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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Le réalisme poétique du cinéma français des années 30


Résumé : Stimulé par la rencontre privilégiée d'acteurs, d'écrivains et de réalisateurs prestigieux, le cinéma français des années 30 allait donner naissance à un des courants les plus inventifs de son histoire : le réalisme poétique.


Ci-dessus : une vue aérienne des studios de la Paramount à Joinville, au dé but des années 30. Copiright Archives IGDA.

 

Avant 1930, la production française était d'environ 50 à 90 films par an. Mais, avec le parlant, l'intérêt du public pour le cinéma national augmenta considérablement et l'on en arriva à produire 98 films en 1930, 156 en 1931, 157 en 1932. Les premiers films par­lants « à cent pour cent » étaient en général assez -médiocres et imitaient par trop le théâ­tre ; il faut d'ailleurs préciser que la plupart d'entre eux ne furent pas réalisés en France, où les studios étaient encore insuffisamment équipés, mais à Londres ou à Berlin. Ils obtinrent pourtant un grand succès, et certai­ nes maisons de production, qui n'avaient pas hésité à se regrouper, la Pathé-Natan Cinéroman et la Gaumont-Franco Film, s'équipèrent pour produire des films parlants, fût-ce avec des brevets étrangers comme Western (américain) ou Tobis (allemand).

La Paramount s'installa à Joinville-le-Pont, produisant des films dialogues, réalisés en versions multiples, dans les mêmes décors, par des metteurs en scène et acteurs de plu­ sieurs pays, afin d'obtenir simultanément des versions immédiatement commercialisables sur les marchés étrangers. D'emblée, les résultats d'ordre économique furent incontes­ tables ; par contre, les résultats artistiques furent décevants. La Tobis produisait sans doute moins, mais la qualité y gagnait : elle put inscrire à son actif L'Opéra de quat'sous (Dreigroschenoper, 1931) de G.W. Pabst. En attendant la construction du grand studio d'Épinay-sur-Seine, c'est à Neubabelsberg, près de Berlin que fut tournée la majorité des films français du début du parlant. L'avè­ nement du parlant avait d'abord plongé dans la crise de nombreux cinéastes, dont René Clair, qui avait préféré laisser à Augusto Genina le soin de tourner Prix de beauté (1929), film qu'il, avait écrit avec G.W. Pabst. Mais le cinéaste français sut bien vite s'adap­ ter à la nouveauté et chercha même, dans Sous les toits de Paris (1930), à exploiter tou­ tes les nouvelles possibilités d'expression offertes par le parlant.

La leçon de l'avant-garde

La production des années 20, qui influença beaucoup le cinéma français de la décennie suivante, avait été caractérisée par l'impulsion particulière donnée au cinéma d'avant-garde, auquel la France, dans le cadre européen, offrit une des contributions les plus importan­ tes. On ne peut pas dire que tous ces films, essentiellement des courts métrages et des moyens métrages - de Ballet mécanique au Sang d'un poète, et â'Entr'acte à L'Age d'or-, reposant sur des inventions visuelles et de montage pour obtenir une « musique d'ima­ ges », conservent encore maintenant une valeur indiscutable. Souvent, leur propos ne fut rien d'autre qu'une composition abstraite ou anarchique d'éléments visuels, une recher­che de « réalisme intérieur », ce qui revient à dire de « surréalisme », et d'automatisme de l'image, enfin une rupture avec le schéma du film normal et commercial, la plupart du temps orienté vers le mélo. L'importance de ces films ne peut être saisie que dans une perspective historique, comme recherche d'un langage cinématographique, comme insertion de nouvelles valeurs expressives, par opposi­ tion à la production commerciale courante.

