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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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Histoire des médias / Histoire par les médias ? Etudes réunies par Catherine Bertho-Lavenir Les textes ici réunis sur les sujets "mémoire et média"s sont des contributions du colloque "Mémoire & Médias" qui s'est déroulé en mai 1998 à la maison Heinrich Heine à Paris. Ils sont publiés dans une version complète et imprimée chez les Éditions AVINUS. Copyright © 2000 Éditions AVINUS ________________________________________
Thierry La Fronde et La liste de Schindler , La caméra explore le temps et une émission sur Mai 68 animée par Daniel Cohn Bendit, Heimat et Les enfants de la télé ... les médias se saisissent de l'histoire, pour la raconter à l'écran, et les historiens se saisissent des médias pour en faire l'histoire. Le phénomène est assez récent pour le cinéma et la télévision, plus ancien pour le livre et la presse et nous a introduits à ce troublant phénomène faire un livre sur l'histoire du livre comme on ferait une émission de télévision sur l'histoire de la télévision. Est-ce pourtant la même chose lorsque Lucien Febvre et Henri-Jean Martin écrivent, "L'apparition du livre" et lorsqu'Arthur célèbre "Les enfants de la télé" ? Non évidemment. Comment s'y retrouver dans ce troublant jeu de miroirs et qu'est-ce que les médias de l'image apportent de questions spécifiques ? Pour ne pas s'égarer dans les reflets et les jugements de valeurs sans objet - que valent Les rois maudits dans la version diffusée par l'O.R.T.F. par rapport à une thèse de Sorbonne ?-, il convient de procéder méthodiquement en traitant de trois questions successivement : d'abord définir ce que l'on entend derrière le mot histoire en séparant clairement deux stades : l'histoire comme processus de recherche et l'histoire comme récit savant ou non. Ensuite, dans cette perspective préciser la double place des médias, comme objet d'une histoire savante et comme véhicule d'un récit historique. Quelques exemples nous aiderons alors à cerner la complexité des questions qui se posent. 1. Qu'appellerons nous histoire ? Il faut pour la clart é du propos différencier deux moments : "faire de l'histoire" et "écrire l'histoire". Le premier temps est celui où l'historien s'attaque aux "archives", le mot étant entendu au sens large : papiers, images, émissions, interviews d'acteurs survivants, archéologie... Tout est document pour l ëhistorien et l'histoire des médias se fait aussi dans les archives comptables des compagnies ou en analysant l'apparition du travail taylorisé dans les usines Pathé. Le second temps du travail historique est celui de la restitution. On est ici à l'intérieur d'une discipline savante qui possède des règles analogues à celle des autres disciplines pour dire ce qui est dans la science est ce qui est en dehors. Comme toutes les autres, la connaissance historique doit avoir été produite selon des règles de méthodes établies - critique de texte, traitements statistique... ; elle doit être vérifiable - c'est le rôle des notes en bas de page - ; cumulable - on doit pouvoir croire ce qui est décrit dans un livre et s'en servir comme un acquis pour des travaux ultérieurs sans éprouver le besoin de le revérifier ; ce contrôle est effectué par la communauté savante qui en permanence dit quels sont les personnages qui sont "dedans" - parce que leurs travaux obéissent aux règles de méthode de la profession - et quels sont ceux qui sont placés "dehors". Les différents stades d'agrégation à la communauté sont socialement contrôlés. Quiconque a assisté à une soutenance de maîtrise, de DEA ou de thèse, n'a pu qu'être frappé par leur côté "bienvenue dans le club". Des pairs vérifient que l'impétrant respecte bien les coutumes et les formes, quitte - la machine demeure ouverte aux innovations - à bouleverser le fonds. Entrer dans le club, c'est aussi publier dans certaines collections éditoriales (ah ! la collection blanche de Gallimard !) ou, si l'on est Chartiste, entrer à l'Académie - des Inscriptions bien sûr. Ce qui est esquissé ici, c'est le fonctionnement de toutes les communautés savantes classiques tel que l'ont décrits Thomas Kuhn, pour l'histoire des sciences, ou Isabelle Stengers relatant l'institution des Académies . Dans le travail historique, après la recherche, vient ensuite le temps de la restitution. C'est le moment de "l'écriture de l'histoire" que, bien sûr, nous ne distinguons si nettement du premier que pour la commodité de l'exposé, le processus entier étant itératif : c'est au cours de la recherche que prennent définitivement forme les grandes hypothèses, que se dessinent, selon l'état des sources, des champs d'investigation nouveaux, et, en même temps, la recherche fait surgir les sources, les hypothèses produisent les éléments destinés à les vérifier ou les invalider. L'écriture historique prend en fait différentes formes entre lesquelles il faudrait n'établir aucun jugement de valeur. La forme traditionnelle