se présenter aussi chez certains « modernes » comme un recours au « Prince » éclairé. La ligne libérale, enfant des Lumières, fait du créateur et de son ouvre le sujet et l'objet principaux de sa politique. Loin d'aboutir à une pure et simple loi du marché, garantie par l'abolition de tous les contrôles (« censures ») et de toutes les contraintes (« corporatismes »), elle fait volontiers appel à l'aide éclairée des pouvoirs publics pour « encourager » et « promouvoir » la création, voire la créativité. Enfin la ligne démocratique, née directement de l'expérience révolutionnaire, place au centre de toute politique culturelle le rapport à la société, décliné, selon le cas et les époques, en « public », « classes populaires », voire « prolétariat ». Bien entendu, ces trois lignes coexistent souvent au sein d'une institution. Il n'en reste pas moins que si, sur la longue durée, c'est la troisième ligne qui finit par prédominer au moins dans le discours - puisque le principe de légitimation des régimes politiques met en avant le « peuple » -, la société culturelle, au premier rang de laquelle figurent les artistes et les critiques, sera toujours tentée de privilégier la deuxième et les pouvoirs publics la première, tout particulièrement pendant les périodes de renforcement du pouvoir exécutif.
L'âge des Beaux-Arts Le grand XIXe siècle qui s'étend de la Révolution à la première guerre mondiale continue, pour l'essentiel, à concevoir la politique de l'État comme des collectivités locales dans les termes, déjà classiques, des « Beaux-Arts » ; il va cependant en élargir sensiblement le champ et les implications.
L'héritage de l'Ancien Régime Ramené à son essence, l'Ancien Régime culturel se caractérise par la prédominance du Prince, protecteur des Arts, des Lettres et des Sciences, par l'étendue des compétences reconnues à l'Église - par exemple dans le domaine musical -, l'une et l'autre autorité contribuant à la censure des paroles et des images, enfin par une organisation de type corporatif régissant la plupart des activités artistiques, encore rattachées par là à leurs origines artisanales. De ces trois piliers, seul le second s'effondre définitivement en 1789, avec le transfert à l'État de la plupart de ses fonctions. En revanche, il ne faut pas attendre longtemps pour voir se reconstituer tout ou partie du système ancien. Provisoire, n'excédant guère un siècle, pour ce qui touche aux attributions anciennes de police culturelle, cette reconstitution sera fragile et de plus en plus discutée, de Napoléon Ier à la IIIe République, pour le mécénat direct ; elle se révèle en revanche durable dès que l'on considère moins l'État que les institutions qui se pérennisent sous sa tutelle et qui se rattachent plus ou moins directement au système dit « académique ». Il faut en effet attendre la IIIe République pour voir solidement assurée, entre 1870 et la loi de 1881, la liberté de l'imprimerie et de la librairie et, un peu plus tard encore (1906) la liberté des théâtres, seulement limitée par les pouvoirs du magistrat municipal en matière d'« ordre public ». Jusque-là la censure est de règle, aggravée par divers privilèges accordés à des institutions protégées par le Prince, tels l'Opéra de Paris ou la Comédie française. Pour ne prendre que cet exemple, toute l'histoire du théâtre dit de « boulevard » au XIXe siècle serait incompréhensible sans la considération de ce contrôle permanent, plus ou moins tatillon, avec lequel chaque auteur doit jouer, en toute connaissance de cause. La.survie du système académique est plus problématique. Au sens strict du terme, les privilèges des Académies anciennes, abolis en 1790, ne seront jamais rétablis. Mais le Directoire reconstitue bientôt un « Institut de France », au sein duquel Napoléon, puis la Restauration, redonneront à une « Académie des Beaux-Arts » une réelle autorité sur tout le circuit de légitimation des peintres, sculpteurs, dessinateurs, architectes et musiciens : formés à l'École des Beaux-Arts de Paris, sélectionnés par le grand prix de Rome, les artistes qu'elle promeut font l'objet des achats et des commandes des pouvoirs publics (au Salon, à l'Opéra, pour les bâtiments et les monuments officiels...) et, dans la foulée, de la bonne société.