Les premières ouvres de René Clair, qui ne furent pas pour le metteur en scène des expériences inutiles, figurent parmi les exem­ples les plus significatifs de cette production. René Clair s'amusa ainsi avec les trucages et les surimpressions, l'insertion de négatifs et de caches, les accélérations et les ralentis, réalisant de petits chefs-d'ouvre du cinéma d'avant-garde, parmi lesquels il faut rappeler un « ballet visuel » consacré aux armatures ajourées de la tour Eiffel : La Tour (1928). Il s'orienta ensuite vers une production destinée à tous les spectateurs, et non plus seulement à une élite, tout en conservant son originalité propre, hésitant tout d'abord entre la fable et l'histoire populaire parisienne ; il en ressortit une production directement tournée vers la description et l'exaltation de son cher Paris. A partir des « féeries » des années 20, René Clair allait arriver, à la fin de la décennie, à une heureuse, et très personnelle, formule : le vaudeville cinématographique.

Les thèmes qu'il a traités appartiennent à la tradition du théâtre de Labiche ou de ses contemporains ; mais le spectacle que René Clair en tirait était toujours du « cinéma pur », c'est-à-dire qu'il ne devait rien aux dia­ logues, aux plaisanteries brillantes, au comi­ que verbal, mais au choix des éléments visuels tels qu'un vêtement ou un accessoire courant. De même que, dans Entr'acte, c'était un corbillard roulant à toute allure qui accen­ tuait la charge dynamique du court métrage dans Un chapeau de paille d'Italie (1927), c'est un petit chapeau de femme qui crée une situation aussi comique qu'épineuse et embar­ rassante ; dans Le Million (1931), un veston contenant le billet gagnant d'une loterie cons­ titue le ressort de l'intrigue.

Par la suite, René Clair réalisa d'autres films, dans lesquels on retrouve toute sa gouaille et sa technique pétillante (même quand Paris ne sert pas de décor) ; c'est ainsi qu'il dirigea, en France, Le Dernier Milliar­ daire (1934), joyeuse satire des dictatures, et, en Grande-Bretagne, Fantôme à vendre (The Ghost Goes West, 1935), histoire d'un châ­ teau écossais démoli, transporté en Amérique et volé par des gansters, puis d'autres films à Hollywood. Il semble que son inspiration pari­ sienne se soit quelque peu tarie, sans doute à cause de la guerre et de l'éloignement forcé de sa patrie. Le retour de René Clair à Paris se fit avec Le silence est d'or (1947), qui est un hommage et une marque d'amour à la ville qu'il a tant aimée, à ses habitants, aux cinéastes français de l'époque héroïque du muet, qu'il a toujours admirés, à commencer par Méliès. Ce fut aussi un retour aux comé­ dies mettant en scène des séducteurs en uni­ forme, du genre « Belle Époque », qui avaient déjà attiré Jean Renoir en 1928 avec Tire-au- flanc.

Drame et réalisme poétique

René Clair (à gauche sur le clich é) suit attentivement le tournage de son premier film parlant, Sous les toits de Paris. Copiright Snark International.

 

Si l'on peut dire que René Clair représente le courant vaudevillesque, intimiste et sentimen­ tal de l'école française des années 30, qui sera définie comme celle du « réalisme poéti­ que », d'autres metteurs en scène, tels Jac­ ques Feyder, Jean Renoir, Marcel Carné, Julien Duvivier, Jean Vigo, Jean Grémillon, en représentent par contre le courant pessi­ miste et dramatique, porté à la description d'un milieu que la société et la lutte pour la vie ont rendu hostile. L'historien Georges Sadoul les considère comme les représentants d'un cinéma « populiste », dont le style réa­ liste trouve ses origines dans les romans d'Emile Zola. Ce romancier, il est vrai, n'était pas ignoré des cinéastes ; il fut même pris comme inspirateur, notamment par Jac­ ques Feyder pour Thérèse Raquin (1928), par Duvivier pour Au bonheur des dames (1929), par Renoir pour La Bête humaine (1938), après Nana (1929). Le Travail, L'Argent, L'Assommoir ont aussi connu des adaptations cinématographiques. Le dénominateur com­ mun de la plupart de ces films, c'est autant le destin tragique des héros (Le jour se lève, 1939) que le milieu sombre dans lequel ils évoluent (Quai des brumes, 1938), leur pau­ vreté (Les Bas-Fonds, 1936), leur condition de « bêtes humaines ». Les ports, les fleuves, les chemins de fer, les petits hôtels « du Nord », la casbah de Pépé le Moko, la légion étran­ gère du Grand Jeu (1934) ou de La Bandera (1935) sont les âpres décors de leurs drames ; ils rappellent d'ailleurs les films antérieurs de Louis Delluc et d'Alberto Cavalcanti, Fièvre (1921) et En rade (1927) : car c'est là qu'il faut chercher les origines du cinéma français d'« atmosphère ».