de l'écriture est la thèse. Elle obéit à des normes d'écriture stricte, avec un apparat strictement codifié de notes et de références . Les écrits les plus savants demeurent cependant étroitement déterminés par leur époque. Seul un historien naïf ou débutant peut imaginer que lui échappe à la pesanteur de l'histoire. La science normale, en histoire comme ailleurs, est toujours fille de son temps. Bon prétexte, lorsque l'on veut s'imposer au détriment des anciens, pour disqualifier leurs méthode et leur style, leurs présupposés idéologiques et leur traitement des sources. Michelet paraît romantique et littéraire à l'Ecole desAnnales mais Leroy-Ladurie n'infirme pas plus Michelet que Einstein n'invalide la loi d'Ohm... Chacun représente la manière académique de son temps. A. L'écriture académique a ses dérivés, nombreux B. Les médias de l'image Par ailleurs, l'analyse historique des médias du XXe siècle exige la maîtrise de savoir-faire particuliers, notamment en matière de lecture de l'image fixe ou animée. Il faut être capable de lire une image, de déconstruire un film, d'analyser le contenu ou la logique communicationnelle d'une émission télévisée. Ce sont des savoirs qu'il faut maîtriser et qui s'acquièrent auprès des spécialistes, sémiologues, linguistes, anthropologues. Mais les historiens sont moins bornés qu'on ne croit : la Sorbonne proposait, en 1973, sous la rubrique "sciences auxiliaire de l'histoire", un cours de linguistique aux étudiants de maîtrise. Ces derniers, vingt cinq ans plus tard, manient les images avec autrement d'aisance. Ils sont tombés dedans étant petits. Il faudrait cependant que tous les chercheurs travaillant sur ce type d'objet aient une formation minimale en ce domaine, tout comme les médiévistes suivent des cours de latin ou de paléographie... Plus généralement, les historiens des médias doivent lire sans relâche ce qu'écrivent leurs collègues - et amis - des sciences de la communication, les sémiologues et les linguistes, pour s'en approprier les concepts, en maîtriser le vocabulaire et - c'est de bonne guerre, leur piquer des idées. Mais que font d'autre les historiens, par exemple, de l'économie - qui empruntent aux économistes jusqu'à leurs préjugés et leurs clivages, ou bien les historiens des techniques qui doivent demander aux ingénieurs de tout leur dire sur les mystères du fonctionnement des hauts-fourneaux ? Les historiens sont - R. Debray l'a dit à la revue L'Histoire - sûrs d'eux et dominateurs. Sûrs de leur droit de se saisir de tout comme objet d'étude, ils s'attaquent à tout, et même, rompus aux jeux de miroir de l'historiographie, ils prétendent étudier la façon dont les médias écrivent l'histoire, démontant, par exemple, l'émission "La caméra explore le temps", émission phare de la télévision des années de Gaulle, qui appartenait par sa structure narrative, son schéma, ses thèmes à cet âge classique de la télévision où le petit écran était capable de tenir un discours d'autorité, narratif et explicatif sur le monde. Que devient, cependant, cette belle assurance lorsque l'on passe à la seconde dimension du problème "l'histoire par les médias" ? 2. L'histoire par les médias Il n'a échappé à personne que les lignes précédentes privilégient des espaces et des formes de communication tels que l'écriture de la thèse ou la conférence - à laquelle on peut assimiler l'exposé d'étudiant ou le cours de terminale - qui sont des formes anciennes, légitimes et donc confortables, d'écriture ou de posture académique. Mais si l'on quitte ces rivages balisés, pour les parages moins sûrs des médias eux-mêmes, que devient la possibilité d'écrire l'histoire ? Evacuons d'abord la question de la conférence académique. Il est difficile ici d'éviter de citer le Sur la télévision de Pierre Bourdieu qui souligne et déplore que l'inadaptation structurelle de la télévision au discours académique. A l'écran, on n'a pas le temps d'expliquer longuement, ou alors on ennuie. Dans un amphi, en revanche, les étudiants bloqués par l'encombrement ou leur sens des bonnes manières ne pourraient s'échapper et encore moins zapper. Le lecteur même est plus ou moins captif : pour peu que l'ouvrage soit au programme, on s'ennuiera peut-être sur son livre mais après cinq minutes de rêverie il faudra bien s'y remettre. L'ennui fait partie de la posture académique. Pas de la pratique de la télévision. La télé serait donc inapte par sa nature à la transmission du discours savant. Cette assertion dépend, en fait, d'une part, à mon sens, de plusieurs présupposés qui peuvent être examinées. L'un d'entre eux est que la conférence est la forme privilégiée sinon unique de la transmission du savoir savant. Ce n'est pas forcément inexact et ce n'est doute pas un hasard si elle fonctionne depuis le haut moyen- âge en occident. Par ailleurs, l'ancrage décidé de la télévision dans des usages de loisir ne favorise pas la rencontre du maître et d'un public. Public savant et grand public n'ont pas - et n'ont jamais eu, le même ordre de grandeur. On peut mettre