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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Les questions posées par la notion de genre


Working paper, Jacques Araszkiewiez, 16 décembre 2003


La question des genres est une question transversale à de nombreux domaines (genres cinématographiques par exemple). On peut tenter de décrire le genre par sa forme intrinsèque : le film policier par exemple. Il présente par définition du suspense, son héros se rapproche généralement de l'Anti-sujet entendu au sens de la grammaire narrative proposée par Algirdas Julien Greimas (il ne progresse pas à la différence du sujet et n'est pas glorifié en fin de parcours). Mais cette définition intrinsèque du genre s'effondre devant le renvoi à de nouvelles définitions et sa tendance tautologique. Si le film policier, c'est le suspense, qu'est-ce alors que le suspense ? Et ne trouve-t-on pas du suspense dans des films non policiers ?

On peut alors tenter d'aborder la question du genre sous l'angle historique. Le film policier, notamment le film dit « noir » se développe fortement dans les années 50. Mais une telle définition ne tient pas non plus. Le film policier se trouve souvent une citation par exemple du cinéma expressionniste allemand des années 20/30.

On peut également tenter d'aborder le genre sous l'angle d'une structure : dans le domaine journalistique, l'éditorial  par opposition au billet d'humeur, au point de vue, etc. Mais une telle tentative de description structurale se trouve rapidement confrontée à la mise ne place d'un inventaire à la Prévert où les critères de définition n'ont aucune stabilité, la notion de genre renvoyant suivant les cas à l'énoncé ou à l'énonciation, à la structure du texte narratif ou descriptif. Il pourrait néanmoins être intéressant d'aller voir du côté de l'ancienne rhétorique (cf. l'article de Barthes dans communication 4 à ce sujet).

Aucune définition n'étant tenable jusqu'au bout du point de vue théorique, le genre se rappelle à nous en tant qu'usage. Comprendre le genre, c'est donc comprendre l'usage. Une telle problématique sort  donc du champ d'une sémiologie classique pour entrer dans le domaine de la sémio-pragmatique dont l'une des sources, au-delà des origines lointaines et notamment peirciennes, se constitue à partir du n° 39 de la revue poétique : Théorie de la réception en Allemagne.

De nombreux développements peuvent être attendus d'une définition du genre (du genre en tant que concept et non pas du genre en tant qu'exemplum) à le situer dans une structure de concepts organisateurs. On note par exemple que Louis Hjelmslev dans Prolégomènes à une théorie du langage situe l'usage par apport à l'acte en tant que réalisation, à la norme en tant que grammaire, au schéma en tant que modèle implicite de la langue dont doivent rendre compte les linguistes. Mais ce modèle relève d'une sémiologie classique et nous a amené à revenir sur ce que nous avions éliminé de prime abord.

Un saut peut cependant alors être effectué : la sémiologie classique constitue un lecteur idéal de textes. Or, le lecteur réel  est un lecteur concret. Il ne dispose pas de l'appareil `transcendant' du sémiologue pour rendre compte du sens des textes. Le genre apparaît alors comme un « censeur » ou comme un « signe indicateur » permettant de tenir en étau le sens d'un texte. Que cet étau soit utilisé à des fins commerciales n'est guère surprenant. Mais, il convient en ce domaine de ne pas inverser les causes et les conséquences. L'exploitation commerciale du genre est un mouvement second par rapport à une attente du lecteur.

Comment définir cette attente du lecteur ? Le genre est de ce point de vue à placer sous l'angle de la cognition. Autrement dit, il ne fait pas référence à un lecteur idéal mais à un lecteur concret limité dans ses performances cognitives. Le genre devient alors un système d'interface à visée ergonomique (s'agissant d'un ordinateur et non pas d'un journal, on parlerait d'une interface homme-machine). L'une des propriétés de ces interfaces est de fonctionner par métaphore. La définition intrinsèque des genres est donc métaphoro-métonymique (d'où l'inventaire à la Prévert si difficile à appréhender pour le chercheur et si évident pour le lecteur).

La donnée à prendre en compte dans la fondation d'une théorie des genres est donc la capacité cognitive limité du lecteur. Plusieurs éléments sont alors à prendre en compte. Il s'agit des notions d'everyday knowledge, de frame, de script et de goal.