Jacques Feyder peut être considéré comme un des chefs de file de ce groupe, un des plus humains peut-être, avec Crainquebille (1922), premier film consacré aux rues et aux petits marchés de Paris, avec Les Xou: Messieurs (1929), satire d'un syndicaliste qui s'est embourgeoisé en devenant ministre, avec Thérèse Raquin, Le Grand Jeu, Pension Mimosas (1935), enfin avec la fresque fla­ mande La Kermesse héroïque (1936).

René Clair, dans l'hommage qu'il lui rendit à sa mort, en 1948, a dit : « Entre 1920 et 1928, le cinéma français se divisait en deux tendan­ces : d'un côté, l'esthétisme, l'avant-garde, la recherche de nouveaux moyens d'expression ; de l'autre, ce qu'on appelait le film " commer­ cial ", qui visait uniquement à appliquer des recettes calquées sur des formes déjà établies. Les dangers de la seconde tendance étaient bien trop évidents ; mais la première avait le tort d'éloigner le cinéma de la masse du public populaire, sans lequel il ne peut vivre. Le mérite de Jacques Feyder, à cette époque, c'est d'avoir fait, sans se laisser influencer ni par les uns ni par les autres, des films qui s'adressaient à toutes les classes du public et qui étaient des films de qualité. »

II est donc juste, comme l'a dit Roger Régent, de considérer les auteurs du Million et du Grand Jeu comme les parrains du cinéma français réaliste des années 30. Mais on ne peut pas ne pas reconnaître comme le plus vigoureux Jean Renoir, l'auteur de La Chienne (1931), de Boudu sauvé des eaux (1932), du Crime de M. Lange (1935) et des Bas-Fonds. C'est à lui que l'on doit aussi La Grande Illu­ sion (1937), dénonciation de la guerre, La Mar­ seillaise (1937), film financé par le Front populaire, La Bête humaine, dont la séquence ini­ tiale est particulièrement remarquable, et l'admirable Règle du jeu (1939) enfin, le chef-d'ouvre du cinéaste.

Marcel Carné, avec la collaboration du poète Jacques Prévert pour les sujets et les scéna­ rios, est parfois, au sein de ce groupe de met­ teurs en scène, le plus inspire et le plus dépouillé, comme l'atteste une série de films aux dialogues soignés, à l'atmosphère intense, et qui se présentent formellement comme d'authentiques chefs-d'ouvre de l'écran, parmi lesquels on doit rappeler Quai des brumes, Le jour se lève, les Enfants du paradis (1943).

Julien Duvivier, par contre, est un auteur plus populaire, plus inégal aussi, avec Poil de carotte (1932), La Tête d'un homme (1932), bonne adaptation de Simenon, Golgotha (1935), La Bandera, La Belle Équipe (1936), Pépé le Moko (1936), Carnet de bal (1937) et La Fin du jour (1939).

Sur le tournage de "L'affaire est dans le sac" ; on reconnaît, debout à droite, Jacques Prévert et, deuxiè me à gauche, son frère Pierre. Copiright coll. G. Troussier. Reproduction interdite.

