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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Les polémiques autour de la politique du cinéma français


Le cinéma français aussi nu que le roi
(extrait des "Propos impertinents sur le cinéma frannçais")

par Jean Cluzel (académicien, ancien rapporteur du budget de l'audiovisuel au parlement)

Mais ce qui était apologue pour le roi est une réalité pour notre cinéma.

Si le système de soutien pérennisé en 1959 a permis de conserver des potentiels artistiques, il est, au fil des années, devenu contre productif.

En effet, le cinéma français qui devrait faire face à trois crises en est bien incapable. Son système de financement est à bout de souffle. L'évolution vertigineuse des technologies de production et de diffusion le prend au dépourvu. Le régime d'indemnisation chômage des intermittents du spectacle vient d'imploser.

À l'origine, les objectifs affichés du système français étaient à la fois économiques et culturels, tandis que les résultats obtenus étaient conformes à cette double ambition. Tel n'est plus le cas maintenant puisque les objectifs économiques ­liés à la sanction du public - sont niés, pour la plupart. Par contre, les objectifs effectifs correspondant à l'attente des corporatismes sont toujours rigoureusement atteints ; c'est d'abord un objectif de production de films de plus en plus nombreux, quels que soient les sanctions du public. C'est ensuite un objectif productiviste : faire travailler des entreprises, protéger des emplois quels qu'en soient les coûts culturels (audience confidentielle à l'étranger), financiers (prix et financement des films) ou sociaux (intermittents du spectacle). Si bien que la gestion planifiée entre professionnels et fonctionnaires a pris le grand et le petit écran du cinéma français au piège d'un système n'existant plus qu'au travers de ses propres lois ; sans se préoccuper ni du public ni des gaspillages de talents, d'énergie et d'argent.


LES SEPT PECHES CAPITAUX DE LA POLITIQUE CINÉMATOGRAPHIQUE FRANÇAISE

1 - UNE POLITIQUE À LA GRIBOUILLE

On comble sans cesse par de nouvelles recettes l'augmentation du coût des films (770 % entre 1980 et 2000) selon le rapport de Jean-Pierre Leclerc (conseiller d'Etat) commandé en février 2003 par le ministre de la Culture et de la Communication (*pages 8 et 9). Chaque fois que se tarit une source de financement extérieure aux recettes en salles, on en crée une nouvelle ; exemple, les 20 % de crédit d'impôt pour favoriser le tournage des films en France : c'est plus simple que de diminuer les prix de revient.

 

2 - UNE POLITIQUE INTIMISTE

Une pagaille de films (200 par an alors qu'une vingtaine seulement - voire moins certaines années - trouve leur public). Le plus grand nombre est produit pour quelques milliers de spectateurs ; (calculée sur une période de 7 ans, la moitié des films intéresse moins de 25 000 spectateurs chacun (*page 11) alors que s'esbaudissent professionnels, critiques et politiques sur les qualités exceptionnelles de nos films ; certes un film est un prototype mais pas une esquisse d'esquisse de scénario (*pages 48 et 49).

 

3 - UNE POLITIQUE INSPIREE PAR LES CORPORATISMES

Les revendications (toujours assurées de succès) ont remplacé les rogations de nos ancêtres catholiques (qui n'émettaient que des voux pieux.) (*page 76).

 

4 - UNE POLITIQUE DÉFENSIVE LIMITÉE AU CINÉMA

L'exception culturelle revendiquée par la France concerne quasi exclusivement le cinéma et lui pose problème dans les négociations internationales. La politique canadienne d'exemption culturelle (*pages 118 à 120) : concerne tous les produits culturels et pas seulement le cinéma ; elle est ardemment conduite par les professionnels et les politiques dans le cadre d'un Traité international ; elle est soutenue par les médias (*pages 185 à 201).

 

5 - UNE POLITIQUE QUI A RECONSTRUIT LA LIGNE MAGINOT

On se souvient que la neutralité belge ayant été - entre les deux guerres - garantie également par l'Allemagne, les Français estimaient que jamais une attaque allemande n'utiliserait la Belgique ; la France avait donc arrêté la ligne Maginot à l'endroit que l'on sait avec les résultats que l'on sait.