quatre à cinq cent étudiants, au plus, dans le grand amphi d'une fac ; il faut plusieurs douzaines de millions de téléspectateurs pour qu'une émission de télévision soit rentable. La sociologie de la télévision, comme la sociologie de l'université nous disent qu'il y a des rencontres peu probables. Ces remarques, cependant, n'épuisent en rien la question de la façon dont on peut - ou pourrait - traiter l'histoire par les médias, parce que, nous l'avons vu plus haut, la conférence académique et la thèse ne sont pas les seules façons d'écrire l'histoire. Or, si on les examine, pratiquement toutes les autres formes d'écriture moins savantes - mais pas forcément moins sérieuses -, se glissent assez aisément dans la pratique des médias contemporains, avec des résultats souvent séduisants. Et c'est à ce moment qu'émergent d'autres types de questions. Considérons quelques exemples seulement : 1° La soirée d'Arte sur mai 68 La chaîne culturelle franco-allemand Arte présentait, il y a quelques jours, trois documentaires sur mai 68. Le second et le troisième étaient construits comme un bon cours de secondaire. Les réalisateurs - avaient doublé les images d'une voix off lisaient un texte très écrit, où les événements importants ou significatifs des années 1960 et 1970 avaient été choisis, mis en valeur et agencés au sein d'un discours démonstratif. Les images elles-mêmes, - séquences vidéo - étaient choisies pour illustrer la démonstration. Le tout fonctionnait très bien. Trop bien parfois dans la mesure où l'image provoque des effets de sens très fort. Ainsi le court extrait où le général de Gaulle expliquait la position de "la ménagère française" face au progrès technique et au besoin de stabilité politique, donnait, revu trente ans après, le sentiment d'une société française archaïque et bloquée, dirigée par un homme âgé, porteur de valeurs traditionnelles et dépassées. C'est alors que l'un des invités, le député Jean Louis Borvo, a introduit un commentaire pour éviter l'anachronisme et a redonné son sens précis à cette séquence : tournée au cours de la campagne de 1965, entre les deux tours, elles illustrait, en fait, paradoxalement, un moment où le général "penchait à gauche", et donc un pas vers la modernité. Plus généralement, on saisissait tout au long de cette émission, comment le sens historique des images était construit à travers un processus contradictoire mettant en jeu à la fois le spectateur, qui les lisait à travers la grille de sa propre sensibilité, de sa culture, de sa génération, et les commentaires des gens rassemblés sur le plateau. Peut-on dire pour autant qu'il s'agit d'un effet propre à la télévision. Propre ? Pas forcément. Un bon cours d'histoire peut aussi devenir l'occasion d'une élaboration collective du sens des documents proposés. Les images parlent donc, en m ê me temps que la parole, mais autrement et concurremment. Cela affecte l'écriture de l'histoire, comme le reste, selon, cependant des formes toujours changeantes. Ainsi le cinéma documentaire, se prête-t-il à de multiples lectures dès lors qu'on le déplace dans le temps et dans l'espace. En témoigne l'émission de Marc Ferro, longtemps projetée le samedi soir sur FR3, aujourd'hui déplacée sur la 5e. Le principe en était simple : l'historien projetait en parallèle des images d'actualités allemandes, russes, américaines, anglaises tournées pendant la seconde guerre mondiale et projetées la même semaine de la guerre - puis de l'après guerre- à leurs publics respectifs. La particularité de l'émission - et son intérêt historique - tenait au fait que les bandes n'étaient, en principe, ni remontées, ni coupées, que le commentaire original était respecté. Les images, ici, n'illustrent donc pas un discours - contrairement à l'exemple donné plus haut - ; elles produisent des effets de sens par leur simple juxtaposition. Mais elles nécessitent cependant ce que les Américains appellent une mise en contexte que Marc Ferro, refusant le discours d'autorité, confie à des témoins qu'il interroge. C'est alors au spectateur que revient le soin d'introduire une distance critique vis à vis, par exemple, des commentaires que délivre le fils du général allemand Rommel sur les faits d'armes de son père, ou ceux d'un ancien membre de l'armée Vlassov. L'exercice est, pour le téléspectateur, très intéressant et a l'avantage de mettre en oeuvre la logique de spectacle propre au média. La lecture des images acquiet alors une dynamique et restitue au spectateur une grande autonomie dans la détermination du sens de ce qu'il voit. Pour l'historien, une légère insatisfaction demeure cependant : pour pouvoir lire ces bandes d'actualité, l'historien aurait besoin d'éléments de critique plus fouillés. Il lui faudra savoir si les bobines sont complètes, si elles ont été projetées, qui exactement les a réalisées... Or le cadre d'une émission du samedi soir n'est évidemment pas propice à ces enquiquinantes précisions. 2° Tous en ligne 3°Les films historiques |
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