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cours : l'influence
des nouvelles techniques sur les choix esthétiques
3
eme Rencontre des Jeunes Réalisateurs Français
les 2 et 3 Avril 1999
à l'Athanor, Scène Nationale d'Albi
ESAV de Toulouse
JOURNEE DU SAMEDI 3 AVRIL 1999
Table ronde sur
L'INFLUENCE DES NOUVELLES TECHNIQUES SUR LES CHOIX ESTHETIQUES
DES JEUNES REALISA TEURS
Liste des participants :
Denis DERCOURT : Réalisateur, « Les
Cachetonneurs ».
Christian PHILIBERT : Réalisateur, «
Les Quatre Saisons d'Espigoule ».
Jean-Claude GUIGUET: Réalisateur, «
Les Belles Manières », « L'Archipel des Amours»,
« Faubourg Saint-Martin » « Le Mirage» , «
Les Passagers ».
Thierry
BARBIER : Directeur du Département Effets Spéciaux,
Société Ex Machina
Pascal CHARPENTIER : Spécialiste Effets spéciaux
et trucages, indépendant.
Tom DERCOURT : Producteur, Les Films à Un
Dollar.
Martin BIDOU : Distributeur, Les Films à Un
Dollar
Jean-Pierre GARDELLI : Exploitant et distributeur.
Gilles METHEL : Enseignant à l'Ecole Supérieure
d'Audiovisuel sur les nouvelles technologies, Université Toulouse
II. Modérateur du débat.
GILLES METHEL : Suite au film de Joffé « Que la lumière
soit », nous allons débattre un petit peu sur l'incidence
des techniques, on peut dire « nouvelles », enfin, des
diverses techniques de manipulation d'images que Ton peut avoir dans
les films actuellement chez les jeunes réalisateurs français.
Autour de la table, il y a un certain nombre de personnes, qui vont
se présenter eux-mêmes. Je me présente : Gilles
Méthel, j'enseigne «les nouvelles technologies»
à l'ESAV à l'Université du Mirail.
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Jean-Claude Guiguet, je suis réalisateur
de films : «Les Belles Manières », « Faubourg
Saint-Martin », « Le Mirage », « Les passagers
».
MARTIN BIDOU : Martin Bidou, je distribue des films, en l'occurrence
je distribue le film : « Les Cachetonneurs ».
TOM DERCOURT : Tom Dercourt, je produis des films. J'ai produit «Les
Cachetonneurs » qui passe ce soir.
DENIS DERCOURT : Denis Dercourt, je suis le frère du producteur.
DoncJ'avais des entrées... et j'ai réalisé le
film qu'il a produit : « Les Cachetonneurs » qui passe
ce soir:
THIERRY BARBIER : Thierry Barbier, je travaille chez EX MACHINA qui
est une société d'images de synthèse et de trucages
numériques, en particulier ceux du film qui vient d'être
projeté d'Arthur Joffé « Que la lumière
soit ».
PASCAL CHARPENTIER : Pascal Charpentier, je suis truqueur et j'ai
coordonné la réalisation des trucages du film d'Arthur
Joffé « Que la lumière soit ».
O ^"
CHRISTIAN PHILIBERT : Christian Philibert, je suis le réalisateur
du film « Les Quatre Saisons d'Espigoule » qui est mon
premier long métrage projeté hier soir.
JEAN PIERRE GARDELLI : Jean-Pierre Gardelli, je suis exploitant dans
la région et je suis également distributeur de films.
On a réédité « La mort aux trousses »,
« L'homme de la rue » de Capra, « Scarface »
qui va sortir bientôt et le film que vous venez de voir dont
on va faire une réédition « Que la lumière
soit ».
GILLES METHEL : Je pense que l'on va peut-être prendre comme
point de départ ce film que l'on vient de voir qui comporte
effectivement un très grand nombre d'effets spéciaux,
très différents d'ailleurs. A la fois il y a des effets
numériques et il y a des trucages plus classiques. Donc, l'enjeu
de cette table ronde n'est pas tant d'expliquer, la nature technique
de ces effets, quoiqu'il soit possible d'y revenir. On va partir de
ce film pour aller explorer d'autres éléments. Nous
espérons qu'il y aura des questions dans la salle, le but n'étant
pas de discuter tous seuls mais d'avoir des questions. Les questions
que j'avais envie de poser, soit à Pascal Charpentier, soit
à Thierry Barbier, c'était est-ce qu'ils ont la possibilité
de proposer des choix, soit des choix techniques à l'intérieur
du film, c'est à dire des solutions techniques, mais aussi
des propositions d'éléments etc... et donc de voir comment
un réalisateur peut travailler avec les gens qui vont faire
les effets spéciaux, les effets numériques...
PASCAL CHARPENTIER : La réponse est oui. Oui bien sûr,
non seulement on a la possibilité, mais c'est même une
grande part de notre travail. La personne qui prépare les trucages
peut avoir à intervenir très tôt dans la phase
de préparation du film, c'est à dire pratiquement au
même moment que l'assistant réalisateur qui est une des
personnes qui arrive en premier, tout simplement pour prendre le script,
le découper en séquences et voir ce qu'il y a à
mettre dedans. Assez souvent, le truqueur arrive tôt, et là,
plein de choix artistiques mais aussi techniques sont possibles. Je
vais prendre des exemples sur d'autres films : pour « Le Bossu
», la personne qui s'est occupée au départ des
trucages a suggéré à De Broca le rendu artistique
de « l'effet bottes de Nevers ». Philippe de Broca ne
savait pas trop comment le représenter. Il ne voulait pas faire
une ellipse, chose que l'on fait d'habitude, mais il voulait que ce
soit quelque chose de visible, à la limite du brutal, donc
la personne qui s'est occupée des trucages a présenté
le côté artistique de comment on pouvait découper
etc... Dans le film d'Arthur Joffé, il y avait la séquence
d'introduction, c'est à dire la maison de Dieu, Ce qu'Arthur
savait, c'est qu'il voulait que ce soit dans un lieu : une espèce
de vieille abbaye un peu délabrée. Dans le scénario,
Dieu est sur son bout de rocher, dans son abbaye délabrée
et puis il s'emmerde, et pour s'occuper il écrit un scénario.
On s'est dit (une grande partie du film est tournée en Hongrie)
: « tiens on va essayer de trouver un décor réel
et de l'aménager avec beaucoup de travail de déco, avec
beaucoup de travail de trucage par derrière ». La production
disait « ça risque d'être un peu coûteux
, on ne sait pas si on va s'engager là-dedans, on va essayer
de trouver une autre solution ». J'ai alors suggéré
à Arthur, en disant (la deuxième chose qu'Arthur savait
c'est qu'il ne voulait pas faire du « Star Wars » ou du
Spielberg, son propos était plutôt décalé)
« on peut peut-être essayer d'imaginer, en tous cas moi
je peux voir combien ça peut coûter, comment ça
peut se découper quelque chose qui soit fabricable avec de
la maquette et dire ? un côté film « science fiction
réaliste » ». Même pas avec de la maquette
en fait, avec de l'image de synthèse, parce que le décor
de la maison de Dieu est fait en images de synthèse et les
personnages y sont réincrustés. Donc là, en quelque
sorte je suis intervenu dans le choix.
GILLES METHEL : Je voudrais demander au réalisateur qui est
présent quel est son rapport avec les effets spéciaux...
enfin quel est le rapport que peut avoir un jeune réalisateur
avec les effets numériques, les effets spéciaux...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : D'abord je ne suis pas si jeune que ça,
mais... pour moi la question ne se pose pas ; je serais incapable
de faire un film avec des effets spéciaux parce qu'à
la limite je n'en ai pas besoin. Le film que j'ai vu tout à
l'heure, je m'attendais au pire, et ça m'a beaucoup plu. J'ai
une idée des effets spéciaux qui est très négative,
et là j'ai trouvé qu'il y avait une poésie extraordinaire
et en plus c'est une image virtuelle. J'ai trouvé extraordinaire
la scène où tous les spectateurs sortent de l'église.
C'est aussi beau que les plans de Gustave Doré quand il monte
au paradis, vraiment j'ai été très très
séduit par des plans comme ça, mais personnellement
je ne suis pas du tout intéressé par les effets spéciaux
en tant qu'auteur de film, parce que mon propos n'est pas là
du tout.
GILLES METHEL : Mais est-ce qu'il y a un propos dans les effets spéciaux
? Je ne crois pas du tout, et c'est bien là le problème...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Eh bien si, quand même...
GILLES METHEL : Les effets spéciaux sont au service de quelque
chose. On ne fait pas des effets spéciaux pour faire des effets
spéciaux quand même...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Oui d'accord, mais alors je n'ai pas besoin
des services des effets spéciaux. Aujourd'hui, ce qui m'ennuie
dans le cinéma, c'est cette espèce de tyrannie de la
technique qui fait que parce que c'est nouveau il faut que tout le
monde se mette aux effets spéciaux. Je suis violemment contre
ça. Mais là, dans un projet comme celui-là, il
est évident que c'est important. Mais sinon, est-ce que cela
a une incidence sur le cinéma? J'ai envie de dire : «
Dieu merci, non ». Je sais pas si Montaigne avait connu le stylo
à bille il aurait mieux écrit « Les Essais ».
Aucun progrès technique n'a fait avancer un art. De temps en
temps oui, quand les impressionnistes ont emporté la peinture
dans des petits tubes, comme disait Renoir, à la campagne,
alors, tout d'un coup, quelque chose est arrivé sur les toiles
mais sinon, non... la technique est plutôt quelque chose qui
freinerait l'imaginaire plutôt que le stimuler.
GILLES METHEL : Ce matin Meliès a été évoqué
et je crois que le cinéma en général est une
technique, donc c'est difficile. Le Dogme de Lars Von Tri ers, par
exemple : « Moi, tout ça je le refuse catégoriquement
parce que c'est artificiel... ». Le cinéma est lui-même
une technique, il ne peut pas faire abstraction d'utilisation de caméra,
d'outils, qu'on en utilise plus ou moins ; c'est peut-être un
problème de quantité et peut-être pas de qualité...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Oui bien sûr. Pour en revenir au Dogme,
je peux dire que c'est une des plus belles stupidités que j'ai
entendue depuis longtemps, mais c'est une opinion qui n'engage que
moi, je trouve ça complètement débile. Il en
fait ce qu'il veut de son truc, vraiment les tables de loi pour faire
un film c'est une chose aberrante, je ne comprends même pas
comment la presse a pu reproduire ça au kilomètre. Mais
la question que posait Gilles Methel est délicate. Evidemment
que le cinéma c'est d'abord une technique, un instrument, une
machinerie, mais c'est quoi l'oeil de la caméra ? Ce n'est
pas quelque chose de mécanique, ce n'est pas l'œil de
la caméra qui fait le film, ce n'est même pas ce que
l'œil de la caméra filme. C'est une réalité
qui est passée à travers un regard personnel, c'est
ça... si on ne comprends pas ça, on se trompe. Un plan
n'existe que s'il a d'abord été rêvé par
quelqu'un et surtout pas par une machine, puisqu'une machine est incapable
d'imaginaire. Il faut que le regard privé, singulier, intime
passe à travers la réalité qui est filmée.
Après, la technique est là pour essayer de traduire
au plus près cette réalité rêvée,
voilà. Si ça passe par les effets spéciaux, soit.
Il se peut effectivement que ça passe parfois par les effets
spéciaux, et bien sûr que Max Linder c'est formidable,
mais pourquoi ? Parce que le regard de Max Linder est passé
là dessus, ce n'est pas l'effet spécial qui importe,
c'est évident. Il y a d'ailleurs un style Max Linder, ça
veut donc dire que l'homme Linder, est derrière tous ses plans
avant la machinerie, ou plutôt j'ai envie de dire : malgré
la machinerie.
GILLES METHEL : Je pense qu'il y a quand même deux axes principaux
dans les effets spéciaux. D'une part, la partie un peu onirique
: on va dire, on va faire des choses avec les effets spéciaux,
(j'appelle ça d'un terme générique sachant ce
que cela veut dire, synthèse... enfin tout le bricolage après
l'image), d'autre part ça peut être aussi des effets
de type invisible, des effets surtout là pour des raisons économiques,
c'est à dire qu'on ne va pas attendre qu'il fasse beau, qu'il
pleuve ou de construire un château, ou d'avoir dix mille personnes...
les enjeux sont aussi la possibilité de réaliser physiquement
avec ces outils numériques aussi bien des choses très
visibles, très patentes, donc on va dire en gros... des dinosaures,
que des choses qui vont peut-être diminuer les coûts de
production, qui vont rendre peut-être plus facile certaines
réalisations etc... Peut-être y a t-il une confusion...
c'est à dire que dans ce film de Joffé, il y a les deux
choses : à la fois les effets visibles et les effets invisibles
; donc ces effets invisibles il faut bien se rendre compte qu'on ne
les voit plus. Je vais passer la parole à mon voisin qui travaille
dans ce domaine, pour qu'il nous explique un peu quelles sont les
applications qu'ils font de ces trucages numériques.
