LOGIN: 
   PASSWORD: 
                       accès étudiants

 

 
          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
| cours | | | | |
|
f

chercher

économie du cinéma
politiques de l'audiovisuel
exploitation-programmation
histoire du cinéma
théorie du cinéma
analyse de film
le cinéma de genre
économie de la culture
art, société & politique
politiques culturelles
institutions culturelles
projet professionnel

l'Europe de la culture
les médias européens
sociologie des médias
   
  liste complète des cours
   
Recherche
programme de recherche
expertises scientifiques
Commission Européenne
   
Publications
ouvrages
chapitres d'ouvrages
articles de revues
colloques & conférences
entretiens
   
Direction de recherches
choix du sujet
choix du directeur
travaux en ligne
consignes de rédaction
stages
   
   
   
espace réservé
  ads1
   
Traductions
 
 

LE CINEMA ET LE SURREALISME


"Au lieu d'expliquer les images, on ferait mieux de les accepter comme elles sont."
Buñuel  ( Il est interdit de se pencher au-dedans )

 

Luis Buñuel : L'Âge d'or, 1930
© Collection Musée national d'art moderne, Centre Pompidou

 

Très tôt le cinéma a fasciné André Breton et ses amis. Si la musique a toujours laissé indifférents les membres du groupe surréaliste, si la peinture s'est imposée presque tardivement, le cinéma s'est trouvé, avant même que le groupe ne soit constitué, l'objet d'un culte fervent.

Le dandysme de l'anti-culture
Par sa violence, Fantômas (1913-1914), le film à épisodes de Louis Feuillade avait enthousiasmé les poètes et les peintres: Max Jacob, Picasso, André Breton, Aragon et Apollinaire, pour qui le cinéma était l'art populaire par excellence. À ce premier grand feuilleton succéda, en 1915-1916, Les Vampires dont le titre de chaque épisode était un pur enchantement pour les futurs surréalistes: La Tête coupée , La Bague qui tue , Les Yeux qui fascinent , Le Maître de la foudre ... Il ne faut voir là aucune démarche culturelle, ou cinéphile avant la lettre. Les jeunes surréalistes ignoraient très certainement le nom de Feuillade ou ne lui accordaient aucun prix. C'est l'héroïne qui les ensorcelle: Irma Vep, anagramme de "vampire", interprétée par l'actrice Musidora dont le corps moulé de noir exacerbait les rêves du spectateur. André Breton lui lance, un soir de juillet 1917, un énorme bouquet de roses rouges sur la scène de Bobino où elle vient de jouer dans une pièce au titre de circonstance: Maillot noir  ! et, pour Philippe Soupault, Musidora et Fantômas incarnaient les grands élans de la révolte et de l'amour fou. Musidora n'est pas sans rivale: l'Américaine Pearl White, l'héroïne des Mystères de New York (1915, Louis Gasnier), lui disputait la place dans le cour des surréalistes. Nous sommes en plein cinéma populaire, avec son dosage coutumier de mystère, de violence et d'érotisme.

Il est vrai qu'à l'époque le cinéma n'était encore qu'un divertissement forain, malgré quelques tentatives assez emphatiques pour lui donner des lettres de noblesse à grand renfort d'acteurs de prestige et de scénaristes académiciens. Dans les milieux cultivés, un sourire condescendant était de rigueur lorsqu'on parlait de ce qui ne s'appelait pas encore le septième art. C'est précisément en grande partie ce qui séduisait les jeunes surréalistes qui affichaient un dandysme certain de l'anti-culture.

Du mouvement Dada, les surréalistes ont gardé le refus de l'art sérieux. Ils accordent aussi peu d'intérêt aux tentatives avant-gardistes de Jean Epstein qu'à celles, très culturelles, de Marcel L'Herbier qui cherchent à hausser l'art du cinéma au rang de grand art. Ils n'ont guère plus d'attention pour les essais de "cinéma pur" ou abstrait, venus de plasticiens pourtant assez proches d'eux comme Marcel Duchamp, Fernand Léger ou, en Allemagne, Hans Richter et Viking Eggeling.