Contrairement à une image romantique souvent répandue, ce système est loin d'être l'émanation d'un « art officiel » : l'État - et, à son imitation, les collectivités locales - se contente, la plupart du temps, de cautionner des choix esthétiques et éthiques, par ailleurs évolutifs, émanant des artistes établis. Outre qu'il est possible de faire carrière hors de ce circuit, les « avant-gardes » ne sont pas a priori rejetées par les pouvoirs publics mais par le corporatisme (de fait, sinon de droit) de la majorité des artistes. Sous le Second Empire (1852-1870), où la contradiction culturelle devint criante entre les académiques et les non-conformistes, ces derniers cherchèrent et souvent trouvèrent soutien auprès du Prince, ainsi les peintres « réalistes » du Salon des refusés en 1863, ou les architectes médiévalisants et fonctionnalistes du groupe de Viollet-Le-Duc, opposés aux principes « romains » dominant à l'École des Beaux-Arts. La querelle au reste, perdra de son importance devant l'effacement progressif et volontaire de l'État sous la IIIe République en ce domaine. Celui-ci cherche ainsi à mettre sa politique artistique en accord avec ses principes libéraux et, par exemple, dégage sa responsabilité de la tutelle du Salon. La « Révolution culturelle » du XIXe siècle Les contemporains du mouvement révolutionnaire ont été moins sensibles a cette part de continuité qu'aux multiples figures du changement entraînées par la proclamation des nouveaux principes de souveraineté populaire et de laïcité. Tout en décrétant, à ses débuts, une complète liberté d'expression et d'entreprise - bientôt compromise, mais dont le précédent ne s'oubliera pas et finira par triompher -, la Révolution se trouve aussi dans la situation de confier à l'État des responsabilités élargies en matière de protection du patrimoine culturel, de formation et de diffusion. Certaines institutions royales, comme les Archives et la Bibliothèque, se retrouvent nationalisées et se voient attribuer en particulier le dépôt de biens « nationaux », c'est-à-dire confisqués à l'Église et aux émigrés. Le Muséum des arts ouvert en 1793, sur proposition de David, peintre mais aussi militant jacobin, dans le bâtiment même du palais du roi, c'est-à-dire du Louvre - puissant symbole d'un véritable transfert de sacralité -ajoute aux collections du monarque déchu une sélection d'oeuvres confisquées. L'important tient ici dans l'ouverture au public, justifiée, en premier lieu, par le rôle d'école du goût que les Lumières entendent faire jouer à ces établissements d'un type nouveau. Tout au long du XIXe siècle, les musées apparaissent ainsi, en théorie sinon en pratique, comme des auxiliaires de l'école, et d'abord des écoles d'art et d'arts appliqués. C'est dans le même ordre de préoccupation que se situe la création des grandes écoles où, à côté de Polytechnique et de l'École normale supérieure, place est faite à une Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, à un Conservatoire national supérieur de musique (auquel sera rattachée la « déclamation », rebaptisée « art dramatique » seulement dans les années 1930...), à un Muséum national d'histoire naturelle, à un Conservatoire national des arts et métiers, etc. Tous ces établissements sont installés à Paris mais la province n'est pas oubliée, avec l'ouverture de dépôts d'archives, de livres ou d'objets d'art. Ainsi sous le Consulat un décret crée une quinzaine de « muséums », a l'origine de la plupart des grands musées de province actuels. D'emblée, cependant, le sens du mouvement est donné : l'impulsion et, corrélativement, le contrôle sont assurés par la capitale, où siègent désormais, maintenant que Versailles est découronnée, la totalité des autorités légitimantes. Les nouvelles missions publiques