Il en est de même actuellement pour les productions hollywoodiennes ; plusieurs petites lignes Maginot permettent de contenir quelque peu les troupes d'Hollywood (qui chaque année dominent cependant en France les troupes françaises) mais l'équivalent aujourd'hui de la Belgique pour les Américains c'est la télévision française : il suffit, pour en être convaincu, de prendre connaissance chaque semaine de la liste des fictions américaines présentées sur nos chaînes publiques et privées (*pages 11 et 12).

 

6 - UNE POLITIQUE QUI USE LA DIPLOMATIE FRANÇAISE

C'est ce qui s'est passé en juin 1997 (*page 127), à Bruxelles, puis à Seattle du 30 novembre au 3 décembre 1999 (*pages 128-129) et, enfin, le 10 juillet 2003 à Bruxelles (*pages 133-134).

 

7 - UNE POLITIQUE QUI TOURNE LE DOS À L'EUROPE

En effet, elle ne favorise guère les échanges entre les cinémas européens ; il est aussi difficile de voir un film français à Rotterdam, Varsovie, ou Prague, qu'à New York (*pages 65 à 68).

Finalement c'est un système de soutien à la production de films que, prétendent les professionnels, le monde entier nous envie. Mais pourquoi, jusqu'à ce jour, aucun pays n'a songé à l'imiter ? Pourrait-on se poser, au moins, cette simple question. Et avoir le courage d'y répondre.

 

LE COQ, L'AUTRUCHE ET LE PÉLICAN

Tels sont nos trois volatiles emblématiques : imitant le coq, notre orgueil est flatté par des succès confidentiels sans se soucier de ratés en masse. Nous voulons croire que les festivals de films français organisés à tour de bras à l'étranger sont autant de victoires flamboyantes. Mais quel spectateur a payé son billet d'entrée ? Et combien ont réellement vu nos films dans les pays concernés ? C'est ce que l'autruche refuse de voir. En réalité, grâce au pélican personnifié par l'État, le premier guichet de financement pour les films français -et pour eux seuls - n'est plus le public lui-même, mais la somme des guichets créés par la loi. Dès lors, le contenu des films s'en trouve modifié. La considération, pourtant fondamentale, de ce qu'attend le public n'existe plus puisque le système impose au producteur de satisfaire d'autres impératifs. Celui-ci doit établir ses priorités pour plaire, sur projet, au goût des membres des Commissions (au sein du Centre national de la cinématographie) ou encore aux canons définis par un directeur de chaîne de télévision.

Mais, entend-on affirmer, le système est professionnel car il ne redistribue que l'argent généré par la propre activité du secteur. La vérité est tout autre puisque les recettes en salles recueillent, bon an mal an, seulement 15 à 16 % du montant des dépenses engagées.

 

CINÉMA SOUS PERFUSION ET FRANÇAIS SOUS HYPNOSE

Posez la question suivante à l'un de ces Français qui forment le public : quel est le deuxième cinéma au monde ? Il vous répondra : le nôtre. Demandez-lui : avec combien de films ? Il vous dira : beaucoup. Sont-ils de qualité ? Il affirmera : oui, et souvent meilleurs que les films américains.

Si vous lui dites que, sur les 180 à 200 films produits chaque année, quinze à vingt seulement font recette en salles, il ne vous croira pas. Si vous ajoutez que le cinéma français représente, toutes exploitations confondues (salle - télévision et vidéo) à peine 2% des productions d'Hollywood, il ne vous croira pas davantage ; et il ne vous croira pas aussi longtemps qu'en France le cinéma sera sous perfusion et le public sous hypnose.

Ce simple test suffit à faire comprendre que deux périls menacent le cinéma français : l'inconscience des uns et la puissance des autres. L'inconscience est française ; la puissance, américaine.

