Le manifeste suivant, composé par l'écrivain Filippo Tommaso Marinetti est considéré comme étant le texte fondateur du mouvement futuriste. Il a été publié par le magazine Figaro le 20 février 1909.
1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité.
2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace, et la révolte.
3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous
voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut
périlleux, la gifle et le coup de poing.
4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de
la vitesse.Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive... une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus
belle que la Victoire de Samothrace.
5. Nous voulons chanter l'homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la terre, lancée
elle-même sur le circuit de son orbite... C'est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence
culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd'hui le Futurisme parce que nous
voulons délivrer l'Italie de sa gangrène d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires...
F. T. Marinetti
Publié par le Figaro le 20 février 1909.
Introduction
Que seront les cités de demain ? Les films de science-fiction nous montrent de grandes
avenues aseptisées, des banlieues décadentes, une police omniprésente et invisible, les
meilleurs ou les pires lendemains. Pour décrire une société future, il suffit de décrire une
ville. Son organisation résume l'état social et économique, son urbanisme mesure le
contrôle qu'exerce l'Etat en même temps qu'il donne un aperçu de l'esthétique de
l'époque. A quoi ressemble donc cette cité qui témoigne du futur qui nous attend? Quels
en sont les archétypes ?
1ère partie: Organisation
Structures communes avec les cités d'aujourd'hui
Les villes futuristes telles que nous pouvons les voir dans les films de science-fiction
sont le plus souvent construites autour d'un concept bien précis. La ville imaginée par le
réalisateur - architecte témoigne par son organisation, son urbanisme et le mode de vie de
ses habitants d'une évolution de notre société. Ceci explique que d'une manière
générale ces villes, étant avant tout l'illustration d'une idée, ne ressemblent que de trés
loin aux cités réelles. Néanmoins certains aspects de leur structure rappellent parfois les
villes d'aujourd'hui.
Les cités que nous connaissons sont divisées en quartiers: quartiers riches et pauvres,
commerçants ou d'affaires. Dans la plupart des villes européennes les quartiers
d'affaires ne sont pas séparés des quartiers d'habitations. A l'opposé, dans beaucoup de
villes américaines, on assiste tous les matins aux flux des personnes résidant en
banlieue qui vont travailler "downtown" au coeur de la cité. Ce type d'organisation se
retrouve dans Brazil (Gilliam, 1985) et 1984 (Anderson, 1956) (Les quartiers résidentiels sont séparés des ministères où la plupart des personnes travaillent) et dans Soylent Green (Fleischer, 1973) (les quartiers riches et les quartiers pauvres).
Ville haute et ville basse
La division horizontale entre quartiers riches et quartiers pauvres dans la ville du présent
apparaît souvent sous la forme d'une division sociale verticale dans la ville futuriste.
Cette opposition ville haute / ville basse se retrouve dans un grand nombre de films incluant Metropolis (Lang, 1927), Blade Runner (Scott, 1982), Demolition Man (Brambilla, 1993), Total Recall Verhoeven, 1990) : en haut les riches et les maîtres de la cité, en bas les pauvres et les esclaves.
Dans Metropolis, les jardins où les fils des maîtres jouent, sont tout en haut de la ville
alors que la cité des travailleurs est profondément enfuie. Cela parait aller de soi, tant
nous avons coutume de lier la domination sociale à la position élevée. Dans Blade Runner, une gigantesque pyramide Aztèque domine la cité : c'est la demeure
de Tyrell, l'homme le plus important de la ville. A l'opposé, en bas, une faune
cosmopolite vit dans le bruit et la saleté. Dans Demolition Man, la Résistance se cache sous terre et espionne avec des périscopes ce qui se passe en haut. On retrouve dans Metropolis, Blade Runner et Total Recall, le même plan symbolique du pouvoir du maître sur ses esclaves: un panorama spectaculaire que le tyran a par la fenêtre de son bureau. La cité hypertrophiée du Cinquième élément (Besson, 1997) est également organisée verticalement : les embouteillages ont lieu dans les hauteurs et le bas de la ville semble désert. Mais la division sociale est moins nette que dans les films précédents.
