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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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LE POINT SUR... L'HISTOIRE DU TEMPS PRÉSENT

par Philippe POIRRIER (Maître de Conférences à l'Université de Bourgogne)


 

 

 

Introduction

Tout d'abord, une simple définition : l'histoire du temps présent est cette histoire pour laquelle les acteurs sont toujours en vie. Une histoire sous la surveillance des acteurs comme le suggère Pierre Laborie. Aussi, l'histoire du temps présent couvre-t-elle une séquence historique marquée par deux balises mobiles : en amont, la durée d'une vie humaine (le témoin) ; à l'aval, la frontière entre le moment présent et l'instant passé.

La question que nous nous proposons d'aborder repose sur un paradoxe : celui d'une pratique ancienne dans l'enseignement secondaire et d'une reconnaissance tardive par l'institution universitaire.

Une pratique ancienne dans le secondaire

Ce thème peut sembler surprenant dans le cadre d'un enseignement secondaire qui pratique depuis de nombreuses années ce type d'histoire. Il suffit de rappeler ici quelques évidences :

  • dès 1959, les élèves devaient étudier le monde jusqu'en 1945.
  • depuis 1983, la date butoir a été repoussée jusqu'à nos jours, même si les modalités des examens amènent à modifier et restreindre cette réalité dans une large mesure.
  • quant aux polémiques qui ont suivi la mise en place des programmes à la fin des années 80, elles reposèrent moins sur la validité épistémologique d'une histoire du temps présent que, d'une part sur la cohérence d'ensemble du programme et d'autre part (et surtout) sur la place de la Seconde Guerre mondiale évacuée à la fin du programme de première au grand dam des associations d'anciens combattants et de résistants. Un compromis sera cependant trouvé en décidant d'ouvrir le programme de Terminale par un chapitre-bilan sur le conflit. Dans les nouveaux programmes, la Seconde Guerre mondiale ouvre de nouveau l'année de Terminale.

Aussi, peut-on considérer aujourd'hui que l'histoire du temps présent occupe une place convenable en collège (la classe de Troisième) et une place largement dominante en Lycée (le 1/3 du programme de Première et l'année de Terminale).

Dès lors, on peut avancer l'hypothèse (à vérifier) que les craintes des collègues dans le secondaire sont moins liées à des questions épistémologiques qu'à des questions de recherches documentaires rendues d'autant plus criantes depuis la désintégration de l'Union soviétique et près d'un demi-siècle d'un monde bipolaire somme toute bien commode. Ici, c'est donc moins l'histoire du temps présent entendu au sens universitaire qui pose problème que l'explicitation des dernières années que nous venons de vivre.

Quant à la géographie du temps présent, faut-il rappeler que le géographe travaille par définition dans cette épaisseur chronologique là et que, là encore, c'est essentiellement la question des ressources documentaires qui handicape les analystes. Reste qu'un rapide survol des rayons des librairies montre que l'édition est loin d'être restée muette devant les changements récents.

On peut souligner que cet enseignement semble bien accepté par des élèves qui pour la plupart atteignent en Lycée leur majorité. Une enquête menée par Joël Cornette et Jean-Noël Luc, publiée dans Vingtième siècle en avril-juin 1985, le montre parfaitement : le programme est généralement jugé intéressant et nécessaire.

Aussi, malgré les tentatives répétées - en 1985 et 1991-1992 - pour restreindre sa place dans les programmes, le temps présent paraît solidement installé dans notre enseignement.

Des réticences durables dans le supérieur

Il en va autrement dans l'enseignement supérieur. La lecture d'un sondage publié par la revue L'histoire en mai 1990 (n° 133) est éloquente : l'histoire du XXe siècle est belle et bien absente des palmarès élaborés par les historiens interrogés, et ceci même chez les contemporanéistes.

Je souhaiterais éclairer ce paradoxe dans mon exposé. Deux points seront développés :

- la légitimation et l'institutionnalisation tardives de l'histoire du temps présent dans l'université française.
-  dans une seconde partie, deux questions méritent un sort particulier : la place de l'histoire orale, plus précisément des sources orales dans l'écriture de cette histoire et les relations entre l'histoire du temps présent et les autres sciences sociales et humaines.

I- Une institutionnalisation tardive dans l'université française.

