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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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L'augmentation du nombre de films est-elle un signe de bonne santé de la filière cinématographique française ?


Les pouvoirs publics intervenant dans la filière cinématographique sont le Centre National de la Cinématographie, et l'Etat.. Le premier intervient par sa politique de soutien aux différents secteurs de la filière, de réglementation, notamment en matière de remontée de recettes, de promotion du cinéma français à l'étranger, de protection du patrimoine ; l'Etat par les lois qu'il promulgue en matière cinématographique, et par les quelques aides apportées par le ministère de la Culture. Les deux sont étroitement liés puisque le CNC est le principal instrument d'intervention de l'Etat dans le cinéma. N'oublions pas non plus les collectivités territoriales.

Ces pouvoirs publics ont suivi de près l'évolution du niveau de la production cinématographique française. Les chiffres du CNC montrent une très nette hausse du nombre de films d'initiative française produits au cours des dix dernières années. Cette hausse traduit une certaine santé, une capacité d'investissement, qu'il faut tempérer puisqu'elle n'est pas sans causer de problèmes à une période où la durée de vie d'un film est de plus en plus courte. Faut-il parler pour autant de la perspective d'une crise du cinéma français ? Les pouvoirs publics ont-ils pour rôle d'anticiper et de prévoir l'évolution d'un marché qui fonctionne de plus en plus sur le court terme, et d'agir en conséquence ?

L'augmentation du nombre de films est-elle un signe de bonne santé de la filière cinématographique française ?

La production cinématographique française croît tant en nombre de films qu'en investissements, ce qui pourrait laisser supposer qu'elle est en bonne santé. En effet, on compte 183 films d'initiatives françaises agréés par le CNC en 2003, pour un total de 89 en 1994, soit un doublement en dix ans. Cela dit, le niveau de production de 1994 était très bas. Quant aux investissements français pour les films d'initiative française, ils ont augmenté de 141,7 / entre 1998 et 2003, soit une progression de 19,7 % en cinq ans. La tendance générale est donc à l'augmentation du nombre de films et des investissements, même si cette évolution ne se traduit pas par une courbe parfaite sur un graphique. L'année 2002 par exemple, a vu un léger fléchissement du nombre de films et de la somme investie. Le secteur de la production est donc dynamique en France, cependant ces chiffres ne révèlent que la partie émergée de l'iceberg.

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Films d'initiative française 89 97 104 125 148 150 145 172 163 183
1998 1999 2000 2001 2002 2003
investissements français M/ 578,91 541,73 634,26 687,89 644,33 720,61

Source : CNC

En effet si l'on creuse ces chiffres on se rend compte d'une plus grande stratification des films d'initiative française en fonction de leur budget, au moins sur les cinq dernières années (le CNC ne donne pas de données chiffrées à ce propos au-delà de 1999 dans son bilan 2003). Le nombre de films dont le devis est inférieur à 5M/ fluctue depuis 1999 entre 105 unités et 133. Ce dernier résultat a été obtenu en 2003. Si tendanciellement ces films augmentent depuis cinq ans en nombre, leur proportion par rapport à l'ensemble des films d'initiative française diminue. En 1999, la part des investissements absorbée par les 117 films de moins de 5M/ était de 45,6%, alors qu'en 2003, cette part a diminué pour atteindre 31,5%.

A titre de comparaison, les 11 films dont le devis est supérieur à 15M/ en 2003 captent tout autant d'investissements (34,3 %), signe d'une grande disparité. La part des investissements dans ces films à gros budgets ne cesse d'augmenter, puisqu'en 2001 les 9 films de cette catégorie avaient concentré un quart des investissements totaux. La question n'est pas seulement de savoir si cette disparité croissante est légitime ou non, mais de faire apparaître les logiques qui la suscitent. C'est une inégalité que cherche à mettre en avant le quotidien Libération dans son édition du mercredi 21 avril 2004 : "Les gros films sont de plus en plus gros et, chaque année, un peu plus nombreux, tandis que parallèlement, les tournages de films au budget de moins d'un million d'euros se multiplient. [.] Les films qui "trinqueraient" seraient [.] les "moyens budgets", autour de 5 millions d'euros, souvent les plus ambitieux artistiquement."

