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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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MALRAUX, UNE PENSEE MAGIQUE DE LA CULTURE


 

TEXTE PARU DANS "LE MONDE"
page "Débats"
le 23 novembre 1996.

MALRAUX,
UNE PENSEE MAGIQUE DE LA CULTURE

Si la vie de Malraux nous fascine, n'est-ce pas qu'elle semble résumer le siècle, lui imprimer l'unité d'une vie et d'une vision ? Ses engagements sur tous les fronts, sa double vie, littéraire et politique, et surtout son sens de la grandeur, épique et métaphysique, en un siècle déserté par la transcendance, nous éblouissent légitimement. Cet éclat ne devrait pas toutefois nous aveugler : Malraux n'a pas gagné tous ses combats. L'examen critique du bilan du ministre Malraux peut ainsi se révéler instructif à l'heure où l'on songe à refonder le ministère dont il fut l'inventeur.

Nommé en 1959 ministre des affaires culturelles, Malraux veut démocratiser la culture : "rendre accessibles les ouvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français". Trois idées président à sa politique culturelle. Primo : après la mort de Dieu, la transcendance réside dans les ouvres qui, seules, peuvent encore relier (religare) les hommes - l'art est un substitut du sacré. Secundo : parce qu'elles nous parlent de ce qu'il y a de plus universel et essentiel (la vie, l'amour, la mort...), les grandes ouvres nous sont immédiatement accessibles - le contact avec les ouvres est de l'ordre de la révélation. Tertio : toute médiation est inutile (éducation, initiation ou animation), il suffit de mettre le public en présence des ouvres - la politique culturelle est avant tout une politique d'équipement (1).

Dès 1959, Malraux va donc rompre tout lien avec le ministère de l'Education nationale (qui hébergeait l'ex-Secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts dont il hérite), puis avec les mouvements d'Education populaire. Entre l'art et l'école, le divorce était prononcé - pour longtemps. Il articulera sa politique autour des maisons de la culture, qu'il compare à des cathédrales, soulignant la dimension mystique de la révélation esthétique. Certes, en dix ans, Malraux entreprendra bien d'autres projets, de la protection du patrimoine au développement de la vie musicale, mais les maisons de la culture seront l'épine dorsale de sa politique.

Inventée par Malraux et reprise à quelques nuances près par tous ses successeurs (excepté Jacques Duhamel entre 1971 et 1973), cette politique culturelle fondée sur le refus de toute médiation (par exemple : pas d'enseignement artistique au collège et au lycée, ou si peu) et sur l'augmentation de l'offre (toujours plus d'équipements et d'événements), n'a jamais permis dans les faits d'élargir au "plus grand nombre possible de français" le cercle des amateurs d'art. En 1990, le rapport du ministère de la culture sur Les pratiques culturelles des Français concluait à "l'échec de la démocratisation" : sociologiquement, le public est le même qu'il y a trente ans, et le succès des grandes expositions (relevant d'ailleurs plus d'une consommation de la culture que d'une fréquentation des ouvres) n'infléchit pas la tendance. La pensée de Malraux, noble et inspirée, mais relevant plus de la pensée magique que d'une approche précise de l'action culturelle, s'est donc révélée inopérante : le contact avec les ouvres n'est pas, sauf exception, de l'ordre de la révélation, et la culture appelle pour être partagée quelques passerelles.

On dira sans doute qu'il fallait accroître l'offre ; mais rien n'interdisait d'initier aussi la demande - si ce n'était pour Malraux une trop grande confiance en la puissance intrinsèque des ouvres et une véritable hantise de la médiation, à ses yeux inconciliable avec l'amour de l'art. Arrivé douze ans après, Jack Lang n'a pas récusé l'héritage. L'éducation artistique n'a jamais fait partie de ses priorités, sauf in extremis en 1992, et sans beaucoup de moyens pour rapprocher deux administrations qui ne se parlaient plus depuis trente ans. Tenant d'une conception spontanéiste de la création (la culture par tous, immédiatement) comme de sa réception (la culture pour tous, sans délai), Jack Lang préféra la médiatisation, plus rentable politiquement, à la médiation, supposant plus de temps. Il contribua ainsi à faire de la culture un objet virtuel, un signe valant d'abord par sa visibilité sociale, plus qu'une réalité intérieure vivante et tangible pour un plus grand nombre.

 

Il fallut attendre les essais de Marc Fumaroli et Michel Schneider (2) pour que l'on interroge enfin la cohérence et l'efficacité de la politique culturelle française. Mais leurs livres, qui se retrouvaient sur l'idée simple que la formation est l'unique moyen de réduire les inégalités d'accès à la culture, auront sans doute suscité plus de polémiques que de débats argumentés - comme si la politique culturelle devait rester une politique d'exception, protégée de la critique et de l'évaluation. Ils avaient pourtant l'intérêt de rappeler, chacun à leur manière, que l'art n'est pas une réponse à un besoin, mais l'appel d'un désir, et que si le besoin peut être aisément comblé, par une augmentation de l'offre, le désir ne peut qu'être suscité. Dès lors, seule l'initiation, par la découverte de la puissance des ouvres et leur fréquentation informée, semble à même d'éveiller une curiosité qui, un jour peut-être, deviendra désir durable.

Après l'obsession budgétaire du 1%, devenu depuis quelques années l'unique horizon de la profession et des politiques, le rapport de la commission de refondation de la politique culturelle, remis il y a quelques jours au ministre de la culture, va peut-être ouvrir le débat sur la question des finalités, et avant tout sur celle, essentielle, de l'élargissement du public. Pour y parvenir, le rapport propose de "faire pour l'éducation artistique et culturelle ce que Jules Ferry a fait pour l'instruction" - précisément ce que Malraux a toujours refusé, condamnant ainsi la démocratisation à l'échec.

Pascal Le Brun-Cordier

(1) Cf. Philippe Urfalino, L'Invention de la politique culturelle, La Documentation Française, 1996.
(2) L'Etat culturel, De Fallois, 1991 ; La Comédie de la culture, Seuil, 1993.