Si le Royaume-Uni fut le premier pays à manifester une prise de conscience collective des responsabilités publiques en matière de protection des « monuments historiques », c'est en France que, fort logiquement, est mise en place la première législation et - d'abord - la première administration dévolue à cette fin. Les premières voix s'élevèrent au sein des hommes de la Révolution, soucieux de faire la part entre le rejet violent des témoignages du « despotisme » et de l'« obscurantisme » et la nécessaire protection collective des ouvres du Génie et du patrimoine de la Nation. C'est à l'abbé Grégoire, prêtre et républicain, qu'on doit le concept de « vandalisme » et à un amateur d'art du temps, Alexandre Lenoir, la première opération de sauvetage systématique, le Musée des monuments français qui sera fermé en 1818 au retour des Bourbons. Il fallut attendre la génération suivante, empreinte de romantisme, pour que soit lancé le slogan vigoureux de Victor Hugo « Guerre aux démolisseurs ! » et que les pouvoirs publics traduisent cette aspiration en termes de loi et de fonction. L'occasion fut la Révolution libérale de 1830, marquée par l'accession au pouvoir d'intellectuels conscients de l'inéluctabilité des ruptures modernes mais soucieux d'en limiter les conséquences négatives. L'historien Guizot, nouveau ministre de l'Intérieur, créait dès cette année-là le premier poste d'inspecteur des monuments historiques, dont le second titulaire sera l'écrivain Prosper Mérimée. Le dispositif fut complété par l'institution d'une commission en 1837 et, à partir de 1840, par l'établissement d'une classification des monuments. D'emblée, les grands principes étaient posés, qui ne varieront guère jusqu'à aujourd'hui, contrairement aux apparences : rôle déterminant conféré à l'État, contre les collectivités locales et les intérêts privés, les sociétés savantes, en plein essor, étant cantonnées dans un rôle modeste ; formation, au côté du corps de l'inspection, d'une catégorie d'hommes de l'art spécialisés, les architectes en chef des monuments historiques, tels qu'organisés par le concours de 1897 et dont le modèle restera Viollet-Le-Duc ; enfin acception large des critères de classement. L'édifice sera couronné par la loi du 31 décembre 1913, renforçant une première loi votée en 1887, élargie en 1930 en direction des « sites ». La France est ainsi dotée d'une politique patrimoniale dont le systématisme sert de modèle à l'étranger. Elle se révèle, en revanche, incapable de mettre en place un inventaire des richesses artistiques et historiques digne de ce nom - le projet remonte pourtant à Guizot lui-même - et doit attendre les années 1940 pour se doter d'une législation des fouilles archéologiques, sans pour autant encore créer une profession d'« archéologue ». Les débuts d'un activisme démocratique En termes politiques, le XIXe siècle français est dominé par la montée irrésistible des valeurs démocratiques : reconnaissance en 1830 de la souveraineté nationale, établissement en 1848 du suffrage universel (masculin), proclamation en 1870 de la République, enfin victoire définitive des Républicains aux élections de 1877. En termes culturels, ce mouvement se traduit d'abord sur le plan scolaire, avec l'instauration d'un enseignement public populaire et non plus seulement réservé à une élite comme dans le système napoléonien (lycées plus université), c'est-à-dire tout à la fois obligatoire, gratuit et - point le plus important - laïque. Les conséquences culturelles de cette « révolution Ferry » sont évidemment incalculables, mais on notera aussi qu'au sein de ce projet ambitieux la culture proprement artistique (dessin, musique et chant choral), au même titre que la « culture physique », voit sa place désormais officiellement reconnue dans les programmes. Il existe cependant un grand écart entre les textes officiels et leur mise en pratique, faute d'une formation adéquate des enseignants, c'est-à-dire, au fond, faute d'une légitimation suffisante de ces disciplines nouvelles aux yeux du système éducatif lui-même. La polémique récurrente sur la « revalorisation des enseignements artistiques » est ouverte. L'enjeu est d'autant plus important que l'enseignement est bien considéré, à cette époque, comme le principal instrument de démocratisation de la culture. En témoigne l'intensité