"Une salle où l'on donnait ce que l'on donnait"
Ce n'est d'ailleurs pas tant le cinéma que le fait d'"aller au cinéma" qui les électrise. Les témoignages, nombreux et sans équivoque, montrent peu d'intérêt sinon aucun pour les films eux-mêmes, qui ne sont en aucun cas envisagés comme des ouvres. Dans Nadja , Breton exhume d'un oubli sans doute plus que mérité le très obscur feuilleton L'Étreinte de la pieuvre : "Ce film, de beaucoup celui qui m'a le plus frappé". Et ce même Breton raconte: "Quand j'avais "l'âge du cinéma" [.], je ne commençais pas par consulter le programme de la semaine pour savoir quel film avait la chance d'être le meilleur et pas davantage je ne m'informais de l'heure à laquelle tel film commençait. Je m'entendais très spécialement avec Jacques Vaché pour n'apprécier rien tant que l'irruption dans une salle où l'on donnait ce que l'on donnait, où l'on en était n'importe où et d'où nous descendions à la première approche d'ennui - de satiété - pour nous porter précipitamment vers une autre salle où nous nous comportions de même. Je n'ai jamais rien connu de plus magnétisant : il va sans dire que le plus souvent nous quittions nos fauteuils sans même savoir le titre du film, qui ne nous importait d'aucune manière. L'important est qu'on sortait de là "chargé" pour quelques jours." [1]

Le pouvoir magique du cinéma tient à ce que les surréalistes s'engouffrent dans une salle obscure, au hasard, comme on plonge la nuit dans ses rêves, sans savoir lesquels vont naître dans notre conscience endormie. Avec un brin de cynisme, Man Ray ne cache pas sa propre "méthode" quant au choix des films: "Je vais au cinéma sans choisir les programmes, sans même regarder les affiches. Je vais dans les salles qui ont des fauteuils confortables." [2]

Les scénarios écrits à l'époque par Benjamin Péret, Robert Desnos ou Philippe Soupault traduisent bien (à leurs seuls titres déjà: Les Mystères du métropolitain , Y a des punaises dans le rôti de porc , Minuit à quatorze heures, Pulchérie veut une auto ) un goût militant pour le cinéma le plus populaire, souvent héritier des courses-poursuites à la Mack Sennett. Le débraillé de la composition reflète assez bien cette méthode qui consistait à entrer et sortir d'un film sans crier gare. Il est très vrai aussi que viendra, mais plus tard, un engouement unanime pour des films plus sérieux: Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein et Nosferatu de Murnau, ressorti en 1928, dont le carton: "Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre" enchantera durablement les surréalistes, avant que n'apparaisse Louise Brooks dans Loulou de Pabst.

Si "aller au cinéma" compte davantage que le film projeté, simple facteur pour déclencher le rêve, les surréalistes sacralisent cette opération. Robert Desnos parle d'une "obscurité bénie, propre aux illusions". Et pour Breton: "il y a une manière d'aller au cinéma comme d'autres vont à l'église et je pense que sous un certain angle, tout à fait indépendamment de ce qui s'y donne, c'est là que se célèbre le seul mystère absolument moderne." [3]

 

UN CHIEN ANDALOU (1929)

Le jeune Luis Buñuel, l'auteur d' Un chien andalou, n'est pas un surréaliste; du moins ne l'est-il pas encore au moment où il tourne et présente son film. "À vrai dire, dans les premiers temps, le surréalisme m'intéressait assez peu" devait-il écrire plus tard. [4]

Luis Buñuel est venu en France en 1925 pour faire du cinéma. Il a été assistant de Louis Delluc pour Mauprat et La Chute de la maison Usher , film phare de cette avant-garde que n'apprécient guère les surréalistes et il peut, grâce à l'argent de sa mère, financer un film de court métrage.

