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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Economie du cinéma hollywoodien


Conquérir l'usine à rêves, les Français de Vivendi en ont rêvé ; les Japonais de Sony l'ont fait. Voici comment.

L'Expansion 27/08/2003

On arrive à Culver City la tête pleine d'images de films mythiques et avec le secret espoir de croiser Jim Carrey, Julia Roberts ou Jack Nicholson. On débarque dans une petite ville tranquille de la banlieue sud de Los Angeles, loin des clichés d'Hollywood, de Sunset Boulevard et de Mulholland Drive. Une salle de cinéma ordinaire, un Starbuck's Coffee, un centre commercial, quelques résidences aux murs décrépis, rien de très glamour. Sans les affiches de films placardées le long de l'immense mur gris qui longe Washington Boulevard, on remarquerait à peine la présence des studios de Sony Pictures Entertainment. Une limousine blanche franchit le portail, et la vie continue. C'est au-delà du porche que la magie opère instantanément. De la plaque apposée en l'honneur de Jack et Harry Cohn, qui fondèrent la Columbia en 1924, au plateau de tournage n° 25, le préféré de Fred Astaire, reconverti en studio d'enregistrement de jeux télévisés, en passant par les lustres marqués aux lions de la Metro Goldwyn Mayer, c'est toute l'histoire du cinéma américain qui défile. Mais il ne s'agit pas seulement d'histoire.

Ici, sur le deuxième plus grand plateau de cinéma du monde, on prépare en secret le second épisode de Spider-Man. Avec Men in Black II et XXX, le premier volet des aventures de l'homme-araignée a fait exploser les compteurs de Sony Pictures l'an dernier : 2,8 milliards de dollars de recettes. Non content de s'offrir pour la deuxième fois la tête du box-office américain, le groupe japonais a aussi battu le record des recettes, détenu jusqu'alors par la 20th Century Fox avec, en 1997, Titanic . Une consécration pour les hommes de Sony, ceux que la presse américaine avait décrits à leur arrivée en 1989 comme de nouveaux envahisseurs. L'hebdomadaire Newsweek avait alors titré « Le Japon met la main sur Hollywood », affublant d'yeux bridés la célèbre femme au flambeau, emblème de la Columbia.

Après quelques années chaotiques, l'histoire de Sony à Hollywood s'est révélée exemplaire de la capacité d'adaptation d'un groupe qui a finalement décidé de devenir plus américain que les Américains eux-mêmes, refusant la logique de l'échec imposée aux étrangers qui investissent à Hollywood. Certes, le géant de l'électronique Sony est revenu en partie sur son pari stratégique initial, celui de la convergence. Une idée chère à Akio Morita, à l'époque patron charismatique de Sony, qui anticipait de plusieurs années sur les rêves (ou les illusions) de groupes comme AOL-Time Warner, ou Vivendi... Sony avait alors l'ambition de marier contenus et contenant, les films avec ses produits électroniques grand public. Deux ans plus tôt, Sony s'était offert CBS, rebaptisé depuis Sony Music, qui fait aujourd'hui partie des cinq majors mondiales du disque.

Si le groupe japonais a survécu là où d'autres ont échoué, c'est qu'il s'est montré discret, patient et pragmatique. Les Japonais ont pris le temps de décrypter les arcanes de la machine hollywoodienne, de dénicher les talents pour gérer le studio et, surtout, de se tromper. Les premières années des aventures de Sony à Los Angeles resteront comme le symbole d'une gestion hasardeuse d'un studio de cinéma. Le groupe recrute à prix d'or Peter Guber et Jon Peters, deux producteurs hollywoodiens à qui il ne faut que quelques années pour mettre la Columbia sur la paille. Des bouquets de fleurs envoyés par jet privé sur la côte est à des top models jusqu'à la somptueuse rénovation dans un style Art déco des anciens studios de la MGM à Culver City, où la Columbia venait d'emménager, le duo infernal a fait mener à l'entreprise un train de vie inégalé à ce jour.

Sur le plan créatif, l'ère Guber-Peters a été marquée par quelques beaux succès d'estime ( Maris et femmes, de Woody Allen, Boyz' N the Hood ), de trop rares succès commerciaux ( Basic Instinct, avec Sharon Stone) et beaucoup de flops ( Hero, de Stephen Frears, avec Dustin Hoffman et Geena Davis ; Last Action Hero, avec Arnold Schwarzenegger). Il faudra attendre cinq années pour que Norio Ohga, le patron de Sony, qui avait déjà déboursé plus de 6 milliards de dollars dans l'opération, laisse poindre son exaspération. A Jon Peters qui lui suggérait de créer des parcs d'attractions après lui avoir annoncé un cash-flow prévisionnel négatif de 500 millions de dollars pour le studio, Norio Ohga aurait lâché : « Mais bon sang, vous êtes en train de nous ruiner ! » (1).

