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Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences |
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LE CINÉMA ET LÉTAT
par René Clair (Vu, 15 décembre 1934) Tout ne va pas pour le mieux, nous commençons à le savoir, dans lorganisation de notre existence sociale. Tout ne va pas pour le mieux non plus dans lorganisation de notre cinéma. De tous côtés, on simpatiente devant cette grande machine mal dirigée. Le public accuse dincompétence les commerçants du film; ceux-ci rendent le public responsable de leur inertie. Ni les uns ni les autres nont tout à fait tort.
Le public actuel a le cinéma qui lui convient et le cinéma, tel quil est aujourdhui, a un public digne de lui. Que faut-il pour que le cinéma prospère, pour que son public soit satisfait ? Il faut faire de bons films. Tout le monde est daccord sur ce point. Quest-ce quun bon film ? À cette question, les difficultés commencent. Un film nest pas également bon pour tout pays, toute salle, tout spectateur. Mais lorganisation du cinéma ne sembarrasse pas de la diversité des goûts ou des esthétiques; elle mesure la qualité dun film à léchelle de ses recettes. Cest une attitude tout à fait logique et, dans létat présent du cinéma, il est difficile de définir un bon film autrement que par la formule bien connue: « Un bon film est un film qui fait de largent. » Cette définition exacte condamne le cinéma daujourdhui et explique ses défaillances. Nous savons que « faire de largent » nest pas une entreprise où lon peut se montrer difficile quant au choix des moyens: tous sont bons pour qui veut remporter un succès commercial à laide dun film spécialement conçu dans cette intention. Le système actuel rend le public seul maître des destinées du film qui lui est présenté. Il sagit de savoir si ce souverain pouvoir nest pas nuisible au cinéma aussi bien quau public lui-même. En effet, laction du cinéma est autrement puissante que celle du théâtre. Létat, qui soumet le premier à une censure quil nose pas imposer au second, reconnaît par cette mesure linfluence considérable du film sur la grande foule. Mais si le cinéma possède une telle puissance, est-il admissible de laisser cette puissance sans direction ? Est-il permis, éventuellement, dabêtir lesprit public afin dobtenir de cette opération un bénéfice matériel ? Ne pensons pas que le public puisse éviter tout seul le danger que présente une telle entreprise. Cette grande masse docile, dont on na rien fait pour éveiller et former le sens critique, ne peut se défendre contre le plaisir dégradant que lui dispensent tant de produits fabriqués en série selon les plus basses recettes. La question qui se pose ici ne concerne pas seulement le cinéma. La radio, la télévision et toutes les formes dexpression que la technique nous donnera se trouveront devant les mêmes problèmes. Ces énormes forces seront-elles laissées à la disposition de quiconque possédera assez de capitaux pour sen emparer ? La liberté accordée en ces matières à linitiative privée est une caricature de liberté ; elle a pour effet dimposer la dictature absolue de quelques groupes financiers sur un domaine qui nest pas seulement matériel. Il est possible que le système économique et politique qui nous régit actuellement ne permette pas denvisager dautres solutions: en ce cas, cest que ce système ne correspond plus aux besoins de notre époque et devra être modifié. On le voit. Lorganisation, le sens même du cinéma, ne peuvent être changés que par leffet dévolutions ou de révolutions économiques et politiques. Mais cette constatation ne signifie pas que ce qui est aujourdhui ne peut être dès maintenant amélioré. Prétendre le contraire donnerait des arguments aux partisans de la routine. Le cinéma français notamment aurait intérêt à sinspirer de quelques mesures qui sont appliquées plus ou moins heureusement dans divers pays. Quoique insuffisantes, ces mesures méritent dêtre étudiées. En premier lieu, il faudrait admettre le principe dune prime donnée aux films qui présentent un intérêt particulier dordre artistique, didactique ou social. Une commission dont les membres seraient choisis en dehors des milieux cinématographiques et administratifs donnerait à ces films une mention spéciale. Les taxes que doit payer chaque salle de cinéma seraient plus légères pour toute représentation dun des films ayant obtenu cette mention. Aujourdhui, il faut bien dire quun vaudeville quelconque, réalisé avec économie mais abondant en grossièretés a plus de chance dêtre une « bonne affaire » quun film exécuté avec soin et intelligence. Le système proposé ci-dessus aurait lavantage de réparer dans la mesure du possible linjustice dangereuse de cette situation. En second lieu, une purification des murs du cinéma simpose. Cette industrie, ce commerce, aux règles imprécises, attirent les aventuriers. Dans le désordre étonnant de léconomie cinématographique, les entreprises sérieuses sont sans cesse menacées par le voisinage des affaires malhonnêtes. Le remède ? Une Chambre du film organisée sur des bases régulières et dont les règlements seraient appliqués avec une rigueur impitoyable. Linterdiction pratique de soccuper de production cinématographique à quiconque aurait contrevenu à ces règlements. Si la corruption, lémission de traites sans valeur et de chèques sans provision ne faisaient plus partie des usages du monde cinématographique, beaucoup de parasites du cinéma se dirigeraient vers un autre domaine et le nombre des films produits aurait enfin un rapport réel avec les besoins du marché. Enfin, la vieille question de la censure devrait recevoir une solution moins stupide que celle qui lui est donnée actuellement. Le droit commun qui est appliqué au théâtre et a la presse peut parfaitement convenir au cinéma. Tout au plus, pourrait-on classer les films en deux catégories, comme cela se fait en Belgique, afin que les ligues familiales, au nom des enfants, nempêchent pas les citoyens majeurs de voir sur lécran des spectacles pour adultes. Ces deux sortes de reformes, les unes profondes, les autres superficielles, réclament toutes deux lintervention de lÉtat. Sans cette intervention, la situation du cinéma ne pourra être changée. Mais, afin de donner quelque apaisement aux personnes prudentes, il importe de préciser que lÉtat actuel nous inspire une me fiance justifiée. Celui-ci, en effet, nous a permis de juger la qualité de ses conceptions artistiques. La Comédie-Française, lOpéra, le Conservatoire de musique et de « déclamation », lÉcole des Beaux-Arts, sont des institutions qui nous donnent une belle idée de lart officiel. Si nous voulions insister sur ce point, nous parlerions architecture et urbanisme : il suffit dévoquer la manière dont a été utilisé ladmirable emplacement des fortifications démolies pour quun Français un peu éclairé soit saisi dun sentiment de honte. Ces quelques exemples, qui ne sont malheureusement pas des exceptions, nous suffisent. Si impérieuse quen soit la nécessité, nous néprouvons aucune hâte à confier à cet État les destins du cinéma. |
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