Si l'on ne peut agir sur la puissance des États-Unis, du moins dépend-il de nous d'en finir avec une inconscience à l'origine de nos déboires cinématographiques.

 

LES PERDANTS DU SYSTÈME

Contrairement à ce qu'on leur dit , les artistes sont abusés, à qui l'on fait croire qu'ils font un film, c'est-à-dire un spectacle pour un public. Alors que, pour le plus grand nombre d'entre eux - en l'absence de public -, ils ne font que de la figuration destinée à la seule pellicule, ou à ce qui en tient lieu maintenant.

Contrairement à ce qu'on leur dit , les créateurs sont abusés, à qui l'on fait croire que la France leur donne la meilleure place et les meilleurs moyens, alors que l'essentiel de leurs ouvres intéresse si peu de spectateurs.

Contrairement à ce qu'on leur dit , les Français sont abusés, à qui l'on fait croire qu'ils sont premiers de la classe avec 182 millions d'entrées en salles en 2002, sans préciser que beaucoup plus de la moitié d'entre eux est infidèle au cinéma français.

Contrairement à ce que l'on dit et que l'on voudrait faire croire , la culture française n'est pas servie comme elle le devrait, puisque la présence du cinéma français à l'étranger est pratiquement insignifiante. Et qu'aucune culture n'existe si elle n'est pas partagée.

 

UNE RÉVOLUTION COPERNICIENNE

Les règles de la démocratie au service de la culture doivent s'imposer aux dérèglements démagogiques comme aux intérêts corporatistes. Telles que, par exemple, celles qui sont appliquées au Canada et au Danemark. On trouve, en effet, dans ces deux pays, des systèmes qui aident le cinéma. Et même plus généreusement que nous. Mais, de façon différente, puisque ceux-ci tiennent compte des goûts de leur public, tout en fixant des obligations assorties de sanctions.

Afin de redonner aux artistes et aux créateurs la place qui - dans la cité - doit être la leur : véritablement l'une des toutes premières.

Faire une révolution copernicienne ce serait découvrir que le cinéma ne tourne pas autour de son financement - comme on le prétend - mais autour de son public - comme on veut l'ignorer -. Aider le cinéma français dans le conteste mondial actuel est une nécessité absolue. Mais au nom de la culture française et pas à celui des corporatismes.

 

POUR L'EXEMPTION CULTURELLE

Notre exception culturelle ne concerne réellement que notre cinéma et après la signature d'un accord ; aucun autre cinéma ; aucun autre pays de l'Union Européenne. Cette exception culturelle n'a été acceptée par nos partenaires qu'en faisant payer le prix fort à notre diplomatie.

La clause de l'exemption culturelle , place , avant toute discussion internationale, tel ou tel secteur d'activité en dehors du traité lui-même. C'est ce que - pour l'ensemble de ses produits culturels - le Canada a obtenu lors de la signature d'un traité commercial (ALENA) avec les Etats-Unis et le Mexique. Ce qui ne le dispense pas pour autant de poursuivre ses efforts culturels contre la puissance américaine.

 

PLACE ET RÔLE DE LA FRANCE

Puissions-nous être capables de nous imposer à nous-mêmes ce que nous suggérons aux autres de faire ! Car il n'est pas certain que, sans lucidité, sans courage, sans persévérance, la France puisse bénéficier longtemps encore de l'autorité morale que lui valent son histoire, son attachement aux valeurs de civilisation et le caractère universel qu'elle donne à ses messages.

Sa place et son influence au sein d'une Europe en construction dépendent aussi de l'image qu'elle offre et de la façon dont les Français sauront répondre aux défis de cette commune entreprise d'humanisme et de civilisation.

Si la France avait assez de lucidité et de courage pour s'engager ainsi, le cinéma français pourrait enfin cesser de tourner en rond, tandis que notre pays abandonnerait la politique des illusions pour celle des ambitions.

 

NB : Les pages indiquées sont celles du livre de Jean Cluzel PROPOS IMPERTINENTS SUR LE CINÉMA FRANÇAIS, PUF, Paris, 2003.