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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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LE POINT SUR... L'HISTOIRE DU TEMPS PRÉSENT
Tout d'abord, une simple définition : l'histoire du temps présent est cette histoire pour laquelle les acteurs sont toujours en vie. Une histoire sous la surveillance des acteurs comme le suggère Pierre Laborie. Aussi, l'histoire du temps présent couvre-t-elle une séquence historique marquée par deux balises mobiles : en amont, la durée d'une vie humaine (le témoin) ; à l'aval, la frontière entre le moment présent et l'instant passé. La question que nous nous proposons d'aborder repose sur un paradoxe : celui d'une pratique ancienne dans l'enseignement secondaire et d'une reconnaissance tardive par l'institution universitaire. Une pratique ancienne dans le secondaire Ce thème peut sembler surprenant dans le cadre d'un enseignement secondaire qui pratique depuis de nombreuses années ce type d'histoire. Il suffit de rappeler ici quelques évidences :
Aussi, peut-on considérer aujourd'hui que l'histoire du temps présent occupe une place convenable en collège (la classe de Troisième) et une place largement dominante en Lycée (le 1/3 du programme de Première et l'année de Terminale). Dès lors, on peut avancer l'hypothèse (à vérifier) que les craintes des collègues dans le secondaire sont moins liées à des questions épistémologiques qu'à des questions de recherches documentaires rendues d'autant plus criantes depuis la désintégration de l'Union soviétique et près d'un demi-siècle d'un monde bipolaire somme toute bien commode. Ici, c'est donc moins l'histoire du temps présent entendu au sens universitaire qui pose problème que l'explicitation des dernières années que nous venons de vivre. Quant à la géographie du temps présent, faut-il rappeler que le géographe travaille par définition dans cette épaisseur chronologique là et que, là encore, c'est essentiellement la question des ressources documentaires qui handicape les analystes. Reste qu'un rapide survol des rayons des librairies montre que l'édition est loin d'être restée muette devant les changements récents. On peut souligner que cet enseignement semble bien accepté par des élèves qui pour la plupart atteignent en Lycée leur majorité. Une enquête menée par Joël Cornette et Jean-Noël Luc, publiée dans Vingtième siècle en avril-juin 1985, le montre parfaitement : le programme est généralement jugé intéressant et nécessaire. Aussi, malgré les tentatives répétées - en 1985 et 1991-1992 - pour restreindre sa place dans les programmes, le temps présent paraît solidement installé dans notre enseignement.
Des réticences durables dans le supérieur Il en va autrement dans l'enseignement supérieur. La lecture d'un sondage publié par la revue L'histoire en mai 1990 (n° 133) est éloquente : l'histoire du XXe siècle est belle et bien absente des palmarès élaborés par les historiens interrogés, et ceci même chez les contemporanéistes.
I- Une institutionnalisation tardive dans l'université française. Cette double caractéristique peut sans doute s'expliquer à la fois par des éléments externes et internes à la discipline :
Il faut rappeler que le cadre de classement des archives française est loin d'être innocent : en 1965, l'administration choisit comme date butoir de la section moderne des archives nationales, mais aussi départementales, le 10 juillet 1940.
L'Ecole des Annales puis la Nouvelle histoire ont très largement ignoré le contemporain, a fortiori le temps présent et l'immédiat. Aujourd'hui encore les contemporanéistes sont bien peu présents à l'EHESS (Pierre Nora, Jacques Julliard, Christophe Prochasson). Il faut attendre 1982 pour que les AESC ouvrent une rubrique « Temps présent ».
