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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Les débuts de la critique de cinéma : les revues des années 20




Le Cinéma passé en revues

Par Christophe Gauthier,
chercheur associé de l'Institut d'Histoire du Temps Présent (IHTP) et chargé de cours à l'Université Paris I
17/10/2002

Version électronique du texte écrit pour le document d'accompagnement de l'exposition "Le cinéma passé en revues (1926-1927) - Informer ou promouvoir ?" organisée à la BiFi, du 11 octobre 2002 au 31 janvier 2003.




SOMMAIRE





Petite histoire de la presse spécialisée


Des origines à la fin des années dix

En 1903, le titre de la première revue consacrée au cinématographe, Le Fascinateur, indique clairement quelles angoisses les « images mouvantes » avaient suscité chez les moralistes de la Bonne Presse catholique, champions intransigeants de la vertu, qui en furent les instigateurs. Il n’empêche, Le Fascinateur, puis Phono-Ciné (en avril 1905, devenu Phono-Ciné-Gazette en octobre de la même année), Ciné-Journal (en 1908), Le Courrier cinématographique (en 1911), L’Écho du cinéma devenu Le Cinéma et l’Écho du cinéma réunis (en 1912) font naître une presse d’un type nouveau qui, non contente de se vouer aux images animées, n’a de cesse de s’attirer la bienveillance d’une profession en plein essor : tourneurs(1), producteurs, distributeurs, exploitants en constituent la cible de prédilection. Composées d’annonces, de portraits d’artistes, de réflexions diverses sur l’évolution de l’économie et bientôt de l’art cinématographique, ces revues, dont le nombre s’accroît dans les années dix, se heurtent à un relatif encombrement du marché. Incapables de renouveler leur lectorat, soumises à la concurrence de la grande presse qui, en 1913-1914, ouvre ses colonnes à de régulières chroniques cinématographiques, elles sont, pour la plupart, balayées par la guerre.

C’est alors que survient Le Film qui prend le parti de s’adresser non plus à la corporation cinématographique, mais bien au public. Repris par Henri Diamant-Berger en février 1916 après une éphémère parution au printemps 1914, ce titre entreprend de se consacrer à un exercice encore neuf qui témoigne d’une ferme volonté de légitimation du cinéma comme art : la critique cinématographique.
S’y côtoient Colette, Abel Gance, Jacques Feyder, Jacques de Baroncelli, Léon Moussinac, Louis Aragon, et surtout Louis Delluc qui accède à la rédaction en chef en juillet 1917. La revue, d’aspect luxueux, imprimée sur papier couché, agrémentée d’illustrations en couleurs et de photographies, est résolument destinée à un lectorat parisien et bourgeois que l’on se charge de convaincre des qualités artistiques du cinématographe à une époque où l’expression « septième art » n’a cours que dans quelques étroits cénacles.

Louis Delluc quitte Le Film à l’automne 1918 ; il nourrit l’espoir de créer une revue financée par les annonces cinématographiques, mais qui préserverait son indépendance grâce à un lectorat élargi. Il souhaite s’inspirer de Vogue, « qui est devenue en fait la chronique théâtrale, artistique et mondaine de Londres, en même temps que de New York et de Paris(2) ». En tablant sur un tirage de 10 000 exemplaires, Delluc croit pouvoir fixer le prix de vente au numéro à 2,50 FF, pour une centaine de pages dont les deux tiers seraient dévolus à la publicité, et dans lesquelles la photographie doit occuper une place de tout premier plan. Malgré toutes leurs qualités (publication régulière des programmes des salles parisiennes, organisation de concours de scénarios et d’affiches, invitations à des séances de « ciné-club », conférences accompagnées de projections sur l’art cinématographique), ni Le Journal du ciné-club en janvier 1920, ni Cinéa en mars 1921, les deux titres fondés par Delluc, ne seront à la hauteur de telles ambitions.