Humilié par le discrédit qui rejaillit alors sur l'entreprise, Tokyo décide, en 1996, de reprendre en main la maison. Pour la première fois, un agent de liaison Japonais arrive à Hollywood pour surveiller de près les agissements du management. Le studio est confié à un vétéran d'Hollywood, le producteur John Calley, à qui l'on doit notamment Orange mécanique, L'Exorciste ou Woodstock. Pour sauver la Columbia, Calley accepte de renoncer à la retraite dorée qu'il rêve de consacrer à la pêche. Il s'entoure d'une équipe de trois jeunes talents, Amy Pascal, Jeff Blake et Yair Landau. Ce dernier raconte le chemin parcouru depuis lors : « Beaucoup de choses ont changé à ce moment-là. La plus importante réside peut-être dans la prise de conscience que le studio n'était pas une entreprise indépendante, mais bien une filiale à part entière de Sony. »

La Columbia a dû rendre des comptes à son actionnaire. Désormais, Noboyuki Idei et Kunitake Ando, respectivement n° 1 et n° 2 de Sony Corp, se rendent au moins une fois par an à Los Angeles, tandis que le management de Sony Pictures fait régulièrement le voyage de Tokyo pour discuter budgets, stratégie, marketing et synergies. Auparavant - et conformément aux engagements pris par Akio Morita -, les Japonais s'étaient faits discrets, voire invisibles. Les rares fois où ils étaient apparus, c'était sur des plateaux de tournage, s'extasiant surtout de la qualité de la haute définition des caméras de cinéma. « S'ils n'interviennent pas dans la production des films à proprement parler, Ando et Idei en voient beaucoup et manifestent vraiment leur intérêt », raconte un cadre de Sony. Les dépenses du studio ont été placées sous le contrôle d'un comité hebdomadaire réunissant « sept samouraïs », dont Howard Stringer, l'influent patron de Sony-Amérique, John Calley, le producteur Joe Roth et le triumvirat qui gère le studio au quotidien.

« L'idée selon laquelle Sony a pris un bouillon à Hollywood n'est plus d'actualité », reconnaît le patron d'un studio concurrent. Depuis 1997, la Columbia s'est distinguée à la fois d'un point de vue commercial et créatif. Parmi ses plus gros succès, outre Spider-Man et Men in Black, on peut citer Stuart Little, Air Force One ou True Lies. « Les gens, à Hollywood, ont cessé de considérer Sony Pictures Entertainment comme une entreprise japonaise, raconte Stephen Hunger, chasseur de têtes local. La question maintenant est de savoir si les films sont bons. »

Après Spider-Man et en attendant la suite déjà programmée pour l'été 2004, les résultats de la Columbia depuis le début de l'année sont mitigés. La comédie romantique Gigli, première rencontre à l'écran de Jennifer Lopez et Ben Affleck, le couple hollywoodien le plus en vue du moment, a été éreintée par la critique avant même sa sortie en salles, début août. Quant au film Hollywood Homicide, une comédie avec Harrison Ford qui fera l'ouverture du Festival de Deauville, il n'a pour l'instant engrangé que 30 millions de dollars aux Etats-Unis, alors que sa production en a coûté 80. « C'est justement la preuve qu'ils ont réussi. Les flops succèdent aux succès, les grosses productions aux petites comédies. Les autres studios ne fonctionnent pas différemment », estime John Richemond, ancien n° 2 de Philippe Bourguignon à Eurodisney et désormais patron de la banque d'affaires HLHZ à Los Angeles. Si Sony Pictures Entertainment a perdu de l'argent au premier trimestre, c'est très souvent la norme à Hollywood, où les marges sont aussi rares que dérisoires. « La question du succès de Sony à Hollywood ne se pose pas en termes de rentabilité ou de retour sur investissement. C'est la capacité du studio à mettre à profit les synergies au sein de l'entreprise Sony dans son ensemble », poursuit John Richmond, avant d'ajouter : « Et là, cela ne fait que commencer. On en est au tout début. »

Voilà qui en dit long sur le chemin qu'il reste à parcourir quinze ans après les rachats de CBS et de Columbia. Pour que le mariage du hardware et du software, tel que l'avait imaginé à l'origine Akio Morita, porte ses fruits, il faudra bien plus que la tenue du salon Sony Dream World en septembre, à Paris. L'événement est censé faire connaître l'étendue du savoir-faire du groupe nippon, tant en termes de contenu que d'innovation. Ce qui ne va pas sans querelles entre les ingénieurs de Tokyo, qui comprennent mal que l'on investisse le profit de leur travail dans des superproductions hollywoodiennes, et les producteurs de cinéma, qui assistent, impuissants, au piratage intellectuel de leurs oeuvres grâce au matériel informatique imaginé par leur propre actionnaire !

Tant que Sony surfait sur la vague informatique et la croissance économique, personne ne trouvait rien à redire. Avec le ralentissement de ses ventes et la chute récente de ses résultats - ce que les marchés financiers ont appelé « le choc Sony » -, il est plus difficile pour le groupe japonais de faire patienter ses actionnaires et de les convaincre de conserver un studio de cinéma, qui s'est imposé à Hollywood, mais n'est pas une source de profits récurrents.

La question du maintien de Sony à Hollywood fait en tout cas partie des sujets de conversation incontournables aujourd'hui à Los Angeles. Il y a un an et demi, des discussions avaient été discrètement engagées avec Kirk Kerkorian pour fusionner Sony Pictures avec sa MGM. Elles n'ont achoppé qu'au dernier moment, sur des questions de contrôle. Aujourd'hui, John Calley, estimant sa tâche accomplie, vient d'annoncer son départ ; et Howard Stringer, le patron de Sony-Amérique, n'a pas caché cet été que la Columbia devrait à son tour se mettre au régime sec. « Plus question de produire des films à 140 millions de dollars, a-t-il expliqué. L'environnement est trop imprévisible en ce moment. »

Mais n'est-ce pas dans la nature même d'Hollywood d'être imprévisible, et dans celle des studios de jouer leur destin sur des films à succès ? Même quand ils sont japonais.

(1) « Hit and Run », Nancy Griffin et Kim Masters, Simon & Schuster, 1997.

Source : http://www.lexpansion.com/art/32.359.69494.2.html