 

Documentarisme et surréalisme

Outre l'impact direct de la tradition d'avant- garde, qu'un mécène, le vicomte de Noailles, chercha à encourager en 1930 en finançant L'Age d'or de Luis Bunuel et Salvador Dali, et Le Sang d'un poète de Jean Cocteau, le cinéma français, au début du parlant, fut influencé par le documentaire, souvent préféré par les intel­lectuels, et par les courants littéraires et artis­ tiques contemporains. Il faut citer parmi les documentaristes Marcel Carné (Nagent, Eldo­ rado du dimanche, 1929), Pierre Chenal (docu­ mentaires sur l'architecture et les petits métiers de Paris) et Jean Grémillon, dont les premiers films sont tout imprégnés d'une vivante réalité documentaire : par exemple, Tour au large (1927) et Gardiens de phare (1929), ou, plus tard, Remorques (1939).

Le surréalisme n'est pas absent des films de Jean Vigo, qui cultiva l'étrange et le bizarre dans Zéro de conduite (1933) et L'Atalante (1934) ; on le ressent aussi, un peu moins mar­ qué cependant, dans certains films de Pré vert ou d'Autant-Lara. Les grands classiques de la littérature du XIX° siècle (Stendhal, Balzac, Flaubert, Zola, Maupassant) suscitèrent de nombreuses occasions plus ou moins heureuses d'adaptations cinématographiques, tandis que des ouvres moins importantes permettaient l'expression d'idées et de sensibilités nouvelles. Recherche poétique et grande qualité étaient garanties grâce à la présence fréquente d'écri­ vains qui avaient une solide réputation à la fois littéraire et cinématographique : le poète Jac­ques Prévert et, à un moindre degré, Charles Spaak et Henri Jeanson.

Avec Le Sang d'un poète, Jean Cocteau, rejeté par les surréalistes, déclarait s'opposer à eux tout en restant dans leur sphère, exploitant les thèmes de la mort, de la nuit, du rêve et le mythe d'Orphée, un mythe récurrent chez lui. Par la suite, que ce soit au niveau de l'écriture, dans L'Éternel Retour (1943), réalisé par Jean Delannoy, ou au niveau de la réalisation, avec La Belle et la Bête (1945), Cocteau se complaira aux jeux les plus baroques (pour ce dernier film, il bénéficia d'ailleurs d'une collaboration capi­tale : celle du peintre et décorateur Christian Bérard). Simultanément, Cocteau participe à l'adaptation d'un épisode de « Jacques le Fata­ liste » de Denis Diderot. Réalisé par Robert Bresson, le film sortit sous le titre Les Dames du bois de Boulogne (1944). Précédemment, Bres­ son, qui avait réalisé le court métrage Les Affai­ res publiques (1934), dans la veine absurde et farfelue, s'était révélé avec Les Anges du péché, un chef-d'ouvre dialogué par Jean Giraudoux. Dans le genre loufoque, on trouvait L'affaire est dans le sac, réalisé en 1932 par Pierre Prévert et écrit par son frère Jacques, ainsi que Ciboulette de Claude Autant-Lara (1933), tiré d'une opé­ rette de De Fiers et De Croisset (musique de Reynaldo Hahn), un film gai et désinvolte dans lequel des animaux parlants participent au déroulement de l'histoire, traitée dans un style poétique original.

En 1926, Marc Allégret tourne en Afrique, avec André Gide, un documentaire : Le Voyage au Congo. André Malraux s'attaque lui aussi au cinéma en 1938-1939, à Barcelone, où il tourne L'Espoir, partiellement adapté de son roman. Interdit par le gouvernement français et tenu caché durant l'occupation allemande, le film ne put être présenté qu'en 1945, après la libération du territoire français.