La périphérie, "l 'ailleurs"
A la périphérie on trouve généralement les exclus, ceux qui rejettent le système ou que le système rejette. Ces exclus sont les prolétaires de 1984 ou les habitants de la "Coquille" dans THX 1138 (Lucas, 1971). A la différence des résistants souterrains de Demolition Man et de Metropolis, ces exclus n'entament pas une lutte directe contre le système. Ils ne représentent pas moins l'espoir d'une éventuelle fuite vers un "ailleurs". Dans THX 1138, cet ailleurs, que l'on découvre dans le dernier plan du film, c'est peut-être notre monde dévasté par quelque cataclysme, guerre nucléaire ou pollution généralisée (les habitants de la "Coquille" semblent avoir été victimes de mutations génétiques). Un ailleurs auquel le héros ne survivra éventuellement pas. Dans 1984, la campagne qui entoure Londres est une zone prolétaire interdite. Mais l'endroit bien que dangereux, est très agréable. C'est là où Julia et Winston font pour la première fois l'amour.
La cité-prison, un monde clos.
D'une façon générale la cité est un univers en elle-même. C'est un monde clos duquel il
est difficile de fuir: faux espoirs dans Brazil, fins ouvertes dans Blade Runner (Director's Cut) et THX1138, fuite in extremis dans Alphaville (Godard, 1965). Dans Escape From New York (Carpenter, 1981), la ville de New York est désormais un immense pénitencier dans lequel on isole les criminels. Dans Judge Dredd, les murailles qui entourent la cité servent à la fois de protection et de clôture. Les villes de THX 1138, Brazil et 1984 peuvent aussi être considérées comme des cités-prisons. La manière dont George Lucas filme les premières scènes de THX 1138 insiste sur cette impression de huis clos: abondance de gros plans et de plans rapprochés; murs lisses et nus dans les cellules individuelles; couloirs aseptisés qui trouveraient bien leur place dans un hôpital. Seuls les écrans à consoles multiples nous rappellent que des images cheminent sinon des individus.
Une cité sans pôles
Les cités-prisons se caractérisent surtout par leur absences de pôles. Tous les lieux se
ressemblent. En particulier, le pouvoir n'est pas localisé à un point précis de la cité (à
l'opposée des villes de Blade Runner, Metropolis, Demolition Man et Total Recall). On ne
sait pas où vivent les maîtres, on peut même se demander s'ils existent. La bureaucratie
dans Brazil et 1984 autoadministre la vie de la ville; les ministères semblent se cantonnerà des taches d'exécution; la machine sociale a été programmée une fois pour toute et
toute révolte est à peu près impossible. Dans THX 1138, la prison où est envoyé THX
après avoir été arrêté pour avoir fait l'amour avec SEN, se différencie des autres cellules
de la ville souterraine. Etre en prison dans un univers qui est déjà carcéral cela ne peut
vouloir dire être enfermé entre quatre murs. La prison est un espace sans murs, sans
limites, où il n'existe plus aucun repère spatial : être en prison c'est être nulle part.
2ème partie: Urbanisme
Evolution de l'urbanisme futuriste de 1926 à nos jours
En 1926, les quelques plans qui nous donnent à voir la cité de Metropolis ne sont qu'une
transposition un peu futuriste du New York de l'époque qui est alors à peu près la seule
ville au monde à avoir effectué sa croissance en hauteur. Les formes architecturales
(pyramides, tours, fenêtres multiples) même si elles ne témoignent pas d'une bonne
information en matière d'architecture (à l'époque) montrent un désir de proposer une ville
future oppressante certes, mais esthétique et non uniforme.
La tendance s'inverse à partir des années 60 : les films proposent une vision beaucoup
plus pessimiste de l'urbanisme futur. Dans son film Playtime (1967), Jacques Tati imagine un Paris envahie par des immeubles blancs et noirs tous identiques. Beaucoup de films
(1984, Brazil, Soylent Green, Blade Runner, Escape from New York) insistent surtout sur
l'aspect décadent de la ville futuriste. On imagine derrière les ruines qui nous sont
données à voir, des immeubles qui furent un jour prestigieux : un futur vieux en quelque
sorte...