Cette double caractéristique peut sans doute s'expliquer à la fois par des éléments externes et internes à la discipline :

Premier facteur : le rapport difficile que la France entretient avec son histoire du dernier siècle. Ce siècle est marqué au moins par un double traumatisme :

- la défaite de 1940 et le régime de Vichy : le « syndrome de Vichy » (Henry Rousso).
-  la crise morale et politique liée à une décolonisation difficile marquée par deux conflits ; la guerre d'Algérie étant d'une portée sans doute plus grande que la guerre d'Indochine.

Il faut rappeler que le cadre de classement des archives française est loin d'être innocent : en 1965, l'administration choisit comme date butoir de la section moderne des archives nationales, mais aussi départementales, le 10 juillet 1940.

 

A ces facteurs externes, il faut ajouter des facteurs internes à la discipline. En France, le renouvellement de la discipline après 1945 s'est construit sur les paradigmes diffusés par l'Ecole des Annales . Au-delà des spécialités des deux fondateurs (un médiéviste, Marc Bloch et un moderniste, Lucien Febvre), l'histoire contemporaine trouvait difficilement sa place au sein des postulats alors privilégiés :

- la prééminence des structures durables sur les accidents de la conjoncture.
-
la longue durée élevée au rang de dogme par Fernand Braudel dans les années soixante qui rendait obsolètes les mouvements de faible amplitude.
- l e refus de l'événementiel comme facteur explicatif au profit d'un sens économique et social du temps.

L'Ecole des Annales puis la Nouvelle histoire ont très largement ignoré le contemporain, a fortiori le temps présent et l'immédiat. Aujourd'hui encore les contemporanéistes sont bien peu présents à l'EHESS (Pierre Nora, Jacques Julliard, Christophe Prochasson). Il faut attendre 1982 pour que les AESC ouvrent une rubrique « Temps présent ».

Nuançons cependant ce tableau : c'est de l'EHESS que partirent deux réflexions essentielles sur le temps présent.

1)
L'article de Pierre Nora (alors Maître de conférences à l'IEP de Paris) « Le retour de l'événement » publié dans Faire de l'histoire en 1974 - en fait la reprise d'un article publié dans la revue Communication dès 1972 sous le titre « l'événement monstre » - qui moins qu'une réhabilitation de l'histoire du temps présent propose une analyse de la place et la nature de l'événement dans nos sociétés : la nouveauté chez Nora c'est la certitude qu'aujourd'hui la représentation l'emporte sur le fait. Cette démarche aboutit dans les années quatre-vingt aux « Lieux de mémoire ». Reste que l'histoire du temps présent ne se réduit pas à l'histoire de la mémoire.
2)
le chapitre « histoire immédiate » de Jean Lacouture publié dans La Nouvelle Histoire en 1978. De fait, il s'agissait pour l'essentiel de la théorisation de la pratique personnelle de l'auteur qui avait fondé dès 1962 la collection « l'Histoire immédiate » aux éditions du Seuil. Après lui, de nombreux hommes de presse (Amouroux, Rouanet, Viansson-Ponté, Fontaine) occupèrent l'espace libre (le marché éditorial aussi) laissé par des historiens confinés dans leur chaire de la Sorbonne et ne comprenant leur fonction uniquement dans le couple recherche/formation. Dès lors, la production journalistique, souvent de qualité, témoignait d'une forte demande sociale et tendait, non plus seulement à enregistrer le simple écho de l'actualité, mais aussi à produire une histoire élaborée et critique.

 

 

De plus, l'histoire contemporaine est dans les années cinquante et soixante dominée en France par deux « mandarins » dont les préoccupations scientifiques sont peu ancrées dans le XXe siècle :

1)
l'histoire sociale impulsée par Ernest Labrousse, influencée par le marxisme, lance de grandes monographies régionales centrées sur le XIXe siècle. (ex : Pierre L'évêque pour la Bourgogne, thèse soutenue en 1974).
2)
l'histoire des relations internationales impulsée par Pierre Renouvin puis Jean-Baptiste Duroselle reste alors essentiellement centrée sur les causes de la Première Guerre mondiale.

Au début des années soixante, la situation est claire, l'histoire du temps présent ne fait pas partie (sauf exception) des pratiques universitaires françaises. Et, en 1957, quand René Rémond publie son article « plaidoyer pour une histoire délaissée. La fin de la IIIe République » dans la Revue française de science politique (qui n'est pas une revue d'histoire !), il fait figure de pionnier.

