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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Le documentaire : témoignages de producteurs


Introduction

Pour comprendre ce qui s'est passé depuis ces quinze dernières années dans la production documentaire et l'inquiétude qui saisit, aujourd'hui la profession, nous avons interrogé différents fondateurs de sociétés de production tous très attachés à la création documentai­re, souvent réalisateurs eux-mêmes. Deux d'entre eux ont débuté dans ce métier au début des années quatre-vingt. En les écoutant et en comparant leurs expériences, nous voyons se dessiner une « histoire » du do­cumentaire non pas du point de vue des formes cette l'ois, mais du point de vue des rapports entre auteurs et producteurs et avec les chaînes de télévision.

Four Patrick Winocour, nous assistons aujourd'hui à la disparition progressive d'un « malentendu productif» entre télévision et documentaire né au milieu des années quatre-vingt. A l'exception notable d'Arte, le modèle commercial est devenu en vingt ans le modèle dominant de la télévision publique et la création documentaire y trouve de plus en plus difficilement sa place.

Les principaux symptômes de la crise actuelle sont l'augmentation du volume horaire produit avec, corrélativement, une baisse de l'investissement des chaînes de télévision (2) , une diffusion de plus en plus tardive des ouvres - autour de minuit et un formatage des « cases » de diffusion de plus en plus contraignant pour les auteurs.

 

Selon le Centre national de la cinématographie, le nombre d'heures de documentaires produites avec un soutien financier du CNC a pratiquement doublé en cinq ans, passant de 1464 en 1998 à 2748 en 2002 (3) . Et depuis 1990, le nombre de sociétés de production est passé d'environ 250 à 650. L'explication de cette évolution se trouve bien évidemment dans la multiplication des canaux de diffusion. Le documentaire est notamment devenu le genre privilégié par les chaînes thématiques et par les chaînes locales et régionales. Leur apport financier est resté très mo­deste, et derrière le taux moyen de financement des chaînes -46% % en 2002 se cachent de grandes disparités .

En revanche, le documentaire continue d'absorber une part croissante des sommes distribuées par le CNC. En 2002, le CNC a distribué 79,5 millions d'eu­ros aux producteurs de documentaires, soit une pro­gression de 8,6 % par rapport à 2001 et de 5 % par l'apport à 1998. On a donc pu se demander si la crise de la création documentaire n'était pas alimentée aus­si par les effets pervers du système de financement au­tomatique du CNC créé en 1980. Pour le comprendre, il faut entrer un peu dans les détails techniques de ce système complexe. Chaque année, les chaînes de télé­vision publiques ct privées versent au CNC une part de leurs recettes qui alimente un compte de soutien utilisé, entre autres, pour financer des enivres documentaires. Des aides automatiques à la production, ou « subventions de réinvestissement », sont destinées aux producteurs avant déjà produits ct diffusé des ouvres audiovisuelles sur les chaînes de télévision françaises. La diffusion d'ouvres audiovisuelles per­met donc aux producteurs d'obtenir l'ouverture d'un « compte automatique » avec des sommes qu'ils peu­vent réinvestir dans la production (ou la préparation) de nouvelles ouvres. Le système est complété par des aides sélectives réservées aux entreprises nouvelles n'ayant pas encore accès aux subventions de réinves­tissement ou ayant un faible volume de production.

Outre le documentaire de création, des aides sélectives peuvent être apportées à des magazines présentant. un intérêt culturel, à condition que le producteur bénéficie déjà d'un compte automatique. Une vive polémique a éclaté l'année dernière, lorsque la profession a découvert que Popstars , l'émission de M6, avait bénéficié d'un tel financement. Quant aux séries dont la durée totale est supérieure à cinq heures, elles sont exclues des aides sélectives, mais en revanche, peuvent bénéficier des aides de réinvestissement.

On voit bien que pour bénéficier automatiquement d'une réserve de crédit, il suffit à un producteur de produire chaque année un volume minimal de filins, les financements automatiques représentant 90 % du lot à distribuer. Or, le travail de producteur de documentaire est un travail artisanal, ce n'est pas une industrie. Il n'y a pas d'économies d'échelle possibles, même si l'on augmente le volume d'ouvres produites chaque année. Tous les producteurs interrogés ici le disent. Que la société de production soit de taille moyenne, comme Les Films d'Ici, ou très petite, comme Quark, elles fonctionnement comme des « ateliers », ce que souligne Esther Hoffenberg. Le dialogue avec les auteurs est au cour du métier de producteur, et. pour cela, il faut que la structure reste a taille humaine.

