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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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L'exploitation cinématographique aux Etats-Unis aujourd'hui



A partir du texte de Joël Augros publié in Cent ans d'aller au cinéma : le spectacle cinématographique aux Etats-Unis, 1896-1995, Presses Universitaires de Rennes, 1995.

A la fin des années soixante-dix, Arthur D. Little, Inc. — une firme améri-caine de consultants — prévoyait l'extinction à brève échéance des salles de cinéma aux Etats-Unis au profit de la télévision à péage et de la vidéo domes-tique (1). En effet, les revenus générés par les films en salles représentaient 76% des revenus des distributeurs en 1980 et seulement de 32 à 35% en 1990 (2). Mort du cinéma en salles ? Non : le nombre d'écrans augmente aux Etats-Unis de 78% entre 1970 et 1990. Thomas Guback fait remarquer qu'il y a plus
d'écrans en 1986 qu'en 1948 alors que la fréquentation est trois fois inférieure (3). Comment expliquer cette contradiction ?
Nous examinerons d'abord la démographie des spectateurs, puis l'évolution en quantité du parc des salles. C'est l'évolution en qualité (lieux d'implantation, conception et architecture des salles) qui nous retiendra le plus longuement. Enlin, nous présenterons les nouveaux liens tissés entre les salles et le complexe Production-distribution hollywoodien.

Démographie des spectateurs

Chiffres globaux et évolution

Situation atypique parmi les grands pays industriels, la fréquentation est relativement stable depuis le début des années 1960 aux Etats-Unis : autour d'un milliard d'entrées par an (4). Les Etats-Unis connaissent donc encore une forte fréquentation par tête. Certes, on est loin des 20,5 entrées par an et par habitant de l'année 1950, mais le tauxx de fréquentation, tombé à 6,6 en 1965, reste au niveau de 5,1 en 1987 Contre 2,3 en France) (5). Cependant, cette relative stabilité cache une érosion lente de la sortie au cinéma. En effet, la population des Etats-Unis a augmenté de 30% depuis les années 1960 sans qu'augmentent les entrées (6). De plus, les Américains dépen-sent relativement moins pour le cinéma en salle. Alors qu'en 1981, le consom mateur américain consacrait au cinéma 45% de ses dépenses de divertissement entertainment), la proportion était descendue à 25% en 1986 (7).

La répartition en groupes d'âges

Le public américain est un public d'adolescents, et on a souvent dit ou écrit qu'Hollywood se contentait aujourd'hui de cibler ce public (le syndrome Star Wars). L'évolution de la production depuis le début des années soixante-dix doit cependant nous conduire à nuancer la proposition. En 1970, 16% du public était âgé de moins de 15 ans contre 14% en 1986 et seulement 12% en 1991 (8). En 1986 comme en 1991, cette tranche d'âge représente 7% de la population des Etats-Unis. Il existe donc bien une surconsommation du cinéma chez les teenagers : en 1991, 43% des 12-17 ans vont au moins une fois par mois au cinéma contre 21% de l'ensemble de la population (9) et constituent le noyau du public cinématographique.
Mais cette prépondérance du public jeune tend à diminuer. Les moins de 25 ans forment 59% du public en 1970, encore 60% en 1976, mais leur part baisse à 54% en 1984, 52% en 1986 et 43% en 1991 (10).
Parallèlement, la part du public plus âgé s'accroît. Les plus de 40 ans ne représentaient que 16% du public en 1970. Leur part est restée longtemps stable (15% en 1986) mais a depuis sensiblement augmenté, s'établissant à 26% en 1991. Il faut dire que le nombre d'entrées de ce groupe d'âge, en chiffres réels cette fois, a connu une progression spectaculaire entre 1990 et 1991, passant de 142 à 257 millions (11), soit une augmentation de 80%.
Il semble que ce glissement soit dû à deux phénomènes concomitants. D'abord une prise de conscience des compagnies hollywoodiennes de la présence d'un potentiel d'audience délaissé, conduisant finalement à la mise en chantier de films pouvant toucher cette population (l'exemple le plus souvent donné est celui de Driving Miss Daisy). D'autre part, le simple vieillissement d'une génération qui reste relativement fidèle au cinéma : les moins de 15 ans de 1970 atteignent aujourd'hui la quarantaine.