Dès lors, l'acculturation dans le milieu universitaire français d'une histoire du temps présent va se faire largement par l'histoire politique. Compte tenu du décalage lié au temps nécessaire à la préparation des thèses d'Etat, les premiers résultats ne seront probants qu'à partir des années soixante-dix. La seule exception significative est la thèse soutenue en 1964 (il y a trente ans) par Annie Kriegel sur « les origines du PCF ». C'est la première soutenance en Sorbonne à oser dépasser le butoir de 1914.

Les années qui suivent voient les premières grandes thèses d'histoire du temps présent publiées par la FNSP :


- celle de Jean-Jacques Becker sur l'opinion publique en 1914 (1977)
- celle d'Antoine Prost sur les Anciens combattants dans l'entre-deux-guerres (1978)
- celle de Serge Berstein sur le Parti radical dans l'entre-deux-guerres (1980 et 1982)

A ceci, il faut ajouter le poids croissant de René Rémond dans l'institution. Ce que Fernand Braudel avait réussi en obtenant l'autonomie de l'EHESS, René Rémond l'obtient en jouant sur plusieurs registres :

-
premier président de l'Université de Paris X-Nanterre, il y met en place un actif groupe d'enseignants-chercheurs en histoire contemporaine.
-
professeur à l'IEP de Paris, il met sur pied des relations étroites entre les sciences politiques et Nanterre. Bien plus, il permet aux historiens de prendre pied rue Saint-Guillaume.
-
bientôt président du jury de l'agrégation, René Rémond utilise avec finesse le concours pour légitimer l'histoire du temps présent.
-
enfin, militant de la première heure de cette approche, il obtient en 1978 la transformation du très officiel « Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale » en laboratoire propre du CNRS : l'Institut d'histoire du temps présent était né. L'IHTP va gérer l'héritage et va, sous la direction de François Bédarida (un des premiers élèves de René Rémond), définitivement asseoir la pratique et l'écriture de ce type d'histoire. En 1984, le lancement de la revue Vingtième siècle , confirme cette reconnaissance.

Certes, les critiques existent toujours (comme celles de Pierre Goubert), le besoin de légitimation est toujours de rigueur mais aujourd'hui les travaux réalisés ont montré dans une large mesure le caractère périmé des méfiances épistémologiques. Ces dernières peuvent être regroupées autour de trois points :

1)
Première objection (la plus forte) : comment traduire en termes de durée et d'intelligibilité un présent par définition éphémère ? Posée d'une autre manière cette objection revient à mettre au premier plan la question du « recul ». Les critiques de l'histoire positiviste soulignent le caractère téléologique de cette nécessité. Rappelons également que toute reconstruction de l'historien est par définition éphémère. Il s'agit d'un état de la question qui a vocation à être dépassé par de futures recherches. Faut-il laisser cette tranche chronologique aux seules investigations des journalistes et des autres sciences sociales ?
2)
Deuxième objection qui touche à la déontologie du métier : l'objectivité d'un historien dont l'investigation serait en partie marquée du sceau infamant du vécu ? Rappelons tout d'abord que la quête de l'objectivité n'est pas propre à l'historien du temps présent. Ces dernières décennies ont d'ailleurs vu se déployer d'intenses débats autour de la question de l'esclavage dans la Grèce antique et à propos de l'interprétation de la Révolution française. L'historien américain Eugen Weber souligne : « il n'y a pas d'objectivité, seulement du professionnalisme ». A ce titre, l'historien du temps présent doit rester marqué par le souci de la vérité. Cette exigence déontologique et éthique est par ailleurs une réponse forte aux courants post-modernes, surtout vivaces outre-atlantique, qui ont tendance à réduire l'histoire à une forme de fiction.
3)
Troisième objection qui, elle, est davantage technique : l'historien du temps présent ne bénéficie pas de la totalité des sources virtuellement consultables. Cette contrainte n'est pas niable et la législation française, malgré de possibles dérogations, se caractérise par un accès difficile aux archives récentes. Ceci étant, l'historien du temps présent peut recourir à de multiples sources facilement accessibles comme la presse, les débats parlementaires, les archives privées. A ce titre, sa situation est souvent plus confortable que celle des spécialistes de l'antiquité et du moyen-âge. De plus, il a le privilège de pouvoir faire appel aux « sources orales ».

