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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Marc Ferro : Les Voirs de l’histoire


Historien, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Concepteur depuis 5 ans de l’émission télévisée diffusée par la chaîne franco-allemande " Arte " : " Histoire parrallèle ". Son principe: la confrontation d’images des deux " actualités " de la période de la seconde guerre mondiale. Images des témoins anonymes et images officielles. Cette émission,qui suit au jour le jour " en temps réel " les mêmes moments de la période évoquée, a suscité un courrier que Marc FERRO et Claire BABIN viennent de publier: " Revivre l’histoire " editions Liana Levi/Arte, 1995, 312pp.

Marc Ferro, "Histoire écrite, histoire non-écrite: le visible et le non-dit des discours historiques"


Il existe plusieurs types de discours historiques. Chacun a son statut, ses modalités propres. Le premier de ces types peut s'appeler l'histoire traditionnelle; elle est bien connue puisqu'elle est un élément de l'histoire universelle: chaque pays a la sienne qui se retrouve volontiers dans les manuels scolaires; elle tend à l'ethnocentrisme. Cette histoire général est aujourd'hui mise en cause par une autre forme d'histoire, dite histoire-mémoire, pour autant qu'on s'est aperçu que l'histoire traditionnelle était volontiers au service d'une nation, d'un parti, bref d'une idéologie; on l'a donc mise en cause dans tout les pays où elle est devenue suspecte. Un troisième type d'histoire existe, volontiers identifié à l'école des Annales, qu'on pourrait appeler histoire expérimentale pour autant qu'elle pose des problèmes, des questions au passé et au présent et qu'elle ne "raconte" pas l'historique d'une société ou d'un événement. Elle ne dit pas ce qu'a été le passé ou le présent du Portugal ou de la Turquie, ni ce qu'une société se remémore d'elle-même; mais, par exemple, elle se demande pourquoi, dans l'Antiquité, l'Italie méridionale était développée, et pas l'Italie du Nord - et pourquoi depuis le XIXe siècle c'est l'inverse.

Par ailleurs, l'écriture de l'histoire est variable. Elle peut prendre la forme d'ouvrages, de films, d'émissions de télévision, de reportages écrits ou audiovisuels, de bandes dessinées.

On ne se demandera pas ici si une écriture est plus légitime qu'une autre; mais on essaiera de voir qu'elle est la spécificité de plusieurs de ces formes ou de ces écritures de l'histoire.

Première donnée, comment s'opère le choix des informations ?

Dans l'histoire traditionnelle écrite, l'auteur donne plus volontiers ses sources qu'il ne précise le principe de sélection de ses informations: il cite Lénine Tome 29 page 228, mais n'explique pas pourquoi il n'a pas choisi Lénine Tome 38 page 331. Surtout l'histoire traditionnelle sélectionne ses informations selon un principe hiérarchique. Certaines sources sont jugées importantes, d'autre moins. On citera plus volontiers un texte inédit d'un ministre ou un traité de commerce qu'un jugement qui émane du premier venu. Autrement dit la hiérarchie des sources est liée au statut de ces sources officielles avancent ainsi en tête du cortège, costumés en or, tandis que les sources privées ou publiques comme les journaux et autres suivent modestement velus de noir...

 

Ainsi cette histoire, qu'elle le veille ou non, s'inscrit toujours dans le discours du pouvoir même si elle veut s'opposer à ce pouvoir.

L'histoire-mémoire ne sélectionne pas ses informations selon le même principe. On dira plutôt qu'elle procède à une accumulation de ces informations; que chaque nouvelle information sur l'histoire de mon village, sur celle de ma famille est un apport sacré: et cette sacralisation transforme volontiers l'histoire-mémoire en une histoire inviolable, intouchable.

On ne critique pas l'histoire-mémoire: on l'écoute avec piété; sinon on sort du groupe à la différence des deux autres.

L'histoire expérimentale explique le principe de sélection de ses sources. Si je me demande à quel âge on se marie au Portugal au XVIIe siècle et si cela a changé depuis, j'explique quelles sources je vais utiliser et j'indique comment je vais les utiliser. Il n'y a ni accumulation ni hiérarchisation, mais justification. Mais il n'y a pas le choix des informations qui diffère dans les différents types d'histoire.

Dans l'histoire traditionnelle, l'agencement des ces informations est chronologique et il prend la forme du récit, tout comme dans l'histoire-mémoire. Par contre dans l'histoire expérimentale il n'y a ni un écrit ni une chronologie, mais une logique de la démonstration et c'est elle qui est jugée, validée comme scientifique ou non scientifique.