THIERRY BARBIER : Déjà, je voudrais dire pour aller
dans ton sens, qu'il y a quand même une confusion entre les
effets numériques qui sont une technique au service d'une façon
de fabriquer des images et puis une autre tyrannie, ce que tu disais
Pascal, qui est une tyrannie du commerce américain du film
de spectacle qui a une nécessité d'alimenter des jeunes
kids spectateurs, de
choses fantastiques etc... Ça, c'est une tyrannie du commerce
qui a besoin de la technique des effets spéciaux, mais qui
de temps en temps confine à mettre des réalisateurs,
qui ne sont pas des réalisateurs, derrière la caméra
et où, effectivement, la technique galope toute seule et fait
des remake de remake de remake qui sont des merdes. Mais parmi ces
films, il y a aussi des bons réalisateurs avec de bons sujets
et qui font de très bons films, mais il y a une grosse verrue
qui est le commerce américain des deuxièmes versions,
troisièmes versions : Terminator 25, 26, 27... juste pour faire
du fric. C'est une grosse partie du cinéma américain
d'une culture du fantastique que l'on peut aimer, mais que l'on peut
effectivement aussi malheureusement assimiler à ce que la technique
sait faire. Alors maintenant, quand l'on revient simplement à
l'outil. Tu disais : « une machine ne fait rien », eh
bien oui, une machine ne fait rien s'il n'y a pas de gens devant,
une machine ne sait rien faire, c'est toujours les artistes, les animateurs
qui font les images et après nous on voit des différences
très fortes dans la nature des boulots qu'on fait. Il y a des
boulots sur lesquels la notion d'artistique n'a même pas lieu
d'être, comme ce matin on montrait des remplissages d'écrans
par une image tournée après le tournage réel
: mettre dans un écran une image qu'on n'a pas pu tourner sur
le plateau, ça, c'est un trucage purement technique, alors
là ce n'est même pas la peine d'avoir de grandes discussions
artistiques ; il ne s'agit pas de ça, les seules discussions
qu'on a avec l'équipe des techniciens c'est de se garantir
de ne pas trop les gêner au tournage et nous, de se garantir
qu'on saura bien mettre des images dans les écrans télé,
c'est tout. Là, il n'y a pas tellement d'artistique qui entre
enjeu, c'est juste une technique. Et pourquoi elle est appelée
la technique ? Parce qu'un comédien n'est pas disponible pour
tourner les images vidéo que l'on devrait mettre dans la télé
si on devait le tourner au moment du tournage en 35 mm, donc, on est
obligé de le faire après. Là, c'est une raison
purement économique ; il n'y a pas tellement d'artistique là
dedans. Après, c'est ce que tu racontais sur la façon
dès le début de proposer, de discuter avec le réalisateur
qui a effectivement une image de ce qu'il veut avoir en final sur
l'écran et qu'il sait très bien que l'on ne peut pas
l'obtenir par simple captation du réel, ou par une captation
du réel qui serait trop coûteuse. Donc, on est obligé
d'avoir recours à des artifices et de discuter avec lui. Et
puis, il y a d'autres sujets aussi qui passent par des choses de l'ordre
de rencontres artistiques (comme par exemple avec Peter Greenaway)
qui sont des rencontres de peintres à auteurs ou ce que nous
avons fait, et qui va être projeté à Cannes, pour
Léos Carax, qui sont des rencontres de peintres à auteurs
aussi, et où l'écran de l'ordinateur n'apparaît
qu'après plusieurs mois de rencontre entre le réalisateur
et des gens de notre équipe qui ont produit pour lui des peintures
pour essayer de rentrer dans l'univers qu'il voulait communiquer et
qu'il fallait faire avec un ordinateur, aller sur l'ordinateur pour
le faire parce qu'il y a bien un moment où la facture graphique
de ces craies pour dessiner des peintures à Garax ne suffisait
pas, il fallait aller sur un ordinateur. Donc, il y a toute une batterie
d'approches de la fabrication de ces images et de buts différents
de ces images ; l'ordinateur étant simplement un outil à
grande performance et le grand brouillage est qu'effectivement il
y a tout un cinéma qui a presque pour but de faire du spectacle
et que ce spectacle passe par cette technique.
GILLES METHEL : L'application économique de ces effets spéciaux...
Il y a un producteur, est-ce qu'il peut nous dire si lui à
un moment a envisagé, a eu besoin ou a renoncé, puisque
c'est aussi l'incidence de ces effets spéciaux, de ce travail
sur l'image... je ne sais pas si c'est une nouvelle image mais on
pourra essayer d'en parler... est-ce qu'en tant que producteur c'est
quelque chose qui a été envisagé ou pas ?
TOM DERCOURT : En fait, j'ai eu une seule fois à utiliser des
effets spéciaux, ce n'était pas sur un long métrage
de cinéma, c'était sur un vidéo clip où
l'on a fait un mélange entre plusieurs textures qui était
de l'animation de pâte à modeler, de petits volumes,
de petits robots, plus du dessin animé... il y avait plein
de différentes choses qui se mélangeaient et c'était
vraiment pensé, complètement conçu par le réalisateur
; il savait exactement comment il allait agencer les choses... etc...
et en fait, c'est extrêmement coûteux. Donc, il a fallu
ruser dans tous les sens pour pouvoir réaliser les choses telles
qu'il les avait envisagées, mais c'était extrêmement
intéressant. Ça ouvre des possibilités, des voies
évidemment que l'on ne peut pas emprunter en filmant de façon
traditionnelle. Maintenant, en ce qui concerne les coûts, je
crois que les personnes qui conçoivent les effets spéciaux
sont forcément conscientes des coûts puisque ce sont
elles qui doivent budgéter tout ça, c'est très
très complexe, en fait, ça fait appel à des outils
que eux seuls manipulent, eux seuls savent combien de temps il faudra
les utiliser et donc quel prix cela va coûter, combien de techniciens
il va falloir mettre sur l'opération, pendant combien de temps
etc.... Donc, je pense que pour le coût, ce sont eux qui pourront
vraiment vous répondre.
GILLES METHEL : Mon autre question portait sur les choix respectifs
que ce soit en tant que production, qu'en tant que réalisation,
parce que ces effets spéciaux génèrent une certaine
forme d'esthétique qui est une esthétique que l'on connaît
à travers les jeux vidéo ou les clips... enfin les choses
très courtes qui sont en général bourrées
d'effets spéciaux font partie quand même de notre culture
audiovisuelle, de télé... et une autre question qui
est à la fois sur ce coût, c'est à dire du choix
économique de ces effets et aussi sur l'esthétique qui
peut y avoir derrière : est-ce que cela induit des modifications
dans la façon dont les réalisateurs envisagent leurs
films a priori ?
TOM DERCOURT : Oui tout à fait, mais je pense que les réalisateurs
qui veulent utiliser des effets spéciaux le savent au moment
où ils conçoivent leurs films. C'est évident
qu'il y a peu de réalisateurs qui ont envie de faire appel
à ces outils là parce que ça induit tout de suite
une esthétique particulière et c'est un effet. Alors,
je crois qu'en matière d'effets spéciaux il y a deux
choses à distinguer : l'effet spécial qui va permettre
d'éviter des coûts énormes au tournage, d'explosion
d'une voiture qui tombe dans un ravin, ou de fabriquer une cathédrale,
des choses comme ça... et après, il y a le fait de fabriquer
des nouvelles choses, de l'imaginaire qui sont difficiles à
fabriquer, qu'on a certainement pu fabriquer, mais dont on a perdu
quelques techniques... Tout à l'heure, on parlait de Méliès,
il y a des choses qui ont été faites entre Méliès
et aujourd'hui par des réalisateurs très inventifs qui
ont mis au point des techniques et qui ont dû mourir avec leurs
secrets, j'en suis certain. Tout à l'heure, vous parliez par
exemple d'une foule, c'est vrai que maintenant, il y a des systèmes
qui permettent dans un studio avec une dizaine de spectateurs de reproduire
une énorme foule... d'ailleurs c'est ce qu'on va faire maintenant...
Boum... Les voilà, 150 ou même plus... alors que finalement
on va en payer une quinzaine... Donc, c'est très économique,
mais attention ça coûte quand même très
cher, c'est à dire que c'est fait dans des endroits où
les figurants ont des petits capteurs infra-rouge qui sont filmés
par plusieurs caméras dans la pièce ou des caméras
infra-rouge...
THIERRY BARBIER : Quand on fait de la multiplication de foule comme
dans le film de Joffé, c'est parce que ça coûte
moins cher... donc tu peux dire : « ça coûte cher»,
mais ça coûte moins cher. Quand tu parles de capteurs,
ce n'est pas de la même multiplication de foule parce qu'il
y a plusieurs façons de la faire. Il y a la méthode
Joffé qu'on a vu ce matin : c'est à dire tu tournes
avec un nombre limité de figurants, une fois dans un coin,
une fois dans l'autre coin et tu additionnes les deux parties de l'image,
ça c'est des raisons purement économiques. Après
tu as des multiplications qui peuvent se faire de façon beaucoup
plus sophistiquées, qui est d'avoir ce qu'on appelle des acteurs
synthétiques, ça revient à ce que tu dis, c'est
à dire filmer les mouvements de quelques acteurs avec des capteurs
et les réappliquer ensuite à des modèles synthétiques
; ça, ça coûte un peu plus cher, mais ça
peut avoir quelques usages particuliers - oui, « Titanic »
- à la limite en ne faisant même pas de captation de
mouvement, en faisant carrément de l'animation directe du modèle
numérique, pour par exemple faire des cascades impossibles.
Quand « Titanic » coule, des cascadeurs qui explosent
sur des rambardes, des choses comme ça. Ça permet comme
dans « Titanic » dans les très grands mouvements
descriptifs du bateau où l'on part et on voit tout l'avant
du bateau en plan large et on revient sur la passerelle, et quand
on redécouvre le pont, sur le pont ce sont des acteurs synthétiques.
Réussir à faire à la même échelle,
la même prise de vue sur des vrais acteurs, aurait été
une sombre galère et donc, on le fait avec des comédiens
synthétiques. Mais là, il y a la volonté du réalisateur
d'avoir une vue plan large partout dans son film, donc d'emblée
ce genre de situation demande une débauche de moyens, et là
on ne parle plus d'économie comme dans le film de Joffé,
on parle de faire un grand plan large ; il y a un moment où
l'on est obligé de faire ça, il n'y a pas de comparaison
de budget avec une autre technique.
TOM DERCOURT : En fait, pour répondre à ta question
je crois que c'est vraiment les contraintes du film ou les volontés
du réalisateur (on appelle ça comme on veut) qui vont
amener le producteur a décider de faire( s'il peut décider
de temps en temps, hein ? ) en tout cas, qui va l'amener vers une
technique ou pas. Mais je crois que c'est avant tout le sujet du réalisateur.
GILLES METHEL : Ce que l'on peut dire, c'est que la technique, à
des moments donnés, va générer une esthétique
; si on parle de la Nouvelle Vague, par exemple, il y a eu une esthétique
de la caméra stylo... une manipulation qui induit, influe sur
l'ensemble de l'écriture cinématographique, mais pas
seulement au moment de la réalisation des films... Ce n'est
pas seulement un phénomène de mode, c'est plutôt
quelque chose qui est dans l'époque... Donc, ce que je voulais
savoir, c'est si ce type d'images n'a pas une incidence dans les films,
chez les réalisateurs actuellement, en dehors même de
faire des effets spéciaux proprement dits... ?
PASCAL CHARPENTIER : Je peux donner un petit exemple pour répondre
à cette question. Tu as employé tout à l'heure
le mot « effet », alors c'est vrai que dans « effets
spéciaux » le premier mot c'est « effet »
: un des premiers « effet », c'est un effet de style.
Par exemple, un film est constitué de plans qui se suivent
et sont mis bout à bout, on appelle ça un « eut
» et donc le spectateur ne découpe pas l'enchaînement
des plans, il lit l'action dans une continuité, alors qu'en
fait l'action est coupée en tranches. Par contre, parfois,
volontairement le réalisateur veut faire un « effet »,
un effet qui sera perçu par le spectateur en tant qu'effet
et non pas en découpage standard de plans collés les
uns aux autres. Dans ce cas là, il va faire un fondu enchaîné,
c'est à dire qu'au lieu que les deux plans se suivent eut,
l'un derrière l'autre, les images vont se fondre l'une dans
l'autre et même si le spectateur ne se dit pas : « Ah,
tiens, un fondu enchaîné », il perçoit quelque
chose comme étant un effet de style, un raccord de plan. Avant
l'arrivée des techniques numériques, cet effet-là,
on le faisait avec une technique de trucage optique qui était
peu coûteuse, le coût d'un fondu enchaîné,
il y a une dizaine d'années, c'était quelques milliers
de francs, 3 ou 4 000. Lorsque j'ai commencé à travailler
avec les techniques de trucage numérique, le premier film sur
lequel j'ai travaillé était « Le Nombril du Monde
» d'Ariel Zeitoun. A un moment donné dans le film, Ariel
voulait faire un effet de montage entre deux séquences. Dans
le film, il y a une fabrique qui a été bombardée
et plan suivant, dix ans plus tard cette fabrique a été
reconstruite. Là, il a utilisé un effet spécial,
en tout cas une technique qui était récente à
l'époque : « le morphing ». Il a utilisé
le « morphing » pour faire un effet de montage entre deux
plans. Cela aurait été cinq ans auparavant, il aurait
utilisé un fondu enchaîné. Donc là, il
y a une vraie réponse. Maintenant, l'argument commercial de
ça, c'est qu'un fondu enchaîné à l'époque
ça coûtait 3, 4 000 francs ; un morphing ça a
coûté pas loin de 100 000 francs (aujourd'hui un morphing
c'est descendu beaucoup plus bas). Il y a donc eu une vraie discussion
entre l'importance de l'effet en tant qu'écriture dans le film
pour le réalisateur et l'importance pour le producteur à
se dire «c'est quand même pas la même facture ».
GILLES METHEL : Je crois qu'on sait en plus l'importance des phénomènes
de mode qu'il peut y avoir avec les outils à proprement parler,
c'est à dire qu'à un moment il va y avoir des «
effets de particules » ou le « morphing » qui a
eu son heure de gloire il y a quelques années et qui est utilisé
de façon beaucoup plus discrète et pertinente maintenant...
C'est vrai que l'on n'échappe pas à l'importance de
cette technique-là et ce qui m'intéressait aussi, c'est
de voir effectivement jusqu'où ça va, même pour
les gens qui ne les utilisent pas trop a priori.
DENIS DERCOURT : Je voudrais interroger les spécialistes, est-ce
qu'une « réverbe », c'est un effet en son ? Est-ce
un effet spécial ? Une réverbe artificielle...Jean-Claude
as-tu utilisé des réverbes ?
