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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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Le « Groupe des trente » Ainsi que le note François Porcile dans l'introduction à sa Défense du court métrage français, l'histoire de ce dernier n'est qu'une longue succession d'affrontements menés pour l'imposer comme réalité effec tive aux pouvoirs publics. L'épisode du Groupe des Trente représente un moment important de cette lutte, dans la seconde moitié des années 50. Pour en saisir l'émergence, un rappel de l'histoire économi que du cinéma est nécessaire. Jusqu'en 1939, en France, l'Etat n'accorde aucune aide à la production du court métrage ni à son exploita tion, et ne lui reconnaît pas de statut particulier. En supprimant le double programme (c'est-à-dire la programmation jumelée, au cours d'une même séance, de deux films de long métrage), la loi de réglemen tation de l'industrie cinématographique du 26 octobre 1940 accorde par là même à ce court métrage une existence officielle. Sa programma tion devient même obligatoire en complément du grand film de la séance, séance dont 3 pour 100 des recettes brutes, en théorie, revien nent désormais d'office à l'ouvre de court métrage présentée. La Libération ne supprime pas le système mais le confirme, par la loi d'aide du 29 septembre 1948. Dans la mesure où c'est le long métrage qui continue de décider du succès ou de l'échec commercial de la séance de cinéma, cette rétribution uniforme du court métrage au prorata des recettes - et indépendamment de la valeur de ce court métrage - ne motive pas, bien entendu, l'intérêt des distributeurs pour le film de première partie : ces derniers ne recherchent en fait qu'un complément de programme, au sens faible de l'expression, et dès lors qu'en pratique la rémunération du court métrage se fait souvent au mépris de la réglementation, autrement dit au forfait plutôt qu'au pourcentage, ils le recherchent au meilleur prix. Aussi marquent-ils leur préférence pour des films dont ils n'ont pas à payer les frais de copie, pour des films entièrement financés par leurs commanditaires. Comme l'écrit encore François Porcile, c'est alors le règne de « l'apologue touristique sub ventionné par tel ou tel syndicat d'initiative, l'éloge de l'industrie des parapluies ou des abat-jour à franges, la mise en boîte des sardines et la fabrication des bicyclettes ». Le court métrage n'est dans ces conditions qu'un simple vecteur de la propagande industrielle, au sens où le film de commande se résume dans la quasi-totalité des cas à un produit de série : l'extraordinaire Chant du Styrène (1958) d'Alain Resnais fait à tous points de vue figure d'exception à cette règle.
Mais le 21 août est voté un décret-loi supprimant l'obligation pour les exploitants de projeter un court métrage français en accompagne ment de chaque long métrage français ; en théorie, le double programme se trouve de nouveau autorisé. C'est de la conjonction de cet espoir (loi du 6 août) et de cette menace (loi du 21 août) que naît très concrètement le Groupe des Trente, composé de réalisateurs, de producteurs et de techniciens du court métrage. Initialement de 30, le nombre de ses membres augmente vite en des proportions considérables, pour dépasser à terme la centaine.
Le Groupe publie son manifeste le 20 décembre 1953. On peut y lire : « À côté du roman ou des ouvres les plus vastes existent le poème, la nouvelle ou l'essai qui jouent bien souvent le rôle de ferment, remplis sant une fonction de renouvellement, apportant un sang nouveau. C'est ce rôle que le court métrage n'a jamais cessé de jouer. Sa mort serait finalement celle du cinéma, car un art qui ne bouge pas est un art qui meurt. (...) Notre groupe refuse d'admettre qu'il soit trop tard. Il en appelle au public, aux organismes responsables, aux parlementai res. » Le Groupe des Trente reçoit de très nombreux appuis dans la profession et à sa périphérie. Il se structure bientôt en association de loi 1901, le 2 septembre 1954, et tient sa première assemblée générale le 18 octobre de la même année.
Organisation de défense du court métrage, il ne saurait être consi déré comme le cadre d'expression d'une école esthétique : on y trouve sans doute une unité d'intention dans la « bataille de la qualité » pour le court métrage, mais pas de véritable unité de création, même si l'on a souvent parlé à son endroit d'école française du court métrage, sous prétexte qu'au cours des années 50 les meilleurs réalisateurs de la discipline en ont fait partie : Alexandre Astruc, Jacques Baratier, Yannick Bellon, Georges Franju, Paul Grimault, Robert Hessens, Marcel Ichac, Pierre Kast, Roger Leenhardt, Chris Marker, Jacques Demy, Robert Ménégoz, Jean Mitry, Jean Painlevé, Paul Paviot, Alain Resnais, Georges Rouquier, etc. Chacun d'entre eux avait en fait révélé sa valeur bien avant la formation du Groupe des Trente ; il ne faut donc considérer celui-ci que sous l'angle du mouvement militant. Sans vouloir se substituer aux organisations syndicales et profes sionnelles existant déjà, le Groupe défendit clairement la loi du 6 août dans son esprit. La virulence de ses réactions (Paul Paviot en fut à cet égard le secrétaire le plus remuant) et les tentations impérialistes auxquelles il céda parfois, en voulant à tout prix coordonner la lutte pour la survie du court métrage, provoquèrent plusieurs fois de sérieuses frictions, voire des affrontements ouverts avec ceux des membres de la profession qui n'avaient pas intérêt à ce que soit mis en place un système d'aide à la qualité. À l'intérieur même du Groupe, des tensions purent se faire jour, opposant notamment ce que l'on pourrait appeler une tendance « réaliste », désirant prévoir la rentabilité immédiate du court métrage, et une tendance « idéaliste », cherchant à en développer le prestige national et international. C'est évidemment cette dernière que l'histoire identifie aujourd'hui au Groupe des Trente, c'est en tout cas à l'époque celle qui suscité les plus vives sympathies, à commencer par celle d'André Bazin, qui écrivait dans le numéro 500 de Arts (26 janvier 1955) : « Si le court métrage doit rester un spectacle, il doit aussi être fidèle à sa vocation expérimentale et continuer pour une part d'être le petit secteur marginal du cinéma où les exigences de l'art peuvent encore prévaloir sur celles de l'industrie. (...) Si l'on veut qu'il mérite de vivre, il faut en accepter les moyens. »
Pour conclure, c'est sans doute essentiellement grâce à l'action du Groupe des Trente que le principe de l'aide à la qualité s'est imposé pour le court métrage. Et si ce dernier n'a jamais connu l'âge d'or que beaucoup appelaient de leurs voux, la production française de la seconde moitié des années 50 n'en fut pas moins particulièrement brillante ; l'aide à la qualité y fut peut-être pour quelque chose. Le Groupe des Trente a eu en tout cas le mérite de créer un intérêt autour du court métrage, et son influence bénéfique se retrouve certainement, par exemple, dans le succès du festival de Tours, ou encore la création, au début des années 60, d'une émission de télévision comme Cinéma sans étoile, de Maïté Picard et Pierre Meurisse, où l'on présentait les courts métrages de jeunes réalisateurs.
Bibliographie : François porcile, Défense du court métrage français, Paris, éditions du cerf, 1965. |
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