L'Espoir est interprété par des acteurs cata­ lans amateurs et professionnels. Il montre l'organisation des miliciens, l'activité des briga­ des internationales, la bataille de Teruel. Un aéroport franquiste est attaqué, un pont est détruit, mais un avion républicain est abattu au cours de l'opération. Les habitants descendent alors des montagnes pour rendre hommage aux survivants blessés et aux camarades morts. Entrecoupées de réflexions sur la « condition humaine », ces scènes permettent à Malraux d'atteindre un pathétique élevé et une composi­ tion majestueuse et solennelle.

Les « artisans » du film d'atmosphère

A côté des maîtres incontestés du cinéma fran­çais des années 30 (R. Clair, J. Renoir, J. Fey- der, M. Carné, J. Duvivier) prennent place des réalisateurs moins réputés, mais que l'on consi­ dère généralement comme de bons artisans et hommes de métier. Ainsi, Jacques de Baron- celli, travaillant dans le cinéma dès 1915, et qui avait même eu pour assistant René Clair, réalisa entre autres Gitanes (1932), film d'atmosphère mélodramatique qui n'évite pas les excès d'un certain folklore, et un « remake » de Crainque-bille (1933), d'après Anatole France. Raymond Bernard, qui s'était déjà signalé au cours de la décennie précédente avec des films costumés comme Le Miracle des loups (1924), réalisa Les Croix de bois (1931), puis, en 1934, Les Miséra­ bles, adaptation vigoureuse et spectaculaire du roman de Victor Hugo. Marc Allégret, assez prolifique, doit être mentionné pour Lac aux dames (1934), Gribouille (1937), Orage (1937) et Entrée des artistes (1938), films à succès, caracté­ ristiques de l'époque. Yves Mirande se spécia­ lise dans le film à sketches avec Derrière la façade (1939) et Café de Paris (1938). Devenu acteur à tout faire, Stroheim est présent dans de nombreux films exotiques ou autres, dirigés par des metteurs en scène étrangers, comme Ulti­ matum (1938) de Robert Wiene et Gibraltar (1938) de Fedor Ozep. On le retrouve aussi dans L'Alibi (1937) de Pierre Chenal, Les Pirates du rail (1938) et Les Disparus de Saint-Agil (1938) de Christian-Jaque.

Les metteurs en scène Jeff Musso (Le Puri­ tain, 1937) et Georges Lacombe (Les Musiciens du ciel, 1939) se font aussi remarquer au cours de cette période, tout comme Pierre Chenal. De cette année date également avec Le Dernier Tournant (1939), dont le sujet sera repris par l'Italien Visconti, dans Ossessione (1942). On doit à Chenal, durant ces années d'avant- guerre, Crime et châtiment (1935), d'après Dos- toïevsky, Les Mutinés de l'Elseneur, L'Homme de nulle part (1937), d'après Pirandello, copro­ duction italo-française qui est aussi une de ses meilleures réalisations, enfin La Maison du Maltais (1938). Maurice Tourneur dirige en 1934  un film réaliste, Justin de Marseille, et, de 1935 à 1939, les films costumés Konigsmark, Katia, Le Patriote, Volpone. Jean Benoît-Lévy mérite une mention. Directeur de nombreux
courts métrages, futur organisateur culturel cinématographique (à l'O.N.U. et à l'Unesco), il fut le metteur en scène sensible de films « à messages », comme La Maternelle (1933), sur les problèmes de l'enfance malheureuse, dirigé conjointement avec Marie Epstein ; Hélène (1936), d'après Vicki Baum, interprété par Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault ; La Mort au cygne (1937), un drame dans le monde des « petits rats » de l'Opéra, d'après Paul Morand. Jean Benoît-Lévy avait commencé son activité documentaire en 1922 avec Jean Epstein, avec qui il avait réalisé Pasteur.