II- Sources orales et relations avec les autres sciences humaines

1) Les sources orales, des sources spécifiques

Il existe pour cette question une bibliographie importante : l'IHTP a dès les lendemains de sa naissance lancé une réflexion sur la place des sources orales.

Tout d'abord, il faut lever une ambiguïté : utiliser des sources orales ne revient pas à pratiquer une histoire uniquement orale. L'historien du temps présent, comme ses collègues qui travaillent sur d'autres périodes, s'évertue pour répondre à sa problématique à multiplier et à croiser le type de sources.

Il est vrai que l'histoire orale, proche de « l'oral history » anglo-saxonne, a été pratiquée en France notamment dans la perspective d'une histoire militante qui souhaitait donner ou rendre la parole à ceux qui ne l'avait pas.
Aujourd'hui, les historiens préfèrent utiliser la notion de « source orale » : tout historien du très contemporain a recours aux témoignages oraux. Enregistrés et déposés dans le cadre d'un dépôt d'archives, elles deviennent des « archives orales ».

Première remarque : l'historien du temps présent utilise la source orale au même titre que les autres sources, c'est-à-dire qu'il la questionne et la soumet à la critique. La source orale n'est pas épistémologiquement moins pure que la source écrite.
La spécificité de la source orale : c'est une source provoquée, plus il y a contemporanéité entre le témoin et l'historien. Cette relation interpersonnelle, impossible pour les historiens des autres périodes, permet à l'historien du temps présent de dialoguer avec sa source. L'historien doit donc créer une médiation entre lui et le témoin. Il est dès lors évident que la question de la construction de la mémoire se pose avec une acuité particulière.

2)  Les relations avec les autres sciences humaines

La présence active des sociologues et des politistes place l'historien du temps présent devant trois types de défis. En premier lieu, la sociologie et les sciences politiques ont sédimenté toute une série de travaux depuis les années 50. Ceux-ci constituent à la fois des sources, des matériaux empiriques et des analyses pour l'historien. Cette configuration est singulière et ne se pose pas pour les historiens de l'avant 1945 qui ne rencontrent qu'une sociologie naissante et balbutiante.

Le second défi auquel est confronté l'historien du temps présent est lié aux difficiles rapports entre les pratiques historiennes et sociologiques. Le débat n'est pas nouveau et les lignes de fractures ne se sont pas fondamentalement déplacées depuis les polémiques entre Charles Seignobos et Emile Durkheim à la fin du siècle dernier. Certains sociologues, comme Pierre Bourdieu, réfutent la pertinence des découpages disciplinaires et plaident pour l'unité de la science. Dès lors, les « sciences historiques », comme les nomme Pierre Bourdieu, doivent aboutir à la fusion des deux disciplines : l'histoire doit devenir une « sociologie historique du passé » et la sociologie, une « histoire sociale du présent ». Pour l'heure, le postulat de l'unité de la science permet au sociologue de juger la pertinence scientifique des travaux historiens. Pierre Bourdieu dénonce la perte d'autonomie de certains historiens qui acceptent de pratiquer une histoire commémorative pour le grand public aux dépens d'une histoire professionnelle faite pour ses pairs. Cette façon de lire les pratiques disciplinaires à partir de la position volontairement extérieure de la sociologie par rapport à la société ignore combien, en France, la pratique historienne s'est construite autour du triptyque enseignement-recherche-vulgarisation avec, de plus, une forte implication civique.

Face à ces positions, les historiens ont souvent dénoncé le dogmatisme bourdieusien, ce qui les conduit quelquefois à ignorer les avancées méthodologiques et conceptuelles de cette sociologie critique. En revanche, quelques rares historiens se sont appropriés, avec plus ou moins de liberté, ses méthodes et concepts. Christophe Charle, par exemple, construit son « invention des intellectuels » sur ces bases-là. D'autres chercheurs, comme Roger Chartier et Gérard Noiriel, poursuivent le dialogue sans pour autant dissoudre les singularités historiennes. L'approche « pragmatiste » défendue par Gérard Noiriel vise, non à l'unification des deux disciplines, mais à la traduction des langages disciplinaires dans l'optique d'une nécessaire collaboration.