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Ah bon, quand ? DENIS DERCOURT : Au montage
son, au mixage... JEAN-CLAUDE. GUIGUET : Non, Non...
DENIS DERCOURT : Tu utilises le son brut tout le temps ?
J.C. GUIGUET : Le mixeur a voulu m'en proposer plusieurs fois des
réverbes, mais j'ai toujours refusé. Quand j'écoute
les résultats, non... Effectivement ça plaît beaucoup,
mais non.
TOM DERCOURT : Ça m'étonnerait franchement que tu n'aies
jamais utilisé de réverbes, parce qu'à partir
du moment où l'on parle...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Je n'ai pas l'oreille absolue, peut-être
que...
TOM DERCOURT : Là, c'est sur la notion de l'effet. Si ça
te semble n'être pas naturel, tu n'en as
pas voulu mais à partir du moment où ça t'a semblé
naturel, tu as dit : « OK », je n'ai pas encore vu
ton film, mais je suis sûr que tu as été amené
à utiliser des réverbes, maintenant c'est comme cela
on n'y peut rien.
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Comment ça on n'y peut rien ?
TOM DERCOURT : C'est-à-dire que quand tu prends tes sons directs,
tu as l'acoustique de la pièce et parfois il faut amener par
la suite en montage des sons qui n'ont pas été enregistrés
dans la pièce donc, qui n'ont plus l'acoustique de la pièce
et donc, tu vas recréer artificiellement l'acoustique de la
pièce. Tu crées un effet sur ce son-là et tu
vas le mixer dans ton film. Ça, c'est des effets « naturels
».
THIERRY BARBIER : Par exemple, en cinéma, pour la pellicule
elle-même quand on fait une prise de vue photographique et qu'après
le chef opérateur étalonne le positif, déjà
il est en train de faire un effet. Il le fait à l'aide de la
chimie, mais il donne un style à son image au moyen d'un effet.
Cette histoire d 'étalonnage est intéressante parce
que dans la myriade des effets spéciaux numériques où
l'on voit tout de suite les artifices synthétiques, particules
et tout... il y a un prolongement qui peut effectivement induire une
évolution d'esthétique. C'est celui de la question que
se pose actuellement certains chefs opérateurs de l'étalonnage
numérique. Quand on photographie sur un négatif et qu'ensuite
on va en imprimer un positif que l'on va ensuite projeter dans une
salle, il y a des limites de ce qu'on peut faire avec une pellicule.
Sur une pellicule, on peut très difficilement faire varier
le contraste, atteindre des teintes très spécifiques
dans une image et les faire varier. Il y a tout un ensemble de choses
que l'on peut faire qui sont de rendre plus dense, plus claire, aller
plus vers le jaune, le bleu, ça, on peut le faire. Mais, dès
que c'est plus sélectif, on ne sait pas le faire et là,
le numérique sait à peu près le faire bien et
les chefs opérateurs sont en train de comprendre actuellement
une limite qui est celle du coût, parce que la technique ne
va pas assez vite et n'est pas assez peu onéreuse, mais tout
le monde est en train de réfléchir à ce que l'on
appelle le cinéma numérique qui est peut-être
au début de numériser tout le film, et puis faire un
étalonnage sélectif sur tout le film, et donc pouvoir
obtenir ensuite un rendu de film qui est tout à fait différent
de ce que l'on peut avoir sur la pellicule filmée classiquement.
Et les gens qui pensent à ça, sont souvent les gens
qui ont d'ailleurs abordé la publicité où il
y a des post-productions publicitaires qui se terminent en vidéo,
mais avec une possibilité plus simple de toucher l'image et
le rendu de l'image et se pose cette question sur le film actuellement.
Et là, il y a effectivement une capacité d'aller plus
loin, mais ce que l'on en fait, c'est encore une fois les artistes
qui le décident. La technique permet juste de toucher des choses
plus complexes que ne touche la chimie.
DENIS DERCOURT : Sans revenir à l'opposition Méliès-Lumière,
on est tous un mélange. Si l'on dit : ces techniques, elles
peuvent être du côté de Méliès ou
du côté de Lumière, il se trouve que pour parler
de notre propre cas, à Tom et à moi, on est dans une
recherche plutôt de vérité et de justesse et donc
les effets spéciaux sont justement là pour gommer tout
ce qui ne pourrait pas être dans la justesse et dans la vérité.
Et c'est pour ça que c'est génial d'utiliser une réverbe
quand le son
est trop blanc. Personnellement, ça ne m'intéresse pas
du tout d'aller contre une certaine vérité, sauf s'il
s'agit encore une fois d'un onirisme. Mais cela étant, il se
trouve que je suis un peu musicien, donc je connais ce débat
là, il a eu lieu il y a trente ans avec l'arrivée des
synthétiseurs et tout le monde a dit à l'époque
: ça va changer complètement la musique et tout révolutionner
et ça n'a rien révolutionné du tout. Il y a toujours
une frange de créateurs qui utilise cette technique, mais à
l'époque où les synthés n'existaient pas, il
y avait les bruitistes. Il y a toujours eu cette frange là
qui est admirable et qui donne de grandes œuvres, mais ce n'est
pas parce qu'il y a eu les synthés que l'on a plus écrit
pour l'orchestre. Alors ensuite, avec la musique techno... c'est autre
chose parce que même la techno utilise le sample, ce n'est pas
du synthé, c'est une autre évolution. Il y avait des
grandes tables rondes pour dire : le synthé va tout changer
dans la musique. Mais le synthé n'a strictement rien changé,
sauf que ça a fait perdre beaucoup de métiers à
beaucoup de monde parce qu'on a utilisé le synthé pour
imiter d'autres instruments de musique et peut-être que les
effets que vous utilisez vont faire perdre du travail à beaucoup
de monde. Là, je rejoins Jean-Claude, c'est appauvri parce
qu'un synthé n'imitera jamais un violon, et je pense personnellement
qu'une foule numérique n'imitera pas une foule d'Eisenstein,
je crois... mais je me trompe peut-être complètement
là dessus, en tout cas pour le synthé, je ne me trompe
pas.
PASCAL CHARPENTIER : Je partage totalement ce point de vue. J'aime
beaucoup le métier que je fais, c'est effectivement un métier
de broderie sur l'image. Mais l'image que je travaille a été
faite avec de la peinture, sur du bois, avec des personnages vivants,
de la lumière, donc de la matière vivante. Le jour où
elle sera entièrement synthétique, j'arrête, ça
ne m'intéresse pas. Et je pense que le jour où l'on
envisagera uniquement de faire du cinéma avec des ordinateurs,
ça ne sera plus du cinéma, ce sera autre chose. Et le
jour où l'on dira « Tiens on a une boîte, on appuie
sur un bouton et ça fait de la musique, ce ne sera plus de
la musique, ce sera autre chose ». En ce moment, on est entre
les deux. Partons de l'exemple des figurants. J'accepte de multiplier
des personnages vivants, ça m'intéresse déjà
moins d'en faire en synthèse, pourquoi ? Parce que même
si derrière il y a un être humain qui va programmer une
machine pour faire la synthèse, dans ces personnages synthétiques
il y a plus de mathématique que de vivant, et ça, déjà,
ça me dérange. Et la deuxième chose (ça,
dans le monde de la publicité on le voit très bien)
quand on utilise nos techniques, on nous demande de faire du parfait,
c'est à dire que le pot de yaourt doit être parfait.
Eh bien, je préfère un vrai pot de yaourt avec le coin
un peu écorné parce qu'il n'est pas parfait, il est
vivant. Je préfère avoir une scène éclairée
par un chef-op qui n'a pas eu le temps ou qui n'avait pas assez de
projecteurs, là effectivement le contraste ce n'est peut-être
pas ça, il y a des fausses ombres mais tous ces détails-là
amènent une image avec de la vie alors que quand on demande
à une personne sur un ordinateur de faire une lumière,
on lui demande qu'elle soit parfaite, c'est à dire de ne pas
avoir de fausses ombres... etc... c'est bien pour cela que l'on emploie
à bon escient le mot « synthétique » : cette
image elle est synthétique, et la synthèse ce n'est
pas la vie.
THIERRY BARBIER : En même temps, il y a quelque chose qui est
assez ambigu parce qu'actuellement, il y a des films comme «
Fourmiz » ou comme « Mille et une patte » qui sont
des formes de déclinaison des films d'animation, donc un autre
cinéma, où là, à mon avis, la synthèse
a une justification, comme un outil à fabriquer un autre mode
de film d'animation. Quand tu parles de personnages par exemple de
«Fourmiz», ils ont un caractère propre, des voix
de comédiens derrière, ils ont un style donné
par l'animateur. Ils ne sont pas désincarnés. Ils peuvent
devenir désincarnés quand tu regardes les acteurs du
« Titanic », parce que c'est juste une captation de mouvements
sur de malheureuses personnes que l'on met face à une caméra,
il n'y a plus de notion d'auteur qui transparaît. Donc, la technique
elle est capable de faire plein de choses. Elle est capable de faire
du film d'animation qui respire beaucoup d'humanité parce que
ce sont des animateurs qui les font, et puis de faire des choses très
désincarnées qui sont de la figuration synthétique...
donc je suis moins catégorique.
TOM DERCOURT : Je vais d'abord répondre à mon frère
Denis. Je crois qu'il y a une nouvelle lutherie qui est née
du synthétiseur. Les nouveaux outils amènent des nouvelles
façons de travailler, après, c'est aux utilisateurs
de les utiliser à bon escient. Le synthé, quand il est
utilisé pour créer de nouveaux sons et non pas pour
imiter un grand orchestre, il est intéressant. Quand tu parles
de la synthèse pour «Fourmiz» ou pour «Mille
et une patte», c'est évident que ça donne un rendu
complètement différent d'un « Wallace et Groomit
», et pourtant c'est intéressant. Quand tu parlais du
morphing tout à l'heure, pour «Le Nombril du Monde»,
c'est évident que quand on a vu le morphing pour la première
fois, si je me souviens bien c'était dans « Terminator
2 » c'était super impressionnant. On est tous là
: « Ouah ! c'est incroyable, c'est vachement bien... etc...
c'est un effet qui ne peut être fait qu'une fois ». Si
il y en a un qui est assez malade pour refaire le même effet
dans un film, on va dire : « ah ! on dirait « Terminator
2 » ». Donc dans « Le nombril du Monde »,
quand il est utilisé pour passer de ...
PASCAL CHARPENTIER : En fait, le premier morphing, c'était
« Willaw ». Vous vous souvenez des transformations...
le lion, la vieille femme, le chevreau... etc... et c'était
aussi le premier plan du monde qui avait été fait en
trucage numérique justement qui permettait de faire du morphing...
TOM DERCOURT : Eh bien quand j'ai vu « Terminator 2 »
je ne me suis pas dit : « il y a quelqu'un qui l'a déjà
fait dans « Willow », donc après, c'est aussi une
question de finesse d'utilisation. C'est comme en musique le premier
morceau qui a utilisé le sampler, il a utilisé des boucles
d'un peu partout et ceux qui sont arrivés derrière,
ont dû y aller de plus en plus finement, sinon on dit «
ils sont fous d'utiliser ces trucs là » Quand il y a
un nouveau synthé qui sort ou comme quand il y a un nouvel
effet qui sort, il faut être le premier à l'utiliser
de façon grossière parce que sinon après, ça
-fait ringard, démodé... alors le fait que ce soit du
numérique en plus ça devient franchement ringard. On
est quand même à la merci en utilisant ces outils technologiques
du nouvel effet qui va arriver, du mec qui va développer le
nouveau petit truc qu'on va utiliser en premier parce que deux mois
plus tard, ça va être trop tard. C'est le piège
en fait.
GILLES METHEL : C'est vrai que plus cela se veut moderne, plus c'est
hyperdaté, surtout dans ces nouvelles technologies. C'est à
dire qu'en dix ans on ne voit plus que ça, l'effet pour lui
même, sans aucun des signes que l'on pouvait mettre derrière.
C'est vrai que c'est un risque avec ce type d'outils.
IVAN MORANE : Je voudrais juste recentrer un peu sur la thématique
du débat. Au fond, ce qui m'intéresserait de la part
des réalisateurs qui sont autour de cette table, c'est d'entendre
au service de quoi s'utilisent ces nouvelles technologies. Il peut
y avoir un débat en effet sur la technologie, sur son utilisation,
sur sa ringardisation, sur sa standardisation mais en vous écoutant
je pensais à un de mes réalisateurs préférés,
même s'il n'est pas français, Sokourov, je me disais
que même avec un travail technique qui est très loin
du réalisme, Sokourov, par exemple dans « Mère
et Fils » son avant-dernier film sorti en France, arrive je
trouve, par cette forme esthétique, à un rendu qui se
rapproche d'un mode de narration. Ce que je veux dire par là,
c'est si ces nouvelles technologies sont au service de l'Art et pas
d'un produit que l'on fait pour vendre ? Ce matin on disait : tout
le monde va attendre le nouveau film de Lucas pour aller voir les
effets, c'est à dire aujourd'hui en 99-2000, par rapport au
cinéma en tant qu'Art, cette progression technologique est
au service de quoi ?
MARTIN BIDOU : Pour moi, en tant que distributeur, la réponse
est très simple, je n'ai pas trop de rapport avec le débat
: la technique, je n'y connais rien, je n'ai pas trop de souci de
coût de production parce que je ne fais pas de films, mais en
fait je crois que la technique est un moyen d'arriver à quelque
chose. Je crois que c'est bien si le réalisateur arrive à
utiliser la technique pour faire ce qu'il voulait faire, et si cela
donne des mauvaises choses, ce n'est pas bien. C'est un outil : un
outil, soit ça sert à ce que l'on voulait faire et c'est
une bonne chose, soit il y a des dérives. Il ne
s'agit pas d'employer ça parce que c'est plus facile, mais
il s'agit d'employer une technique parce qu'elle nous permet d'arriver
à quelque chose. Jean-Claude, toi, je sais que tu n'es pas
un féru des effets spéciaux, mais peut-être que
Christian peut nous dire si ça lui a permis d'arriver à
faire quelque chose qu'il n'aurait pas pu faire sans.