des efforts consentis par les collectivités locales, et principalement les communes, en faveur de l'enseignement artistique spécialisé. Le mouvement prend au reste toute son ampleur sous la IIIe République, dès lors que celle-ci accorde aux communes une réelle autonomie administrative. Le phénomène est particulièrement frappant dans le cas de la ville de Paris, seule commune toujours soumise à une étroite tutelle, dont une partie du dynamisme s'investit, encore plus vigoureusement, dans le domaine culturel. La création d'écoles municipales de musique ou de beaux-arts est d'autant plus encouragée qu'elle peut se donner une justification économique, sous le vocable des « arts appliqués », même si, dans les faits, la plupart des enseignements proprement artistiques vont être fréquentés par les enfants des classes moyennes. Les mêmes causes aboutiront aux mêmes effets avec les musées, qu'ils soient des beaux-arts, d'histoire ou d'histoire naturelle. Un certain nombre de municipalités y investissent d'assez grosses sommes pour que s'édifient, ici et là, de véritables « palais », justifiés par leur usage social, dont cependant la fréquentation reste médiocre. Toute une partie de la politique culturelle des collectivités locales demeure, il est vrai, inspirée par la ligne monarchique, chaque ville de France souhaitant se doter, par exemple, de salles de spectacle modernes où les notables pourront accueillir les tournées parisiennes ou leurs imitations locales avec, ici ou là, quelques productions originales, liées à des traditions culturelles puissantes, du Capitole de Toulouse aux music-halls marseillais. Le travail de diffusion culturelle le plus efficace est en fait assuré par un troisième agent, dont on a trop minoré l'importance dans l'histoire française : le mouvement associatif. Même contrôlé, voire brimé par les pouvoirs publics, celui-ci prend en charge des secteurs entiers de la vie culturelle. Et l'initiative peut être très précoce, comme dans le cas du mouvement orphéonique qui, dès les années 1820, vise à diffuser dans les plus larges couches de la société une pratique musicale ou chorale simplifiée, dite musique d'harmonie. A son apogée, au début du XXe siècle, chorales, fanfares, cliques et autres :ns rassembleront à travers la France plusieurs centaines de milliers de participants. Le mouvement déclinera par la suite, sous le coup de la concurrence 3es médias de masse et du mépris des institutions musicales officielles. Même succès limité dans le temps pour les bibliothèques populaires, suscitées par des associations philanthropiques à tendances paternalistes, puis pour les bibliothèques municipales, trop peu adaptées à la vie quotidienne des classes populaires dans leur fonctionnement et trop austères dans leur projet moralisateur. C'est d'ailleurs sur un programme de bibliothèques populaires qu'est née, dans l'opposition républicaine au Second Empire, la Ligue de l'enseignement. Sous la IIIe République elle en deviendra la grande association culturelle, fédératrice d'un dense réseau de patronages laïques, dans une étroite fusion avec l'administration du ministère de l'Instruction publique (devenu « Éducation nationale » en 1932). On voit que, même en France, l'État est loin d'être le seul agent de démocratisation culturelle, mais aussi que tes collectivités locales et les associations attendent beaucoup de lui : en amont un modèle, une incitation, en 5.al une reconnaissance, un soutien.
Les notions modernes de « politique culturelle », « organisation culturelle », « animation » ou « action culturelle » et même de « ministère de la Culture » apparaissent en France à la fin des années trente, dans l'ambiance du Front populaire, grand mouvement politique à la fois associatif et (entre 1936 et 1938) gouvernemental, qui fera sensiblement progresser la réflexion et l'action des pouvoirs publics en matière de culture. En quoi, il est vrai, ce rassemblement politique axé à gauche reflétait aussi un certain état de la société, marqué par l'émergence de la « culture de masse ».