Le CNC a prévu de modifier l'accès au Cosip en 2004 pour faire davantage de place aux premières oeuvres. Mais le documentaire fait éclater les contradictions d'un système ambivalent conçu pour favoriser à la fois la création audiovisuelle et « l'industrie de programmes ». Comment ce système déjà si complexe pourrait-il à lui seul faire barrage aux dérives commerciales des chaînes publiques ?

On voit donc que la création documentaire a dû survivre à des évolutions considérables dans les quinze dernières années. Thierry Garrel, responsable de l'unité documentaire d'Arte, déclarait récemment ceci : « Il est frappant de voir qu'un certain nombre de producteurs indépendants sont, par leur défense de la création, porteurs de valeurs culturelles d'intérêt général, d'une ambition de service public qu'ils incarnent parfois face à leurs interlocuteurs institution­nels défaillants. ».

Si un certain nombre de producteurs indépen­dants notamment ceux qui s'étaient rassemblés au sein de la Bande à Lumière, comme en témoignent Jean-Marie Barbe et Richard Copans incarnent cet­te ambition, c'est souvent que leurs entreprises s'en­racinent dans les luttes politiques des années soixan­te-dix. Jean-Marie Barbe rappelle que la Bande à Lumière s'est créée en 1986 pour obliger (déjà) le CNC à prendre en compte le documentaire « oublié » dans les premiers textes au moment de la création du Cosip.

On peut même aller jusqu'à se demander si au­jourd'hui la télévision peut être encore réellement un espace de libre création. De plus en plus de produc­teurs regardent du côté de la distribution cinéma pour faire vivre les films « miroir aux alouettes » selon certains mais la sortie en salles assure aux films une re­connaissance, en termes de critique notamment, qu'ils n'ont pas lorsqu'ils sont diffusés à des heures tardives sur les chaînes. Selon Denis Kreyd : « On a le senti­ment que certaines chaînes se sentent obligées, vis-à-vis des autorités de tutelle, de commander des ouvres documentaires dont, fondamentalement, elles ne veu­lent pas. Elles s'en débarrassent ensuite discrètement au milieu de la nuit... ». Ce slogan optimiste, lancé dans les années quatre-vingt, « Le documentaire, c'est la télévision même », se révèle hélas moins vrai que ja­mais. Sans abandonner l'outil que représentent les chaînes publiques « pour refonder de l'humain col­lectif» , il reste à inventer une autre économie pour faire émerger ces ouvres singulières portées par la vo­lonté de leurs auteurs et la ténacité de leurs produc­teurs. C.B.

 

 

Entretien avec Jean-Marie Barbe

 

Q uelle est l'origine d'Ardèche Images ?

 

Jean-Marie Barbe : Elle est double. Dès le départ, à la lin des années soixante-dix, avec des amis de la Basse Ardèche qui appartenaient à des foyers déjeunes, sur le canton de Villeneuve de Berre (Lussas fait partie du canton de Villeneuve de Berre), nous avons eu envie de créer un événement culturel et politique. A l'époque, il y avait en milieu rural un tissu associatif culturel ouvert sur le monde, avec ces foyers de jeunes affiliés à des fédérations d'oeuvres laïques. J'avais des copains dans ces villages et j'avais envie de faire quelque chose avec eux autour de ce que je connais­sais, le cinéma. Etant en milieu rural, j'avais eu peu accès à la culture cultivée, aux livres, à la musique, par contre au cinéma paradoxalement oui. Donc en 1978, avec ces copains des villages alentour, on décide d'organiser un festival, un festival de « films » plus que de cinéma, avec tout ce qui se produisait et se réalisait en dehors de Paris et de l'Ile-de-France. Le festival s'ap­pelait : « Cinéma des Pays et Régions ». Des films qui a\ aient pour la plupart d'abord un caractère politique, issus des mouvements anarcho-syndicalistes de l'époque. Des films sur Lip, sur le mouvement ouvrier, des films antinucléaires, des films qui valorisaient les cultures régionales, sur la question des femmes, des films ethnographiques, enfin tout ce foisonnement des ces soixante-dix à travers des sujets sociaux et politiques. Et, très peu de fictions. Et c'est ainsi que, dès la première année de ce festival, j'ai été en contact à Paris avec Cinélutte, les Films du Village, Iskra, etc. Et c'est ainsi qu'est née la curiosité pour ce cinéma non officiel, indépendant, en fait pour le cinéma docu­mentaire, mais cela, je ne le savais pas à l'époque. Et, dans le même temps, j'avais noué à l'université des liens avec des gens qui travaillaient sur les « ethno-textes » et je réalisais un film, Benleu ben, berger des Cévennes, qui a été projeté au festival Cinéma du réel en 1979.