CHRISTIAN PHILIBERT : Non pas encore. En fait, il y a plusieurs sortes
de réalisateurs, heureusement, et chacun s'intéresse
plus ou moins à la technique. Moi personnellement, la technique,
ça m'a toujours fait chier... J'ai fait des études techniques
et ça m'a dégoûté à vie. S'il faut
tirer un câble, j'ai les larmes aux yeux, c'est malheureux mais...
alors j'apprends la technique au fur et à mesure, j'y suis
obligé : en ce qui concerne mon premier court-métrage,
j'avais fait un film muet donc déjà, je ne m'occupais
pas du son. Après, en tant qu'autodidacte, j'ai été
obligé d'avancer comme ça, parce que je ne suis pas
foutu de lire le mode d'emploi d'une télé ou même
d'une montre... je ne peux pas, alors je suis obligé de m'entourer
de techniciens. Le travail que je fais en ce moment sur mon premier
long-métrage, c'est un travail sur l'authenticité, sur
le naturel, sur l'accent, sur notre manière de nous exprimer
en Provence, donc là les effets spéciaux ne m'ont été
d'aucune utilité. Bon, il y a quelques réverbes, des
choses comme ça, mais ça, c'est dans tous les films,
ce n'est plus si spécial que ça. En plus, c'est vrai
que systématiquement entendre à la sortie des salles
beaucoup déjeunes dire : «Ah les effets spéciaux,
les effets spéciaux !!! », c'est irritant, parce que
certains ne vont voir les films que pour ça ; mais en même
temps, moi qui suis passionné d'histoire... je sais qu'un jour
je vais avoir besoin de comprendre comment ça marche, et le
fait de ne pas savoir comment ça marche, c'est vrai que l'on
a tendance à faire des films où il n'y en a pas... on
n'anticipe pas, il faut que la technique s'intègre dans notre
imaginaire pour que finalement elle soit vraiment utile.
MARTIN BIDOU : Si je peux t'interrompre Christian, je trouve que tu
as utilisé le terme « besoin » et je crois qu'il
y a deux,types d'effets spéciaux : il y a ceux dont on a besoin
pour faire ce que l'on veut faire et il y a ceux qu'on utilise comme
Spielberg veut utiliser les effets spéciaux, pour en mettre
plein les yeux des spectateurs. Et toi tu as parlé de «
besoin » et je crois que tout est là : si ça répond
à un besoin. Et même toi Jean-Claude, je pense que tu
seras d'accord pour dire que...
DENIS DERCOURT : J'ai une question à poser, parce que les nouvelles
technologies ce n'est pas que les effets spéciaux. Par exemple,
le fait que l'on monte en virtuel. Le montage virtuel c'est à
l'image de ce qu'est le traitement de texte à l'écrit,
c'est à dire qu'au lieu de monter le film à la pellicule,
on numérise les images, on les met dans un ordinateur et on
monte des séquences qui sont des séquences de chiffres
en fait, donc tout va très vite : on peut en une seconde, en
un centième de seconde essayer différents ordres de
plans... il se trouve que je n'ai jamais monté autrement qu'en
virtuel, il me semble que si Montaigne avait pas eu le Bic mais le
traitement de texte, je ne sais pas s'il aurait fait exactement la
même chose que dans « Les Essais ».Tu as commencé
par monter, ça n'existait pas le virtuel au moment des premiers
films que tu as fait, et tu es passé d'une technique à
l'autre, est-ce que tu crois ou est-ce que tu sens que ça a
changé le processus même du film et surtout le résultat
? Est-ce qu'il aurait été différent si tu avais
monté en traditionnel ?
JEAN-CLAUDE GUIGUET : La réponse est très complexe,
parce qu'en fait, le virtuel, c'est un encouragement pour la paresse
et pour la virtuosité. Pour la paresse, moi ça m'arrange
parce que je suis impatient, je n'ai pas envie de traîner avec
la pellicule, pour changer les plans il faut attendre une demie heure
il faut coller... Tout ça, avec le virtuel, c'est terminé
: on tapote sur des boutons, les plans arrivent, on les cherche dans
la réserve, ça arrive en quelques secondes... C'est
extraordinaire, et moi j'ai été absolument ébloui
par cette nouvelle technologie. Notre film a été monté
beaucoup plus rapidement que prévu, et, après coup,
lorsque tout a été terminé, j'ai commencé
par avoir des regrets, parce qu'en fait, la notion du temps lorsqu'on
est sur une œuvre, elle est absolument essentielle. Le plus grand
allié du cinéma, c'est le temps. Si l'on ne prend pas
le temps nécessaire, pas seulement pour tourner, pour écrire,
pour répéter, pour réfléchir et pour rêver
mais aussi pour monter... eh bien, ça se retourne contre nous.
Par exemple, il y a des scènes où je me suis rendu compte
que je n'ai pas laissé le temps de les laisser mûrir
en moi, elles étaient montées, et le lendemain, on passait
à la suivante et à la suivante... ainsi de suite, alors
que les films précédents que j'avais montés avec
pellicule, il se passait parfois huit jours entre le moment où
l'on revenait sur une scène montée antérieurement,
mais en huit jours, les choses avaient eu le temps de changer. C'est-à-dire
quelque chose de l'ordre du rythme ou de la nécessité
de faire ceci plutôt que cela était revenu comme ça
parce que les jours et les nuits étaient passés, parce
que les rêves étaient passés par dessus alors
que là on ne peut plus. Alors c'est formidable, ça va
très vite, c'est brillant, c'est virtuose, le film est merveilleusement
bien monté, ça ne traîne plus, toutes les fins
de plan... tout ça allez hop, on dégage, mais au bout
du compte je suis sûr que le film a perdu quelque chose, quelques
plumes. Mais ces quelques plumes, elles ont leur importance...
PASCAL CHARPENTIER : Mais tu ne crois pas que l'on peut prendre son
temps aussi ?
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Si je dis : tiens la prochaine fois je vais
revenir à la pellicule, on va me dire : « non, ce n'est
pas possible ». On ne reverra plus de montage avec de la pellicule
sauf pour Yves Caumont qui, à Gaillac, a une cave avec une
machine, et il peut mettre six mois pour monter son film. Mais sinon,
dans une production normale, si on demande de remonter en pellicule,
on est directement viré ou l'on n'a plus le droit d'aller au
montage. Donc, c'est fini.
PASCAL CHARPENTIER : Mais ce problème de temps je ne suis pas
sûr que ce soit lié à l'outil, c'est lié
à une décision au départ. Ce que je disais, c'est
qu'une maison de production va hésiter longtemps avant de prendre
la décision de faire un film. Le jour où on dit : «
OK, on y va, on place le premier franc », à ce moment
là, il faut que le film se fasse le plus rapidement possible
pour récupérer ce premier franc et le pourcentage de
bénéfice sur ce premier franc, et en fait c'est ça
qui est décisionnaire. Que vous travaillez en montage traditionnel
ou en montage virtuel, je ne suis pas sûr que ça pèse
véritablement la différence de coût en terme d'outil.
Par contre, le montage virtuel permettant d'aller plus vite, on vous
demande d'aller plus vite car, comme ça, on pourra diffuser
le film plus vite. On va pouvoir faire la promotion plus rapidement...
etc... Là, il y a un vrai choix, c'est un choix de production.
Il en est de même pour nous. Dans quelques mois, quand vous
viendrez demander à EX MACHINA pour votre prochain sujet parce
que vous en aurez besoin, on vous fera deux réponses, car pour
le même type d'effet vraisemblablement artistique au même
coût, on a deux solutions : ou on vous propose ce que vous nous
avez demandé parce que vous en avez entendu parler par tout
le monde (travailler avec une machine qui s'appelle un flame, qui
va aller très vite et qui va coûter 30 000 Francs par
jour), ou on va travailler avec une autre machine qui va coûter
6 000 Francs par jour et donc au même coût, dans un cas
vous avez droit à 3 jours et dans l'autre cas à 2 semaines.
Qu'est-ce qui se passe pendant ces 2 semaines ? Pendant ces 2 semaines,
les gens qui travaillent sur la machine réfléchissent,
ils vont au cinéma, vous-même vous allez au cinéma,
vous voyez une première évolution de leur travail, vous
y pensez... etc... donc les choses mûrissent lentement. Et le
problème est le même alors que quand on travaille à
toute vitesse... et c'est pour ça que EX MACHINA, à
mon avis, a l'intelligence de réserver l'outil de production
lourd en journée et rapide en vitesse, qui s'appelle le Flame,
à faire de la publicité, parce que la pub c'est un story
board figé et on truque en temps réel pratiquement et
l'on n'est pas là pour réinventer l'artistique, ça
l'agence l'a déjà fait, alors que le long-métrage,
c'est quelque chose qui se prémédite, se tourne et continue
à nouveau à mûrir pendant le montage, et pour
notre part les trucages ça continue à mûrir, ce
n'est pas que de la technique, ce n'est pas que de l'application.
Il ne faut pas être victime de l'outil, il faut savoir se battre
contre, et parfois il faut savoir se dire : il faut du temps effectivement.
Il ne faut pas subir... c'est un doux rêve, je sais, mais ce
n'est pas lié à l'outil.
JEAN-PIERRE GARDELLI : Je sens beaucoup de réticences de la
part de Jean-Claude Guiguet par rapport à ces nouvelles techniques.
Je n'ai pas le sentiment, quand on regarde le jeune cinéma
français, que les effets spéciaux le fascinent à
ce point. On est quand même dans une culture d'écriture
très Nouvelle Vague, très Pialat, à tel sens
que le film numéro un cette année a été
le « Zonca » ; il n'y a pas un seul effet spécial,
pourtant le film a attiré un large public ; est-ce que vous
vous sentez de la part des jeunes cinéastes cette fascination
très américaine pour les effets spéciaux ? Est-ce
que c'est un passage obligé ?
CHRISTIAN PHILIBERT : Je crois que c'est l'argent qui fait peur mais
j'en connais certains qui lisent toutes les revues d'effets spéciaux...
DENIS DERCOURT : Non, je pense qu'il y a une école qui est
celle des « Kounen », des « Besson »... etc...
qu'on aime ou qu'on n'aime pas... ce n'est pas du tout péjoratif...
Maintenant, on dit que le spectre du jeune cinéma français
s'élargit un peu, notamment il y a la place pour cette école.
Dans notre boîte de production on a vu quelqu'un hier, par exemple,
nous apporter un court-métrage qui était fait à
base de beaucoup d'effets spéciaux. Maintenant je crois qu'une
grande partie des réalisateurs dont je fais partie, prennent
« Pialat » pour maître. Et même si j'ai l'impression
que l'on ne fait pas des choses à sa hauteur, c'est vrai qu'on
vient d'une école de réalisme en France.
GILLES METHEL : Des gens comme Cédric Klapisch semblent se
mettre aussi à ce type d'effets donc, on ne peux pas parler
forcément de séparation entre les deux positions. A
priori, effectivement il y a Kounen d'un côté, et d'autres
types de réalisations de l'autre, mais est-ce qu'il y a vraiment
deux écoles aussi tranchées que ça ?
TOM DERCOURT : En prenant l'exemple de Klapisch, tu parles d'un vrai
problème qu'il a eu, parce qu'après avoir fait trois
films qui ont très bien marché, il a écrit un
film dont il rêvait depuis longtemps et il a galère pour
le financer, ça a été une horreur. Plus d'un
an et demi de recherche de financement, trois producteurs, deux diffuseurs
qui lui claquent dans les doigts, parce qu'il avait envie de faire
un film de science-fiction et on lui disait : « Tu sais, coco,
toi tu filmes la Bastille, avec des petits acteurs inconnus et tu
nous fait du théâtre filmé ? Est-ce que tu es
sûr que tu veux faire un film qui se passe sur deux époques
dont le futur lointain et Paris enseveli sous le sable ». Il
dit oui et il a un vrai besoin. Là, il fait appel à
des gens comme EX MACHINA. Dans son imaginaire, dans l'œil de
sa caméra, dans ce qu'il a inventé dans sa tête,
il a besoin de faire appel à des effets spéciaux. Donc,
dans ce cas précis Cédric Klapisch a eu beaucoup de
mal à le financer. Maintenant, il y a des gens qui commencent
sur des films où l'on utilise des effets spéciaux et,
pour eux, cela n'a rien d'exceptionnel de mettre une explosion ou
je ne sais pas quoi... parce que, quand même, avec la pléiade
d'effets spéciaux qu'on ne voit absolument pas, qui sont fait
pour justement que l'on ne voit pas les limites du cinéma chimique...
A ce moment là, c'est quelque chose qui est fait pour masquer,
pour enjoliver, ou pour aller plus loin que là où nous
emmène le cinéma traditionnel. Je ne pense pas non plus
que l'on puisse parler de deux écoles. Je pense que le cinéma
évolue. Quand on parle de cinéma américain, ici
en France, on parle surtout de cinéma hollywoodien, qu'on parle
de cinéma d'entertainment, de divertissement... on va se mater
« L'Arme Fatale », on passe un bon moment et le lendemain
on a oublié, ça ne nous empêche pas d'aller voir
un Rohmer et d'y réfléchir trois semaines plus tard.
Je ne pense pas que trois semaines après « L'Arme Fatale
», on y réfléchisse encore. Mais c'est un autre
problème. C'est une question de type de cinéma, de type
de production, de type de public, de type d'exploitation, de marché...