Les nouveaux défis Au long de la deuxième moitié du XIXe siècle, une série de profonds changements techniques bouleversent la communication et, par voie de conséquence, toute la culture contemporaine, faisant entrer le siècle suivant dans l'ère des médias de masse. Face à la photographie, à la phonographie, à la radiophonie, à la cinématographie, les pouvoirs publics auront à choisir une ligne 3e conduite, qui ne se réduira pas toujours au strict libéralisme. Ainsi la censure, ou, pour être exact, le contrôle a posteriori, par une commission ad hoc, sont-ils rétablis cour le cinéma, dont on découvre et craint le supposé pouvoir suggestif. La tendance est la même sur le terrain de la radio, partagée à ses origines entre stations publiques et privées mais progressivement étatisée, jusqu'au monopole intégral de 1939 - situation à laquelle il sera mis fin, pour la radio comme pour la télévision, qu'en 1982. Poussant encore plus loin le contrôle des moyens d'expression, dans une perspective à la fois réalisatrice et protectionniste (à l'égard des bandes dessinées étrangères), une loi de 1949 instaurera de Terne une commission de contrôle « sur les publications destinées à la jeunesse ». Parfois le besoin de réglementation viendra des milieux professionnels concernés, soucieux de lutter contre la concurrence étrangère et d'en limiter l'accès. Il rencontrera la tendance montante des pouvoirs publics, à partir de la crise des années trente, à étendre leurs compétences, face aux défaillances du laisser-faire. Ainsi la IIIe République, au moment de sa chute, était-elle engagée sur la voie du vote d'un statut du cinéma, qui aboutira sous le régime autoritaire de Vichy J1940-1944) à l'instauration tout à la fois d'un service d'État du cinéma et d'une institution professionnelle obligatoire, le Comité d'organisation de l'industrie cinématographique (COIC). L'évolution vers le corporatisme est plus avancée dans le domaine de l'architecture, avec la création d'un Ordre des architectes, après que la loi a officialisé la notion nouvelle d'« urbanisme ». Les nouvelles exigences démocratiques Ce mouvement de massification culturelle est à la fois cause et conséquence d'une tendance proprement politique qui l'accompagne et l'amplifie : l'émergence d'un mouvement ouvrier. Celui-ci radicalise le projet de la république démocratique libérale, dans lequel la solution à tous les problèmes culturels passait par l'école. Les syndicats, les partis socialistes ou communistes, les groupes anarchistes défendent souvent, dans un premier temps, l'idée d'une culture ouvrière ou prolétarienne autonome, avant de se rallier, pour la plupart, à celle d'une réappropriation populaire de la culture universelle. L'émulation entre laïques et catholiques, républicains modérés et mouvement ouvrier entraîne la multiplication des associations et des initiatives tournées vers la masse de la population, à commencer par les mouvements de jeunesse, dont les activités accompagnent la période, régulièrement prolongée, d'obligation scolaire. Les pouvoirs publics, d'abord étrangers au phénomène, vont être sollicités d'intervenir par le rôle croissant que vont jouer en leur sein les organisations ouvrières. Ainsi le gouvernement de Front populaire instaure-t-il l'obligation des congés payés pour les salariés, ce qui conduit le gouvernement à accompagner ce temps libéré par une « politique des loisirs », notion tout à fait insolite jusque-là dans une perspective libérale. Ainsi s'imposent peu à peu l'idée d'un contrôle (sanitaire, moral, pédagogique) et d'une organisation (démocratique et décentralisée) des sports et des loisirs, et sur le terrain la formule de la « maison de jeunes » ou du « centre culturel ».