Répartition des films d'initiative française en fonction de leur devis

Films 2000 2001 2002 2003
plus de 15M/ 7 9 9 11
de 10 à 15M/ 7 11 5 7
de 7 à10M/ 12 14 12 12
de 5 à 7M/ 14 15 31 20
de 4 à 5M/ 18 9 9 17
de 2 à 4M/ 44 40 35 38
de 1 à 2M/ 21 32 21 37
Moins de 1M/ 22 42 41 41
Total 145 172 163 183
Devis (% ) 2000 2001 2002 2003
plus de 15 M/ 24,3 24,8 29 ,0 34,3
de 10 à 15 M/ 12,7 18,2 8,4 10,4
de 7 à 10M/ 14,1 15 ,8 13,0 11,4
de 5 à 7 M/ 12,1 11,1 23,4 12,4
de 4 à 5 M/ 12,8 5 ,2 5 ,5 9 ,2
de 2 à 4M/ 18,4 15 ,6 13,6 13,3
de 1 à 2M/ 4,4 5 ,7 4,5 6,4
Moins de 1M/ 1,2 3,6 2,6 2,6
Total 1000, 1000, 1000, 1000,

Source : CNC

La seule catégorie qui voit le nombre de ses films baisser entre 2002 et 2003 est en effet celle dont le budget est situé entre 5 et 7M / : 31 films avaient été produits en 2002, pour 11 de moins en 2003. Ceci représente une diminution de 50% de la part des investissements consacrés à cette catégorie : leur part était de 23,4% en 2002, pour passer à 12,4 en 2003. Cependant, il semble que 2002 ait été une année fort productive pour cette catégorie, ainsi la part des investissements lui étant consacrée en 2003 est sensiblement la même qu'en 2000 et 2001. Cela permet de tempérer les propos du journaliste de Libération. Il reste à voir si cette baisse se confirmera en 2004.

Le cinéma français peut se féliciter de l'augmentation de son niveau de production. Cependant, cette augmentation aggrave la concurrence, dont pâtissent en premier lieu les films à petits budgets. En effet, les films à gros budgets sont a priori plus "porteurs" auprès du public, donc mieux distribués et exploités en salle. Les films d'auteur sont désormais concurrents entre eux sur le marché français, et ne peuvent en conséquence tenir aussi longtemps à l'affiche. La diversité des films produits ne signifie donc pas la diversité des films sur les écrans. La rotation de plus en plus grande des copies couplée au tirage de plus en plus important de celles-ci amplifie cette concurrence, qui effraie les professionnels. Chaque secteur de la filière cinématographique rejette la faute sur l'autre, et c'est tout un système qui est mis en péril. Le raccourcissement de la durée de vie des films implique un émiettement de leurs parts de marché au profit de quelques gros titres, ou bien leur disparition pure et simple du circuit. Margaret Menegoz, de la société de production Les Films du Losange, interrogée dans l'édition du 21 avril de Libération, affirme qu' "en 2003, 212 films ont été produits, et l'exploitation ne peut pas en absorber autant".

De plus, l'inflation du nombre de copies provoque une exposition moins grande et moins longue des films, qui doivent faire face au phénomène de multiprogrammation qu'elle suscite et à la nécessité de maximiser les recettes sur les deux premières semaines de sortie en salle. En moyenne, un tiers environ des films à l'affiche disparaissent des écrans la semaine suivante. La légitimité de l'augmentation des copies est remise en question, mais celle-ci répond à des stratégies très différentes chez les distributeurs. Les tirages à 600 ou 900 copies sont devenus plus fréquents, d'où une certaine saturation des écrans, recherchée par certains distributeurs afin d'assurer une meilleure exposition du film et un meilleur rendement sur le court terme, mais également pour étouffer la concurrence. Demander aux pouvoirs publics de limiter le nombre légal de copies par film, cela revient à retirer une source de revenus importante pour les petits exploitants, puisque ce sont eux qui ont besoin des copies au-delà de la barre des 600, et ce ne sont pas eux mais les multiplexes qui sont les destinataires privilégiés des distributeurs. En revanche, si limiter le nombre de films produits permettrait une meilleure exposition des films, cela reviendrait à pénaliser une partie des producteurs. Tant que les professionnels ne s'entendront pas entre eux dans leur intérêt bien compris ou que les pouvoirs publics ne trouveront pas de solution intermédiaire satisfaisante, les difficultés iront croissantes. La question centrale est celle de la légitimité des pouvoirs publics, c'est-à-dire du ministère d'Etat et du CNC, à encourager, à accompagner ce processus, ou bien au contraire à ne pas l'entraver. Le système de financement du cinéma tel qu'il existe repose sur un équilibre entre interventionnisme et lois du marché. L'interventionnisme est nécessaire à la préservation d'une certaine diversité dans l'offre, et à l'accompagnement de projets difficiles, mais s'il est trop fort il risque tout d'abord de créer une distorsion de la concurrence, mais aussi d'étouffer une caractéristique de la filière cinématographique : la prise de risques.