Le cinéma, c'est aussi une industrie et, dans certains coins
de cette industrie, il y a des créateurs qui vont donner envie
à plusieurs centaines de milliers de spectateurs de voir le
film, alors qu'il y en a d'autres qui vont donner envie à moins
de monde, mais ça n'empêche pas de faire de bons films...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Je suis tout à fait d'accord avec ce
que tu viens de dire. Je ne suis pas contre les effets spéciaux,
je n'ai pas été clair au début, simplement j'ai
dit que ça ne m'intéressait pas. Je ne suis pas intéressé
pour l'instant, vu les films que je fais, par les effets spéciaux.
Sinon, je ne suis pas du tout un intégriste, c'est même
plutôt les gens qui font des effets spéciaux qui sont
intégristes. Bon là, on a la chance d'avoir Pascal et
Thierry qui n'en font pas partie et j'ai plutôt envie de faire
des effets spéciaux avec des gens comme eux, mais franchement
ce que nous balancent les américains à longueur de journée...
faut pas exagérer, c'est du business, ce sont des produits
de consommation, ce n'est vraiment que du gadget, ce n'est pas intéressant.
CHRISTIAN PHILIBERT : A nous de l'utiliser différemment, au
moins on voit ce qui existe...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Ce qu'il faut c'est ne pas-tomber dans la fétichisation
des effets spéciaux comme les jeunes gens aujourd'hui le font.
Je veux dire : c'est un moyen l'effet spécial, ça ne
peut pas être un idéal c'est tout.
PASCAL CHARPENTIER : Justement, pour en revenir à l'absent
du jour qui est Arthur, moi ce qui m'a intéressé en
travaillant avec Arthur, c'est cette démarche là, soyons
clairs. Arthur, il se fiche comment ça se passe, il n'y connait
rien, il n'est pas foutu de changer les plombs dans un compteur ou
une ampoule grillée et il n'a jamais, lui, écrit un
film à effets spéciaux. Il a écrit un film :
« Que la lumière soit », il se trouve qu'il y a
à la fin une cathédrale avec des gens qui volent...
point, c'est tout. Alors maintenant, il dit : « Qu'est-ce qu'on
va faire ? ». Les questions d'Arthur c'est : comment on va découper
la séquence... etc... et non pas comment les gens vont voler.
Ça, c'est mon problème, et non pas le sien. Et par rapport
à ce que tu disais tout à l'heure, tu disais : «
Moi, je ne connais pas ces techniques là, donc, je n'envisage
pas d'écrire en les utilisant », moi j'ai envie de dire
» « ça fait rien, ça n'a aucune importance,
écris.. » et puis un jour s'il s'avère que dans
ce que tu écris, tu dis : « Tiens, ça, je ne sais
pas faire avec mon décorateur et mon chef opérateur
habituels, eh bien ça s'appellera peut-être effets spéciaux.
CHRISTIAN PHILIBERT : Ce n'est pas tellement de savoir... moi, je
sais bien que je ne sais rien faire dans ce domaine, mais on peut
savoir ce qu'on peut faire, il faut déjà s'y intéresser
un petit peu pour savoir ce qui est possible à l'heure actuelle,
parce que ça c'est à la conception même du projet...
THIERRY BARBIER : Non, là, tu vois par exemple on a travaillé
l'année dernière avec Jacques Monet qui avait fait une
comédie : « La Femme du Cosmonaute ». Lui, il a
écrit une histoire entre un cosmonaute dans sa capsule spatiale
en apesanteur et le sol. Après, ils se sont demandés
comment tourner ça. Donc nécessairement, il est arrivé
de devoir faire des effets spéciaux pour pouvoir faire ça.
D'ailleurs, Jacques Monet c'est quelqu'un qui monte en pellicule,
c'est un des derniers... Bon alors, il s'est approché de nous
il disait qu'il ne comprenait rien, c'est quelqu'un qui ne connaissait
pas l'ordinateur, puis finalement il s'est bien plu avec nous donc,
on l'a aidé. Et puis là, il vient de faire un deuxième
film où il s'est dit : « Je voudrais un décor
dans lequel il y est un lac, d'un côté un hôtel,
de l'autre un arbre... en fait une mise en situation de son décor
très particulière. Il l'a cherché, il ne l'a
pas trouvé et puis il s'est dit je vais aller revoir EX MACHINA
parce que peut-être je peux filmer ça là, puis
filmer ça là et puis on remet les deux en même
temps. Donc, il est venu nous voir, voilà c'est tout. Et il
monte toujours en pellicule, il n'a pas d'imaginaire lié aux
effets spéciaux.
CHRISTIAN PHILIBERT : Je croyais personnellement que j'allais travailler
comme ça quand j'étais plus jeune, quand j'avais vingt
ans, je faisais des story board pour mes petits projets, et il y avait
des effets spéciaux dedans. Mais le fait de ne jamais trouver
d'argent pour faire mes films m'a obligé à tourner avec
des économies. Et là maintenant, ce que je fais, c'est
comme ça que je tourne à l'heure actuelle, je vais peut-être
faire les repérages avant d'écrire et donc tout ça
induit un autre cinéma, une autre manière de travailler.
DENIS DERCOURT : Là je te rejoins en tant que créateur
avec un petit « c ». Il nie semble que la contrainte est
beaucoup plus créatrice, alors là l'exemple du lac avec
le petit hôtel... c'est typiquement le genre de truc qui personnellement
me dérange... c'est justement parce que je ne trouve pas de
lac avec un arbre mais que je trouve quelque chose où il y
a un arbre là et l'hôtel n'est pas là qui va me
donner une idée. Je trouve que cette immense liberté,
en tout cas en ce qui me concerne, est extrêmement dangereuse.
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Alors là, tu mets le doigt sur quelque
chose de vraiment essentiel. Je trouve effectivement qu'il n'y a rien
de pire que la liberté parce que c'est d'abord une censure,
il n'y a plus d'imaginaire : puisque tout est possible, on invente
plus rien. Donc, c'est le piège absolu je suis tout à
fait d'accord avec toi. Moi là je chercherais autre chose effectivement,
s'il n'y a pas l'hôtel à côté du lac, tu
inventes un truc... tu verras que ce se sera très supérieur
à l'image inventée par la machine.
CHRISTIAN PHILIBERT : Quand j'ai tourné mon premier court-métrage,
je me suis rendu compte que à chaque étape de la réalisation,
je faisais des concessions... on imagine un décor, alors on
le cherche... il est pas tout à fait comme on veut...
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Mais il existe Christian, vous ne l'avez pas
trouvé, mais il existe. Moi je t'assure, j'ai écrit
des scènes incroyables, on a cherché pendant un an un
décor. J'avais inventé une châtaigneraie au dessus
du lac Lémant avec un pré, on m'a dit : « non,
ça n'existe pas ». Puisque je l'ai écrit c'est
qu'il existe... eh bien, un jour on l'a trouvé... Et ce n'est
pas la première fois, il y a deux ou trois exemples comme ça...
incroyable ! Les assistants ont cherché pendant des mois et
ils l'ont trouvé. Le problème, c'est que l'on est pas
assez patient. Tout ce qu'on écrit existe dans la réalité.
C'est monstrueux de dire ça, mais c'est vrai et évidemment
c'est du boulot, parce qu'il faut mettre le doigt dessus...
CHRISTIAN PHILIBERT : Les dinosaures, c'est difficile !
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Les dinosaures ont existé mon cher ami...
Enfin, ce qui est extraordinaire, c'est que l'on est en train d'avoir
une discussion qui a l'air complètement contemporaine et à
la mode alors qu'en fait, à l'origine du cinéma il y
a toujours eu le monde vu par Lumière et le monde vu par Méliès
: d'un côté la reproduction lumineuse des éléments
atmosphériques, géographiques, physiques du monde, et
de l'autre, une invention de formes... donc, on n'a rien inventé.
Simplement, il ne faut pas que Méliès emporte le morceau
à jamais et que l'on ne puisse plus jamais regarder le jour
se lever en dehors de l'image virtuelle.
GILLES METHEL : Je voudrais savoir si à EX MACHINA, il y a
de nouveaux réalisateurs qui émergent... ou est-ce que
la façon d'utiliser ces technologies s'est modifiée
depuis qu'elles sont plus naturelles ? Quand il fallait effectivement
des grosses machines, ne pouvaient faire des effets spéciaux
que des réalisateurs avec beaucoup d'argent. Des gens comme
Caro et Jeunet, par exemple, sont des gens qui manipulent la technique.
Est-ce que cela modifie le regard de jeunes réalisateurs quand
ils veulent travailler avec vous par rapport à des réalisateurs
plus anciens ?
PASCAL CHARPENTIER : Je pense, oui sans doute... De notre côté
ce qu'on voit surtout se modifier aujourd'hui, c'est le regard des
techniciens. EX MACHINA est en relation avec des écoles de
cinéma, parce qu'en fait dans la formation des écoles
de cinéma de type Louis Lumière ou la Fémis,
il y a aussi l'apprentissage de ces nouvelles techniques et donc EX
MACHINA est un terrain d'entraînement pour les écoles.
J'ai fait des encadrements d'étudiants qui vont pour certains
devenir des opérateurs, pour d'autres des réalisateurs
comme ceux de la Fémis. Il est certain que depuis cinq, six
ans, à mon avis, je vois une évolution du regard de
ceux qui seront effectivement des réalisateurs de demain. Dans
un premier temps, cette évolution là vient de l'aspect
ludique et de l'aspect spectaculaire du cinéma américain
importé dans notre culture, y compris aussi d'un aspect plus
plastique et artistique de l'image qui vient du monde du clip, qui
est un phénomène un petit peu plus récent, et
puis là en ce moment je dirais une autre génération.
On voit aussi des étudiants d'école du type plus «
info-com » ... etc... et là il y a une nouvelle génération
qui ne sera pas des réalisateurs traditionnels, qui ont changé
de technique ou qui ont acquis de nouvelles techniques, mais qui sont
des gens qui lorsqu'ils sont nés, sont nés avec ces
chromosomes là, avec les chromosomes de ces nouveaux outils
et qui eux à l'extrême, le débat qu'il y a ici,
ils diraient : «je ne comprends rien à ce qu'ils racontent...
», parce que eux ils sont nés avec l'ordinateur... et
qu'on leur dise : la pellicule 35 mm, c'est peut-être mieux
que le montage virtuel... etc... pour eux, ça ne veut absolument
rien dire. Ça, c'est nouveau et je pense que ça va amener
un nouveau regard. Maintenant lequel, comment on va le juger nous,
je ne saurais pas y répondre.
TOM DERCOURT : Je vais essayer d'éclaircir un peu ce que je
pense malgré mon jeune âge. Je crois qu'en ce moment,
avec l'évolution des technologies, il y a un vrai problème
sur la transmission du savoir. On parle d'inventer des nouvelles technologies,
d'arriver vers des nouvelles choses mais après il y a la continuité,
la continuation de métiers qui existent et je pense que particulièrement
le montage virtuel est très très dangereux par rapport
aux nouvelles générations de monteurs qui arrivent,
parce que comme disait Jean-Claude tout à l'heure, il y a un
aspect maturité du film, qu'on doit peu à peu laisser
vieillir dans sa tête puis le reprendre, etc... ça déjà,
on y arrive plus. Je te rassure quand même Jean-Claude, les
productions font un montage traditionnel en parallèle au montage
virtuel pour pouvoir le projeter sur grand écran, mais il faut
avoir un peu de pognon, parce que ça coûte le prix à
la fois du montage virtuel plus du montage traditionnel. Mais surtout,
avant, au montage traditionnel, il y avait un chef-monteur qui avait
un assistant, voire deux, et un stagiaire ou deux, donc une vraie
équipe de montage où chacun avait sa part de boulot,
et le stagiaire, vu comme le système d'encadrement du cinéma
français est fait, devait faire trois films en tant que stagiaire
pour devenir assistant, trois ou quatre films pour pouvoir postuler
comme chef. Ça existe toujours, mais ce qui se passe, c'est
qu'on digitalise les rushs en trois jours, on synchronise... et après
le monteur il bosse tout seul, il n'a plus besoin de personne, et
il n'y a plus personne qui regarde comment il enchaîne ses plans,
comment il va ruser, comment il va aller toucher et retoucher ses
séquences, donner du rythme, ralentir, parler de l'ensemble
du film, de la narration, etc... et ça, c'est vraiment dangereux.
Et comme tu le dis maintenant sur un Mac à 10 000 Francs, une
D.V à 10 000 Francs, on fait des trucs de dingue qui, il n'y
a encore pas longtemps coûtaient super chers. Avec « After
effects » on fait des trucs incroyables ; maintenant on a des
outils qui ne coûtent pratiquement plus rien, donc on invente,
on réinvente, mais la transmission des métiers est mise
en danger.
CHRISTIAN PHILIBERT : Quand tu dis qu'il n'y a plus d'assistant virtuel
ce n'est pas vrai. Nous, on a travaillé avec des assistants
et on a travaillé toute la nuit pour ranger le bordel que le
monteur avait laissé derrière lui et pour reclasser
des choses...
TOM DERCOURT : Ranger quoi ?
CHRISTIAN PHILIBERT : Je te promets, on a travaillé à
plein temps pendant tout le montage à le digitaliser. Il n'y
avait pas tous les rushs dans la machine, donc tous les jours, on
avait besoin de nouvelles images : il fallait digitaliser, nettoyer,
vider les disques durs...
TOM DERCOURT : Mais, c'est pas le même boulot qu'un assistant
qui regarde et qui apprend surtout pendant des semaines et des semaines...
CHRISTIAN PHILIBERT : Oui, mais peut-être que le monteur, comme
il est plus disponible, peut lui expliquer en même temps. Moi
je n'ai pas ressenti ça comme un problème, la question
du délai, du temps de montage, le fait que cela aille très
vite, ça me paraît être un faux problème.
On peut faire des pauses, on peut prendre quelques jours pour prendre
du recul sur le montage et y revenir.