Le parallèle entre la production et l'organisation de manifestations est fondateur de tout ce qui va se pas­ser à Lussas par la suite... En 1982, on embauche le premier salarié de l'association, et en 1988, on crée une société de production, avec Mario Méjean, ma compagne d'alors, avec qui j'avais réalisé le filmBen-leu ben. On réalise un film en 1988 autour d'ETA mi­litaire et de la question du nationalisme basque, Le Pays Basque sud et sa liberté, qui est le premier film pro­duit par cette structure, Ardèche Images Production. Dans le même temps, avec les copains qui travaillaient à l'organisation du festival Pays et Régions, on met en place pendant deux ou trois ans des cinémas itinérants un peu partout en France. On a beaucoup travaillé entre 1981 et 1985 à l'organisation de réseaux et de co­opératives de cinémas itinérants en milieu rural. Les mêmes copains en 1986 vont ouvrir les salles art et es­sai du Navire à Aubenas. En tout cas la constante de Lussas, depuis le début, c'est : « on produit, on réali­se, on montre et on réfléchit à ce qu'on fait ».

 

Et comment avez-vous produit ces premiers films ?

 

J.-M. B. : Ils ont été entièrement auto-produits, avec notre propre argent qui permettait d'acheter la pelli­cule. On avait le matériel gratuitement. Pour Benleu ben par exemple, nous avons eu 5 ooo francs de la Ré­gion sur un programme concernant la tradition orale. Un deuxième financement par un ami, Jean-Jacques Ravaux, qui avait un circuit de diffusion, Ciné-reportages, une sorte de Connaissance du monde, dans le tis­su associatif et le milieu scolaire. Il était intéressé par le projet et est devenu co-réalisateur et co-producteur du film. Il a apporté l'argent pour acheter la pellicule cl le savoir en termes de métier puisqu'il avait déjà fait un film sur l'Afghanistan. Et le troisième financement pour ce film c'est Jean-Pierre Beauviala, qui nous a prêté une caméra et un magnétophone en échange de quoi on a passé trois semaines à retaper des bureaux à Grenoble pour Aaton...

 

Et pour Le Pays Basque sud... ?

 

J.-M. B. : Alors là c'est de l'argent personnel. Je suis pion à l'époque. Avec Mario, on a réuni trente mille francs pour faire le film.

 

Vous n'aviez pas de financement des télévisions à /'époque ?

 

J.-M. B. : Non, à ce moment-là les télévisions n'étaient pas encore ouvertes à la production indépendante, elles vont s'ouvrir à partir du milieu des années quatre-vingt, 1985,1986, au moment de la création de Canal +, de la mise en place du Plan câble et de la mutation des télévisions publiques qui décident alors de se séparer d'une partie de l'outil interne, en tout cas pour les programmes dits de patrimoine, fictions, do­cumentaires, animation, et qui commencent à tra­vailler avec un tissu de producteurs indépendants. Jusque-là TF1 et Antenne 2 fonctionnaient en ma­chines autonomes, produisant tout en interne avec leurs salariés. L'externalisation s'est faite à partir de 1985. Pour Antenne 2, cela a commencé par le film animalier, le film d'aventures. Par contre sur le terrain du reportage, du documentaire d'investigation, sur l'actualité ou les enjeux historico politiques, la télévi­sion était preneuse dès le début des années quatre-vingt en achat ou préachat. Sur le terrain du docu­mentaire à proprement parler, la véritable école c'est l'animalier et l'aventure, dans laquelle on va retrou­ver bien des gens qui vont faire leurs armes : MC4, les Films du Village, les Films d'Ici et nous... Mon pre­mier film avec la télévision a été coproduit avec Alain Bougrain-Dubourg et le deuxième avec Guy Maxence pour les Carnets de l'Aventure. A ce moment, on avait un peu le sentiment de ne plus faire le même mé­tier, mais en même temps on avait enfin trouvé une économie, et sans doute une autre légitimité, alors que depuis le début des années quatre-vingt, pour les films qu'on avait faits auparavant, c'était devenu très diffi­cile. Les réseaux associatifs s'étaient dissous en partie avec l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Mais Benleu ben m'a tout de même permis de vivre pendant deux ans, je l'ai diffusé dans des foyers du troisième âge, dans des associations, je faisais des débats autour du film. Et cela me permettait de vivre, pas très bien, mais c'était un revenu. Le Pays Basque sud et sa liberté, je l'ai vendu à la télévision québécoise. C'était notre première vente à la télévision. A Antenne 2, on m'avait dit : « L'ETA, non, sauf si vous avez un scoop... »