Les années 1917 à 1921 n’en furent pas moins décisives, car elles virent la naissance de plus d’une dizaine de titres spécialisés. Le Tout-Cinéma : annuaire général illustré du monde cinématographique, dont la première édition datée de 1922 paraît fin 1921, recense 23 « journaux et revues cinématographiques ». Ils se répartissent en deux grandes catégories, les organes corporatifs (La Cinématographie française créée en 1918 et dirigée par Paul de la Borie, Hebdo-Film en 1916 avec André de Reusse, Le Cinéopse en 1919 avec G.-M. Coissac ou encore Le Courrier cinématographique fondé par Charles Le Fraper en 1917) et les périodiques destinés au public (outre Cinéa et Le Film déjà cités, mentionnons Cinémagazine de Jean Pascal et Adrien Maître à partir de 1921, et Ciné pour tous créé par Pierre Henry en 1919). Quant à la Gazette des sept arts de Ricciotto Canudo, dont la contribution au débat sur le statut artistique du cinéma est essentielle, sa première livraison date du 15 décembre 1922. Le nombre des revues spécialisées, globalement stable jusqu’au milieu de la décennie, ne cesse de croître par la suite pour atteindre 35 à Paris et 14 en province fin 1927 d’après le Tout-Cinéma (édition 1928). Encore ces chiffres ne prennent-ils pas en considération les quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, dotés d’une rubrique cinématographique que le Tout-Cinéma évalue à 25 en 1922. Après les signes avant-coureurs des années 1900-1910, la dernière décennie du muet correspond bien à l’essor d’un discours journalistique où s’affrontent contraintes industrielles et nécessité critique. Nous y reviendrons.



Les années vingt

La survie des plus « cinéphiles » de ces revues(3) s’avère toutefois difficile. Entreprises fragiles, soucieuses de fidéliser leurs lecteurs en créant des associations amicales ou de soutien du film français visant à leur attribuer quelques avantages (conférences gratuites, visites de studios, projections « privées », etc.), les journaux spécialisés ont connu des fortunes diverses, allant de la disparition pure et simple (Le Journal du ciné-club, la Gazette des sept arts) à la fusion avec un autre organe de presse (Cinéa et Ciné pour tous en 1923, par exemple). De fait, les seules revues cinématographiques à connaître une relative stabilité financière sont les corporatifs. Bruno Quattrone estime leur tirage à 2 000 exemplaires(4) (à titre de comparaison, le tirage du Film variait entre 1 000 et 1 500 exemplaires).

Très vite, de nouveaux périodiques attirent massivement un public habitué des salles et proche de ce que l’on appellera plus tard « le cinéma du samedi soir ». Reprenant à leur compte la tradition du feuilleton populaire publié au plancher des grands quotidiens du XIXe siècle, Le Film complet (en novembre 1922) ou plus tard La Petite Illustration cinématographique, issue de la revue L’Illustration, se spécialisent dans la production de « ciné-romans », dont la parution est liée à la sortie du film. D’abord bihebdomadaire, Le Film complet devient trihebdomadaire en 1927, preuve de son immense popularité. La même année que ce dernier, le groupe de presse Offenstadt, qui en est le propriétaire, lance Mon Ciné où (comme dans Cinémagazine, d’ailleurs) les « films racontés » occupent une place non négligeable.

Autre exemple, Ciné-Miroir est lancé le 1er mai 1922 par Jean Dupuy, directeur du Petit Parisien, quotidien du consortium de Jean Sapène dont la puissance s’étend du Matin à la Société des Cinéromans. L’hebdomadaire s’adresse ouvertement à un public familial et les pages en sont rythmées d’interviews, de portraits de vedettes et des inévitables films racontés. Leur seul coût n’explique pas le succès de ces titres (Ciné-Miroir vaut 60 centimes en 1926, Le Film complet 30 centimes en 1927), et comme l’écrit Alain Carou, ils témoignent, par ailleurs, « d’une mise en page moderne et inventive, qui valorise à l’extrême l’illustration photographique et, dans l’image, les corps en action(5) ».

Nul besoin de préciser que la critique cinématographique est bannie de ce genre de publications où l’on se contente de célébrer la production française de l’époque, tant est grande la proximité entre ces organes de presse et une partie de l’industrie cinématographique. Il en est de même pour la presse corporative, dont les enjeux économiques sont travestis en déclarations patriotiques avec un unique mot d’ordre : le cinéma français doit retrouver son lustre d’avant-guerre.