TOM DERCOURT : Je doute que si tu demandes à ton producteur
quinze semaines de pause avec 90 Giga de disque dur ras la figure,
il accepte... Non, il y aura toujours un moment où il te dira
: « Hé coco, allez six semaines au lieu de cinq, tu prends
des week-end de trois jours au lieu de deux jours... ». Je pense
quand même que ça devient une facilité pour le
producteur du point de vue du virtuel parce que ça se maîtrise
très bien. Alors, quand un réalisateur a besoin de temps...
il a besoin de temps, il peut l'imposer dès le départ,
effectivement, tu peux rentrer en montage en disant « OK techniquement
il y en a pour cinq semaines, faire trois montages, puis un autre
puis le peaufiner, ça va me prendre quatre semaines, eh bien
moi je t'en demande huit... » et tu peux imposer ça,
et c'est ça qu'il faut faire, mais imposer un stagiaire dont
finalement on n'a plus besoin (et c'est ça aussi, c'est une
question de besoins) tu ne peux pas demander au mec de rester comme
ça et pourtant il y a vraiment un besoin de transmettre ce
savoir. Les grands chefs-monteurs qui arrivent à avoir un dialogue
avec le réalisateur, à faire avancer le « schmilblik
» dans la deuxième écriture, il y en a peu et
c'est aussi parce que c'est un très long temps d'apprentissage.
C'est en quoi le virtuel est dangereux... mais c'est une petite remarque
; à mon avis, ce n'est pas au centre du débat sur les
nouvelles technologies.
CHRISTIAN PHILIBERT : Est-ce qu'il n'y a pas aussi le problème
de techniciens qui, du fait qu'ils sachent utiliser cette machine,
vont se décréter monteur alors qu'en fait ils ne le
sont pas ?
TOM DERCOURT : Mais ça, je .dirais, dans le cinéma français,
vu le système d'encadrement, avec les histoires de cartes...
Premièrement de cartes, et deuxièmement de réalisateur
qui va commencer avec quelqu'un et qui va s'apercevoir qu'il ne lui
apporte aucune idée, qu'il n'est pas créatif, que finalement
c'est nul... Non en fait, ce que je veux dire c'est que tu ne peux
pas t'improviser monteur du jour au lendemain... Il y a certainement
des gens qui sont très forts tout de suite, mais je pense qu'il
faut quand même avoir vu beaucoup de films, avoir grandi dans
sa tête par rapport au cinéma. Tous les ans il y a des
nouveaux trucs que Ton voit apparaître dans le montage... dès
qu'ils sont réutilisés, on se dit : « tiens ça
c'est une technique que j'ai déjà vue !» et il
y a encore des tas de choses à inventer. Il faut être
frais et jeune, mais quand même il faut avoir un savoir, qui
malheureusement avec le virtuel, n'est pas transmis à suffisamment
de personnes... il me semble...
GILLES METHEL : II y a une idée de danger avec le numérique...
ce qui est quand même étrange. C'est vrai que le montage
est une toute petite partie, mais il faut savoir qu'au nord de l'Europe,
on montre aux étudiants les systèmes traditionnels comme
des systèmes archaïques. Le problème est qu'il
ne semble pas que l'on puisse faire machine arrière avec ces
outils... Est-ce que ce n'est pas un peu facile de dire qu'il y a
du danger, et qu'est-ce que ça veut dire ? Comment on peut
sortir de ça ? Sinon on ne peut plus en sortir... Si on dit
: « il y a du danger, il ne faut pas l'utiliser, il faut l'utiliser...
».
TOM DERCOURT : Moi je pense qu'il faut l'utiliser, c'est magnifique
comme outil. Comme disait Jean-Claude, une fois qu'on est passé
au virtuel, on n'a plus envie de revenir au traditionnel. Je pense
que c'est bien d'avoir fait avant un peu de traditionnel, pour savoir
ce que c'était de monter un son et à quel point ça
pouvait être une galère. Et que du coup comme c'était
une galère, maintenant avec le virtuel, on a tendance à
faire des montages son avec dix-huit effets, quatorze musiques et
quinze bruitages, alors qu'avant comme il fallait les monter on trouvait
le beau son, la belle ambiance, le beau bruitage, pour n'avoir que
quatre pistes parce qu'on savait que sinon il fallait enlever des
images... Comme l'outil était vraiment lourd à utiliser,
on faisait des prises de son magnifiques, qu'on allait chercher, il
y avait un souci, une exactitude de chaque trucs, plutôt qu'après
mettre des « plugging » dans l'ordinateur et embellir
tel son avec une réverbe pas possible de la cathédrale
de Chartres, à la pleine lune... parce qu'aujourd'hui, on peut
faire des choses incroyables avec l'ordinateur. Je crois que le danger
est dans le fait que c'est tout nouveau et que c'est sur la transmission...
J'ai fait une école juste au moment du passage du traditionnel
au virtuel, en bossant par la suite, je me suis dit que ce qu'on m'a
appris était faux... ce n'est pas parce que je sais manipuler
un banc de montage virtuel que je sais monter, c'est clair. Il faut
apprendre avec quelqu'un, il faut regarder, il faut réfléchir,
il faut écouter... et le virtuel ne permet plus à suffisamment
de gens d'écouter et de réfléchir.
MARTIN BIDOU : Moi j'ai une question : Comment ça se passe
dans les écoles en fait ? Il y a des calculatrices maintenant
mais on apprend encore à l'école à compter 2
+ 2 font 4. Je veux dire, est-ce qu'ils n'ont pas l'intelligence dans
les écoles de montage de continuer quand même...
GILLES METHEL : Comment ça se passe dans les écoles
? C'est difficile à dire parce que le problème d'équipement
des écoles est à la fois lié aux traditions des
écoles, au financement. Il se trouve que j'enseigne effectivement...
mais je ne peux pas parler en général. C'est vrai qu'il
une réticence fondamentale des milieux du « cinéma
argentique » aux outils informatiques qui semblent quelque chose
d'assez difficile à définir... l'absence de cette matérialité
du film, l'absence de cette sensualité qu'il pouvait y avoir
et même plus que ce qui apparaissait déjà avec
la vidéo. Alors avec le numérique, le montage numérique,
les effets numériques... tout ça a tendance à
créer des réticences de la part des gens qui viennent
du monde traditionnel. Mais à propos de transmission de savoir,
je suis sûr qu'il y a dans des boîtes comme EX MACHINA
aussi les mêmes types de secrets ou de transmissions, de choses
très fines en fait... parce que quand on parle d'effets spéciaux,
on parle de trucs un peu carton comme ça hollywoodiens, mais
les effets spéciaux, c'est suffisamment large pour qu'il y
ait aussi un travail sur la matière de l'image qui même
si elle n'est plus argentique reste numérique. On a vu la semaine
dernière des travaux faits en numérique sur des films,
où ce sont les mouvements qui sont travaillés, ou c'est
l'image qui est travaillée... donc, je pense que le risque
aussi est d'enfermer les effets spéciaux soit dans l'invisible,
soit dans le visible, mais dans quelque chose de réaliste...
soit illusionniste... or, ce n'est pas toujours le cas, les effets
spéciaux c'est aussi la possibilité de travailler sur
la matière de l'image qui n'est plus effectivement une matière
argentique et à ce moment là, c'est vrai qu'il faut
dépasser ces réticences, ne serait-ce, à mon
sens, que pour essayer de dominer cet outil, mais ce n'est pas facile.
Je voudrais savoir par rapport à EX MACHINA comment vous transmettez
votre savoir, vos connaissances à des étudiants ?
PASCAL CHARPENTIER : On a du mal à transmettre le savoir vu
que l'on invente au fur et à mesure nous mêmes donc,
on a du mal à apprendre aux autres, je pense...
THIERRY BARBIER : C'est très différent du montage virtuel
où vous êtes une équipe sur un film et l'équipe
peut être toute petite. Nous déjà, c'est une société
donc, il y a plusieurs personnes qui se croisent, ce que je disais
ce matin, c'est qu'il y a une trentaine de permanents, dans les trente,
une dizaine font les images réellement et ces dix personnes
là, ont six ou sept ans d'expérience, pour celles qui
font de l'image de synthèse quinze ans d'expérience...
enfin chez nous la transmission du savoir se fait en fait au travers
de ces quelques personnes permanentes qui vont chaque fois être
placées dans des équipes de films, puisque les équipes
de trucages sont rarement d'une ou de deux personnes, c'est souvent
plus étoffé que ça et où par souci d'organisation
de transmission et aussi de souci économique, on essaie toujours
de panacher des équipes entre des gens très jeunes et
puis quelqu'un qui a beaucoup de bagages, donc c'est plus facile pour
nous de faire de la transmission de savoir à l'intérieur
de notre boîte.
GILLES METHEL : Est-ce que les logiciels utilisés sont des
logiciels maison ?
THIERRY BARBIER : Non, non. Les premières philosophies au début
étaient de développer pas mal de logiciels et puis on
s'est rendu compte qu'il y avait des gens intelligents partout au
travers du monde qui créaient des logiciels qui devenaient
de moins en moins chers. Donc l'idée, c'était d'en acheter
plein, parmi ceux qu'on trouvait intéressants, choisir ceux
dont on a besoin et en avoir plusieurs et puis, de compléter
ça par le travail d'ingénieurs qui ont des passerelles
entre logiciels.
PASCAL CHARPENTIER : II y a peut-être aujourd'hui, un endroit
où la transmission est plus difficile en fait, c'est dans le
travail que je fais en amont et aussi pendant le tournage. En fait,
les choses ont assez évoluées depuis cinq ans : sur
les films sur lesquels j'ai travaillé avant l'arrivée
des trucages numériques, il y avait encore une grande partie
des départements, comme la mécanique ou les maquettes,
où les personnes qui intervenaient étaient des indépendants
et non pas des sociétés, donc ils dépendaient
uniquement de la production. Comme ils étaient très
proches du département déco, ils arrivaient à
peu près en même temps parfois plusieurs mois avant que
le film ne se tourne, donc il fallait organiser le travail de ces
gens là, les gérer... ce qui fait que la personne ou
les personnes qui avaient en charge la coordination des effets spéciaux
arrivaient aussi assez en amont. Moi par exemple je suis arrivé
sur « Les Mille et une Nuit » en tant qu'assistant de
Christian Guillon donc là il y a eu une transmission de savoir.
Sur le film « Que la lumière soit », j'avais pensé
très tôt à deux personnes que j'ai fait venir
le plus tôt possible avant même la mise en route de la
phase de trucages pour m'accompagner et de leur côté
gérer les équipes. Par exemple, il y avait Agnès
Sébeng qui est venue m'assister pour la partie coordination
et qui ensuite a pris un peu plus d'étoffe sur un autre film
qui va sortir récemment. Mais à côté de
ça, il y a eu une attitude des maisons de production qui met
un peu en péril ce travail là, à savoir que,
avec l'arrivée des trucages numériques qui se sont avérés
dans un premier temps beaucoup plus coûteux que les trucages
traditionnels, les maisons de production de films ont pendant un temps
cessé d'appeler des indépendants pour s'en remettre
plus à des sociétés. C'est toujours la magie
de l'ordinateur, vous avez raison, en disant : « là où
il y a ordinateur, il y a danger », et ça commence déjà
dans la salle de cinéma. Je me souviens toujours d'une grande
révolution dans la salle de projection, c'est le jour où
l'on a inventé la lampe à xénon. J'ai commencé,
il y a très très longtemps en étant projectionniste,
à l'époque j'ai appris sur des projecteurs à
arcs et puis un jour, on a vu arriver les lampes à xénon.
Pour ceux qui ne connaissent pas : l'idée est que la lumière
est fabriquée avec un arc électrique, et qu'un charbon
(c'est un arc qui se produit entre deux charbons) dure vingt minutes,
pas plus. Un film de long-métrage durant une heure et demie,
il faut plusieurs charbons pour un film. Donc, on avait deux projecteurs
et on mettait la bobine un dans le projecteur numéro un, et
la bobine deux dans le projecteur numéro deux, et ensuite,
lorsqu'on arrivait à la fin de la bobine un, on balançait
sur l'autre projecteur, donc alternativement les projecteurs projetaient
une bobine du film. Ça nécessitait une présence
permanente du projectionniste. Et c'était un vrai métier
(chiant, je le reconnais) mais c'était un vrai métier.
En même temps, il y avait l'héritage du vieux système
de projection, avec le risque d'incendie. Donc le projectionniste,
c'était quelqu'un qui était formé aux techniques
du feu, qui pouvait réparer lui même son projecteur.
Et puis, on a inventé la lampe à xénon, et tout
d'un coup, on s'est dit : « un seul projecteur, ça va
durer une heure et demie, ce qui serait bien ce serait qu'en plus,
on puisse mettre un petit bout d'électronique qui ferait qu'il
démarre tout seul et s'arrête tout seul ». On a
réussi à le faire... alors est-ce qu'un seul projectionniste
ne pourrait pas s'occuper de plusieurs salles en même temps
? La réponse des techniciens, c'est oui, c'est possible, mais
avec un ordinateur. Donc, on a mis un ordinateur, on a inventé
les multisalles et le projectionniste s'est assis sur une chaise et
a regardé les écrans vidéo qui en fait filmaient
l'écran. Et à partir de là, moi j'ai vu ça
arriver... On s'est dit : « puisqu'après tout c'est l'ordinateur
qui projette, on n'a pas besoin d'un projectionniste de métier
» et donc, le métier en a pris un coup dans le nez à
cette époque là... J'ai vu des salles de cinéma
qui prenaient des stagiaires en entreprise qu'on payait même
pas le SMIC, qui n'avaient aucune formation, ni technologique, ni
de formation de sécurité, c'est ce que l'on appelait
les « charges pellicules ». Bien sûr, ils savaient
faire deux choses : charger et appuyer sur le bouton et faire une
collure. Par contre, quand ça cassait, ils ne rembobinaient
pas en arrière parce que ça n'était pas prévu.