Autres considérations démographiques

Les statistiques publiées par la Motion Picture Association of America (MPAA) ou la National Association of Théâtres Owners (NATO) permettent de dresser le portrait-robot du spectateur moyen. Il n'est pas très différent de celui que l'on trouve en France. Ce spectateur est le plus souvent un homme. 23% des hommes vont fréquemment au cinéma, contre 19% des femmes (12). A contrario, 37% des femmes (à partir de 12 ans) ne vont jamais au cinéma, contre 28% des hommes.
Ce spectateur est le plus souvent éduqué. 67% des Américains ayant un niveau d'instruction inférieur au lycée (high schoo!) ne vont jamais au cinéma. Ils ne sont plus que 38% s'ils ont terminé leurs études secondaires et 26% s'ils ont quelque formation supérieure.
Par contre, à la différence de la situation française, les enfants sont un facteur net de fréquentation-cinéma. 43% des Américains adultes sans enfants ne vont jamais au cinéma (contre 32% de l'ensemble de la population adulte) ; l'apparition des enfants fait baisser la non-pratique à 26%. Les adultes avec enfants de moins de 18 ans sont 18% à aller fréquemment et 40% occasionnellement au cinéma, ce qui les place au-dessus de la moyenne nationale. Peut-être est-ce pour cela que le nombre d'Américains n'allant jamais au cinéma régresse : 39% en 1984, 43% en 1986 puis 32% en 1989 et 1991 (13).

Evolution quantitative du parc des salles

Le nombre

Les Etats-Unis ont connu dans la période considérée une très forte augmentation du nombre d'écrans. On en comptait 13 750 en 1970 (dont 3 750 drive-ins) contre 17 675 en 1980 (3 504 drive-ins), 24 570 en 1990 (908 drive-ins) et 25 737 en 1993 (14). Cette forte augmentation, dont nous tenterons d'exposer les raisons, ne doit pas masquer le fait que le nombre de cinémas et de fauteuils a baissé. Il y avait environ 11,7 millions de fauteuils en 1948 contre 5,12 en 1982 et aux alentours de 6 en 1986 estime Thomas Guback, qui a calculé qu'en moyenne une salle comptait 661 sièges en 1948 contre 342 en 1987 (15).

Géographie des salles

L'évolution paradoxale que nous venons de décrire résulte de changements radicaux d'implantation des salles. De nombreux cinémas des centres-villes ont disparu. De même, plus de la moitié des drive-ins ont fermé leurs portes. Leurs emplacements à la périphérie des villes ont, pour la plupart, été englobés par l'urbanisation et les terrains sont devenus plus profitables pour des opérations immobilières. Cette évolution s'explique par les déplacements des lieux d'habitation, de loisirs, de courses des Etatsuniens. Le président de la Nato, Malcom C. Green, déclarait à ses pairs en 1987 :
La définition de la « petite ville » [...] a changé au fur et à mesure que le réseau d'autoroutes s'étendait dans le pays. L'évolution de l'habitat a entraîné la réorganisation de la distribution des produits et des services. Dans l'industrie cinématographique, les complexes multi-écrans ont remplacé les cinémas à un ou deux écrans des centres-villes. Ils sont plus récents, bénéficient de techniques de projection et de son plus modernes, et gèrent plus efficacement l'emploi de leur personnel (16).