Mais revenons à ce moment charnière des années 1983-85. Les télévisions publiques commencent à s'in­téresser au tissu des producteurs indépendants pour une raison économique simple. Quand la chaîne tra­vaille avec un producteur indépendant, si elle investit 1000 francs, le producteur indépendant avec ces 1000 francs va en trouver 3 ou 4000 de plus. Et c'est lui qui va avoir les soucis éditoriaux. La chaîne se dé­gage de tous les problèmes d'une machine lourde à fai­re fonctionner, donc en bon calcul capitalistique et in­dustriel, il vaut mieux travailler avec des indépendants. Les patrons des chaînes publiques le comprennent ce moment et les politiques aussi qui modifient le cahier des charges des télévisions publiques. L'exemple vient aussi des nouvelles chaînes qui se créent : La Sept par exemple, qui deviendra Arte, est juste un société d'édition de programmes avec très peu de salariés qui produit beaucoup de documentaires de création. Canal + est aussi un outil extrêmement léger ai début. La systématisation du travail avec les indépendants sur les programmes de patrimoine va s'instaurer petit à petit et, à ce moment-là, qui sont les pro­ducteurs ? Ce sont des gens qui viennent du cinéma indépendant, pour la plupart du cinéma politique ou du cinéma d'intervention, et qui ont bâti leur expé­rience dans les années soixante-dix. Ce sont souvent les fil mmakers, des gens qui font leurs propres images, qui les produisent et les distribuent, et qui sont à la recherche d'un second souffle. Et, à ce propos, il y a eu une réunion tout à fait exceptionnelle, dont je garde­rai toujours le souvenir, qui s'est déroulée dans la ca­ve des Films du Grain de Sable, en 1985, en novembre ou en décembre, et qui a été le prélude à la création de la Bande à Lumière. Nous savions que c'était un mo­ment important, donc nous avions décidé de monter à Paris en train. Le TGV venait d'être installé, alors que trois ans avant on montait en 6 heures et on redes­cendait en 6 heures, c'était une aventure. Là on mon­tait en une journée, on revenait le soir... Ce soir-là, dans cette cave, il y avait Barbet Schroeder, Raymond Depardon, Joris Ivens, Richard Copans, Yves Jeanneau, Yves Rillon, Agnès Guérin, Jean-Michel Carré, et puis des gens que je ne connaissais pas, on était qua­rante à cinquante. Avec Chantal Perrin, on était les deux seuls provinciaux de l'affaire, on écoutait, on était là pour apprendre. On voyait ces gens qui étaient nos aînés, nos maîtres, des exemples pour certains en tout cas. La question grave qui rassemblait tout le monde était que le documentaire risquait de disparaître : le ministère de la Culture était en train de mettre en pla­ce un mécanisme de soutien oubliant dans les textes le documentaire. C'était le moment de peser de tout notre poids pour que le documentaire soit pris en compte. Et c'est de là que va naître la Bande à Lumiè­re et là aussi que moi je prends conscience qu'il exis­te une culture du cinéma documentaire dans ce pays, que ces gens appartiennent au cinéma, que le docu­mentaire n'est pas seulement un genre politique, mais un genre majeur, profondément varié, inscrit dans l'histoire du cinéma. Ce n'est pas ce soir-là une révé­lation parce que des films j'en avais vus, mais quand Schroeder est assis à côté de Depardon, quand à côté il y a Joris Ivens, on a là avec ces trois personnes, trois genres, trois natures de films qui font penser que ce genre-là s'inscrit dans la complexité du cinéma. Enfin pour moi, c'est une soirée fondatrice. Et la décision est prise de se revoir régulièrement et de se doter d'un outil. Ce sera l'association « la Bande à Lumière ».