Si des difficultés plus sérieuses se profilent à l'horizon pour l'ensemble de la filière cinématographique française, il reste à noter que le succès des films français en salle, en concurrence avec les blockbusters américains, lors du premier trimestre 2004, permettent de voir l'avenir avec optimisme. L'augmentation de la fréquentation, l'installation de nombreux films français en tête du box-office, la longue durée de vie de certains d'entre eux, Les Choristes par exemple, toujours dans les trois premiers après six semaines d'exploitation, témoignent d'une reprise qui peut être durable. On se doit cependant de remarquer que ces films français à succès sont avant tout des divertissements, non estampillés "films d'auteur", d'approche sans doute plus aisée, et qui ne nécessitent peut-être pas autant de prises de risque.

Dans le marché du cinéma, les évolutions sont très rapides et souvent très imprévisibles, en raison de l'incertitude quant à l'accueil du produit film par le public. A cela s'est ajouté en 2003 une conjoncture économique défavorable ayant provoqué une diminution de la consommation des biens culturels par les ménages, mais celle-ci semble s'atténuer. A long terme, c'est en grande partie la mutation du financement des films qui suscite des interrogations et des craintes.

II La mutation du financement des films n'est pas prête de s'achever : une évolution normale et alarmante ?

Les chaînes de télévision financent les films d'initiative française pour près du tiers. Les obligations instaurées par l'Etat, qui leur imposent de consacrer une partie de leur chiffre d'affaire à l'acquisition de droits de diffusion d'ouvres cinématographiques, les ont amenées en 2003 à financer les films d'initiative française à hauteur de 26,3% en pré-achat, de 3,8% en coproduction. De plus, environ 50% de la section cinéma du CNC est financée par les recettes de publicité, de la redevance et de l'abonnement des télévisions. Depuis les années 1980, ce n'est plus seulement la salle qui finance le cinéma, mais aussi la télévision.

Cependant, depuis quelques années, les télévisions se désengagent de plus en plus de la production cinématographique. Le ralentissement de la croissance des télévisions payantes et la frilosité des chaînes publiques expliquent ce phénomène. Canal +, premier investisseur, continue à perdre des abonnés, tandis que TPS en gagne un nombre inférieur à ses prévisions. Les chaînes du câble, quant à elle, progressent beaucoup plus lentement que les années précédentes. Ce désengagement est visible dans les chiffres du CNC, puisque la part des investissements des chaînes de télévision en pré-achat a diminué de façon quasi régulière depuis 1999, passant de 34,2% du total du financement des films d'initiative française à 26,3% en 2003.

Ce ralentissement de la croissance des télévisions s'explique en partie par l'essor de nouveaux supports, accentuant plus encore la concurrence qui existait déjà entre les chaînes. C'est le cas de la vidéo et de l'internet à haut débit. La vidéo, si elle entre en concurrence avec les chaînes de télévision, en raison du boom de la vente et de la location de DVD, ne semble pas concurrencer directement les films en salle, puisque ce sont les plus cinéphiles qui se les procurent, sans toutefois diminuer leur fréquentation des salles. Les taux de profits importants sur la vente et la location de DVD, pourraient permettre un financement plus grand de la production cinématographique, avec l'instauration par le CNC d'une taxe plus importante sur la vidéo. Pour 2004, le CNC en a déjà élargi la fourchette, sans toutefois l'augmenter, ce qui a néanmoins permis un accroissement de 122% de la contribution au compte de soutien, prévue à 4O millions d'euros, qui profiteront pour 85% au cinéma, et 15% à l'audiovisuel. Fixée à 2% du prix public, elle reste beaucoup moins élevée que celles qui pèsent sur la salle et la télévision. Quant au haut débit, il pose les problèmes du piratage des ouvres cinématographiques, certes moins important que celui de la musique car plus difficile, mais non négligeable.

De nouvelles techniques de diffusion, la TNT et le numérique hertzien, prévus pour un futur proche, pourraient offrir de nouvelles ressources aux télévisions, notamment publicitaires, et débloquer ainsi des fonds pour la cinématographie dans le cadre du compte de soutien du CNC.

