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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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Le réalisme au cinéma: Néoréalisme italien et réalisme classique hollywoodien Par Martin Kronstrom Le réalisme au cinéma demeure chose complexe, car entrant directement en lien avec l'altérité du cinéma face aux autres arts, celui-ci possède (ou a) la faculté de reproduire précisément le mouvement et la durée et de rétablir une bande son/image identique à celle de la réalité. Toutefois, le réalisme cinématographique reste celui de l'impression de réalité et non de la réalité elle-même. Il est cependant primordial de distinguer, comme le suggère Jacques Aumont(1), le réalisme des matières de l'expression et le réalisme des sujets filmés. Ici, deux écoles s'opposent: celle du néo-réalisme italien de la libération (avec LE VOLEUR DE BICYCLETTE de Vittorio De Sica) et celle du réalisme classique hollywoodien (avec MR. SMITH GOES TO WASHINGTON de Frank Capra). En élaborant sur le concept de réalisme et sur les techniques de représentation du réel, nous assistons alors à l'opposition de deux genres discordants et de leur relation avec la réalité. Réalisme filmique L'on associe également au réalisme filmique l'idée de réalisme des sujets portés à l'écran, nécessitant une certaine connaissance du monde qui s'offre à l'écran. L'idée de réalisme d'un film, par exemple Las hurdes (UNE TERRE SANS PAIN) de Luis Buñuel, nécessiterait de la part du spectateur la reconnaissance de l'existence réelle du sujet représenté, malgré qu'il soit divergeant des sujets de son propre mode de vie. L'effet est le même pour une reconstitution historique (LA VIE ET RIEN D'AUTRE de Bertrand Tavernier, par exemple) où nous devons accepter comme réel ce qui nous est présenté. Dans les deux cas, même si le réalisme des sujets représentés diffèrent du nôtre, cela va de soi que nous y adhérons car le tout demeure dans un contexte vraisemblable où nous reconnaissons la cohérence de l'univers diégétique échafaudé par la fiction. Aumont et al. poursuivent: «Fortement sous-tendu par le système du vraisemblable, organisé de sorte que chaque élément de la fiction semble répondre à une nécessité organique et apparaisse obligatoire au regard d'une réalité supposée, l'univers diégétique prend la consistance d'un monde possible dont la construction, l'artifice et l'arbitraire sont gommés au bénéfice d'une apparente naturalité.»(3) Le néo-réalisme italien L'idée de réalisme, ou le souci d'accroître l'illusion de réalisme, coordonnent indéniablement la conception artistique des réalisateurs du mouvement néo-réaliste. C'est sans doute par l'union des sujets traités et des matières de l'expression que ces derniers auront le plus rendu compte d'une libération complète, autant au niveau artistique que sociologique. Assurément, la question du réalisme ne dépend pas uniquement du réel, mais également d'un rapport de vraisemblance impliqué par le récit lui-même. Les sujets filmiques correspondent à l'histoire et s'inscrivent directement dans une certaine actualité événementielle. Si l'écriture montre le récit dans les films néo-réalistes, les matières d'expression font foi du désir d'explorer davantage le réel. Le tournage en extérieur avec un minimum d'équipements, au détriment des constructions et des décors en studio, favorise l'exposition des événements d'après-guerre. Ce qui est maintenant montré n'est plus la construction du rée, mais bien un bâtiment qui a bel et bien été détruit durant la guerre, ajoutant un surcroît de réalisme au récit. Les personnages louvoient parmi le réel, balayant l'environnement social et déterminant sans cesse le travail de la caméra, celle-ci tentant constamment de les inscrire dans leur milieu (le cadre). L'utilisation de plans larges et d'une profondeur de champ infinie permet d'offrir une nouvelle représentation d'un réel qui s'appuie sur la fiction: «Le néo-réalisme n'est pas une interprétation servile de la réalité, une expression esthétique de cette réalité, mais une vision humaine, intérieure, de la réalité et dont les racines sont un désir de communication, de dialogue entre des artistes d'une époque donnée et un public sensibilisé, par les événements historiques, à recevoir cette communication, à engager ce dialogue.»