Des films les plus récents comme Demolition Man proposent un urbanisme plus proche
de celui que nous voyons se profiler de nos jours. Routes dégagées, pelouses,
fontaines, grands halls de marbres, San Angeles la ville de Demolition Man ressemble à
un grand centre commercial américain. Les espaces verts absents dans Blade Runner,
Escape from New York, Alphaville, Playtime, Soylent Green, écartés à la périphérie dans
1984 et Brazil, réduits à quelques arbres qui jouent ici le rôle d'objet de luxe et qu'on
entretient pour le plaisir des fils des maîtres dans Metropolis (les maîtres eux-mêmes
n'ont ni le temps, ni l'envie d'en profiter), réapparaissent dans le paysage urbain de Demolition Man.
Le brassage des cultures
Même si beaucoup de films proposent une anticipation de l'urbanisme d'une seule
culture, en général le modèle américain (les gratte-ciel dans Metropolis et Just Imagine (Butler, 1930), le centre commercial dans Demolition Man), d'autres comme Blade Runner imaginent un futur où les différentes cultures du monde se brassent. La ville s'appelle Los Angeles mais ressemble beaucoup à New York, Hong Kong ou Tokyo. Dans les foules se
croisent des marchands orientaux, des punks, des moines. Le langage de la ville est
lui-même un mélange de Japonais, d'Espagnol et d'Allemand.
Ce melting pot de cultures se retrouve aussi dans l'urbanisme. La ville ressemble à un
grand Chinatown : sur les murs de la cité on trouve de grands panneaux publicitaires où
alternent le visage charmant d'une chinoise et une publicité pour Coca-Cola. Les
dragons de la mythologie chinoise apparaissent sur les enseignes en néon des
restaurants. Les colonnes grecques et romaines côtoient des vestiges des cultures égyptienne et maya. La cité du Cinquième élément propose elle aussi un mélange
culturel étonnant, dont l'esthétisme n'est pas sans rappeler le film de Ridley Scott.
Modernité et vestiges du passé peuvent être symbolisés par le dirigeable de ce vendeur
de nourriture chinoise qui vient proposer ses services aux fenêtres des immeubles de la
ville.
3ème partie: Archétypes
Les édifices-symboles de Metropolis
La maison de Rotwang
Metropolis est la ville symbolique par excellence. A côté de ses tours gigantesques, la
ville dispose d'édifices-symboles qui mélangent les valeurs du passé au modernisme. La
maison de Rotwang par exemple, parfaitement étrangère au tissu urbain, semble
directement sortie d'une vieille légende germanique, ce qui contraste avec l'idéologie
scientiste à laquelle se rattache l'architecture dominante de la ville. Elle communique
avec les catacombes où les esclaves écoutent prêcher Maria. Elle est aussi la
maison-piège qui retient prisonnier, grâce à des dispositifs sophistiqués ceux qui
s'aventurent à franchir sa porte. Elle est enfin l'un des rares endroits dans le film où
maîtres et esclaves se rencontrent, les deux autres étant l'usine et la cathédrale lors de
la grande réconciliation.
La cathédrale
L'autre édifice-symbole est la cathédrale. Sa facture architecturale la situe résolument
dans le passé alors que, juste quelques années plus tard, on verra apparaître certainsédifices religieux qui adapteront les formes de l'architecture moderne. En parallèle de
l'opposition verticale qui sépare les classes sociales dans Metropolis, il existe donc une
opposition horizontale qui sépare le pouvoir technique et économique (les tours) du
pouvoir spirituel (la maison de Rotwang, la cathédrale).
L'usine, centre de la cité.