Les réseaux

Parallèlement se sont développés des réseaux de salles. Le phénomène n'est pas nouveau : les « majors » de l'âge d'or d'Hollywood fondaient leur prospérité sur leurs circuits de salles, mais ils avaient dû s'en défaire en 1948 à la suite des décisions antitrust. Or, la période actuelle est celle d'une réactivation des circuits. Ainsi United Artists Theater Circuit (UATC) contrôle-t-elle actuellement 2 398 écrans contre 1 005 en 1983 (17). En 5 ans, de 1983 à 1988, UATC a multiplié le nombre des écrans qu'elle contrôlait par 2,6 grâce au rachat de circuits plus réduits, et surtout par la construction de nouvelles salles. Trente-deux circuits possèdent aujourd'hui plus d'une centaine de salles. Les plus importants sont : United Artists Theater Circuit, Cineplex-Odeon, American Multi-Cinema, General Cinéma, Carmike et Loew's (18). En 1983, les six premiers circuits géraient 12,5% du total des cinémas contre 32% en 1991 (19). Actuellement toutefois, les plus grands réseaux se défont des salles les moins rentables. UATC a ainsi réduit le nombre d'écrans contrôlés (de 2 677 en 1988 à 2 398 en 1991).
Mais l'augmentation du nombre d'écrans est indissociable de l'évolution en qualité des salles.

Evolution qualitative du parc des salles

Le cinéma dans les malls

A partir des années soixante, les Etats-Unis connaissent le développement des malls qui deviennent les nouveaux centres urbains. Certaines chaînes de salles émergent alors parce qu'elles ont su accompagner ce développement. General Cinéma ou AMC conduisent dans cette période des études démographiques très poussées dans les principales villes pour connaître les évolutions futures de leur public, tant en ce qui concerne sa structure (âge, sexe) que ses habitudes de consommation.
Les modifications du mode de vie de l'Américain moyen conduisent ces compagnies à s'implanter dans les malls. Elles y sont aussi attirées par des incitations fiscales. Par ailleurs, les promoteurs immobiliers ont prévu les salles de cinéma dans le faisceau de services qu'ils entendent offrir aux consommateurs, tout comme ils ont prévu les succursales de chaînes de magasins, restaurants, pizzerias et services divers (voir, dans le présent ouvrage, l'article de John Dean).
Les circuits y voient d'autres avantages. Le plus souvent, les salles qu'ils gèrent dans les centres commerciaux ne leur appartiennent pas en propre, les murs restant propriété du promoteur immobilier. Leur location est peu coûteuse et elles n'ont qu'à assurer les dépenses d'équipement. Les malls disposent d'immenses parkings gratuits et sont bien situés sur des nœuds de communication. D'autre part, la constitution de multiplexes proposant plusieurs films en même temps permet d'offrir aux consommateurs un choix vaste et favorise le réflexe de consommation par impulsion. Le premier multiplexe au monde serait né en 1963 à Kansas City, créé par Stan Durwood, fondateur de la chaîne AMC (20). Cependant, à l'image de ce qui se fit en France dans les années soixante-dix, les complexes mettent peu l'accent sur l'amélioration de l'accueil et du spectacle cinématographique (hormis l'introduction du procédé sonore Dolby Stéréo). Les salles, de complexe à complexe, de mall à mall, présentent les mêmes décors, les mêmes ambiances répétées à l'identique.