Donc, ils repartaient plus loin parce que de toute façon c'était
un plateau et un plateau ça ne revient pas en arrière...
alors aujourd'hui je ne sais pas où l'on en est arrivé...
C'est vrai, aujourd'hui, ça casse moins.
QUESTION DU PUBLIC : Et en plus « l'image xénon »
est moins belle que celle de l'arc !
PASCAL CHARPENTIER : Je me souviens, j'ai appris avec un vieux projectionniste,
quand la salle a changé ses projecteurs, il y a eu le nouveau
projecteur xénon, et l'ancien qui n'avait pas été
enlevé. On avait un film, je m'en souviendrai toujours : «L'Ile
Nue », un film en noir et blanc magnifique, on s'est dit : on
prend la même bobine et puis on la projette... et bien là
on a vraiment perdu quelque chose au niveau de la qualité de
l'image.
DENIS DERCOURT : A ce propos, vous ressortez « Scarface »...
vous avez retiré des copies, est-ce qu'il y a eu une tentation
de changer ? Quelle a été votre optique par rapport
à l'original ?
JEAN-PIERRE GARDELLI : Sur le film, il n'y avait pas cette tentation
là puisque la version qui nous était proposée
était la vraie version, par contre ce que l'on a changé,
quand on a ressorti le Hitchcock, c'était de le présenter
dans la version panoramique car il était présenté
en version 1,33 très souvent. Voilà, mais sur la version
« Scarface », c'est simplement une réédition
classique.
DENIS DERCOURT : Mais est-ce que vous avez refait un inter, un étalonnage...
des choses comme ça ?
JEAN-PIERRE GARDELLI : Non pas du tout.
QUESTION DU PUBLIC : Mr Charpentier vous avez donné l'exemple
de vous en tant que projectionniste, vous alliez parler de la différence
entre les truqueurs indépendants et les sociétés
d'informatique...
PASCAL CHARPENTIER : Oui excusez-moi, j'ai fait une petite ellipse.
Ce que je disais c'est que quand j'ai commencé à faire
le travail de préparation sur les trucages avec des techniques
traditionnelles, à l'époque les sociétés
appelaient des indépendants pour faire ce travail là
parce qu'il y avait une relation humaine ne serait ce que de gérer
des équipes des maquettistes, ou des équipes très
liées à la déco. Ensuite, d'un seul coup le numérique
est arrivé. Personne ne savait vraiment ce que cela voulait
dire et très rapidement il y a eu des imaginaires du style
: on va faire des fondus enchaînés en numérique,
etc... Mais la première chose que se sont dit les producteurs,
c'est que puisque c'est l'ordinateur a priori on a besoin de moins
d'humain, donc on va plus avoir un appel vers des sociétés
d'ordinateurs que d'individus. Donc, le côté collaborateur,
à un moment donné s'est perdu. Il est revenu par la
suite mais pendant un moment il était un peu flou. Mais en
attendant, l'opérateur est un collaborateur artistique et technique
auprès du réalisateur, le décorateur aussi, l'homme
de son aussi... le truqueur lui pendant un temps... on s'est tous
retrouvés un peu le bec dans l'eau parce que les producteurs
et les réalisateurs se sont imaginés que le truqueur
ils n'en n'avaient plus besoin, parce que l'ordinateur était
la boîte magique : j'appuie dessus et ça sort. C'est-à-dire,
il y a le bouton « Superman vole au dessus de Los Angeles ».
Ils se sont rendus compte que ce n'était pas ça, en
même temps c'est vrai qu'il y a eu un certain nombre de personnes
qui se sont imaginées devenir des gens de ce métier
là. Je suis allé me mettre à l'abri pour pouvoir
continuer mon boulot, heureux d'être appelé par EX MACHINA,
mais il a fallu un an ou deux avant que les réalisateurs et
les producteurs se disent que ces métiers là, analogues
à ceux d'un chef-décorateur, d'un opérateur ou
d'un monteur... sont d'abord humains, ce n'est pas que l'ordinateur.
Je pense que si on a cette démarche là, on ne tombe
pas dans l'effet pervers de dépendance à l'outil. Pour
le montage virtuel, je suis d'accord, c'est le même danger.
Si on dit « c'est le banc de montage virtuel qui fait le travail
», alors, on commence par supprimer l'assistant et à
l'extrême, le réalisateur se dit je peux mettre n'importe
qui derrière, formé ou pas formé de toute façon,
c'est la machine qui fait le travail. Non, ce n'est pas la machine,
parce que le montage, c'est d'abord de la culture du cinéma
et après c'est de la technologie.
QUESTION DU PUBLIC : II y a quelque chose qui me gêne dans l'utilisation
des effets spéciaux dans le cinéma français,
les effets spéciaux visibles... Je dirais que pour l'instant,
c'est utilisé un peu à l'américaine, mais à
l'américaine mauvaise. C'est à dire qu'il y a des effets
spéciaux et rien derrière... Je prends « Astérix
» : « Astérix » pour moi c'est « Independence
Day », il y a des effets spéciaux qui sont certes réussis,
mais pas tous, et puis il n'y a rien derrière... et j'ai peur
que la situation n'évolue pas. Aux Etats-Unis il y a certains
films avec des effets spéciaux et un message derrière
: «Mars Attack», «Starship Troopers » ou «Dark
City»... et ce qu'a dit Tom Dercourt tout à l'heure sur
Klapisch qui fait un projet de science fiction intelligent avec des
effets spéciaux mais qui se fait claquer la porte au nez, il
est obligé d'aller voir en l'occurrence Warner, c'est à
dire une société américaine... je n'ai pas l'impression
que les choses évoluent dans le bon sens. Qu'en pensez-vous
?
CHRISTIAN PHILIBERT : Moi j'ai plutôt confiance en Klapisch,
il a fait ses preuves. Si maintenant il décide d'utiliser des
effets spéciaux, je ne suis pas inquiet de ce côté
là. Ce ne sera pas du Jan Kounen, je pense.
TOM DERCOURT : Moi aussi je fais confiance à Klapisch. Je n'ai
pas vu «Astérix », je l'ai vu d'une cabine de projection
où il n'y avait pas de projectionniste d'ailleurs et j'ai vu
des images «d'Astérix» qui volaient dans les bulles...
je n'ai pas vu ce que je voulais reconnaître dans «Astérix
», donc je n'ai pas payé 50 balles pour y aller... Mais
effectivement, l'utilisation des effets en France... tu dis que tu
n'aime pas Jan Kounen, en plus, je pense qu'il faut aimer Jan Kounen...
il faut aussi aimer les gens qui innovent...
CHRISTIAN PHILIBERT : Non je n'ai pas dit ça ! mais on sent
qu'il vient de cette culture des effets spéciaux, du cinéma
de spectacle. Moi, « Vibro boy » ça m'a pris la
tête.
TOM DERCOURT : Moi j'ai ris, mais je comprends ce que tu veux dire...
C'est très différent... je crois qu'on n'a pas l'habitude
et qu'en France on est assez peu ouvert, on est assez réticent
aux nouveaux trucs, tout de suite on fait le parallèle avec
les Etats-Unis et on se dit : « ouais c'est à l'américaine
»...
CHRISTIAN PHILIBERT : II ne cache pas du tout son influence...
GILLES METHEL : En France, on est quand même bien placé
historiquement sur ce plan là... on n'était pas du tout
à la traîne des américains, c'est plutôt
un problème de réalisateurs qu'un problème d'effet
à proprement parler à mon sens... Des sociétés
comme EX MACHINA existent depuis longtemps et réellement au
top... C'est plutôt l'utilisation faite par des réalisateurs
d'ailleurs beaucoup plus classiques : des gens comme Gérard
Oury, par exemple ou Zidi ou qui on veut... c'est cette mauvaise utilisation
des effets spéciaux mais je ne crois pas que cela soit systématique
ou définitif.
JEAN-PIERRE GARDELLI : Le problème que tu poses, c'est le problème
du sens dans le film, je crois que c'est important. On peut imaginer
qu'un cinéaste comme Hitchcock vivant utiliserait fantastiquement
les effets spéciaux. Il y a des cinéastes qui utilisent
ça... pour citer un cinéaste réputé Kubrick
a utilisé des effets spéciaux dans « 2001 »
et aucun dans « Barry Lindon » donc, je crois qu'il faut
revenir à la notion de sens... et à la notion de magie,
parce qu'effectivement les effets spéciaux sinon n'ont aucun
intérêt. Donc, ces effets spéciaux doivent servir
l'écriture d'un film. Moi personnellement, en parlant de «
magie », quand je vois « India Song » je trouve
ce film magique et pourtant elle ne l'a pas tourné en Inde,
elle l'a tourné à Boulogne-Billancourt avec un cadre
de vélo qui tourne et des gens dans un château et j'ai
l'impression de me trouver vraiment en Inde. Donc ça, c'est
une question qui est posée au cinéma : quel sens donner
à l'histoire, à la narration et est-ce que les effets
qui sont donnés sont au service de l'histoire ?
DENIS DERCOURT : Peut-être pour donner une comparaison : en
France, on est très novateurs sur la grammaire. Pour moi les
effets spéciaux, c'est comme si c'étaient des nouveaux
mots... ça ne m'intéresse pas d'utiliser de nouveaux
mots mais par contre ce qui m'intéresse, c'est de voir que
dans l'histoire du cinéma, dans les années cinquante,
il y a des types qui ont changé la grammaire et qu'aujourd'hui
malheureusement, j'ai l'impression que c'est surtout dans le Nord
que l'on change pas mal la grammaire... Ce qui est intéressant
avec Duras (c'est un OVNI dans le cinéma ), c'est qu'elle fait
une grammaire à elle et ça c'est génial... mais
c'est vrai que l'on utilise pas tellement les nouveaux mots et que
ceux qui utilisent les nouveaux mots ont une grammaire ancienne, genre
Zidi, etc... et que franchement Kounen, c'est de la grammaire ancienne...
QUESTION DU PUBLIC : On dit que l'ordinateur c'est magique, c'est
fascinant et je voudrais savoir si vous aviez été confronté
à un choix, sur la notion de liberté ou de contrainte...
je pense qu'avant quand on coupait dans la pellicule, on y réfléchissait
à deux fois avant de monter... est-ce qu'avec l'ordinateur,
aujourd'hui on n'est pas tenté d'essayer mille et une solutions
jusqu'à ne plus savoir... Quand est-ce que ça s'arrête
?
CHRISTIAN PHILIBERT : L'important c'est de trouver la meilleure solution
possible finalement.
THIERRY BARBIER : Après, il .y a des questions de transmissions
et de méthodologies, c'est comme dans les effets spéciaux
numériques. Quand on fait un trucage, il y a des logiques d'assemblage
(on commence à un endroit et on finit à un autre), qu'il
faut transmettre aux jeunes truqueurs. Si on ne le fait pas, il vont
effectivement essayer avec l'ordinateur dans tous les coins et ça
produit quelque chose mais il y a une déperdition d'énergie
énorme et un manque de réflexion terrible. Même
si l'on a des outils qui permettent d'essayer cent fois un point de
montage au lieu de deux fois, il n'empêche que la nécessité
reste dans le métier que pour obtenir un résultat intéressant
il faut souvent réfléchir plus qu'agir et finalement
agir moins de fois. Alors, l'ordinateur te permet d'agir plus de fois,
mais il ne faut surtout pas éviter de réfléchir,
et ça c'est de l'ordre de la transmission des anciens aux nouveaux,
et qui fait que même si on a un ordinateur, même si on
a une calculette... On va revenir à l'éducation nationale,
mon fils il a dix-huit ans, il a appris la table de multiplication
et puis il a oublié parce qu'après il est passé
à la calculette... eh bien moi je suis désolé
quand je fais des maths avec lui, lui va à la calculette, moi
je lui dis « non, non, donne moi un ordre de grandeur ».
Alors, donner un ordre de grandeur mathématique, ça
veut dire réfléchir, lui il va à la calculette,
il n'a plus la notion des choses c'est à dire qu'il y a une
perte de la réflexion. Ça, je le dis face à l'éducation
nationale. Mais pour le trucage et le montage, c'est la même
chose : la nécessité de la transmission du fait de réfléchir
avant d'agir, c'est là où l'on devient efficace.
CHRISTIAN PHILIBERT : Oui, mais est-ce qu'un peintre devant un tableau
est toujours obligé de réfléchir ?
THIERRY BARBIER : Oui bien sûr, après tu peux t'en affranchir.
CHRISTIAN PHILIBERT : Dans le tâtonnement il y a en fait une
recherche...
THIERRY BARBIER : Oui, mais si la paresse est inscrite comme mode
de création, à mon avis...
TOM DERCOURT : Ce n'est pas de la paresse... C'est de l'intuition...
Il y a un côté intuitif quand même... Il y a cette
magie là aussi...
THIERRY BARBIER : Effectivement, l'intuition est totalement nécessaire
mais dans tout art, à mon avis, il y a une notion de formation,
mais après effectivement une fois qu'on a appris des choses,
qu'on a travaillé, l'inconscient peut s'exprimer réellement
et le geste rapide peut s'exprimer réellement.
CHRISTIAN PHILIBERT : C'est vrai dans les métiers techniques...
THIERRY BARBIER : Non, non artistiques aussi...
CHRISTIAN PHILIBERT : Est-ce que c'est vrai pour un réalisateur
? Moi je vois beaucoup de gens qui sortent des écoles...
THIERRY BARBIER : Tu sais c'est ce que disait Picasso, quand il faisait
un tableau comme ça, on lui disait : c'est très rapide...
Non il y a quatre-vingt dix ans derrière... l'intuition oui...
mais avec un gros bagage.
MARTIN BIDOU : Quand on parle de Picasso, on parle du génie
du trait... CHRISTIAN PHILIBERT : Et on peut avoir ce rapport avec
une machine...
GILLES METHEL : Je crois qu'aujourd'hui il y a des jeunes qui ont
ce type de rapport ? Ils sont nés dedans...