Le troisième défi est celui posé par la montée en puissance de la sociologie historique sous ses diverses formes. Depuis les années 70, une sociologie historique du politique s'est développée à côté d'une histoire politique renouvelée. Le même phénomène affecte aujourd'hui l'histoire culturelle, notamment la branche qui se propose d'étudier l'histoire des institutions et des politiques culturelles. Une nouvelle génération de chercheurs, issus de la sociologie critique, de la sociologie des organisations ou encore de l'étude des politiques publiques, a faites siennes les méthodes du métier d'historien. La collecte des sources et le rapport au temps, et en premier chef au temps présent, sont désormais partagés par plusieurs sciences sociales. A plus d'un titre, et les travaux de Jean-Claude Passeron le démontrent, l'écart epistémologique entre historiens et sociologues n'a plus de raison d'être. Les emprunts réciproques se sont multipliés depuis les débats fondateurs, aujourd'hui centenaires : la périodisation , les descriptions multidimensionnelles, les analyses des interactions migrant dans un sens ; les typologies, les théories et modèles, le recours aux méthodes quantitatives migrant dans l'autre sens.

Cette confrontation directe a le mérite d'obliger l'historien du temps présent à durcir un outillage conceptuel initialement « mou ». Sauf à ignorer l'autre par un processus de dénégation, l'historien a beaucoup à apprendre dans la communication interdisciplinaire. Cependant, cette pluralité de regards et d'approches est sans doute une richesse qu'il s'agit de faire vivre dans un respect réciproque des identités disciplinaires. Ces dernières restent vivaces. Les héritiers de l'Ecole des Annales ont sans doute ressenti cette exigence en rebaptisant en 1994, à la suite du « tournant critique », les illustres Annales Economies, Sociétés, Civilisation ,   Annales : Histoire, sciences sociales . Le credo de la nécessaire interdisciplinarité n'est plus guère chanté. Dès 1990, Bernard Lepetit plaidait modestement pour une pratique restreinte de l'interdisciplinarité qui devait se matérialiser « simplement comme un processus maîtrisé d'emprunts réciproques, entre les différentes sciences de l'homme, de concepts, de problématiques et de méthodes pour les lectures renouvelées de la réalité sociale ». Ces identités disciplinaires alimentées par des formations, des recrutements, des carrières, des traditions professionnelles et intellectuelles font que les travaux d'un historien du temps présent et d'un socio-historien restent, sauf exception, parfaitement identifiables.

Confronté au temps présent, l'historien obéit aux règles déontologiques de la discipline. La coexistence avec les autres sciences sociales oblige l'historien du temps présent à rappeler avec force les spécificités de la pratique historienne. Sans exclure le raisonnement sociologique, il s'agit de privilégier l'examen des temporalités localisées dans une perspective diachronique. Antoine Prost rappelle cette spécificité de la démarche historienne : « ce qui définit l'histoire n'est pas les objets qu'elle étudie, mais le regard que l'historien porte sur eux. Le propre de l'histoire n'est donc pas de l'ordre de la méthode, mais de l'interrogation : celle qui porte sur le changement dans le temps ».

Conclusion

L'histoire du temps présent appartient aujourd'hui au territoire de l'historien. Elle a le mérite de conforter la place de l'historien au sein de la cité. Il reste que cette histoire est particulièrement délicate à construire et à mettre en ouvre.

Aussi, les polémiques récentes suscitées par les « archives (dites) de Moscou » et l'histoire de la Résistance (« Affaire » Aubrac) ont vu l'historien-expert interpellé dans le cadre d'une médiatisation et d'une politisation croissante. Faut-il pour autant remettre en cause les valeurs cognitives et heuristiques de 'histoire du temps présent ? Nous ne le pensons pas. L'humilité, l'indépendance et la responsabilité doivent absolument régir la pratique de l'historien du temps présent.

 

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

 

I- L'HISTOIRE DU TEMPS PRÉSENT
II- L'HISTORIOGRAPHIE
1) Le statut de l'historien
2) L'histoire de l'histoire
3) Le métier d'historien

 

L'HISTOIRE DU TEMPS PRÉSENT

AZÉMA, Jean-Pierre. « Temps présent » dans André BURGUIÈRE. [dir.]. Dictionnaire des Sciences historiques. Paris PUF, 1986. p. 653-656.

BÉDARIDA, François . « L'histoire du temps présent ». Sciences Humaines . septembre-octobre 1997. Hors série n° 18. p. 30-32.

CHAUVEAU, Agnès. TÉTART, Philippe. [sous la responsabilité de]. Questions à l'histoire des temps présents . Bruxelles : Ed. Complexe, 1992. 136 p.