Les années quatre-vingt

Les années quatre-vingt constituent une rupture par rapport à cette forme d'exploitation qu'on a pu décrire comme une « expérience minimaliste » (21) Elles sont marquées par un remodelage de la sortie cinéma. L'exemple type est celui de la chaîne Cineplex-Odeon fondée par le Canadien Garth Drabinsky. A partir d'un complexe de salles ouvert à Toronto en 1979, Drabinsky a créé un réseau important en inaugurant de nouvelles méthodes, d'abord décriées, puis souvent imitées par ses concurrents.
En premier lieu, Garth Drabinsky met l'accent sur la programmation. Petit réseau, il programme des films de répertoire et des classics. Prenant de l'importance, il acquiert les films des « majors », tout en déclinant sur l'ensemble des écrans de ses multiplexes une offre diversifiée, assez large pour toucher tous les publics.
En second lieu, il investit délibérément dans l'aménagement et la décoration des salles. La tendance des salles nouvelles ou des salles rénovées est dorénavant d'offrir un cadre attrayant. A l'extérieur, l'architecture marque sa différence. L'intérieur affiche un certain luxe. Le PDG de Carmike, de son côté, est fier de l'invention développée par sa firme. Les sols sont recouverts de moquette découpée en carrés. Qu'un incident se produise, brûlure, salissure, il suffit de remplacer le carré souillé et le sol retrouve son état neuf.
L'emplacement, la présentation des concessions, déjà renouvelés dans les malls, sont améliorés. Quand Drabinsky ouvre en 1982 à Los Angeles le Beverly Center, un complexe de H écrans, il ajoute aux stands habituels de pop-corn un café exotique, où l'on vend des bonbons de luxe et des eaux minérales importées. Certaines salles possèdent même de véritables cafés français vendant des pâtisseries. Drabinsky lorgne le marché des « yuppies ».
Ses employés suivent des stages de 6 semaines où ils apprennent l'art de la courtoisie et de la politesse (22). La volonté proclamée de Drabinsky est de recréer une « cinematic expérience ». De la même façon, les dirigeants de TriStar, à l'occasion du trentième anniversaire de la chaîne AMC, proclament l'importance première à leurs yeux du « showmanship » (23).
L'idée fait son chemin et s'affine. On parle maintenant de créer des entertain-ment centers où, outre les salles, les clients trouveront des restaurants, des virtual reality arcades. AMC projette ainsi l'ouverture en 1994 d'un complexe de 24 écrans à Fort Lauderdale et un autre du même type à Port Chastney dans l'Etal de New York (24). L'aboutissement de cette démarche est Universal's City Walk, une rue privée, garantie 100% anti-vol et anti-agression, que Universal tente d'ériger en concept sous le nom évocateur de « salle à environnement protégé ».
Les dirigeants de Loew's, Jim et Barrie Loeks ont reçu comme mission de leur patron, Sony Pictures Entertainment, d'étendre les activités de la chaîne vers les jeux de simulation, les projections d'images virtuelles et autres divertis sements fondés sur l'exploitation de logiciels électroniques.
A côté de ces mesures destinées à faire valoir le caractère unique de la sortie cinéma, mais qui sont coûteuses pour l'exploitant (alors que les frais généraux sont, en 1990, de 500 dollars en moyenne par fauteuil dans l'industrie, le coût des innovations les élève chez Cineplex à 1 400 dollars), Drabinsky et ses épi-gones ne dédaignent pas de faire appel à des méthodes de rentabilisation des investissements plus traditionnelles et terre à terre.
Aussi la publicité commerciale (introduite maintenant sur un cinquième des écrans étatsuniens) est-elle généralisée. Le tarif des entrées est augmenté. Il était resté stable en dollars constants de 1977 à 1981 ; il a ensuite connu une hausse supérieure à celle de l'inflation (25). Le prix moyen des places est actuellement de 4,892 dollars, les billets d'entrée pouvant atteindre 7,50 dollars à New York (26).

La différenciation des prix en fonction des publics ou des heures d'entrées reste assez embryonnaire aux Etats-Unis. Elle a connu quelques tentatives sans lendemain. La plus aboutie fut celle lancée par Universal au début de 1992. Universal réduisait de 50% le prix des places le mardi. Plusieurs circuits répondirent favorablement à cette incitation : Cineplex, Carmike, Cinemark, Cinéma World. Mais le fait que d'autres circuits importants comme UATC, AMC, Loew's ainsi que les autres distributeurs ne voulurent pas suivre condamna Universal à cesser son expérience dès avril 1992 (27). Les concessions de sucreries et boissons ont continué de se développer. Comme l'indique un des vétérans de l'exploitation, Henri Plitt, fondateur d'une chaîne qui porta son nom :

Notre commerce, c'est l'épicerie. Le directeur de salle, c'était peut-être jadis Monsieur Show Business ; aujourd'hui, il-ouvre et ferme son magasin comme les autres. Et quand il fait ses comptes, il voit bien que ce n'est pas avec les films qu'il gagne des sous, mais avec les produits d'épicerie (28).