Sujétion et indépendance : les relations conflictuelles entre le cinéma et la presse


Une presse au service de la production française

Après 1918, le cinéma français a définitivement perdu sa prééminence sur la production mondiale, au profit des films américains dont le surgissement sur les écrans de l’hexagone fut une révélation pour nombre de jeunes cinéphiles. Colette la première, puis Blaise Cendrars ou Louis Delluc entrent alors en cinéma comme on entre en religion, grâce à la découverte des Chaplin, des Griffith et surtout de Forfaiture de Cecil B. De Mille (sorti en France en 1916). Pourtant, la suprématie absolue du cinéma américain est progressivement battue en brèche par la production allemande. Le tournant se situe très exactement entre 1926 et 1927, la part des films allemands sur le marché français passant de 5,7 % à 15,7 %, derrière les films américains(6), certes, mais distançant pour la première fois le cinéma français. Quant à la production nationale à proprement parler, elle oscille globalement entre 80 et 90 films par an entre 1924 et 1928, avec une exception pour l’année 1927 où elle n’excède pas les 59 titres. Les organes corporatifs se font l’écho de cette faiblesse du cinéma français, sous forme d’une longue déploration où l’on fustige la crise endémique des structures de production et de distribution du pays, caractérisées par une grande dispersion.

Face à cette situation, il est d’usage d’insister sur l’inventivité dont firent preuve les cinéastes français (Louis Delluc, Jean Epstein, Abel Gance, Marcel L’Herbier, René Clair et d’autres encore) en cette ultime décennie du cinéma muet qui fut aussi celle des avant-gardes. À quelques exceptions près toutefois (Napoléon d’Abel Gance en 1927 ou Un chapeau de paille d’Italie de René Clair en 1928), leurs films ne rencontrèrent qu’un écho limité. Pour autant qu’on puisse en juger en l’absence de statistiques de fréquentation, les grands succès de la décennie, tout en s’en inspirant parfois, n’empruntent que d’assez loin à la syntaxe de l’avant-garde.
Il s’agit, pour la plupart, soit de films à épisodes (Les Deux Gamines, Louis Feuillade, 1921 ; Les Trois Mousquetaires, Henri Diamant-Berger, 1921 également ; Les Misérables, Henri Fescourt, 1925 ; Le Juif errant, Luitz-Morat, 1926), soit de « films de prestige » – drames historiques ou récits puisés au fonds de la littérature du siècle précédent – (Le Miracle des loups, Raymond Bernard, 1924 ; Salammbô, Pierre Marodon, 1925 ; Verdun, visions d’histoire, Léon Poirier, 1928).
La presse corporative défend avec d’autant plus de vigueur ces fresques nationales produites ou distribuées par les plus grandes maisons (en particulier la Société des Cinéromans dirigée par Jean Sapène assisté de Louis Nalpas) qu’elle dépend étroitement des ressources publicitaires destinées à leur lancement. Dans ces conditions, on comprend que l’exercice de la critique, promu par Diamant-Berger comme par Delluc, s'avère bien difficile. Au début de la décennie, Le Film, malgré un apport initial de Diamant-Berger, était essentiellement financé par la publicité qui occupait jusqu’à 80 % de sa surface rédactionnelle. Cette constante de la presse cinématographique des années vingt se retrouve aussi bien dans les périodiques se faisant l’écho direct des préoccupations des professionnels (Hebdo-Film par exemple), dans ceux édités par le consortium du Matin (Ciné-Miroir) que dans des titres où le souci d’éduquer le public s’alliait au désir de forger les fondements de la grammaire et de la syntaxe du cinéma (Cinéa-Ciné pour tous et Cinémagazine).





Des revues usant d'une certaine liberté de ton

C’est donc non sans courage que les journalistes de ces dernières revues usent d’une certaine liberté de ton : ils déplorent la médiocrité de la production française et appellent les spectateurs à contrecarrer l’inintelligence de certains films en boycottant les salles dont la programmation laisse à désirer. Rare et précieuse autonomie qui se heurte parfois brutalement à une presse aux ordres. Les réponses envoyées à Léon Moussinac pour une enquête sur la critique parue dans L’Humanité en 1926 témoignent du marasme déontologique dans lequel est plongée la presse cinématographique ; pour René Bizet, « les dix voix qui essayent de se faire entendre sont étouffées par les cent voix dorées des agents de publicité qui se camouflent en critiques ». Moussinac lui-même doit à son indépendance d’être condamné en mars 1928 par le tribunal civil de la Seine à 500 francs de dommages et intérêts pour une critique défavorable de Jim le Harponneur, film américain distribué par la Société des Cinéromans. Celle-ci sera déboutée en appel deux ans plus tard.