DUMOULIN, Olivier. « Histoire du temps présent : spécificité des sources et de la démarche » dans Premières recherches. Débuter dans la recherche historique . Paris : Histoire au Présent-La boutique de l'Histoire-Publications de la Sorbonne, 1989. p. 126-129.

Ecrire l'histoire du temps présent . En hommage à François Bédarida . Paris : CNRS Editions, 1993. 417 p.

Histoire et temps présent. Paris : IHTP-CNRS, 1981. 149 p.

PESCHANSKI, Denis. POLLAK, Michael. ROUSSO, Henry. « Le temps présent, une démarche historienne à l'épreuve des sciences sociales » dans Histoire politique et sciences sociales. Les Cahiers de l'IHTP . juin 1991. n°18. p. 9-24.

SOULET, Jean-François. GUINLE-LORINET, Sylvaine. Précis d'Histoire immédiate. Le monde depuis la fin des années 60 . Paris : A. Colin, 1989. 480 p.

SOULET, Jean-François. L'histoire immédiate . Paris : PUF, 1994. 127 p.

Complément bibliographique (actualisation de janvier 2004) :

François Bédarida, Histoire, critique et responsabilité , Bruxelles,Complexe, 2003.

Philippe Poirrier, Aborder l'histoire, Paris, Seuil, 2000.

Serge Wolikow et Philippe Poirrier (dir.), Où en est l'histoire du temps présent ? Notions, problèmes et territoires , Editions universitaires de Dijon, Dijon, 1998.

" L'histoire du temps présent : hier et aujourd'hui ", Bulletin de l'Institut d'histoire du temps présent , juin 2000, n° 75.

" L'histoire du temps présent ", Revue pour l'histoire du CNRS , 2003, n°9.

L'HISTORIOGRAPHIE

1) LE STATUT DE L'HISTORIEN

« Le temps réfléchi. L'histoire au risque des historien ». Espaces Temps. 1995. n° 59-61.

BOUTIER, Jean et JULIA, Dominique. [dir.]. Passés recomposés. Champs et chantiers de l'histoire . Paris : Autrement, 1995.

BÉDARIDA, François. [dir.]. L'histoire et le métier d'historien en France 1945-1995 . Paris : Editions de la MSH, 1995.

NOIRIEL, Gérard. Sur la « crise » de l'histoire . Paris : Belin, 1996.

PROST, Antoine. Douze leçons sur l'histoire . Paris : Seuil, 1996.

CHARTIER, Roger. « Le statut de l'histoire ». Esprit. octobre 1996. n° 10. p. 133-143.

2) L'HISTOIRE DE L'HISTOIRE

BOURDE, Guy. MARTIN, Henri. Les Ecoles historiques . Paris : Le Seuil, 1983.

BURGUIÉRE, André. [dir.]. Dictionnaire des sciences historiques . Paris : PUF, 1986.

CAIRE-JABINET, Marie-Paule. Introduction à l'historiographie . Paris : Nathan, 1994.

CARBONELL, Charles-Olivier. L'Historiographie. Paris : PUF, 1981. (coll. Q.S., n°1966).

CARBONELL, Charles-Olivier et WALCH, Jean. [dir.]. Les sciences historiques de l'antiquité à nos jours . Paris : Larousse, 1994.

L'Histoire en France . Paris : La Découverte, 1990.

LE GOFF, Jacques. Histoire et mémoire . Paris : Calman-Lévy, 1987.

LE GOFF, Jacques. [dir.]. La nouvelle Histoire . Paris : Retz, 1978.

LE GOFF, Jacques. NORA, Pierre. [dir.]. Faire de l'Histoire. 3 vol . Paris : Gallimard, 1974.

MARROU, Henri-Irénée. De la Connaissance historique . Paris : Le Seuil, 1964.

WALCH, Jean. Historiographie structurale . Paris : Masson, 1990.

3) LE MÉTIER D'HISTORIEN

BLOCH, Marc. Apologie pour l'Histoire . Paris : A.Colin, 1974. [1941].

FERRO, Marc. L'Histoire sous surveillance . Paris : Gallimard, 1988.

NORA, Pierre. [dir.]. Essais d'Ego-histoire . Paris : Gallimard, 1987.

Premières recherches : Débuter dans la recherche historique . Paris : Histoire au Présent, 1989.

RÉMOND, René. [dir.]. Etre historien aujourd'hui . Paris : Unesco-érès, 1988.