En effet, même si la vente de pop-corn dans les cinémas date de la Dépression et celle des boissons gazeuses telle que le Coca-Cola des années quarante, l'accent actuel mis sur les ventes de friandises se reflète bien dans la disposition spatiale des entrées des salles, où les stands prévus à cet effet sont mis en vedette. En 1990, la vente des friandises a laissé 1,27 milliard de dollars dans les caisses, contre 5,02 milliards pour les entrées. Mais les recettes du box-office sont partagées avec les distributeurs (environ par moitié sur l'ensemble des films et l'ensemble des salles) alors que les recettes des concessions sont tout profit pour les salles. Songeons que la canette vendue 2,5 dollars en salle a coûté 25 cents à l'achat (29). Et les portions de pop-corn, ainsi que la taille des verres destinés aux boissons ne cessent d'augmenter.
Les complexes de salles permettent par ailleurs une économie d'échelle importante. Un seul projectionniste, une seule caissière pour plusieurs salles : le nombre d'employés dans le secteur est tombé de 145 700 en 1970 à 110 200 en 1987 (30). Les circuits ne rechignent pas pour autant à rogner encore sur la masse salariale. Ils utilisent massivement le travail à temps partiel. Cineplex, après un lock-out de 4 mois dans un complexe de 10 salles, a réduit en février 1993 le salaire horaire des projectionnistes de Chicago de 118 dollars à 45 (31). A la même date, les trois circuits présents à Chicago, Cineplex, Loew's et General Cinéma, s'apprêtaient à licencier 100 employés. UATC, au début de 1993, a annoncé un plan d'économies de 4,75 millions de dollars l'an, passant par la fermeture de deux bureaux régionaux et le licenciement de 82 employés (32).

Enfin, tout est mis en œuvre pour que le cash flow des exploitants, c'est-à-dire la trésorerie dégagée par les activités au jour le jour soit le plus élevé possible et le mieux géré. Ainsi les circuits ont-ils développé des systèmes d'informatisation des guichets permettant de surveiller pratiquement en temps réel le montant des entrées et des ventes de friandises (le système « IQZero » chez Carmike), mais aussi de placer au plus vite l'argent généré par l'activité journalière des salles. Les exploitants conservent en effet la part des recettes dévolue aux distributeurs dans leurs caisses de 30 à 60 jours.

Hollywood et les salles

Bannies du secteur en 1948 par les consent decrees, les « majors » hollywoodiennes ont profité de la déréglementation reaganienne pour réinvestir le secteur de l'exploitation à partir de 1982.

Les prises de contrôle

En 1948, les consent decrees Paramount interdisent aux « majors » de posséder les salles. Ces dernières sont donc contraintes de séparer leurs activités de production-distribution des activités d'exploitation. Seules les « minors » de l'époque, ne possédant pas de salles, ne signent pas ces consent decrees. C'est de ces compagnies que partira au début des années quatre-vingt un mouvement de réappropriation des salles par Hollywood.
En 1983, Columbia prend un petit intérêt dans la chaîne The Walter Reade Organization. Le circuit ne compte que 11 écrans, mais la prise de participation permet de tester la réaction du ministère de la Justice. Celui-ci ne réagit pas et d'autres acquisitions vont suivre. En 1985, l'Attorney General Edwin Meese III autorise implicitement la fin des consent decrees.
En 1986, MCA acquiert 50% de Cineplex-Odeon qui continue une expansion horizontale agressive, absorbant tour à tour Essaness, RKO, Century Warner, Neighborhood, Sterling RO, Septum, soit en tout 417 écrans pour un investissement total de 267 millions de dollars.
De son côté, à la fin de 1986, TriStar prend le contrôle des 230 écrans de Loew's pour 310 millions de dollars. Paramount acquiert Translux (24 écrans pour 15 millions de dollars), Mann Theaters (350 écrans pour 220 millions) et Festival Enterprises (101 écrans pour 50 millions). Paramount rétrocède ensuite 50% de ses salles à Warner et crée avec cette dernière en « société commune », la firme CinAmerica.

Le contrôle

Quelle proportion des salles Hollywood contrôle-t-il aujourd'hui ? Les estimations ne concordent pas. Jack Valenti, président de la MPAA, l'évalue à 7%. Le Monde donnait 33% des cinémas sous la houlette directe ou indirecte des « majors » (33).
L'essentiel est cependant la position sur les marchés-clefs. Ainsi Universal, via les 50% de Cineplex qu'elle possède, contrôle-t-elle deux tiers des salles d'exclusivité de Chicago. Des calculs rapides permettent de donner le pourcentage des écrans contrôlés directement ou indirectement par les « majors » ou leurs filiales dans certaines villes. New York : 40%, Los Angeles : 45%, Boston : 80%, mais aucun à Philadelphie ou San Francisco.