THIERRY BARBIER : Moi je ne dénie pas la notion d'intuition,
j'ai dit seulement que si on dit :
« intuition » égale « création »,
c'est une erreur. Création égale intuition, travail,
etc... et ces outils sont un piège pour faire penser que seule
l'intuition suffit, eh bien non ! il faut prendre le temps, c'est
la somme des deux.
MARTIN BIDOU : Je crois que ce sont deux couloirs parallèles...
TOM DERCOURT : Tu as dit un mot important, celui de « méthodologie
». J'ai déjà été confronté
au problème d'un réalisateur et d'un monteur qui avait
plein de projets dans leur ordinateur, c'est à dire qu'ils
travaillaient sur un film avec des rushs bien définis et puis
il y avait quatre ou cinq montages... alors tiens, on te montre le
montage dynamique, alors tiens, on te montre un autre montage. Il
y avait tellement de possibilités qu'il n'y avait pas une direction
de travail et de choix mais un éparpillement. Quand tu parles
de la calculatrice et du crayon et d'un ordre d'idée et de
grandeur c'est un peu ça aussi, repasser de la calculatrice
vers le crayon ça permet avant de reprendre son crayon de se
dire : comment on pose une division, quel va être l'ordre de
grandeur... passer pour quelqu'un qui a toujours manié le computer,
revenir sur un banc de montage traditionnel. Je crois que c'est plutôt
la réflexion de savoir l'ordre que ça va donner au finish
qui est dure à avoir... je pense que tu as raison quand tu
parles du tâtonnement, parce que le tâtonnement, c'est
le feeling finalement. Pourquoi on n'aurait pas du feeling sur un
banc de montage alors qu'on peut en avoir sur une guitare électrique...
Avant, les monteurs image, ils avaient tellement de pellicule que
ça allait très vite, donc il y avait certainement des
erreurs qui étaient liées à la création
mais je crois que l'ordre de grandeur et la méthodologie sont
importants.
JEAN-CLAUDE GUIGUET : Juste pour répondre à votre question...
Le danger, c'est que la machine étant virtuose, elle nous entraîne
vers une efficacité qui n'est pas seulement celle qui apporte.
Dans chaque scène par exemple, il y a un rythme interne qu'il
faut trouver et ce n'est pas forcément quelque chose qui a
à voir avec l'efficacité. La machine nous porte vers
ce danger là. On doit trouver ce rythme interne à chaque
séquence et il ne doit pas déborder de ce que la matière
concrète lui fait rendre. C'est très juste ce que dit
Thierry sur son fils, c'est qu'il n'a pas la notion des chiffres en
appuyant sur la calculette, un million ou dix, c'est pareil... parce
qu'il n'a pas eu le temps... c'est quelque chose qui est efficace
mais qui n'est pas le rapport concret au monde. Le cinéma c'est
le rapport concret au monde...Sur ce que disait Ivan Morane, le rapport
d'un grand artiste qui est en l'occurrence Sokourov que j'admire beaucoup
aussi et qui a décidé de faire dans son dernier film
des anamorphoses. Il se trouve que brusquement mon admiration pour
lui s'est un peu radoucie parce que je ne trouve pas ce film extraordinaire,
j'ai même été déçu... Il me semble
par exemple que Dreyer arrive à filmer l'invisible sans déformer
l'image et je trouve ça beaucoup plus fort. Bon Sokourov, c'est
une recherche, une expérimentation qu'il a faite mais moi personnellement
je ne suis pas trop enthousiaste.
GUY CHAPOUILLIE : Je voulais simplement faire une intervention. C'est
vrai que ça peut paraître stupide d'avoir la possibilité
de monter quatre ou cinq ou dix hypothèses, mais pourquoi refuser
à certains réalisateurs ce type d'hypothèses
pour trouver leur voie... quand on sait que Chaplin faisait, justement
pour ce fameux gag de la porte qui claque et de l'aveugle qui l'entend,
plus de cent prises, parce qu'il cherchait...
DENIS DERCOURT : Je crois que la prise c'est totalement autre chose...
GUY CHAPOUILLIE : Je crois beaucoup à cette notion de tâtonnement,
j'y crois tout le long du processus, c'est tout. C'est une position
et je n'essaierai pas de vous l'imposer...
DENIS DERCOURT : Ce n'est pas du dogmatisme... mais la prise c'est
un tout autre ordre de processus créatif. Je n'arriverais pas
à dire ce qu'est la prise, je sais ce qu'est pour un musicien
la prise dans un enregistrement, c'est chercher « un moment
magique ». Quand on tâtonne sur un banc virtuel, on ne
cherche pas le moment magique parce que dans la prise il y a un aspect
humain, alors que sur le virtuel, ce n'est pas de l'humain, c'est
autre chose. Je n'arrive pas à dire ce que c'est, mais d'un
côté, il y a de l'humain et de l'autre il y a la machine.
GUY CHAPOUILLIE : L'histoire nous apprend, si on se retourne un peu,
que ça existait... je crois que Jean-Claude Guiguet l'a dit
précisément et n'oubliez pas le débat invraisemblable
qui s'est ouvert quand le son est arrivé, entre ceux qui disaient
que le cinéma parlant n'en avait plus que pour quelques mois.
Pourtant aujourd'hui, vous faites pratiquement tous, et vous notamment,
du cinéma très parlant. Donc, je crois qu'il faut faire
très attention : il y a ceux qui ont envie de faire avec du
virtuel et les autres. Et tant que les autres peuvent travailler sans
se servir du virtuel, tant mieux... d'ailleurs moi, je suis de ceux-là,
je ne peux pas supporter de toucher du virtuel pour l'instant, je
préfère l'odeur et le goût de la pellicule, c'est
vrai, puisque parfois je monte avec la pellicule autour du cou et
même dans la bouche...Je tiens simplement à signaler
que l'histoire nous apprend aussi que les nouvelles technologies,
les technologies du présent n'ont jamais évacuées
les autres. C'est ce que l'on appelle en terme de théorie de
l'information et de la communication : la loi de la cumulation et
non de la substitution, c'est à dire qu'il n'y a jamais eu
évacuation des anciennes technologies par les nouvelles et
personnellement, je serais un peu d'accord avec Jean-Claude Guiguet
pour des tas de raisons, notamment quand il nous parle des effets
spéciaux à l'américaine... mais tout de même
les effets spéciaux, c'est Méliès, c'est Epstein,
c'est Abel Gance... je vais faire de la provocation : c'est Cocteau...
et l'on peut imaginer que Cocteau s'il était là qu'il
fasse appel à EX MACHINA... C'est vrai que dans la tendance
actuelle des jeunes cinéastes français, Jan Kounen notamment
avec « Le Dernier Chaperon Rouge » se rapprocherait beaucoup
plus dans sa démarche de « La Belle et la Bête
» que n'importe quel autre cinéaste... Quant à
Jean-Claude Guiguet alors là, sur ce qu'il a dit sur : «je
ne suis pas un dogmatique » je partage son point de vue, puisque
quand j'ai revu son film hier soir, il y a, à un moment donné,
un effet cotonneux merveilleux de dispersion de la semence dans les
airs. Alors, est-ce que c'est un effet spécial ou est-ce que
c'est autre chose ? En tous cas, y a-t-il un ventilateur pour disperser
des plumes au quatre vents... Construire une image, toutes les images
sont construites quel que soit l'appel à l'effet spécial
ou pas...et Guiguet m'a ravi hier, il m'a donné un plaisir
sur cette image là, c'était une rencontre fabuleuse,
j'ai décollé du ciel sur cette image là - on
en a parlé après... - Alors est-ce que c'est un effet
spécial ou pas ?
JEAN-CLAUDE GUIGUET : C'en est un, oui.
DENIS DERCOURT : Moi, je voudrais dire quelque chose, d'abord pour
commencer par la fin : j'ai eu la chance de travailler avec Marcel
Carné et il m'avait dit que s'il avait pu, s'il avait eu l'autorisation,
il aurait voulu que ces films soient colorisés et coloriser
un film c'est bien un effet. Il disait : « on a travaillé
comme des fous avec les plus grands chefs opérateurs, chefs
décorateurs et costumiers... on avait des costumes magnifiques...
il nous a montré les épreuves et c'étaient des
trucs incroyables et c'était en noir et blanc, j'ai été
très déçu... vivement que mes films soient colorisés...
». Donc, je pense effectivement qu'il faut essayer d'aller de
l'avant dans la technologie et utiliser les bonnes choses. Après,
je voudrais revenir en arrière sur le Chaplin : Chaplin, quand
il fait cent prises, il sait ce qu'il veut faire... Quand quelqu'un
fait dix montage, il hésite, il ne sait pas ce qu'il veut faire.
GUY CHAPOUILLIE : Chaplin existait, c'est concret et on donne l'exemple
du gag de la fleuriste. Mais la personne dont vous me parliez, c'est
une hypothèse, vous dites « on ».
TOM DERCOURT : Je vous dis simplement que Chaplin n'a jamais fait
dix montage, il n'en a toujours fait qu'un seul. Même s'il avait
cent prises dans son chutier il n'a fait qu'un montage... Le fait
de faire cent prises c'est pour obtenir une chose, après on
travaille sur une autre chose qui est le montage... Bon, mais c'est
un détail des facilités et des pièges de l'informatique.
Il y a plein de petits pièges qu'il faut éviter et quand
on a la méthodologie, qu'on a appris on ne va pas faire cent
montages...
GUY CHAPOUILLIE : On n'est quand même pas sûr de la coupe.
Quand Lacan nous dit : « Rien ne ressemble plus au montage que
la pulsion, c'est bien que c'est la pulsion, la coupe ». Alors,
est-ce que cette pulsion est nette, est-ce qu'elle n'est pas dépassée
par une autre qui vient quelques minutes après.. ? C'est très
compliqué...
CHRISTIAN PHILIBERT : Tom, tous les courts métrages que j'ai
fait et que j'ai monté en pellicule, à chaque version,
avant de la casser, avant de chercher ailleurs, je filmais, je filmais
tout, ça me servait de référence. Tout sauver
comme ça dans un ordinateur, pour moi c'est extraordinaire,
voir plusieurs versions, plusieurs possibilités et en fonction
du rythme de montage, selon la tournure que cela prend, une scène
qui peut revenir, qui se prête mieux au rythme de cette séquence.
Donc, tout dépend.
PASCAL CHARPENTIER : En fait juste pour conclure sur ce sujet, c'est
bien de ne pas confondre entre : hésiter et chercher, c'est
à dire je cherche quelque chose, je sais ce que je veux obtenir,
et je ne trouve pas... Chaplin fait dix prises jusqu'à ce qu'il
obtienne ce qu'il cherche, et puis ensuite ne pas savoir et essayer
a, b, c, d, et à la fin, on trie dans tout ce qu'on a essayé
et l'on en choisit un... ça c'est une autre démarche.
Je pense qu'effectivement Chaplin cherchait à obtenir quelque
chose qu'il avait en tête et il faisait dix prises. Et puis,
on a aussi la possibilité de ne pas savoir parce qu'on a pas
eu le temps d'y penser avant ou que l'on en a pas la force et à
ce moment là, l'ordinateur effectivement permet de faire ça,
mais surtout ne le faisons pas !
TOM DERCOURT : Je voudrais dire une troisième chose à
Monsieur qui a parlé d'un truc très important : c'est
quand vous dites que les technologies qui arrivent n'écrasent
pas les précédentes... eh bien détrompez-vous
mon cher Monsieur parce que je vous assure que dans vingt-cinq ans
la pellicule en cinéma c'est mort et c'est sûr...
GILLES METHEL : Ah ! c'est sûr que si on se lance dans un débat
comme ça, on n'est pas sorti de l'auberge...
THIERRY BARBIER : Tom, tu fais référence au numérique,
je n'en suis pas si sûr moi... tu fais référence
à un article qu'il y a eu dans « Le film français
» sur le numérique...
TOM DERCOURT : Non, je fais référence au directeur d'un
grand laboratoire français... de ce qu'il disait : «
étalonner sur un edit box ou sur un flame, c'est génial
et plus ça va, plus ces technologies là, on a envie
de les utiliser Monsieur, je vous assure... »
GUY CHAPOUILLIE : Attention, il ne faut pas se méprendre :
quand je parle de technologies nouvelles, je parle des techniques
de l'esprit et du substrat. Le substrat peut encore durer et les techniques
de l'esprit sont un héritage des rapports directs au substrat.
Et ce que l'on a appris - et ça a été la question
de la transmission du savoir - avec des substrats, des supports, on
peut le transmettre et ça sert à nourrir d'autres. Il
n'est pas sûr que la pellicule disparaisse dans vingt cinq ans,
ça j'en sais rien... c'est toujours ce que l'on ne prévoit
pas qui se produit... Mais je reviendrais à la notion d'hésitation.
C'est que le tâtonnement et le bricolage, comme le dit Lévi
Strauss, c'est la construction de l'individu, et en construisant un
film, on se construit aussi un peu, et si ce tâtonnement, ce
bricolage disparaît dans l'aventure même du réalisateur,
eh bien là je suis un peu inquiet parce que les certitudes,
je n'y crois pas trop pour la création.
THIERRY BARBIER : Le seul débat, c'est de ne pas passer du
bricolage, qui est vraiment nécessaire, au fait de ne pas savoir
;.c'est simplement ça que permet l'ordinateur...
JEAN- CLAUDE GUIGUET : En tous cas, on ne va pas se laisser asservir
par la technologie. Il n'y a pas de raison que ce soit elle qui nous
dirige, il n'y a pas de dictature : on doit résister contre.
On l'utilise, elle à notre service, mais nous ne sommes pas
à son service. On n'est pas ses esclaves.
GILLES METHEL : Tout le monde est d'accord à cette table...
personne n'est prêt à se livrer pieds et poings liés
à la technique ! Merci à tous.
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