Un chien andalou est né fortuitement d'une conversation à bâtons rompus entre deux amis. Luis Buñuel était pour quelques jours à Cadaquès l'invité de Salvador Dalí au moment des fêtes de Noël, en 1928. Ces deux très grands noms de l'art au XXe siècle étaient encore deux parfaits inconnus, dont l'amitié remontait au temps de leurs études à Madrid. Buñuel a ainsi raconté cet épisode: "Dalí me dit: Moi, cette nuit, j'ai rêvé que des fourmis pullulaient dans ma main . Et moi: Eh bien ! Moi, j'ai rêvé qu'on tranchait l'oil de quelqu'un ". [5] L'idée d' Un chien andalou était née. Le scénario fut écrit en six jours, le temps des vacances selon un procédé que Buñuel fait revivre ainsi: "Par exemple, la femme s'empare d'une raquette de tennis pour se défendre de l'homme qui veut l'attaquer; celui-ci regarde alors autour de lui cherchant quelque chose et (je parle avec Dalí): Qu'est-ce qu'il voit ? - Un crapaud qui vole. - Mauvais ! - Une bouteille de cognac. - Mauvais ! - Bon, je vois deux cordes. - Bien, mais qu'est-ce qu'il y a derrière ces cordes ? - Le type les tire et tombe parce qu'il traîne quelque chose de très lourd. - Ah, c'est bien qu'il tombe. - Sur les cordes, il y a deux gros potirons séchés. - Quoi d'autre ? - Deux frères maristes. -Et ensuite ? - Un canon. - Mauvais; il faudrait un fauteuil de luxe. - Non, un piano à queue. - Très bon, et sur le piano, un âne. non, deux ânes putréfiés. [6] - Magnifique ! C'est-à-dire que nous faisions surgir des images irrationnelles, sans aucune explication. [7]

Ce montage de rêves enchaînés, sans aucune intervention de la volonté des deux scénaristes, ouvre au cinéma les portes du surréalisme. "Dali et moi, en travaillant sur le scénario d' Un chien andalou , nous pratiquions une sorte d'écriture automatique, nous étions surréalistes sans l'étiquette." [8] Buñuel repartit à Paris avec son scénario, et c'est à Paris, mais au Havre également pour la séquence au bord de la mer, qu'eut lieu le tournage en une quinzaine de jours au mois de mars 1929.

Buñuel et le groupe surréaliste
Buñuel ne connaissait pas directement les surréalistes à cette époque. Les textes et provocations de Benjamin Péret le faisaient beaucoup rire et il avait entendu parler des scandales provoqués assez régulièrement par le groupe. Pour ce qui est du cinéma, il avait peu apprécié L'Étoile de mer de Man Ray et, en revanche, avait aimé La Coquille et le clergyman de Germaine Dulac, film contre lequel les surréalistes avaient provoqué un chahut mémorable.

La rencontre entre Buñuel et le groupe de Breton se fit à la fin du mois de juin 1929 par l'intermédiaire de Fernand Léger qui le présenta à Man Ray. Celui-ci cherchait un complément de programme pour son propre film Le Mystère du château de Dé , commandité par le vicomte et la vicomtesse de Noailles sur la maison qu'ils venaient de faire construire à Hyères selon les plans de Robert Mallet-Stevens. Un chien andalou , qui passait déjà depuis le 6 juin au Studio des Ursulines, pouvait faire l'affaire. Comme on avait parlé de surréalisme à son sujet, cela avait éveillé la suspicion de Breton et de ses amis, toujours sourcilleux quant à l'attribution de l'adjectif "surréaliste" sans leur autorisation expresse. Et c'est dans un climat de franche défiance réciproque que les surréalistes se rendirent à une projection du film et que Buñuel le leur présenta, car il avait en mémoire l'accueil réservé quelques mois plus tôt à La Coquille et le clergyman . Pendant la projection, le réalisateur se tint derrière l'écran afin de sonoriser le film (nous sommes encore à l'époque du cinéma muet) à l'aide de disques, faisant alterner paso-dobles et extraits du Tristan de Wagner. Buñuel raconte qu'il avait pris soin de remplir ses poches de cailloux afin de les jeter sur les surréalistes s'ils réservaient un mauvais accueil à son film. Mais la réaction fut unanime et enthousiaste: Buñuel devint immédiatement le cinéaste "officiel" du groupe.

Un succès inacceptable
Le film plut bien au-delà du cercle d'influence surréaliste. Il fut projeté, à partir du 1 er octobre 1929, huit mois durant au Studio 28, occasionnant des évanouissements, des avortements et trente (ou quarante, ou cinquante selon les versions) dénonciations au commissariat ! Le scandale n'était pas pour déplaire aux surréalistes, loin de là; ils le cultivaient comme une arme privilégiée mais le succès n'était pas du tout de leur goût. Buñuel et Dalí signèrent une note de protestation assez surprenante dans la revue Mirador du 29 octobre 1929: " Un chien andalou a eu un succès sans précédent à Paris; ce qui nous soulève d'indignation comme n'importe quel autre succès public. Mais nous pensons que le public qui a applaudi Un chien andalou est un public abruti par les revues et "divulgations" d'avant-garde, qui applaudit par snobisme tout ce qui semble nouveau et bizarre. Ce public n'a pas compris le fond moral du film, qui est dirigé directement contre lui avec une violence et une cruauté totales."