L'enjeu de ces différents types d'histoire varie également. Celui qui fait de l’histoire générale souhaite d'être reconnu par les instances de son Etat, de sa nation ou de son Parti: ce sont les honneurs qu'il recherche. L'historien de mémoire cherche à valoriser son groupe, à en être le chantre. L'historien expérimental se veut homme de science, et il l'entend exercer une sorte d'ascendant intellectuel sur les autres groupes sociaux. C'est ce pouvoir intellectuel qui l'intéresse, pas spécialement le pouvoir tout court.

 

Ces remarques s'appliquent aussi bien à l'écriture filmique de l'histoire: qu'il s'agisse de la fiction, ou de l'information télévisée, - qui est une forme d'histoire comme l'étaient les actualités.

Dans le cadre de l'histoire-fiction au cinéma (le cas du roman historique aurait pu aussi bien être retenu à titre d'exemple), le choix des informations rappelle celui de l'histoire générale, voire de l'histoire-mémoire avec cette différence que le cinéaste procède à une sélection qui tient compte de l'intérêt propre des spectateurs d'aujourd'hui. L'actualité commande donc le choix des informations sur le passé autant que le passé autant que le passé lui-même, ou du moins la manière dont ses acteurs vivaient leur histoire.

Deuxième trait: Le scénario doit obéir à un principe d'ordre dramatique qui ne corrobore pas nécessairement la succession des faits qui retient l'histoire traditionnelle. En outre le récit filmique doit répondre à des impératifs esthétiques qui peuvent modifier, comme le précédent, l'ordre historique traditionnel, Par exemple, il est sûr qu'un film doit sécréter un certain suspense alors que l'histoire véritable ne se déroule pas suivant un rythme de même nature.

Quant à l'information télévisé, son choix obéit a des règles particulières: elle doit frapper l'opinion, créer un choc. L'image-choc est ainsi une nécessité pour capter l'attention; le scoop en est une autre, d'autant plus recherché d'autant plus qu'il existe plusieurs chaînes de télévision - mais on retrouve le même trait dans la presse écrite. Ajoutons que l'information télévisée cherche à atteindre un double objectif: ubiquité et simultanéité. Lors des crises, par exemple la guerre du Golfe, elle entend être présente à Bagdad comme à Washington ou Moscou, etc. Le suspense se déplace lorsqu'on attend des informations de Tel-Aviv qui ne viennent pas... Ainsi l'information ne porte plus seulement sur les faits qu'elle d'écrit mais sur ses propres informateurs.

Quant à la simultanéité elle constitue bien le mythe par excellence, puisque l'information télévisée prétend transcrire l'histoire en direct. Il s’agit bien d'une mystification puisque - si on peut transmettre un match de football en direct (il dure 1h30 et on en connaît les règles) -, l'histoire, quant à elle, n'a pas de durée définie; on en connaît les origines ou le passé mais pas l'avenir car elle n'obéit à aucune règle.

 

Pour terminer on voudrait dire un mot d'une émission d'histoire d'un type nouveau, Histoire Parallèle. Semaine après semaine, cette émission présente les actualités de deux pays belligérants, cinquante ans après la 2e guerre mondiale; cette semaine les actualités américaines et françaises, la semaine prochaine les allemandes et les soviétiques, etc. Deux intervenants de nationalité différente ou de statut différent font la critique de cette double information officielle pour en montrer les omissions, les lapsus, etc. Le but était de faire une analyse comparée des formes du discours de propagande dans les différents pays en guerre.

Or, on s'est aperçu après quatre années d'émissions que les spectateurs ont, certes, compris la fonction de ce type d'histoire, mais que d'une certaine façon le phénomène social important est que grâce a ce programme, beaucoup ont put revivre leur propre histoire, au rythme de cette histoire. En effet, d'ordinaire, dans un film, la durée des événements traités s'achève avec la fin du film: en 1h30 Hitler prend le pouvoir et perd la guerre; dans un film de

fiction, sur la même durée, un drame se noue entre un couple qui connaît un amour impossible, ou autre scénario obéissant aux règles traditionnelles de l'histoire de l'amour, qu'il s'agisse de Tristan ou Yseult ou de Roméo et Juliette.

Tout est bouclé à l'intérieur de la durée du spectacle. Alors que dans Histoire Parallèle, la Bataille de Stalingrad dure cinq mois d'octobre 92 à février 93; et on sent bien, qu'après la libération de Paris en août 44 il a fallu attendre encore sept mois pour que l'Alsace soit vraiment libérée.

Ainsi, l'histoire en temps réel a-t-elle fait irruption comme une nouvelle forme d'histoire.

Marc FERRO


Source : http://site.ifrance.com/ATALAIA/ferro.htm