A Lussas, on arrête le Festival des Pays et Régions en 1986, et dans le même temps je vais être très mala­de à la suite d'un tournage, je vais passer juste à côté de la mort, pendant un mois je vais même danser avec elle. Evidemment cela transforme le regard sur la vie. Après cela, chaque jour qui est là est bon à prendre, cela m'a donné une frénésie, un appétit de vie, et en même temps sans doute l'héritage paysan, la convic­tion qu'il ne faut jamais s'inscrire dans l'immédiateté - quand tu plantes un arbre, tu récoltes dix ans après -enfin tout ce qui fait l'environnement culturel de quel­qu'un qui est né à la campagne. Et je vais mettre beau­coup d'énergie à « faire »... et à faire du côté du ciné­ma et du film documentaire.

A Lussas, comme il n'y avait plus de festival et qu'on venait de tourner un film sur les chevaux, je propose de monter un festival autour du cinéma et du cheval. J'ai montré le film de Wiseman, Racetrack, des westerns, des films historiques. Le cheval était un prétexte. Et dans le même temps la production continue. A la fin des années quatre-vingt, la société va servir à pro­duire d'autres films que les miens. On produit deux à trois films par an.

 

Pendant ce temps, à la Bande à Lumière ?

 

J.-M. B. : Après cette fameuse réunion de 1985, on a organisé la journée du 6 juin 1986, première manifes­tation autour du documentaire. Dans la Bande à Lu­mière, c'est l'affrontement des ego, des tendances, ce sont tout de même ceux qui ont fait exister le cinéma politique des années soixante-dix, on va dire que de fortes personnalités sont ensemble. J'ai parfois du mal à discerner ce qui est de l'ordre du conflit personnel et ce qui est de l'ordre du conflit d'idées. En tout cas je suis très proche des Films du Village. Quand je viens à Paris, je dors chez Yves Billon qui m'héberge tout le temps. Je lui dois beaucoup ainsi qu'aux Films du Village.

En 1987-88, les conflits recouvraient tout de même deux grandes orientations qui étaient complémentaires, mais qui devaient s'exprimer de manière sépa­rée pour être fondatrices. Je faisais déjà cette analyse à l'époque. D'un côté il y avait les tenants d'une di­mension économique, de marché, ouverte sur l'Euro­pe, on pourrait dire « moderne ». De l'autre côté, il y avait ceux qui disaient : « Confrontons nos films. Nous sommes dans l'art. Regardons quel est le sens du ci­néma que nous sommes en train de faire. Ne créons pus de compétition. Soyons à l'écart du marché pour pouvoir penser ce que nous faisons ». Donc c'est l'ori­gine, d'un côté, de la Biennale du documentaire de Lyon, qui ira ensuite à Marseille quand Olivier Masson va essuyer le refus de Lyon, et, de l'autre côté, de Lussas, en 1989, sous la forme d'Etats généraux, sur un principe non compétitif. En 1988 Lyon, en 1989 Lussas, ce sont les deux enfants de la Bande à Lumière qui, à ce moment-là, peut disparaître. Elle va mettre plusieurs années à disparaître, mais ceux qui restent à la Bande à Lumière vont travailler directement avec Lussas. Les trois premières années, Lussas est coorganisé par Ardèche Images et la Bande à Lumière et c'est réellement très collégial, c'est même l'assemblée générale permanente dans les réunions de program­mai ion. C'est un outil.

Les deux tendances adversaires au début, de ma­nière plus ou moins explicite, vont se réunir. Dès 1991, il va un consensus pour dire que les deux manifesta -tions sont nécessaires.

 

Et le CNC a-t-il soutenu les deux manifestations dès le début ?

 

J.-M. B. : Pour Lyon, puis Marseille, Olivier Masson a ru beaucoup de mal à trouver des financements. En 1988, avec Gilles Dinnematin et Yves Billon, on a pré­senté au CMC cinq projets de la Bande à Lumière et Jean Rozat nous a dit : « Le seul projet qui m'intéres­se, c'est celui des Etats généraux ; le CNC peut ap­porter 100 000 francs sur ce projet. » J'ai proposé que l'on crée les Etats généraux à Lussas parce qu'il y avait un savoir-faire à Lussas, on savait accueillir, organiser un festival. La première édition va être portée par trois personnes, Jean-Paul Roig, Simone Haffner et moi, plus ceux de Paris qui travaillaient sur les séminaires, les programmations. Les Etats généraux seront re­conduits l'année suivante, et comme toujours, c'est la troisième année qui est l'année critique. Soit on arrê­te, soit on passe à un niveau supérieur. Là le désir était de continuer parce que ceux qui nous boycottaient sont venus à la troisième édition... La première année on était 3oo, la deuxième année 600. Et il y a des gens comme Jacques Bidou, des producteurs qui n'ap­partenaient pas à la Bande à Lumière mais qui ve­naient aussi du cinéma politique qui sont venus dès la première édition. Gela a crédibilisé la manifestation et l'a fait sortir du noyau initial de la Bande à Lumiè­re... Jean-Michel Arnold va venir la deuxième année présenter un programme sur la science. On a fait un travail sur le cinéma animalier dès la deuxième ou la troisième année. On essayait donc de ne pas être trop idéologiquement, politiquement exclusifs. Je me rap­pelle très bien qu'Anna Glogowski m'a dit la troi­sième année : « Je vais venir à Lussas, on m'avait dit qu'il ne fallait pas y aller, mais finalement je vais venir cette année. » Et la troisième année, la Procirep a ac­cepté de nous donner de l'argent, on a augmenté le budget, les salaires.

