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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Le réalisme au cinéma: Néoréalisme italien et réalisme classique hollywoodien


Par Martin Kronstrom

CADRAGE, janvier 2001. Tous droits de l'auteur réservés.

Le réalisme au cinéma demeure chose complexe, car entrant directement en lien avec l'altérité du cinéma face aux autres arts, celui-ci possède (ou a) la faculté de reproduire précisément le mouvement et la durée et de rétablir une bande son/image identique à celle de la réalité. Toutefois, le réalisme cinématographique reste celui de l'impression de réalité et non de la réalité elle-même. Il est cependant primordial de distinguer, comme le suggère Jacques Aumont(1), le réalisme des matières de l'expression et le réalisme des sujets filmés. Ici, deux écoles s'opposent: celle du néo-réalisme italien de la libération (avec LE VOLEUR DE BICYCLETTE de Vittorio De Sica) et celle du réalisme classique hollywoodien (avec MR. SMITH GOES TO WASHINGTON de Frank Capra). En élaborant sur le concept de réalisme et sur les techniques de représentation du réel, nous assistons alors à l'opposition de deux genres discordants et de leur relation avec la réalité.

Réalisme filmique

Le réalisme des matières de l'expression filmique diverge d'une période à une autre, car il requiert l'assimilation de certains codes filmiques, institutionnalisant et dressant l'oeil du spectateur. L'effet réaliste originalement reconnu par l'audience de 1895 lors de la projection de L'ARRIVÉ D'UN TRAIN À LA CIOTAT ou par la fiction dans une oeuvre comme RESCUED BY ROVER, diffèrent des codes réalistes contemporains. Ces codes, intériorisés par l'auditoire, se sont transformés et le réalisme muet/noir-blanc de l'époque ne compose plus le régime de codes employés présentement, devenant antinomique à notre conception d'impression de réalité. Selon Aumont et al., «le réalisme apparaît alors comme un gain de réalité, par rapport à un état antérieur du mode de représentation. Mais ce gain est infiniment reconductible, du fait des innovations techniques, mais aussi parce que la réalité, elle, n'est jamais atteinte».(2)

L'on associe également au réalisme filmique l'idée de réalisme des sujets portés à l'écran, nécessitant une certaine connaissance du monde qui s'offre à l'écran. L'idée de réalisme d'un film, par exemple Las hurdes (UNE TERRE SANS PAIN) de Luis Buñuel, nécessiterait de la part du spectateur la reconnaissance de l'existence réelle du sujet représenté, malgré qu'il soit divergeant des sujets de son propre mode de vie. L'effet est le même pour une reconstitution historique (LA VIE ET RIEN D'AUTRE de Bertrand Tavernier, par exemple) où nous devons accepter comme réel ce qui nous est présenté. Dans les deux cas, même si le réalisme des sujets représentés diffèrent du nôtre, cela va de soi que nous y adhérons car le tout demeure dans un contexte vraisemblable où nous reconnaissons la cohérence de l'univers diégétique échafaudé par la fiction. Aumont et al. poursuivent: «Fortement sous-tendu par le système du vraisemblable, organisé de sorte que chaque élément de la fiction semble répondre à une nécessité organique et apparaisse obligatoire au regard d'une réalité supposée, l'univers diégétique prend la consistance d'un monde possible dont la construction, l'artifice et l'arbitraire sont gommés au bénéfice d'une apparente naturalité.»(3)

Le néo-réalisme italien

Comme plusieurs mouvements et écoles cinématographiques, l'émergence du néo-réalisme italien est liée de près au contexte social et historique de son époque. Dans ce cas précis, son esthétique découle invariablement d'une symptomatique d'après guerre. Celle-ci venant à terme, le temps est à la reconstruction matérielle, sociale et morale. Cependant, même si les membres de l'école italienne de la libération n'ont jamais réellement eu de collusion pour une esthétique commune, l'affirmation d'une sensation de culpabilité sociale et l'importance manifestée par la recherche du rôle de l'Homme unissaient leur activité créatrice. François Debreczeni en dit: «Ce fut le choc existentiel de la guerre qui rapprocha leurs activités créatrices, encore qu'ils ne se soient jamais concertés sur ce qu'ils allaient faire. Leurs traits communs furent un engagement éthique de dire la vérité, et l'affirmation d'un sentiment de responsabilité sociale qui s'ajoutaient à l'intérêt passionné qu'ils avaient manifesté [...] envers l'homme.»(4)