Les enjeux

Le contrôle des salles permet à Hollywood d'assurer à ses films une bonne distribution via leur exploitation dans les meilleures salles. Il permet également une durée d'exploitation plus longue. D'autre part, cette acquisition a permis de contrer les distributeurs indépendants comme Lorimar, Cannon, DEG, New World, Alive ou Island en leur fermant les portes de l'exploitation (34). Cela pourrait expliquer qu'un distributeur indépendant comme Morgan Creek Productions ait dû prendre le contrôle de 40% de First International Theaters, propriétaire de 51 écrans dans des villes moyennes au Kansas, Nebraska et Dakota du Sud (35).
Depuis la fin des années quatre-vingt, Hollywood a cessé ses acquisitions de cinémas. Les sommes importantes qu'elles nécessitent ne sont plus disponibles. L'administration fédérale semble avoir envoyé des signaux exprimant son désir que les choses en restent là. Enfin, les « majors » redoutent le syndrome japonais : dans les années soixante, les « majors » japonaises furent en effet obligées d'alimenter leurs propres salles avec une production de basse qualité.

Conclusion

Relancé, contre toute attente, depuis le début des années soixante-dix, le secteur de l'exploitation s'est considérablement renforcé et a trouvé de nouvelles ressources. Il est actuellement, après l'expansion des grands réseaux, dans une phase de consolidation.
Le modèle américain s'exporte, vers la Grande-Bretagne et l'Allemagne notamment, par l'intermédiaire des sociétés américaines. UIC (Universal et Paramount), AMC et Warner Bros. International Theaters entendent poursuivre cet effort vers l'Espagne et sans doute demain l'Italie. L'Europe est en effet sous-équipée par rapport aux Etats-Unis : 20 000 écrans pour 320 millions d'Européens, soit 54 écrans par million d'habitants contre 95 aux Etats-Unis (36). Les expériences menées en Grande-Bretagne et en Allemagne ont montré à Hollywood que l'implantation de complexes « à l'américaine » relançait la consommation de cinéma, et particulièrement du cinéma américain. AMC a annoncé, à la fin 1993, vouloir profiter de la signature de l'ALENA, l'accord de libre échange conclu entre le Mexique, le Canada et les Etats-Unis, pour s'implanter au Mexique. En Chine, United Cinéma International (UIC) s'apprête à gérer un réseau de 12 à 15 sites (environ 60 écrans) qui ouvriraient en 1995 (37).


L'explosion du nombre d'écrans et la rénovation des salles ne signifient donc pas l'augmentation du choix pour le spectateur. Au contraire, le nombre de copies utilisées est de plus en plus élevé. Hollywood a introduit depuis le début des années quatre-vingt le procédé de la distribution « saturante ». Ainsi dans les dernières semaines de 1992 Body of Evidence est-il sorti sur 2 500 écrans, Dracula sur 2 491, Home Alone 2 sur 2 225, A Few Good Men sur 1 925, pour ne citer que quelques exemples.
Parallèlement, d'autres films, moins commerciaux sans doute, ne trouvent pas accès aux écrans. Ainsi, bien que Palme d'Or à Cannes pour Sexe, Mensonge et Vidéo, Steven Soderbergh a connu les pires difficultés pour présenter son second film, Kafka, au public américain. Mais même avec les gros budgets hollywoodiens, et malgré sa bonne santé actuelle, l'avenir de l'exploitation est loin d'être assuré.