Les prémices A la Libération la nouvelle conjoncture semble, à première vue, extrêmement favorable et un nouveau seuil qualitatif est, en effet, franchi. La gauche, majoritaire lors des premières consultations électorales, est porteuse d'un discours de démocratie culturelle désormais systématique. Le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celui de la Constitution de 1958, fait sa place au droit à la culture (« La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l'État »), comme le fera quelques années plus tard, la Déclaration universelle des droits de l'Homme votée par l'ONU. L'heure est plus que jamais au We/fare State (Etat du bien-être, improprement traduit par « État-Providence ») où figure désormais la dimension culturelle ; la grande nouveauté des centres dramatiques nationaux (CDN), par exemple, résidera moins dans leur caractère décentralisé que dans le principe qui fait de l'État le principal subventionneur d'une institution théâtrale locale. On comprend, dans ces conditions, que la France de la Résistance victorieuse ait généralement entériné, moyennant quelques restructurations à visée démocratique, les grandes décisions étatiques de Vichy, plus ou moins colorées de corporatisme. Ainsi maintient-on l'Ordre des architectes ou le principe de l'agrément des mouvements de jeunesse et un Centre national de la cinématographie (CNC) prend-il, de fait, la suite du service d'État du cinéma et du COIC. La force du mouvement historique de l'après-guerre est d'avoir fait converger dans la même direction un petit groupe de responsables administratifs - telle Jeanne Laurent, sous-directeur des Spectacles et de la Musique - et toute une génération de militants associatifs issus de la Résistance. « Travail et culture », proche de la CGT et, de plus en plus, du PCF, « Peuple et culture », qui cherche à tenir la balance égale entre spiritualistes et marxistes, vont fournir une part importante des cadres de réflexion et des lieux d'expérimentation des formules nouvelles, au premier rang desquelles celle d'« éducation populaire », qui cherche à élargir les acceptions traditionnelles du post et du périscolaire, trop associées encore à l'Éducation nationale, pour une recherche de l'épanouissement individuel à travers une expérience communautaire. Ainsi s'explique que cette période ait été le grand moment du rôle culturel de l'administration de la Jeunesse et des Sports, à travers le premier de ces services. Plusieurs des animateurs de la décentralisation théâtrale ont, par exemple, commencé comme instructeurs de la Jeunesse et des Sports, encadrant les « stages » associatifs. L'institution qui cristallise le mieux cette politique est la Maison des jeunes et de la culture (MJC), lancée dès l'automne 1944 sous l'égide du socialiste André Philip. Les avancées A ne considérer que les années de l'après-guerre proprement dit, et plus exactement la demi-douzaine d'années qui suivent la Libération, le bilan apparaît dès lors assez positif. Outre les MJC, la nouvelle République peut s'attribuer le mérite d'au moins deux grandes réussites sectorielles, touchant l'une et l'autre à la démocratisation culturelle : la lecture publique et le théâtre. C'est en effet à la Libération que la notion de « lecture publique » trouve sa première reconnaissance officielle avec l'autonomisation d'une direction des bibliothèques et de la lecture publique, confiée à un réformateur de 1936, Julien Gain, par ailleurs administrateur de la Bibliothèque nationale. A côté de la rénovation des bibliothèques municipales déjà installées, le principal effet porter sur l'irrigation des communes rurales par tout un réseau de « bibliobus » rattachés à une Bibliothèque centrale de prêt (BCP) d'échelle départementale - l'échelle régionale, d'abord proposée, ayant été récusée par l'Assemblée, traumatisée par le précédent vichyste. Au-delà 3es institutions, il s'agit d'abord d'une victoire décisive des bibliothécaires à la fois modernistes et démocrates sur les tenants de la conception traditionnelle du métier, plus préoccupés du livre que du lecteur. Pour les contemporains, le grand succès se situe cependant ailleurs, sur le terrain du théâtre, qui avait déjà suscité avant-guerre l'intérêt soutenu du Front populaire, premier gouvernement à subventionner des «jeunes compagnies ». Le dispositif qui se met progressivement en place entre 1946 et 1951, s'il n'a pas été théorisé a priori, est d'une grande cohérence et d'une efficacité évidente : à la base un concours de jeunes compagnies, confrontation périodique des expériences théâtrales ; au sommet le Théâtre national populaire (TNP), confié à Jean Vilar, qui assigne au théâtre un rôle de « service public », enfin, entre les deux échelons, les CDN, chargés d'une mission de popularisation du théâtre en province. Les critiques qui assailliront sur sa droite Jean Vilar, accusé de concurrence déloyale au théâtre privé et, sur le fond, de philocommunisme, tourneront bien vite court. |
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