Au début des années soixante, la situation est claire, l'histoire du temps présent ne fait pas partie (sauf exception) des pratiques universitaires françaises. Et, en 1957, quand René Rémond publie son article « plaidoyer pour une histoire délaissée. La fin de la IIIe République » dans la Revue française de science politique (qui n'est pas une revue d'histoire !), il fait figure de pionnier. Dès lors, l'acculturation dans le milieu universitaire français d'une histoire du temps présent va se faire largement par l'histoire politique. Compte tenu du décalage lié au temps nécessaire à la préparation des thèses d'Etat, les premiers résultats ne seront probants qu'à partir des années soixante-dix. La seule exception significative est la thèse soutenue en 1964 (il y a trente ans) par Annie Kriegel sur « les origines du PCF ». C'est la première soutenance en Sorbonne à oser dépasser le butoir de 1914. Les années qui suivent voient les premières grandes thèses d'histoire du temps présent publiées par la FNSP :
Certes, les critiques existent toujours (comme celles de Pierre Goubert), le besoin de légitimation est toujours de rigueur mais aujourd'hui les travaux réalisés ont montré dans une large mesure le caractère périmé des méfiances épistémologiques. Ces dernières peuvent être regroupées autour de trois points :
II- Sources orales et relations avec les autres sciences humaines 1) Les sources orales, des sources spécifiques Il existe pour cette question une bibliographie importante : l'IHTP a dès les lendemains de sa naissance lancé une réflexion sur la place des sources orales. Tout d'abord, il faut lever une ambiguïté : utiliser des sources orales ne revient pas à pratiquer une histoire uniquement orale. L'historien du temps présent, comme ses collègues qui travaillent sur d'autres périodes, s'évertue pour répondre à sa problématique à multiplier et à croiser le type de sources. Il est vrai que l'histoire orale, proche de « l'oral history » anglo-saxonne, a été pratiquée en France notamment dans la perspective d'une histoire militante qui souhaitait donner ou rendre la parole à ceux qui ne l'avait pas. Première remarque : l'historien du temps présent utilise la source orale au même titre que les autres sources, c'est-à-dire qu'il la questionne et la soumet à la critique. La source orale n'est pas épistémologiquement moins pure que la source écrite. 2) Les relations avec les autres sciences humaines La présence active des sociologues et des politistes place l'historien du temps présent devant trois types de défis. En premier lieu, la sociologie et les sciences politiques ont sédimenté toute une série de travaux depuis les années 50. Ceux-ci constituent à la fois des sources, des matériaux empiriques et des analyses pour l'historien. Cette configuration est singulière et ne se pose pas pour les historiens de l'avant 1945 qui ne rencontrent qu'une sociologie naissante et balbutiante. Le second défi auquel est confronté l'historien du temps présent est lié aux difficiles rapports entre les pratiques historiennes et sociologiques. Le débat n'est pas nouveau et les lignes de fractures ne se sont pas fondamentalement déplacées depuis les polémiques entre Charles Seignobos et Emile Durkheim à la fin du siècle dernier. Certains sociologues, comme Pierre Bourdieu, réfutent la pertinence des découpages disciplinaires et plaident pour l'unité de la science. Dès lors, les « sciences historiques », comme les nomme Pierre Bourdieu, doivent aboutir à la fusion des deux disciplines : l'histoire doit devenir une « sociologie historique du passé » et la sociologie, une « histoire sociale du présent ». Pour l'heure, le postulat de l'unité de la science permet au sociologue de juger la pertinence scientifique des travaux historiens. Pierre Bourdieu dénonce la perte d'autonomie de certains historiens qui acceptent de pratiquer une histoire commémorative pour le grand public aux dépens d'une histoire professionnelle faite pour ses pairs. Cette façon de lire les pratiques disciplinaires à partir de la position volontairement extérieure de la sociologie par rapport à la société ignore combien, en France, la pratique historienne s'est construite autour du triptyque enseignement-recherche-vulgarisation avec, de plus, une forte implication civique. Face à ces positions, les historiens ont souvent dénoncé le dogmatisme bourdieusien, ce qui les conduit quelquefois à ignorer les avancées méthodologiques et conceptuelles de cette sociologie critique. En revanche, quelques rares historiens se sont appropriés, avec plus ou moins de liberté, ses méthodes