Notes


(1) Douglas GOMERY, « The Theater », in Mark Crispin MILLER, Seeing Through Movies, Panthéon Books, New York, 1990.
(2) Varieîy, 20 janvier 1988 et 23 septembre 1991.
(3) Thomas GUBACK, « The Evolution of thé Motion Picture Theater Business in thé 1980s », Journal of Communication, printemps 1987, vol. 37, n° 2, University of Pennsyl-vania, Philadelphie.
(4) Au début des années soixante, la fréquentation annuelle s'élevait à environ 1,2 milliard. Les entrées baissent ensuite à 800-900 millions au début des années soixante-dix pour se rétablir sur l'axe d'un milliard rapidement.
(5) René BONNELL, La Vingt-cinquième Image : une économie de l'audiovisuel, Galli-mard-FEMIS, Paris, 1989.
(6) La population est de 179,3 millions en 1960 contre 240,5 au début 1986, remarque Thomas GUBACK, op. cit.
( 7 ) Encyclopedia of Exhibition, National Association of Theaters Owners, New York, 1987. (3) Les chiffres correspondent à la population âgée de 12 ans et plus. Motion Picture Almanac 1975, Motion Picture Almanac 1988, Quigley Publishing Company, New York, 1975, 1988 et 1993.
(9) Ibid.
(10) Voir les tableaux en annexe.
(11) Motion Picture Association of America, in Variety, 24 février 1992.
(12) Les catégories d'assiduité sont cependant différentes de celles adoptées par le CNC en France. Les spectateurs fréquents sont ceux qui se rendent au moins une fois par mois dans une salle. Les spectateurs occasionnels fréquentent les salles au moins une fois entre 2 et 6 mois, les spectateurs sporadiques moins d'une fois en 6 mois. Les statistiques utilisées ici sont celles contenues dans le Motion Picture Almanac de 1993, op. cit.
(13) Motion Picture Almanac 1988 ; Variety, 30 mars 1992 ; CNC Info, octobre 1992.
(14) René BONNELL, op. cit. ; Encyclopedia of Exhibition, 1987 ; Motion Picture Almanac, 1993 ; Variery, 14 mars 1994.
(15) Thomas GUBACK, op. cit. Guback lui-même explique que les séries statistiques aboutissant aux calculs ne sont pas entièrement fiables. D'autre part, il convient de se méfier de la notion de moyenne dans ce type d'industrie.
(16) Encyclopedia of Exhibition, 1987, NATO, New York, 1987.
(17) Motion Picture Almanac 1993 et Variety, 11 janvier 1984- Notons que la plupart des écrans gérés par les réseaux sont en location et non en propriété.
(18) Loew's a été rebaptisé Sony Theatres en avril 1994.
(19) John IZOD, Hollywood and thé Box-Office, 1895-1986, Macmillan Press, Londres, 1988 et Motion Picture Almanac, 1983.
(20) Variety, 8 mars 1993.
(21) « Movie-going in the mall was minimalist », Douglas GOMERY, op. cit.
(22) Voir GOMERY in MILLER, op. cit. et Film Comment, janvier et février 1990, vol. 26, n° 1.
(23) Variety, 8 mars 1993.
(24) Variety, 8 mars 1993.
(25) GUBACK, op. cit.
(26) Motion Picture Almanac, 1983. Voir tableau en annexe.
(27) Variety, 13 avril 1992. Cineplex-Odeon a pu cependant noter que les recettes au guichet (BO) du mardi avaient augmenté de 219% par rapport aux salles ne pratiquant pas le demi-tarif. Les réfractaires, eux, s'appuyaient sur l'exemple canadien qui prouve, à les en croire, que la fréquentation accrue du mardi ne résulte pas de la consommation de spectateurs nouveaux mais d'un simple transfert de la fréquentation du week-end.
(28) Alexandra BROUWER et Thomas Lee WRIGHT, Working in Hollywood, Crown, New York, 1990. (29) Variety, 21 janvier 1991. (30) Encyclopedia of Exhibition, 1987. (31) Variety, 15 février 1993.
(32) Ibid.
(33) Le Monde, 21 mai 1988, qui donne 2 700 salles sur 8 000 sites ; mes propes calculs donnaient 16% à partir des informations contenues dans Variety, 14 janvier 87.
(34) Thèse défendue notamment par Mark Crispin MILLER, op. cit.
(35) Variety, 23 novembre 1992.
(36) Variety, 16 novembre 1992.
(37) Variety, 4 avril 1994.