Représentant typique du cinéma français des années 20, Jean Epstein (né à Varsovie en 1897) se consacra en 1930 à des documentai­ res et à des « chansons filmées ». En 1932, il revient au monde des pêcheurs, dont il avait donné une vision poétique dans Finis Terrae (1929) et Mor'Vran (1930), avec L'Or des mers, qu'il tourna dans une île au large des côtes bretonnes. « Ce film, écrit un critique, est le plus beau d'Epstein, avec une utilisation splen- dide du parlant... C'est un film aux images délibérément grises, baigné par la lumière pâle que laisse passer le brouillard et dans lequel la misère d'un monde dur est présentée de la manière la plus dépouillée qui soit. »

Les autres films d'Epstein sont L'Homme à l'Hispano (1933), La Châtelaine du Liban (1932) et Cour de gueux (1936), suivis de La Femme du bout du monde (1937), dans lesquels senti­ mentalisme et mélo reprennent le dessus, ainsi que cela était déjà arrivé dans ses réalisations antérieures. Mais c'est surtout comme celui d'un théoricien du cinéma que le nom d'Ep-stein demeure dans les mémoires.

Deux autres gloires des années 20 ont, comme Epstein, également subi une éclipse au même moment, mais à un moindre degré : Marcel L'Herbier et Abel Gance. Tous deux ont beaucoup tourné entre 1930 et 1940 (21 films pour L'Herbier, 13 films pour Gance) et leur production comporte un important déchet. Mais on y trouve aussi quelques titres intéres­ sants, voire de grandes réussites isolées qui méritent qu'on s'en souvienne.

Chez L'Herbier, ce sont d'abord les deux adaptations des romans de Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune (1930) et surtout Le Parfum de la dame en noir (1931), grâce aux étonnants décors et costumes de Jacques Manuel, L'Épervier (1933), la meilleure des nombreuses pièces filmées par L'Herbier en ces années, rehaussée par la présence de la très belle Nathalie Paley (cousine du tsar Nico­ las II), Les Hommes nouveaux (1936), impor­ tante évocation du Maroc de la conquête, Adrienne Lecouvreur (1938), entièrement réalisé à Berlin. C'est surtout La Comédie du bonheur (1940), de loin le meilleur de la série, une sorte de chef-d'ouvre (avec Michel Simon, Ramon Novarro, Micheline Presle et Jacque­ line Delubac) que L'Herbier mettra dix ans à pouvoir réaliser, et ne pourra mener à bien que grâce à un producteur italien, terminant le film- à Rome en juin 1940...

Pour Abel Gance, après La Fin du monde (1930), important film muet, sonorisé après coup et chef-d'ouvre incomplet, le bilan est plus mince. On peut retenir au moins Lucrèce Borgia (1935), à qui Edwige Feuillère et quel­ ques autres actrices dévêtues valurent long­ temps une réputation d'érotisme. On doit sur­ tout mettre à part un film admirable, un des trois ou quatre plus grands de ce cinéaste sou­ vent génial : Un grand amour de Beethoven (1936), avec Harry Baur. Après ce sommet, seuls doivent être retenus un « remake » du célèbre J'accuse (1937), Louise (1938), d'après l'ouvre lyrique de Gustave Charpentier, et, pour finir, une réussite véritable, Paradis perdu (1939), ouvre simple et émouvante, dont l'approche de la guerre vint ratifier la pro­ fonde vérité. Ce succès public et critique à la fois mettait fin à une série de productions iné­ gales qui illustre bien les difficultés rencon­ trées dans cette période par le plus prestigieux des cinéastes français.

Tandis que nombre de cinéastes se déga­ geaient difficilement de l'emprise du muet, d'autres se lançaient résolument dans l'aven­ ture du parlant, tels Marcel Pagnol et Sacha Guitry ; affichant leur volonté de ne plus privi­ légier l'image, ils- deviendront les tenants du « théâtre filmé », qui suscitera bien des criti­ ques et des controverses.

Extrait de : Le Cinéma, Grande histoire illustrée du 7° art. Vol. 4. Copiright Editions Atlas, Paris, 1982.