Les producteurs ont compris la nécessité de se tourner vers d'autres sources de financement, parmi lesquelles la coproduction est de plus en plus prisée. Les coproductions internationales représentent ainsi 43% des films d'initiative française, contre 35% en 2002. En outre, les coproductions captent une part de plus en plus grande d'investissements français. En effet, en 2003, les films de coproduction ont concentré plus de 47% des investissements français alors qu'ils en avaient capté moins d'un quart en 2001 et 36% en 2002. Cet accroissement du nombre de coproductions n'est pas sans poser des problèmes, notamment celui de la délocalisation des tournages exigée par cette stratégie de financement. Une partie des techniciens français n'est donc pas engagée sur ces tournages. Sur les 1445 semaines de tournages des films d'initiative française, 566 se déroulent à l'étranger, à savoir 39% du temps. Comme l'indique le rapport 2003 du CNC, ce choix répond parfois à une logique financière, la localisation à l'étranger permettant des économies sur les coûts (Portugal, Roumanie) ou l'accès à des financements locaux (Belgique, Luxembourg, Grande-Bretagne).

Face à ce phénomène de délocalisation, l'action des régions est encore trop peu importante et trop récente. Leurs aides en 2003 se chiffrent à 9,7 millions d'euros, certes en augmentation de 34,9% par rapport à 2002, mais pour deux fois plus de films, 40 en 2003.

Face à ces transformations du paysage cinématographique, les pouvoirs publics ne doivent-ils pas intervenir pour anticiper les difficultés à venir ? La filière cinématographique peut-elle se passer des pouvoirs publics, et à quel prix ? Le niveau élevé de la production française, à la fois symptôme et signe de bonne santé, requiert-t-il une intervention de leur part ? Quelle attitude les pouvoirs publics doivent-ils adopter : doivent-ils suivre une logique d'incitation ou de régulation ?

III Le rôle des pouvoirs publics : entre régulation et incitation

La question du niveau de la production cinématographique française ne se résume pas à trancher entre baisser et augmenter le nombre de films produits, mais à repenser leur mode de production, de distribution et d'exploitation. Il s'agit pour les pouvoirs publics de s'assurer de la viabilité du système et de la capacité des différents secteurs à dynamiser ceux dont ils dépendent étroitement. La difficulté réside dans l'équilibre à trouver entre une politique de soutien à la diversité et une capacité à encourager les financements qui leur sont extérieurs tout en les régulant. Les pouvoirs publics doivent donc osciller entre une politique de régulation et d'incitation.

Le boom de la vente de DVD en 2002 a suscité une polémique quant à l'apport faible du secteur à l'industrie cinématographique par rapport aux hyperprofits réalisés par les éditeurs, dont on a pu juger qu'ils profitaient pleinement du cinéma sans se soucier de l'aider. A été évoquée l'éventualité d'augmenter la taxe sur la vidéo afin d'alimenter le compte de soutien du CNC, qui bénéficie à une grande partie de la filière cinématographique. Seulement un relèvement du taux est conditionné par l'abaissement de la TVA sur le DVD, aujourd'hui à 19,6%, alors que les films en salles, reconnus comme des biens culturels, sont taxés à 5,5%. Le statut de bien culturel de la vidéo est d'ailleurs le préalable nécessaire à la plupart des mesures préconisées par l'ARP. Ces décisions sont du ressort de l'Etat et il serait bon qu'elles soient prises. Un des problèmes majeurs est celui de la légitimité de telles décisions, quant on sait qu'une grande partie des films sur support DVD sont américains.


De plus, le marché de la vidéo a déjà atteint le premier seuil de maturité, puisque la progression des ventes de DVD est de 54,57% en 2003 en quantité, mais de 32,19% en valeur, car le prix moyen de vente a considérablement baissé. Il n'est donc pas facile d'estimer l'apport réel que pourrait représenter le secteur de la vidéo pour le cinéma.