L'usine, telle qu'on la découvre au travers des yeux de Freder, est explicitement
comparée au Moloch, la divinité biblique qui dévore infatigablement les victimes qu'on lui
envoie en sacrifice. L'usine peut être considérée comme le centre de la cité, l'organe
vital, le point nodal de la circulation. Le domaine aérien communique avec les véhicules
volants, le domaine souterrain par les catacombes. Mais les ascenseurs permettent de
passer de l'usine aux jardins, de l'usine à la cité des travailleurs. En marge de ce
réseau structuré et institutionnel il existe d'autres passages (la maison de Rotwang,
l'escalier qu'emprunte Freder) liés au partage horizontal, qui sont créateurs de troubles et
de désordres.
La ville cybernétique de THX 1138.
Une topologie artificielle
Il est impossible de repérer dans la ville de THX 1138, les édifices-symboles qui
ponctuaient la cité de Metropolis. Si on fait abstraction des quelques éléments
topographiques qui sont révélés dans la fuite finale (le sanctuaire, la "Coquille", les échangeurs routiers), la ville semble construite autour d'une topologie artificielle basée
essentiellement sur le fait que la circulation des personnes a été remplacée par la
circulation des messages. Dans cette conception non spatiale de la ville, que l'on
retrouve dans une certaine mesure dans 1984, le centre ville n'est plus un lieu mais une
fonction : c'est le cerveau qui commande et régule les messages.
A la recherche d'un centre.
Il est impossible de savoir où siège le centre de la ville de THX 1138. Les voix diffusées
par les haut-parleurs viennent d'un studio d'émission, les images du Christ
accompagnées de paroles stéréotypées (notons que l'on retrouve le même genre de
cabines servant à la confession dans Demolition Man) proviennent d'un centre religieux,
découvert par hasard par l'un des personnages, mais qui n'a en aucun cas la valeur
symbolique de la cathédrale de Metropolis. L'autorité centrale pourrait tout aussi bien
siéger dans une autre ville, une autre planète, un autre temps (les enregistrements étant
le fait d'hommes morts depuis longtemps).
Vers une ville sans conflits.
Comme dans 1984, la ville assimilée ici à une machine préprogrammée et que l'on
pourrait donc qualifier de cybernétique, cesse d'être un lieu de conflits. La division entre
classes que Metropolis conservait se réduit dans THX 1138 à l'asservissement de
l'ensemble de la population par la ville-machine.
D'un archétype à l'autre : une évolution parallèle à celle de l'urbanisme
A 45 ans d'intervalle, nous sommes donc passés d'une ville à espace structuré
(haut/bas) à une ville sans structure spatiale, d'une bipartition des classes sociales à
une théorie générale de la domination, d'un tissu urbain ponctué d'édifices symboliques à un tissu urbain indifférencié. Les deux villes n'ont gardé qu'un point commun :
l'isolement absolu. Dans les deux cas, le film propose une critique des théorie urbanistes
de l'époque. En 1926, les villes d'Amérique sont en pleine croissance, le Corbusier est
déjà célèbre à l'Est comme à l'Ouest. Metropolis anticipe les vues de la Charte
d'Athènes de 1943. En 1971, on nous promet le règne des ordinateurs et la
prépondérance des medias. THX 1138 est une critique adaptée aux nouveaux rêves des
urbanistes.
Alphaville: une ville intermédiaire.
Entre Metropolis et THX 1138, on rencontre en 1965, Alphaville de Jean-Luc Godard qui
présente une ville avec une structure intermédiaire. On y trouve les couloirs aseptisés de THX 1138, les bâtiments aux fenêtres multiples à la manière de Metropolis, un espace
urbain vaguement repérable (les quartiers du centre) et une machine centrale
(l'ordinateur Alpha 60) qui gouverne la ville. Le professeur Von Braun fait la transition
entre Rotwang et les savants anonymes de THX 1138. C'est déjà une ville cybernétique
mais avec des vestiges de la topologie d'antan.
Source du texte original : http://www.captage.com/kaplan/Ville/index.html
Vous pouvez contacter l'auteur de ce texte, Frédéric Kaplan, ici : kaplan@captage.com
© Frédéric Kaplan, 1999