(5) Le réalisme hollywoodien Le souci du réalisme par l'effacement du dispositif filmique sert de mot d'ordre chez les majors américains et l'industrie cinématographique hollywoodienne. Tout y sera disposé afin que le spectateur « négativise » par lui-même l'objectif et qu'il accroisse «l'effet» de réalisme. Ce désir d'accroître l'illusion de réalité passe nécessairement par la démesure en épatant les sens et en créant un monde de rêve autour du «Star System» d'Hollywood. Comme dans le cinéma néo-réaliste italien, c'est par l'union des sujets traités et des matières de l'expression que l'effet réaliste s'est le mieux matérialisé sur les écrans américains. Le cinéma américain des années 30-40 tente alors de rejouer la conquête de l'Ouest des westerns, mais cette fois par une ascension verticale dans la pyramide sociale plutôt que territoriale. Hollywood pousse ainsi à son paroxysme cette idée de l'«american dream» ou de l'«american way of life» où tous peuvent aspirer à la célébrité, à la gloire et à la richesse. Dans MR. SMITH GOES TO WASHINGTON, Jefferson Smith (James Stewart) est un homme vertueux, naïf et honnête qui aspire au titre de sénateur et qui, une fois en poste, décide de faire passer un amendement pour la construction d'un camp pour de jeunes «boy scouts». Plusieurs embûches le forceront bien sûr à reconsidérer la politique américaine, mais l'intégrité et la vérité sont toujours victorieuses. Contrairement au cinéma néo-réaliste italien qui cherchait en l'Homme l'équilibre entre le bien et le mal, le cinéma américain délimite parfaitement la dichotomie bien/mal chez ses personnages. Le mal sert de contraste direct avec le bien qui émane d'un personnage héroïque. L'usage du bien sert alors d'exterminateur au mal. Dans MR. SMITH GOES TO WASHINGTON, le cynisme et la corruption des valeurs que dégage Clarissa Saunders (Jean Arthur) est rapidement évacué par le valeureux Jefferson Smith qui, en regardant le Capitol, réassigne à Saunders les bonnes valeurs américaines. Ces sujets filmiques, provenant du rêve (donc auquel nous pouvons possiblement attribuer une fraction de réel), ne peuvent difficilement se diégétiser autrement que par des techniques et des matières d'expression filmique efficientes et déjà concédées par l'oeil spectatoriel. En créant une sorte d'aura mythique enveloppant les stars, la fusion des plans devient facilement suturée par le regard des acteurs entre eux. Le montage devient absent de la tête du spectateur qui fait psychologiquement l'exercice de montage en désirant le regard de l'autre. On pense à cette séquence de MR. SMITH GOES TO WASHINGTON où le sénateur Smith entame dans son bureau une discussion avec sa secrétaire sur l'enjeu du projet qu'il veut faire passer. Après s'être fait quelque peu ridiculisé par cette dernière, il débute un long dialogue monté en champ/contrechamp afin de nous faire voir et comprendre la réaction de Saunders aux propos bienveillants de Smith à propos de la poursuite de ses rêves. Le montage sert alors à désigner au spectateur ce qu'il désire (ou doit désirer), dépendant entièrement du plan de réaction, tel que défini par Paul Warren. Les regards de la caméra, des personnages et de la salle sont alors tournés vers le héros, le déifiant, le divinisant, forçant notre identification à ses valeurs et à ses desseins. L'impression de réalité ne peut être que soutenue si tout ce qui nous est présenté correspond à ce désir d'être le héros. Le spectateur comble les vides créés par le montage et participe à éliminer les incertitudes diégétiques. Le plan de réaction provoque le mécanisme fictionnel dans la mesure où il sert à l'ancrage du spectateur à l'écran. Synthétisons sur ces propos de Paul Warren: «Ce regard-là [le regard exorbité du cinéma expressionniste allemand] n'a rien a voir avec les regards en champ/contrechamp du cinéma classique, ces regards cinématographiques de cohésion sociale que nous connaissons bien, qui lient les personnages les uns aux autres dans leur espace et leur temps mutuellement et exclusivement occupés, ces regards qui suturent la séquence en la maintenant fort civilement dans le cadre de l'écran et qui font galoper le déroulement de l'histoire.»(6)
Ouvrages cités : (1)Jacques Aumont et al., «Le réalisme au cinéma», L'esthétique du film, Paris, Éditions Fernand Nathan, (coll. «Nathan-université»), 1983, p.96
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