LOGIN: 
   PASSWORD: 
                       accès étudiants

 

 
          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
| cours | | | | |
|
f

chercher

économie du cinéma
politiques de l'audiovisuel
exploitation-programmation
histoire du cinéma
théorie du cinéma
analyse de film
le cinéma de genre
économie de la culture
art, société & politique
politiques culturelles
institutions culturelles
projet professionnel

l'Europe de la culture
les médias européens
sociologie des médias
   
  liste complète des cours
   
Recherche
programme de recherche
expertises scientifiques
Commission Européenne
   
Publications
ouvrages
chapitres d'ouvrages
articles de revues
colloques & conférences
entretiens
   
Direction de recherches
choix du sujet
choix du directeur
travaux en ligne
consignes de rédaction
stages
   
   
   
espace réservé
  ads1
   
Traductions
 
 

Cinéma ou vidéoprojection ? : les exploitants et le numérique


I. Les exploitants favorables :

interview de Jean-Jacques Schpoliansky, directeur du cinéma Le Balzac, sur les Champs-Elysées, l'une des premières salles de France équipée d'un projecteur numérique. (Projections Action cinéma/audiovisuel, n° 13, septembre-octobre 2004


II. Les exploitants qui font barrage

Analysant les difficultés de la projection numérique à s'imposer dans les salles, l'étude réalisée par les chercheurs du laboratoire d'économie industrielle de l'école des Mines apporte un éclairage passionnant sur les rapports de forces à l'ouvre dans l'économie du cinéma.

Lancée en fanfare voilà trois ans par Georges Lucas au Nato Showest, le débat sur le projection numérique semble aujourd'hui passablement essoufflé, comme l'a confirmé la dernière édition de Cinéma Expo. Fabricants de projecteurs déprimés, dirigeants de studios circonspects. l'opposition déterminée des exploitants des deux côtés de l'Atlantique a fait l'effet d'une douche froide aux partisans du numérique. Car les progrès indéniables réalisés par cette nouvelle technologie de projection pèsent peu face au rapport de forces entre exploitants et distributeurs, profondément modifié par l'avènement du numérique dans les salles. Comme le montre avec beaucoup d'efficacité une étude réalisée par le laboratoire d'économie industrielle de l'école des Mines, qui sera publiée en octobre(1).

"Avec cette étude, nous avons essayé de comprendre pourquoi les exploitants ne voulaient pas de la projection numérique, explique Olivier Bomsel, coauteur avec Gilles Le Blanc de l'étude sur la numérisation du cinéma. Pour cela, il nous fallait expliquer en quoi cette technologie risquait de transformer le business du cinéma. Car la numérisation, que l'on perçoit toujours comme un phénomène technique, est avant tout un phénomène économique."

Dans leur rapport, les auteurs brossent un panorama complet de l'exploitation en France depuis les années 60 jusqu'au phénomène actuel des multiplexes. Une approche économique passionnante qui souligne qu'avec les multiplexes, réseaux et indépendants sont entrés dans "une logique de différenciation d'avec la télévision et la vidéo, basée sur l'élévation de la qualité (...)". Offre diversifiée de films, salles en gradins, écrans mur à mur, son numérique, parkings de grande capacité : les multiplexes ont su redonner à la projection cinéma une identité forte. En Europe, cette stratégie de l'offre, validée par la croissance de la fréquentation depuis dix ans, a eu pour conséquence un renforcement du pouvoir des exploitants face aux distributeurs. "Capables de fidéliser une clientèle locale avec les multiplexes et une nouvelle politique de tarification (cf. les cartes illimitées), l'exploitation dispose d'un véritable pouvoir de marché face aux distributeurs mondiaux, soulignent les auteurs. Dans ce contexte, la projection numérique est perçue par l'exploitant comme un moyen de centralisation accrue de la commercialisation des films, potentiellement générateur d'économie pour la filière, mais qui amène une perte relative de pouvoir de marché local tenu par l'exploitation."