C'est exactement le même état d'esprit qui animait alors André Breton écrivant en lettres majuscules dans le Second Manifeste du surréalisme (1930): " Je demande l'occultation profonde, véritable du surrealisme ".

 

LE SURREALISME

Un chien andalou et L'Âge d'or comptent ainsi au nombre, très petit nombre, de films surréalistes. [15] Et peut-être même sont-ils les seuls, car les seuls à avoir reçu la pleine et entière approbation du groupe. Le surréalisme au cinéma doit donc en priorité s'observer à partir d'eux et, pour ce faire, il convient de voir comment les trois techniques de création chères aux surréalistes, l'écriture automatique, le cadavre exquis et le collage, ont pu trouver leur expression dans le cinéma.

L'écriture automatique est la pierre de touche du surréalisme. Mais un réalisateur n'est pas, à l'inverse d'un écrivain ou un peintre, seul face à son ouvre, dans un contact étroit et immédiat qui permet à l'inconscient de s'exprimer. Dans la majorité des cas, la réalisation d'un film exige un appareillage, une technique et un travail d'équipe. Au cours du processus de fabrication, un film passe par différents moments: écriture, tournage, montage. L'improvisation, qui ne peut concerner qu'une part de ces différentes phases, ne saurait en rien être assimilée à l'écriture automatique. Peut-être celle-ci n'est-elle tout simplement pas concevable au cinéma.

Toutefois, dans le cas d' Un chien andalou (et il n'en est pas de même pour L'Âge d'or ), retenons que l'écriture du scénario a, pour l'essentiel, fait appel à une sorte d'écriture automatique à deux, comme d'ailleurs l'avait été Les Champs magnétiques , le premier opus surréaliste, signé André Breton et Philippe Soupault. "Nous travaillions en accueillant les premières images qui nous venaient à l'esprit et nous rejetions systématiquement tout ce qui pouvait venir de la culture ou de l'éducation. Il fallait que ce soient des images qui nous surprennent et qui soient acceptées par tous les deux sans discussion", [16] raconte Buñuel. Ces premières images qui venaient à l'esprit relèvent parfaitement des expériences que menaient à la même époque de leur côté les surréalistes. Mais une fois passée cette phase de l'écriture du scénario, tout de la rédaction, du découpage au tournage lui-même, tout a été planifié, l'image n'ayant d'autre mission que de garder sur pellicule la poésie née dans l'écriture.

L'Âge d'or est un film trop conscient de sa démarche et de ses intentions pour qu'on puisse parler à son sujet d'écriture automatique même si nombre d'images, d'idées ou de séquences peuvent en relever. L'ampleur du développement, le propos iconoclaste et la portée sociale revendiquée obligent son auteur à suivre une ligne qui n'était pas de mise dans le premier film, à cet égard bien plus libre de conception.

Le cadavre exquis
L'idéal du groupe surréaliste était de mettre le génie en commun. L'ouvre naîtrait ainsi de la rencontre fortuite d'individualités très différentes. Le jeu du "cadavre exquis" était un moyen pour obtenir des rapprochements inattendus et faire sortir l'émerveillement de la réalité quotidienne. Il y eut des "cadavre exquis" composés avec des mots, d'autres avec des dessins. Eluard raconte dans Donner à voir: "Nous nous sommes souvent et volontiers mis à plusieurs pour assembler des mots ou pour dessiner par fragments un personnage. Que de soirs passés à créer avec amour tout un peuple de cadavres exquis. C'était à qui trouverait plus de charme, plus d'unité, plus d'audace à cette poésie déterminée collectivement. Plus aucun souci, plus aucun souvenir de la misère, de l'ennui, de l'habitude. Nous jouions avec les images et il n'y avait pas de perdants". Au cinéma, cela aurait supposé différents réalisateurs et une grande complexité de production et de réalisation.

Mais ne peut-on pas voir une composition à la manière des "cadavre exquis" dans la façon dont s'enchaînent les différentes histoires de L'Âge d'or , où l'on bascule d'une séquence à l'autre sur un détail: par exemple, les plumes de l'oreiller éventré par l'amant se transformant en neige du décor de la dernière séquence ? Le film serait ainsi à l'image d'un immense "cadavre exquis", au cours duquel se succèdent six séquences n'ayant rien en commun sinon un détail qui permet l'enchaînement.