 

Et pendant ce temps-là, Ardèche Images Production...

 

J.-M. B. : L'itinéraire d'Ardèche Images Production et de l'association Ardèche Images ne s'arrête évi­demment pas là. La société va évoluer, mais l'associa­tion aussi... Mon objectif, de manière très consciente et très programmée, est d'apporter une pierre nouvelle dans l'édifice tous les cinq ans. J'ai dans l'esprit l'idée de construire un « village documentaire », c'est à dire un lieu permanent d'activités intellectuelles, de production mais aussi de réflexion et de formation.

A la fin, en 1991, j'accepte de devenir président de la Bande à Lumière, je n'avais jamais voulu accepter parce que je n'en avais ni le désir, ni la compétence. Mais comme une partie des membres est partie à Mar­seille, il n'y a plus de querelle de personnes et je me disque cet outil peut servir. Je me bats pour que se crée à Paris une « Maison du documentaire ». Tout le monde est séduit par l'idée. Le CNC nous subven­tionne pour salarier pendant quatre mois deux per­sonnes, Agnès Guérin et Gilles Dinnematin, afin de constituer un dossier sérieux qui poserait les bases d'un tel projet. L'objectif était de faire un travail d'inventaire des films, de créer peut-être une coopérative, enfin un lieu emblématique et un outil pour la pro­fession, à l'image de ce qui s'était fait déjà avec l'Agen­ce du court-métrage... Sur le principe, tout le mon­de, tous ceux qui travaillaient sur le documentaire trouvaient l'idée bonne, mais en fait les quatre mois qui vont être mis au service de l'élaboration de ce pro­jet vont montrer que personne ne voulait de cette structure. Elle empiétait sur les plates-bandes de tous les territoires. « A quoi sert un toit, une maison ? C'est un principe frileux, précautionneux... ». C'était le dis­cours de Thierry Garrel par exemple. Et c'était une concurrence pour les auteurs qui avaient déjà la Scam.

 

Et quelle a été l'attitude du CNC ?

 

J.-M.B. : Au CNC, Jack Gajos nous a dit textuelle­ment : » Nous avons déjà mis de l'argent dans l'Agen­ce du court-métrage, nous ne voulons surtout pas re­faire la même erreur ». Aucun partenaire n'a accepté de participer au financement. C'était un projet de service public, autour du documentaire, complémentai­re de ce qui se faisait déjà. J'avais la certitude qu'on avait besoin de cet outil. On allait donc le faire à Lussas. Je partais de l'hypothèse qu'il n'y avait plus de centre, avec les ordinateurs, le TGV, alors pourquoi pas un endroit comme Lussas. Ce serait un lieu de for­mation et de mémoire, un outil pour la profession, complémentaire des Etats généraux. Les Etats géné­raux en seraient la vitrine annuelle. La première éta­pe de cette maison du documentaire est l'inventaire des films. Au départ, Claude Petitjean crée une base de données, et puis finalement il n'arrive pas à s'en sortir, le marché n'existe pas et je suis convaincu à ce moment-là qu'il faut que cela soit financé par de l'ar­gent public. Je trouve des financements, pas assez, mais à la campagne on sait vivre pauvrement, avec des salaires bas. Donc cette condition-là, de pauvreté, que je récuse fondamentalement, on s'en sert, cela peut être un atout. Et vivre pauvrement nous a permis pen­dant dix ans de monter une structure de production, de créer les États généraux et cela nous permet aussi de mettre en place la Maison du doc en 1990 avec Ge­neviève Rousseau.