Les pouvoirs publics ont instauré un Médiateur permettant de régler les litiges internes à la filière cinématographique sans devoir passer par la Chambre de Commerce. Cette commission intervient notamment dans les litiges liés à l'accès par un exploitant aux copies d'un film. Une des solutions les plus souvent proposées est d'augmenter le nombre de copies afin que toutes les demandes soient satisfaites. Il s'agit d'une solution à court terme qui ne règle pas le cour du problème, à savoir le corrélation dangereuse entre l'augmentation du nombre de films produits et la multiplication des copies, qui mènent à une saturation des écrans et à une durée de vie moindre des films, donc à une viabilité de moins en moins grande du système. Cela entraîne déjà une précarité croissante, une pression plus grande sur tous les professionnels de la filière : beaucoup de tournages sont ajournés, les chaînes de télévision se désengagent plus facilement au dernier moment, le scénario devient plus contrôlé, la prise de risque est minimale, les premiers auteurs ont du mal à percer. Pour autant, il ne faudrait pas diminuer le nombre de films produits, à la condition que les pouvoirs publics prennent des mesures pour freiner l'inflation souvent inutile des devis et des gros cachets. Les abus ne justifient pas la nécessité d'une baisse du nombre de films produits. Robert Guédiguian s'insurge dans les colonnes des Cahiers du Cinéma d'octobre 2003, "contre l'assimilation entre l'inflation -épouvantable - des devis et celle - jugée positive - du nombre de films :"Il faut faire 200 films par an, même si 150 ne marchent pas en salles." Mais on peut ajouter que certains arrivent à peine à être exploités. En d'autres termes, la diversité, qui fait du cinéma français "le meilleur du monde" - c'est pour Guédiguian une affirmation politique, non un cocorico - il faut se la payer, politiquement". Il reste à savoir si les pouvoirs publics peuvent se donner les moyens d'une telle politique. Mais c'est sans doute par un discours et des incitations qu'ils peuvent changer le cours des choses.

Quant à limiter le nombre de copies à 528 par film, ça n'est pas une solution, en témoigne la réussite du Monde de Némo, avec 893 copies en première semaine en 2003. Une réglementation de ce type ne ferait que creuser un fossé entre ceux qui peuvent se procurer les copies et ceux qui ne le pourront pas. C'est peut-être aux distributeurs et aux exploitants de prendre le problème à bras-le-corps, dans un intérêt bien compris. Cependant, la cause du problème peut se loger dans l'offre des multiplexes, proposant des cartes illimitées qui incitent le spectateur à demander un roulement plus important des films d'une semaine sur l'autre, des "films kleenex", comme on peut entendre ici et là. Attaquer le mal à la racine du mal permettrait sans doute de ne pas rendre aberrante l'augmentation du nombre de films produits. Cependant, ces cartes illimitées pourraient également leur permettre d'être plus curieux, et d'élargir de ce fait leur demande.

Enfin, c'est par de nouvelles incitations que les pouvoirs publics pourraient axer leur politique, en complément de la politique de soutien préexistante. La mise en place du crédit d'impôt semble être une mesure efficace pour pallier aux délocalisations des tournages. Couplé avec une aide croissante des régions, favorisée par une opération du type 1 euro pour deux euros (le CNC verse 1 euro pour deux euros investis par les régions dans la production de films), il peut permettre aux professionnels de se sentir soutenus sans être complètement dépendants des organismes d'aide.

Finalement, c'est peut-être plus en aval qu'en amont que doit se situer l'essentiel de l'action des pouvoirs publics, en assurant le financement de la rénovation du parc de salles parallèlement à une démarche de sensibilisation du public non cinéphile et à une plus grande couverture du territoire, en favorisant l'animation autour de films, la création de festivals et d'événements cinéphiliques.

Sources utilisées :

    • Rapport du CNC sur la production cinématographique en 2003, bilan statistique des films agréés du 1er janvier au 31 décembre 2003. -La lettre du CNC n°9, novembre 2003, spécial budget 2004 du CNC. -Actualités du CNC : http://www.cnc.fr/b_actual/fr_b2.htm
    • Le Film Français : numéro du 16 avril 2004 sur les bons résultats des films français lors du premier trimestre 2004. -Ecran total : numéros 496, 499, 500, 501, 502, 508, 510.
    • Libération du mercredi 21 avril 2004, encart cinéma, "Les indépendants sur les dents". -Libération du mercredi 28 avril 2004, encart cinéma, "Redonner un sens à la sortie".
    • Les Cahiers du Cinéma n°583, octobre 2003 : "Les indépendants dans le rouge", p.49. -Les Cahiers du Cinéma n°585, décembre 2003 : "Le DVD contre le cinéma ?", p.112. -Les Cahiers du Cinéma n°586, janvier 2004 : "Une nouvelle manne pour le cinéma français", p.63.
    • Discours de l'ancien ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, le 3 février 2004, pour l'annonce de l'installation de l'Observatoire de la production cinématographique, disponible sur la page internet :


    Dossier réalisé par Ouahi, publié sous le titre original "L'attitude des pouvoirs publics par rapport au niveau actuel de la production cinématographique française".
    Source : h
    ttp://bonoboland.ouvaton.org/guppy/file/Pouvoirs%20publics%20et%20prod%202.PDF