Entre-temps, une nouvelle génération de critiques, formée à Cinémagazine, a rejoint Photo-Ciné, Cinégraphie et On tourne, les trois revues fondées et dirigées par Jean Dréville. Hubert Revol, Cecil Jorgefélice et Michel Gorel tirent à boulets rouges sur les porte-paroles de l’industrie cinématographique, Charles Le Fraper (Le Courrier cinématographique), André De Reusse (Hebdo-Film), Jean Chataigner (La Critique cinématographique). Pour Jorgefélice, le jugement sur la presse cinématographique est sans appel : « dans toutes les branches de l’activité journalistique, le niveau intellectuel et surtout moral est lamentable. Dans la presse sportive, et encore plus si possible dans la presse cinématographique, il est aboli(7) ».
À quelques exceptions près toutefois, parmi lesquelles Lucien Wahl, Émile Vuillermoz, Léon Moussinac, Georges Charensol, René Jeanne, Jean Tedesco ou Jean Dréville, qui se regroupent au sein de l’Association amicale de la critique cinématographique, au plus fort du procès opposant Moussinac aux Cinéromans.

Pour survivre et garantir leur indépendance, les revues du début de la décennie avaient eu l’idée de fédérer leurs lecteurs dans des associations ou clubs (les Amis du Cinéma pour Cinémagazine, les Amis du Film français pour Mon Film).
À l’automne 1924, Jean Tedesco adopte une solution originale : il loue le théâtre du Vieux-Colombier, le transforme en cinéma et y ouvre la première salle spécialisée de Paris dont sa revue, Cinéa-Ciné pour tous, lui permet d’assurer la promotion. Ce tout premier pôle de cinéma indépendant propose à son public des « classiques de l’écran » et des films d’avant-garde, parfois coproduits par Tedesco lui-même. Par la suite, les ciné-clubs s’abriteront volontiers dans les salles spécialisées de la capitale. Ainsi le Film-club de Pierre Ramelot, ouvert en mars 1928, a-t-il son siège au Studio 28. En décembre, Du cinéma, la revue de Jean George Auriol, en devient l’allié, sinon le partenaire, et se fait l’écho de deux de ses séances. La tentation est grande de reconstituer un pôle cinématographique comparable à celui de Tedesco, mais l’expérience est sans lendemain. Reste que, si la cinéphilie a pu croître et embellir au point de connaître un premier «âge d’or », c’est bien grâce aux revues de cinéma, aux clubs qu’elles ont suscités et aux salles qu’elles ont soutenues.




Lectures et lecteurs d’hier à aujourd’hui


Si les « films racontés » ont progressivement disparu après 1945 au profit du roman-photo, autre forme de récit populaire, il n’en est pas de même des organes corporatifs, grand public ou explicitement cinéphiles. Certes, à l’exception d’un titre comme Le Film français dont la formule reprend assez exactement celle de l’ancienne Cinématographie française, les frontières entre catégories sont parfois plus poreuses qu’on ne l’entend. En effet, si Les Cahiers du cinéma et Positif sont unanimement considérés comme les tenants d’un discours cinéphile ancré dans une tradition quinquagénaire, relayés depuis peu par La Lettre du cinéma, Tausend Augen ou Repérages, il n’en est pas de même de Première ou de Studio.

Un bref regard sur le sommaire de ces revues ne laisse pas d’étonner, tant est grande la permanence d’un certain nombre de passages obligés depuis les Cinémagazine, Mon Ciné et autres Ciné-Miroir des années vingt. Reportages en studios, visites des coulisses, préparatifs de films jalonnent à l’identique leur lecture, tandis que brille immanquablement en couverture l’un des ressorts essentiels de la machine à fabriquer du rêve qu’est le cinéma : la star. Bien entendu, les pratiques publicitaires ont évolué, à l’image des groupes industriels qui président aux destinées du cinéma, et l’on accorde désormais une place de choix au box-office (Première et les suppléments hebdomadaires du Monde et de Libération), à l’actualité hollywoodienne (Studio) ou aux « nouvelles images » (jeux vidéo, internet, etc.) qui fédèrent dans un même enthousiasme Première, Les Cahiers du cinéma et Les Inrockuptibles. Reste que « l’étoile » de cinéma, ses représentations, sa biographie demeurent essentielles à la propagation d’icônes qui trouvent leur origine dans le « divisme » italien des années dix et le star-system émergent des années dites folles. Que l’on songe un instant seulement au culte dont firent l’objet Suzanne Grandais, disparue tragiquement dans un accident de voiture en 1920 et dont la tombe était régulièrement fleurie par les lecteurs de Cinémagazine ou de Mon Film, ou Raquel Meller, héroïne de la Carmen de Jacques Feyder (1926), que les Amis du Cinéma accueillaient avec force discours et bouquets à son arrivée dans les gares de province.
Si, à tout le moins dans le domaine cinématographique, ces manifestations empreintes d’un esprit Troisième République ont bel et bien disparu, la valorisation du cinéma populaire ou « à grand spectacle », l’attention prêtée à la « belle ouvrage » et au travail bien fait demeurent. Toutes caractéristiques que l’on retrouve dans le « Journal des lecteurs » et la rubrique « Gare aux gaffes » de Première, et qui en font le réceptacle d’une cinéphilie populaire reposant le plus souvent sur une lecture technique des films. Ce courrier des lecteurs perpétue une pratique octogénaire. Il semble même exaucer les vœux des journalistes des années vingt qui n’avaient de cesse d’exhorter le public à plus d’attention, plus de patience, plus de discipline aussi, dans les salles.