Le collage
En peinture, la technique du collage, qui consiste à prendre des éléments d'images préexistants et, en les assemblant, faire naître une nouvelle image libérée de toute contrainte, a trouvé un développement extraordinaire grâce à Max Ernst. D'une certaine façon, tout relève nécessairement du collage au cinéma. Dès que l'on monte deux plans, l'un après l'autre, on procède à un collage, de même dès que l'on adjoint une bande-son à une bande-image. Si la chronologie légitime la succession de deux plans et la vraisemblance l'assemblage d'un son et d'une image, rien ne vient surprendre; et l'on ne saurait parler de collage. Il en est tout autrement si le montage des éléments manifeste la même charge poétique que la fameuse rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table d'opération. Buñuel procède, dans ses deux films, à plusieurs types de collage:

Image / image: un nuage effilé s'approchant d'une lune pleine + une lame de rasoir s'approchant d'un oil. ( Un chien andalou )

Image / image / son: un cycliste + des vêtements de poupée + le Tristan de Wagner. ( Un chien andalou )

Image / son: deux amants dans un parc + en voix off, un dialogue entre ces mêmes amants (la voix de l'homme n'est pas celle de l'acteur mais du poète Paul Éluard). ( L'Âge d'or )

Texte / image: carton "Parfois le dimanche" + façade d'immeuble qui s'écroule. ( L'Âge d'or )

On voit bien que le réalisateur a dégagé les possibilités qu'offrait le montage cinématographique dans un esprit surréaliste pour offrir de nouvelles associations poétiques et fuir l'esprit de sérieux. Par cette exploration, il a d'ailleurs été le premier à utiliser ce qui deviendra une convention très répandue, par la suite, de la "voix de la pensée".

On peut voir une autre application du principe de collage dans L'Âge d'or , avec le recours du réalisateur à un matériau pré-existant, les images d'un documentaire sur les scorpions, et des bandes d'actualité lors de l'évocation de la Rome éternelle puis à l'occasion de la conversation téléphonique entre l'amant et le ministre de l'intérieur. Dans tous ces cas, le collage convoque l'irrationnel et suscite la rencontre incongrue de réalités fort éloignées les unes des autres.

 

UNE SITUATION PARADOXALE

Le surréalisme est un des mouvements esthétiques qui ont marqué le plus profondément le XXe siècle. On peut s'étonner, vu l'importance considérable prise par le cinéma dans ce mouvement, qu'il ait donné si peu d'ouvres .

Il est surprenant que, dans l'histoire du cinéma, on ne trouve pas avec le surréalisme l'équivalent, en abondance et en qualité, des ouvres expressionnistes ou néoréalistes.

Il y a peut-être une piste pour expliquer ce phénomène dans le fait que Breton et ses amis ont aimé le cinéma mais qu'ils l'ont aimé avant tout en tant que spectateurs. Il était impensable de tourner les scénarios qu'ils avaient écrits et ils n'y songeaient vraisemblablement pas. Le cinéma a été pour eux un stimulant plus qu'un moyen d'expression artistique. L'enthousiasme qu'a provoqué parmi eux un film américain très académique comme Peter Ibbetson (1935) d'Henry Hathaway le montre assez et l'exaltation de films le plus souvent médiocres, voire franchement stupides, à laquelle ils se sont livrés ne pouvait aller sans un certain mépris pour le cinéma.

Seul Buñuel a su penser surréalisme en termes de cinéma et le cinéma selon les procédés et les buts surréalistes. Sa puissance créatrice lui a permis de donner des images dont la force atteint celles des poètes et des peintres. Il a su par le cinéma accéder aux profondeurs de l'être et faire de ses deux films "cet appel à l'irrationnel, à l'obscurité, à toutes les impulsions qui viennent de notre moi profond". [17]

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Luis Buñuel
- Mon dernier soupir , Ramsay Poche Cinéma, 1986.
- Entretiens avec Max Aub, Belfond, 1991.
- L'Âge d'or, correspondance Luis Buñuel - Charles de Noailles , les Cahiers du Musée national d'art moderne, Hors série / Archives, 1993.
- Tomas Pérez Turrent et José de la Colina, Conversations avec Luis Buñuel - Il est interdit de se pencher au-dedans,   Ed. Cahiers du cinéma, 1993.