L'idée de réalisme, ou le souci d'accroître l'illusion de réalisme, coordonnent indéniablement la conception artistique des réalisateurs du mouvement néo-réaliste. C'est sans doute par l'union des sujets traités et des matières de l'expression que ces derniers auront le plus rendu compte d'une libération complète, autant au niveau artistique que sociologique. Assurément, la question du réalisme ne dépend pas uniquement du réel, mais également d'un rapport de vraisemblance impliqué par le récit lui-même. Les sujets filmiques correspondent à l'histoire et s'inscrivent directement dans une certaine actualité événementielle.
Dans LE VOLEUR DE BICYCLETTE (1984) de Vittorio De Sica, les personnages sont directement reliés à leur présent. La famine, la difficulté de se trouver un emploi, la sauvagerie de l'homme et sa recherche sociale sont des difficultés constituant la vie des Italiens de l'époque. La dramatisation narrative étant accolée directement au contexte social, la vraisemblance de l'image n'en devient qu'étayée, comme une forme ou une figure directe d'authenticité rendant compte d'une libération complète de l'Homme. Ce réalisme ne montre désormais plus l'Homme sans son contexte social, mais bien l'Homme impliqué par son monde social et forçant un retour de l'individu dans sa société. Dans ce même VOLEUR DE BICYCLETTE, Antonio (Lamberto Maggiorani) doit sortir sa famille de la misère et participer à la vie de la nouvelle Rome pour survivre. Le rôle de la fiction sert alors à s'inscrire ou faire empreinte dans la réalité. Toutes ces réaffirmations du rôle de l'humain dans son univers forçat celui-ci à se repositionner sur ses fondements dichotomiques bien/mal. Dans de nombreux films néo-réalistes italiens, la quête des valeurs primaires sert de tremplin à l'écriture filmique. Par exemple, dans VOLEUR DE BICYCLETTE, Antonio doit choisir entre la survie ou trahir ses propres valeurs: mourir ou voler une bicyclette pour subsister? La confusion entre le bien et le mal et ses enchevêtrements sont au centre de ce nouvel Homme d'après-guerre. Le «mal» n'est plus désormais le «mal», mais peut désormais être également le «bien», s'inscrivant dans une sorte de quête d'une nouvelle morale sociale.

Si l'écriture montre le récit dans les films néo-réalistes, les matières d'expression font foi du désir d'explorer davantage le réel. Le tournage en extérieur avec un minimum d'équipements, au détriment des constructions et des décors en studio, favorise l'exposition des événements d'après-guerre. Ce qui est maintenant montré n'est plus la construction du rée, mais bien un bâtiment qui a bel et bien été détruit durant la guerre, ajoutant un surcroît de réalisme au récit. Les personnages louvoient parmi le réel, balayant l'environnement social et déterminant sans cesse le travail de la caméra, celle-ci tentant constamment de les inscrire dans leur milieu (le cadre). L'utilisation de plans larges et d'une profondeur de champ infinie permet d'offrir une nouvelle représentation d'un réel qui s'appuie sur la fiction: «Le néo-réalisme n'est pas une interprétation servile de la réalité, une expression esthétique de cette réalité, mais une vision humaine, intérieure, de la réalité et dont les racines sont un désir de communication, de dialogue entre des artistes d'une époque donnée et un public sensibilisé, par les événements historiques, à recevoir cette communication, à engager ce dialogue.»(5)

Le réalisme hollywoodien

Le cinéma américain d'après-guerre est également ancré et assujetti au réel et à son présent. Contrairement au cinéma néo-réaliste italien qui doit guérir les plaies laissées par le conflit 1939-45, l'enjeu majeur du cinéma hollywoodien est son exportation sur d'autres marchés et le noyautage de ses valeurs dans le monde entier. Il s'agit de construire un réseau de distribution et créer une sorte d'habitude chez le public en dressant son oeil aux codes du système classique américain. Il s'efforce également de prendre la place des cinémas nationaux, qui tâchent de peine et de misère à se remettre de la guerre, en institutionnalisant leur marché et en y implantant son idéologie et ses mythes fondateurs vers une sorte d'américanisation des cultures nationales par l'imposition du statut d'«industrie culturelle» au cinéma.

Le souci du réalisme par l'effacement du dispositif filmique sert de mot d'ordre chez les majors américains et l'industrie cinématographique hollywoodienne. Tout y sera disposé afin que le spectateur « négativise » par lui-même l'objectif et qu'il accroisse «l'effet» de réalisme. Ce désir d'accroître l'illusion de réalité passe nécessairement par la démesure en épatant les sens et en créant un monde de rêve autour du «Star System» d'Hollywood.