Cas unique dans les annales de la presse cinématographique, Mon Ciné, entre 1924 et 1926, fut en effet à l’origine d’une publication exclusivement vouée au courrier des lecteurs. Véritable école du spectateur, Vous avez la parole, supplément mensuel de Mon Ciné, était jalonné d’aphorismes et de règles de bonne conduite – « Cinéphiles, soyez au cinéma ce que vous voudriez que soient vos voisins et tout le monde sera content » – parfois appelés à devenir autant de principes d’appréciation esthétique – « ne jugez jamais un film sur sa nationalité, mais bien sur sa valeur esthétique » ou « le jeu des artistes n’est pas tout dans un film, encore faut-il que les éclairages soient bien réglés et que les physionomies des artistes ne demeurent pas dans l’ombre ».



Une culture cinématographique

Il ne fait aucun doute que de telles prescriptions aient contribué à une plus large diffusion d’éléments d’appréciation et de critères d’analyse proprement cinématographiques. Bien que limitées aux plus populaires des hebdomadaires spécialisés de l’époque, elles n’en sont pas moins inspirées, dans leur forme comme dans leur contenu, par Louis Delluc qui, le premier, ponctua Cinéa de brèves pensées, et à sa suite par la réflexion entreprise sur le statut artistique du cinéma dans les meilleures des revues de la décennie. Cinégraphie et La Revue du cinéma, mais aussi Cinémagazine, Cinéa-Ciné pour tous, et plus tard Pour vous ont su faire éclore une appréhension singulière du cinéma où un véritable discours critique voisine avec l’intervention des lecteurs, où nul n’a l’apanage du discours théorique, où se manifeste enfin l’utopie d’une communauté de spectateurs, journalistes, lecteurs et cinéastes, unis pour l’amélioration de l’art nouveau. C’est cela aussi, la richesse de la dernière décennie du muet ; nous tendre, à travers sa presse, un miroir où se reflète la fascination partagée pour des faits encore inouïs trente ans plus tôt : des images qui bougent sur un écran blanc.

Les revues destinées au plus vaste public occupent, elles, un espace de médiation entre une conception élitaire de l’art cinématographique et le vaste champ des loisirs dont le cinéma devait être partie prenante au XXe siècle. Bien plus encore, elles innovent en proposant à leurs lecteurs les linéaments d’une culture nouvelle, « ignoble » au sens propre du terme, qui emprunte à la culture légitimée ses modes d’action et ses pratiques pour se métamorphoser en culture de masse.




Notes :

(1) Tourneurs : exploitants itinérants de cinéma, à l’époque le plus souvent forains.
(2) Louis Delluc, « Projet d’une revue bimensuelle de cinématographe », 16 ff. dact., s. d. [circa 1919], BiFi, fonds Louis Delluc, LD 071.
(3) La première occurrence de l’adjectif « cinéphile » date de 1912, mais le terme ne se généralisera qu’à partir de 1922.
(4) Bruno Quattrone, « Regards sur Cinéa-Ciné pour tous », in 1895, revue de l’AFRHC, n° 15, décembre 1993, pp. 31-55.
(5) Alain Carou, « Ciné-roman », in Dictionnaire du cinéma français des années vingt, dir. F. Albéra et J. A. Gili, 1895, revue de l’AFRHC, n° 33, p. 113.
(6) Ces chiffres sont empruntés à Dimitri Vezyroglou, « Distribution », in Dictionnaire…, op. cit., pp. 147-153. (7) Cecil Jorgefélice, « Réquisitoire contre la presse », in On tourne, n° 4, 1er juin 1928.