et concepts. Christophe Charle, par exemple, construit son « invention des intellectuels » sur ces bases-là. D'autres chercheurs, comme Roger Chartier et Gérard Noiriel, poursuivent le dialogue sans pour autant dissoudre les singularités historiennes. L'approche « pragmatiste » défendue par Gérard Noiriel vise, non à l'unification des deux disciplines, mais à la traduction des langages disciplinaires dans l'optique d'une nécessaire collaboration. Le troisième défi est celui posé par la montée en puissance de la sociologie historique sous ses diverses formes. Depuis les années 70, une sociologie historique du politique s'est développée à côté d'une histoire politique renouvelée. Le même phénomène affecte aujourd'hui l'histoire culturelle, notamment la branche qui se propose d'étudier l'histoire des institutions et des politiques culturelles. Une nouvelle génération de chercheurs, issus de la sociologie critique, de la sociologie des organisations ou encore de l'étude des politiques publiques, a faites siennes les méthodes du métier d'historien. La collecte des sources et le rapport au temps, et en premier chef au temps présent, sont désormais partagés par plusieurs sciences sociales. A plus d'un titre, et les travaux de Jean-Claude Passeron le démontrent, l'écart epistémologique entre historiens et sociologues n'a plus de raison d'être. Les emprunts réciproques se sont multipliés depuis les débats fondateurs, aujourd'hui centenaires : la périodisation , les descriptions multidimensionnelles, les analyses des interactions migrant dans un sens ; les typologies, les théories et modèles, le recours aux méthodes quantitatives migrant dans l'autre sens. Cette confrontation directe a le mérite d'obliger l'historien du temps présent à durcir un outillage conceptuel initialement « mou ». Sauf à ignorer l'autre par un processus de dénégation, l'historien a beaucoup à apprendre dans la communication interdisciplinaire. Cependant, cette pluralité de regards et d'approches est sans doute une richesse qu'il s'agit de faire vivre dans un respect réciproque des identités disciplinaires. Ces dernières restent vivaces. Les héritiers de l'Ecole des Annales ont sans doute ressenti cette exigence en rebaptisant en 1994, à la suite du « tournant critique », les illustres Annales Economies, Sociétés, Civilisation , Annales : Histoire, sciences sociales . Le credo de la nécessaire interdisciplinarité n'est plus guère chanté. Dès 1990, Bernard Lepetit plaidait modestement pour une pratique restreinte de l'interdisciplinarité qui devait se matérialiser « simplement comme un processus maîtrisé d'emprunts réciproques, entre les différentes sciences de l'homme, de concepts, de problématiques et de méthodes pour les lectures renouvelées de la réalité sociale ». Ces identités disciplinaires alimentées par des formations, des recrutements, des carrières, des traditions professionnelles et intellectuelles font que les travaux d'un historien du temps présent et d'un socio-historien restent, sauf exception, parfaitement identifiables. Confronté au temps présent, l'historien obéit aux règles déontologiques de la discipline. La coexistence avec les autres sciences sociales oblige l'historien du temps présent à rappeler avec force les spécificités de la pratique historienne. Sans exclure le raisonnement sociologique, il s'agit de privilégier l'examen des temporalités localisées dans une perspective diachronique. Antoine Prost rappelle cette spécificité de la démarche historienne : « ce qui définit l'histoire n'est pas les objets qu'elle étudie, mais le regard que l'historien porte sur eux. Le propre de l'histoire n'est donc pas de l'ordre de la méthode, mais de l'interrogation : celle qui porte sur le changement dans le temps ».
L'histoire du temps présent appartient aujourd'hui au territoire de l'historien. Elle a le mérite de conforter la place de l'historien au sein de la cité. Il reste que cette histoire est particulièrement délicate à construire et à mettre en ouvre. Aussi, les polémiques récentes suscitées par les « archives (dites) de Moscou » et l'histoire de la Résistance (« Affaire » Aubrac) ont vu l'historien-expert interpellé dans le cadre d'une médiatisation et d'une politisation croissante. Faut-il pour autant remettre en cause les valeurs cognitives et heuristiques de 'histoire du temps présent ? Nous ne le pensons pas. L'humilité, l'indépendance et la responsabilité doivent absolument régir la pratique de l'historien du temps présent.
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
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