Très vite, au bout de trois ans, j'ai ressenti la né­cessité de mettre en place une formation. Je voyais bien, en étant à la Commission d'aide à l'écriture du CNC, que d'aider des gens en leur donnant de l'ar­gent pour écrire, ce n'était pas suffisant, la plupart des projets vont dans le mur parce que les gens sont seuls, ce sont souvent des premiers films mais même quand ce sont les deuxièmes ou troisièmes films, il n'y a pas de producteurs qui suivent. D'où l'idée des résidences d'écriture : accompagner des auteurs dans l'élabora­tion et l'écriture de leurs projets de films. En 1994 c'est Nicole Zeizig qui va mener à bien ce projet.

Le CNC nous avait commandé une étude sur la pro­duction régionale. J'ai l'impression que le CNC en commandant des études tous les trois ans se dédoua­ne, résout une question momentanément... enfin bot­te en touche. Et quand en 1994, avec Anne-Marie Luccioni, on présente à Lussas cette étude « Produire en région », on propose au CNC de mettre en place une formation, sur le modèle d'Eave, la formation de pro­ducteurs européens créée dans le cadre du plan Média en 1989. Anne-Marie Luccioni avait suivi en 1989 cet-te formation que Jacques Bidou coordonnait, et moi en 1990 ou 91. Pendant quatre ans, on va ainsi former soixante producteurs en région, et une vingtaine sont maintenant des acteurs essentiels de la production. C'était une belle réussite, mais le constat à l'issue de celle formation de producteurs, était qu'il y avait un déficit de propositions, de bons projets. L'idée d'une formation de réalisateurs de haut niveau, sur un an, naît alors. J'intervenais deux ou trois fois par an à Nan­cy dans un DESS de formation à la réalisation documentaire et mon analyse était qu'il fallait construire une formation à la réalisation extrêmement ciblée avec trois objectifs pédagogiques. D'abord au centre de la formation, le « faire » : que les gens pendant un an se coltinent des exercices en son, image et montage et la réalisation d'un film d'école. Ensuite, il fallait qu'ils puissent acquérir la culture de leur métier, donc deux mois de connaissances générales sur le genre docu­mentaire, son histoire, les enjeux esthétiques, d'écri­ture, et, au-delà de l'écriture, les enjeux de fond aussi. Enfin, il fallait que les gens à la sortie aient un projet pour qu'ils puissent entrer sur le marché du travail, ce qui nécessitait une résidence d'écriture à l'intérieur de ce cursus. Il fallait sélectionner les gens sur un projet de film, pour sélectionner des apprentis créateurs et non des journalistes ou des « communicants ». Marie-Pierre Muller a accepté de travailler cet­te idée, elle en a inventé la subtilité et le contenu pédagogique et, à partir de cette base-là, on a trouvé des financements, certes limités, mais qu'on a jugé suffisants pour créer ce DESS.

 

Et aujourd'hui, quel est le prochain projet ?

 

J. -M. B. : Aujourd'hui, l'histoire s'accélère, il y a deux projets en cours de mise en place qui me paraissent relever de deux enjeux importants quant au devenir de la création documentaire. Premièrement, la télévi­sion, qui a permis au documentaire d'exister, qui lui a sauvé la vie en termes industriels, qui lui a donné son essor, son financement, la télévision aujourd'hui fait mal son métier, pour dos raisons complexes. Rapide­ment dit, les chaînes sont devenues des appareils de pouvoir où la question de la communication l'empor­te sur celle de la création. La télévision publique a choisi l'immédiateté, la surexposition du présent, au détriment de la distance que permet la création. Il y a une concurrence, une compétition, donc une pression terrible. Les artistes ont du mal à créer dans un champ de tension et de contrainte comme celui-là. Et le do­cumentaire, dans sa dimension créative et singulière, n'a plus de place ou par effraction. Il y a encore des niches qui sont la suite d'une histoire de dix ou quin­ze ans. C'est le cas de l'unité documentaire de Thier­ry Garrel sur Arte. Il y a urgence à trouver d'autres es­paces économiques et industriels au sens large pour permettre à l'art d'exister et de se développer en se fondant dans la société. Mon hypothèse est que c'est sur le terrain du livre, donc de l'édition, et sur le ter­rain du virtuel, donc du Net, que l'avenir va se jouer. Il faut absolument défendre l'idée que le documen­taire, c'est comme les livres... Wiseman sera reconnu dans cinquante ans comme le Flaubert de la fin du XX e siècle. Dans une société d'images, ce qui fait ouvre, qui a une fonction créative essentielle pour re­présenter le monde dans lequel on est, c'est le docu­mentaire. Il est important de le situer là où au­jourd'hui les gens vont chercher le livre, donc dans les bibliothèques.