Comme dans le cinéma néo-réaliste italien, c'est par l'union des sujets traités et des matières de l'expression que l'effet réaliste s'est le mieux matérialisé sur les écrans américains. Le cinéma américain des années 30-40 tente alors de rejouer la conquête de l'Ouest des westerns, mais cette fois par une ascension verticale dans la pyramide sociale plutôt que territoriale. Hollywood pousse ainsi à son paroxysme cette idée de l'«american dream» ou de l'«american way of life» où tous peuvent aspirer à la célébrité, à la gloire et à la richesse. Dans MR. SMITH GOES TO WASHINGTON, Jefferson Smith (James Stewart) est un homme vertueux, naïf et honnête qui aspire au titre de sénateur et qui, une fois en poste, décide de faire passer un amendement pour la construction d'un camp pour de jeunes «boy scouts». Plusieurs embûches le forceront bien sûr à reconsidérer la politique américaine, mais l'intégrité et la vérité sont toujours victorieuses. Contrairement au cinéma néo-réaliste italien qui cherchait en l'Homme l'équilibre entre le bien et le mal, le cinéma américain délimite parfaitement la dichotomie bien/mal chez ses personnages. Le mal sert de contraste direct avec le bien qui émane d'un personnage héroïque. L'usage du bien sert alors d'exterminateur au mal. Dans MR. SMITH GOES TO WASHINGTON, le cynisme et la corruption des valeurs que dégage Clarissa Saunders (Jean Arthur) est rapidement évacué par le valeureux Jefferson Smith qui, en regardant le Capitol, réassigne à Saunders les bonnes valeurs américaines.

Ces sujets filmiques, provenant du rêve (donc auquel nous pouvons possiblement attribuer une fraction de réel), ne peuvent difficilement se diégétiser autrement que par des techniques et des matières d'expression filmique efficientes et déjà concédées par l'oeil spectatoriel. En créant une sorte d'aura mythique enveloppant les stars, la fusion des plans devient facilement suturée par le regard des acteurs entre eux. Le montage devient absent de la tête du spectateur qui fait psychologiquement l'exercice de montage en désirant le regard de l'autre. On pense à cette séquence de MR. SMITH GOES TO WASHINGTON où le sénateur Smith entame dans son bureau une discussion avec sa secrétaire sur l'enjeu du projet qu'il veut faire passer. Après s'être fait quelque peu ridiculisé par cette dernière, il débute un long dialogue monté en champ/contrechamp afin de nous faire voir et comprendre la réaction de Saunders aux propos bienveillants de Smith à propos de la poursuite de ses rêves. Le montage sert alors à désigner au spectateur ce qu'il désire (ou doit désirer), dépendant entièrement du plan de réaction, tel que défini par Paul Warren. Les regards de la caméra, des personnages et de la salle sont alors tournés vers le héros, le déifiant, le divinisant, forçant notre identification à ses valeurs et à ses desseins. L'impression de réalité ne peut être que soutenue si tout ce qui nous est présenté correspond à ce désir d'être le héros. Le spectateur comble les vides créés par le montage et participe à éliminer les incertitudes diégétiques. Le plan de réaction provoque le mécanisme fictionnel dans la mesure où il sert à l'ancrage du spectateur à l'écran. Synthétisons sur ces propos de Paul Warren: «Ce regard-là [le regard exorbité du cinéma expressionniste allemand] n'a rien a voir avec les regards en champ/contrechamp du cinéma classique, ces regards cinématographiques de cohésion sociale que nous connaissons bien, qui lient les personnages les uns aux autres dans leur espace et leur temps mutuellement et exclusivement occupés, ces regards qui suturent la séquence en la maintenant fort civilement dans le cadre de l'écran et qui font galoper le déroulement de l'histoire.»(6)


Quoique la Seconde Guerre mondiale affecta le réalisme américain et collabora à l'éclosion du néo-réalisme de l'école italienne, ces deux mouvements usèrent, nous croyons l'avoir démontré, de stratégies diamétralement différentes afin d'imiter le réel et le contexte historique qui lui sont afférents. Le premier, beaucoup plus près d'un désir d'authenticité et de reproduction mécanique de la réalité, et le second, plus systématisé, se rapprochant de la falsification et de la manipulation de la réalité. Même si le néo-réalisme a amplement inspiré le cinéma réaliste, le cinéma narratif classique américain constitue désormais celui qui est le plus projeté sur nos écrans. Il s'agira alors non seulement d'en dégager les structures narratives et réalistes, mais aussi d'en comprendre les enjeux et les machinations économiques, afin de mieux réagir face à la contamination et l'aliénation de notre regard et de notre imaginaire par l'économie monopolistique hollywoodienne.

Ouvrages cités :

(1)Jacques Aumont et al., «Le réalisme au cinéma», L'esthétique du film, Paris, Éditions Fernand Nathan, (coll. «Nathan-université»), 1983, p.96
(2)Ibid., p.96.
(3)Ibid., p.107.
(4)François Debreczeni, «Le concept de néo-réalisme» Le néo-réalisme italien. Bilan de la critique, Paris, Lettres modernes, Minard, 1964, p73.
(5)Patrice G. Hovald, «Pour une définition» dans Le néo-réalisme italien et ses créateurs, Paris, Édition du Cerf, 1959, p.211
(6)Paul Warren, «Le triomphe du reaction shot» dans Le secret du star system américain. Une stratégie du regard. Essai, Montréal, Édition de l'Hexagone, (Coll. «politique et société»), 1989, p.38.