Sur Buñuel
- Un chien andalou, L'Âge d'or, L'Ange exterminateur, L'Avant-scène cinéma, 1963.
- Spécial Buñuel: L'Âge d'or, filmographie, écrits, L'Avant-scène cinéma, 1983.
- Ado Kyrou, Le surréalisme au cinéma , Ramsay Poche Cinéma, 1985.
- Odette et Alain Virmaux, Les surréalistes et le cinéma , Seghers, 1976.
- Claude Murcia, Un chien andalou, L'Âge d'or, coll. Synopsis, Nathan, 1998.
- André Breton, Manifestes du surréalisme , Folio Essais 1985.

Liens
- Un chien andalou , 1929, Luis Buñuel et Salvador Dali
http://www.tcf.ua.edu/classes/Jbutler/T340/SurrealismUnChienAndalou1.htm
http://www.wayney.pwp.blueyonder.co.uk/uca.htm

- Luis Buñuel
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/ma/ma_2682_p0.html

 

Notes

[1] Comme dans un bois in L'Âge du cinéma , numéro spécial - août / novembre 1951 .

[2] Surréalisme et cinéma in Études cinématographiques , 1965.

[3] Comme dans un bois in L'Âge du cinéma , numéro spécial - août / novembre 1951 .

[4] Mon dernier soupir , Luis Buñuel - Ramsay Poche Cinéma, 1986, p.104.

[5] Conversations avec Luis Buñuel, Tomas Pérez Turrent et José de la Colina - Ed. Cahiers du cinéma, 1993, p. 30.

[6] On reconnaîtra dans ces images de fourmis, de pianos et d'ânes putréfiés des éléments qui composent les toiles de Dali à l'époque: L'Âne pourri (1928), Guillaume Tell (1930), Hallucination partielle (1931), trois ouvres qui font partie des collections du Musée national d'art moderne.

[7] Conversations avec Luis Buñuel, Tomas Pérez Turrent et José de la Colina - Ed. Cahiers du cinéma, 1993, p. 30-31.

[8] Mon dernier soupir , Luis Buñuel - Ramsay Poche Cinéma, 1986, p.127.

[9] Revue-programme du Studio 28, reproduit en fac-similé dans L'Âge d'or, correspondance Luis Buñuel - Charles de Noailles - Les Cahiers du Musée national d'art moderne, 1993.

[10] Conversations avec Luis Buñuel, Tomas Pérez Turrent et José de la Colina - Ed. Cahiers du cinéma, 1993, p. 36.

[11] Mon dernier soupir , Luis Buñuel - Ramsay Poche Cinéma, 1986, p.39.

[12] Revue-programme du Studio 28, reproduit en fac-similé dans L'Âge d'or, correspondance Luis Buñuel - Charles de Noailles - Les Cahiers du Musée national d'art moderne, 1993.

[13] L'Âge d'or, correspondance Luis Buñuel - Charles de Noailles - Les Cahiers du Musée national d'art moderne, 1993, p. 108.

[14] Las Hurdes , tourné après Un chien andalou et L'Âge d'or , peut difficilement être vu comme un film surréaliste en dépit des propos de son réalisateur: "Les deux premiers relèvent de l'imagination, l'autre est pris dans la réalité, mais moi je me sentais dans le même état d'esprit." Conversations avec Luis Buñuel, Tomas Pérez Turrent et José de la Colina - Ed. Cahiers du cinéma, 1993, p. 50.

[15] À signaler toutefois le très curieux Dreams That Money Can Buy ( Rêves à vendre ) réalisé par Hans Richter en 1947 à partir de séquences conçues par Max Ernst, Man Ray, Fernand Léger, Calder.

[16] Conversations avec Luis Buñuel, Tomas Pérez Turrent et José de la Colina - Ed. Cahiers du cinéma, 1993, p. 31.

[17] Mon dernier soupir , Luis Buñuel - Ramsay Poche Cinéma, 1986, p.149.

 

© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, janvier 2004
Texte: Jacques Parsi, professeur relais de l'Education nationale à la DAEP
Maquette: Michel Fernandez
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education   rubrique 'Dossiers pédagogiques'
Coordination: Marie-José Rodriguez