Et il faut rassembler les producteurs indépendants, créer un ou plusieurs sites où le monde associatif, éducatif, culturel pourra trouver les documentaires dont il a besoin. Les gens pourront acquérir des films, via le Net, à partir d'une base de données, télécharger ou acheter des DVD par un système de vente par cor­respondance. Donc il faut créer une sorte de fonds d'oeuvres documentaires, avec une vraie politique éditoriale, à la fois cinémathèque et Web-TV. Et parallè­lement il faut créer un site de service public, complé­mentaire d'autres sites, qui serait assumé directement par Lussas, où un certain nombre de services comme on les rend à Lussas seraient rendus sur le Net. C'est le projet Docnet. C'est plus subtil aujourd'hui dans sa construction mais c'est la base du projet qui regroupe une trentaine de producteurs indépendants.

 

Et le deuxième projet, le deuxième enjeu aujourd'hui ?

 

J.-M. B. : Le deuxième volet du travail mis en place à Lussas est un outil qui peut servir à d'autres, qui n'a pas valeur de modèle mais qui a une certaine univer­salité. En vieil internationaliste, mon point de vue est que les conditions économiques, les rapports de clas­se sont universels même si les cultures, les ethnies, les histoires sont singulières. Le cinéma documentaire a une dimension nationale, évidemment, mais il a d'abord une dimension universelle. Ce n'est pas l'outil d'un néo-colonialisme, mais un véritable outil d'ex­pression des cultures et il convient, en étant très attentif sur les moyens et la manière, d'essayer d'aller là ou les peuples n'ont pas voix au chapitre, c'est-à-dire droit à l'image et au son. Il convient de les aider à fon­der une histoire cinématographique, audiovisuelle de leur culture, un regard permanent et un point de vue critique sur leur société. On n'a pas pu le faire avec le cinéma parce que c'est un outil industriel lourd et cher, on le peut avec la DV parce que c'est un outil léger , et m ême les télévisions de ces pays-là qui n'ont pus encore subi pour la plupart la révolution qu'ont subie nos télévisions, il est opportun, avant qu'elles n'entament une mutation qui les conduira à être des outils de pouvoir, de les associer à des projets de créa­tion en créant une conscience collective chez les pro­fessionnels. Donc aider, concourir à l'émergence d'un tissu de création, de production et de diffusion dans des pays en voie de développement, mais aussi bien dans des pays qui l'ont perdu comme la Russie, que dans des pays comme le Sénégal ou les pays de l'Afrique de l'Ouest qui ne l'ont jamais eu. Il y a tout un travail préalable à faire, d'étude, de diagnostic des conditions industrielles, historiques. Il y a des questions d'opportunité et un certain nombre de condi­tions indispensables. Il faut que le pays ait un mini­mum de règles institutionnelles, une démocratie ins­titutionnelle. On ne peut pas aujourd'hui mettre en place quelque chose en Côte-d'Ivoire ou en Irak. On peut le faire au Sénégal, où il y a un niveau de déve­loppement industriel suffisant, des outils techniques, une culture générale, des jeunes gens qui sont allés à l'école, qui ont un minimum de conscience de l'état de leur pays et de l'état du monde. C'est ce à quoi je tra­vaille aujourd'hui.

Entretien réalisé à Paris le 24 avril 2008.

Propos recueillis par Catherine Blangonnet.

Images Documentaires, 1 er et 2d trimestre 2003.

 

* Jean-Marie Barbe est le fondateur de l'association Ardèche Images, d'Ardèche Images Production et des Etats généraux du film documentaire de Lussas.

1 Alain Bougrain-Dubourg était responsable des programmes animaliers sur Antenne 2 entre 1985 et 1989.

2 / Guy Maxerice était responsable de la case Carnets de l'Aventure sur Antenne 2.

3 / Jacques Bidou, producteur, est le fondateur de JBA Produc­tions.

*/ Jean-Michel Arnold était alors directeur du CNRS audiovisuel.

*/ Arma Glogowski était alors responsable, avec Catherine Lamour, des achats et des co-productions documentaires à Canal Plus.

'/ Cf. « Le documentaire n'est pas le lieu des grâces non écrites...», entretien avec Marie-Pierre Muller, in Images docu­mentaires n°40/41, 1er et 2d trimestre 2001.