Everyday knowledge : les chercheurs en Intelligence artificielle ont très vite compris qu'un ordinateur qui sait calculer tout ce qui est calculable pouvait simuler des activités extrêmement complexes, celles des scientifiques, tirer par exemple d'un spectrogramme la formule d'un composant chimique, mais avait la plus grande difficulté à rendre de l'intelligence du comportement d'un enfant de deux ans (le premier ordinateur qui devait à partir d'une reconnaissance visuelle des objets empiler des cubes a placé le premier cube au sommet de la pyramide : il ignorait la gravité). Pour pallier à cette difficulté de reconnaissance de concepts généraux, les chercheurs développèrent la notion de « script » en tant que suite d'actions stéréotypées (aller au restaurant par exemple = réserver, commander, manger, payer). Mais la notion de script était insuffisante pour qu'un ordinateur puisse comprendre un énoncé aussi simple que « Fred se rendait au magasin. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Jacques et Fred allait acheter un cadeau ». Cet énoncé simple en apparence que comprend facilement un enfant suppose de multiples inférences. Il faut en effet répondre aux questions : « Pourquoi Fred va-t-il au magasin ? », « Pour qui est le cadeau ? », « Pourquoi Fred achète-t-il un cadeau ? ». Et les réponses sont : les objets présents dans un magasin sont faits pour être achetés, les cadeaux peuvent s'acheter dans un magasin, pour son anniversaire, quelqu'un reçoit un cadeau ... Il fallait donc construire un cadre (frame) qui `expliquerait' à l'ordinateur les présupposés d'un anniversaire. Mais de nouveaux problèmes se présentèrent : à supposer que Fred achète un jeu que Jacques possède déjà, ce cadeau sera refusé alors que Jacques peut posséder tout une quantité de billets de banques identiques ... Il faudrait donc intégrer une notion supplémentaire, celle d'objectif, et valider les conditions de sa réussite. Laissons-là la psychologie cognitive car l'everyday knowledge reste difficile à penser dans toutes ses composantes. Néanmoins, nous avons un peu progressé : je fais l'hypothèse que la catégorie des genres renvoie dans sa dénomination à une structure métaphoro-métonymique, qu'elle constitue pour le lecteur un script (chaque genre renvoyant à une suite d'actions prédeterminées), qu'elle s'articule à un frame (un contexte constitué qui permet l'interprétation) et qu'elle définit un objectif. L'ontogenèse récapitule en somme la phylogenèse.

Un pas de plus doit cependant être encore effectué. Si nous comprenons que la fondation des genres s'appuie sur un usage visant à faciliter l'interprétation par le lecteur (cette conclusion étant triviale, mais la démonstration étant néanmoins utile dans sa forme), il reste encore à articuler cette théorie du genre à l'exercice de la lecture réelle. Il semble que le lecteur produise deux types d'inférences lors de la lecture : des inférences de type Top-down  dirigées par concept et des inférences de Bottom-up dirigées par les données. La lecture correspond à l'établissement par le lecteur d'un équilibre entre ces deux modèles : pour le cinéma, le lecteur/spectateur instancie différentes places laissées vides (qui est le sujet, le héros par exemple) par rapport à un récit porteur de données. Le sens du récit est alors donné par les caractéristiques spécifiques des données instanciées. A quoi correspond la notion d'information véhiculée par le journaliste ? On connaît le paradoxe de l'information en théorie de l'information : les informations véhiculées sont des informations probables dont la valeur informative est proche de zéro, leur peu d'informativité étant la garantie de la possibilité de leur réception. Mais cette vision un peu trop réductrice doit être contre-balancée par une approche de la pertinence. Le genre au-delà de son caractère informatif (information permettant au lecteur de construire l'environnement adéquat à la réception) a également une fonction communicative (intention informative au second degré) concernant la pertinence de l'information, le genre journalistique apparaissant toujours comme un marqueur de  dégradation de l'information, les articles essentiels apparaissant comme sans genre. De même, un cinéma de genre est en deçà du cinéma.

Source : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/documents/archives0/00/00/08/55/sic_00000855_01/sic_00000855.pdf