En clair, la projection numérique risque de faire basculer le délicat rapport de forces entre exploitants et distributeurs, au profit de ces derniers. D'où l'opposition des exploitants, notamment les grands circuits, qui craignent une dévalorisation de leurs actifs - les multiplexes -, acquis au prix d'investissements colossaux. Pour les auteurs du rapport, la problématique économique de la projection numérique n'est pas à analyser tant d'un point de vue technique - est-ce que ça marche ? - ou financier - qui va payer ? -qu'en termes de conflit d'intérêts entre marché local- l'exploitation - et marché global (les studios qui valorisent leurs films sur plusieurs canaux : salle, TV, satellite, DVD, etc.) "L'exploitant n'a aucun intérêt à investir. Non seulement la projection numérique ne lui permet pas d'apporter à son client un supplément de qualité, mais elle offre au distributeur des économies et une flexibilité dont il ne peut mesurer les effets sur sa propre activité. Même si le distributeur proposait à l'exploitant de lui reverser une part de l'économie réalisée, cela ne suffirait pas à compenser l'accroissement du pouvoir de marché amené au distributeur par l'affranchissement de la contrainte du tirage des copies."

Autre objet d'inquiétude pour l'exploitation, la croissance exponentielle du DVD devrait bientôt se coupler avec le développement attendu de la projection numérique à la maison, dernière pièce du puzzle Home cinéma. "À terme, les fabricants de projecteurs numériques ne visent pas la salle, qui est un marché trop restreint, expliquent Olivier Bomsel et Gilles Le Blanc. En s'implantant dans les cinémas, ils cherchent à faire labelliser leurs produits - le fameux DLP -, pour mieux se développer sur le marché de masse du Home cinéma. Ce qui risque de réduire au final la différenciation avec la télévision et la vidéo que les réseaux ont payé très cher en investissant dans les multiplexes."

Comme, pour s'imposer, la projection numérique a besoin d'atteindre rapidement une taille critique, de façon à bénéficier de véritables économies d'échelle, l'adhésion des exploitants est impérative. D'où le patinage actuel de la projection numérique, les salles n'ayant aucun intérêt à son déploiement. "Plus le déploiement tarde, moins il est crédible, souligne le rapport. Les premiers à investir maximisent le risque technique - en raison de l'obsolescence rapide des projecteurs - et minimisent les bénéfices associés à la numérisation tant que le parc n'est pas suffisamment développé." Du coup, dans la situation actuelle, tout semble indiquer le peu de chances de voir s'imposer un jour la projection numérique, notamment en Europe. Seule inconnue de taille : la situation américaine où l'exploitation, affaiblie par des faillites successives, est dans un rapport de forces défavorable face aux majors.

"Parmi les scénarios envisageables, on peut imaginer qu'à la faveur d'une restructuration financière, un réseau de salles américain accepte un accord séparé avec les studios de façon à bénéficier de conditions de location favorables, indique le rapport. De quoi initier une dynamique de déploiement à l'échelle américaine qui permettrait d'atteindre rapidement l'indispensable taille critique." Les auteurs citent notamment le cas de Phillip Anschtutz, qui a racheté récemment United Artist Theatres, Regal Cinémas et Edwards Teatres, soit 5 800 écrans. "Tout aussi envisageable est la réticence prolongée des exploitants vis-à-vis d'un procédé qui ne leur donne pas d'avantage concurrentiel significatif. Mais si le processus de déploiement s'engage, la projection numérique se généralisera rapidement."

De fait, en s'attaquant à la problématique de la projection numérique avec les outils de l'économie industrielle, cette étude apporte un éclairage inattendu sur la situation actuelle de l'exploitation dans ses rapports de forces complexes avec les autres acteurs de l'économie du cinéma. Et les auteurs de rappeler que les déboires actuels de Vivendi Universal et AOL-Time Warner tiennent à un postulat stratégique erroné : la convergence des contenus grâce au numérique. Ils modernisent au passage le discours sur l'exception culturelle en montrant avec des outils économiques qu'une exploitation européenne structurellement forte apparaît comme le meilleur rempart à l'hégémonie culturelle des majors américaines.

Patrick Caradec

Le film français, Vendredi 13 septembre 2002
Source : http://www.lefilmfrancais.com/130902/enquete.htm