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cours
3 : La qualité du téléfilm français serait-elle
une fiction ?
(à partir du dossier du Monde télévision,
22 septembre 2003)
Le
Monde télévision, lundi 22 septembre 2003
La
qualité du téléfilm français serait-elle
une fiction ?
Soumis
à de lourdes contraintes et réglementations, scénaristes
et réalisateurs ne s'écartent guère du «
politiquement correct ». A l'exception d'Arte, les chaînes
privilégient les fictions qui ne dérangent ni le téléspectateur
ni le pouvoir
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Chaque
année, le Festival de la fiction TV de Saint-Tropez,
qui s'est ouvert jeudi 18 septembre, est l'occasion, pour les
professionnels - producteurs, réalisateurs, directeurs
de chaînes -,de faire le point et des comparaisons. Le
téléfilm français se porte apparemment
bien. La fiction continue d'avoir les faveurs du public. La
télé-réalité ne semble pas avoir
entamé cette tendance. En ce début de saison 2003-2004,
annonçant l'ensemble de leurs programmes, les principales
chaînes de l'Hexagone persistent à mettre en avant
des œuvres de prestige. Entre autres : « L'affaire
Dominici », pour TF1 ; «Les Thibault», pour
France 2 ; « Mata Hari », pour France 3.
Responsable de la sélection du Festival de Saint-Tropez,
Raymond Vouillamoz vient de passer en revue une soixantaine
de films, dont une majorité de 90 minutes, « unitaires,»
(expression usuelle qui distingue les œuvres n'entrant
pas dans une « série » quelconque). «
En général, dit-il, la qualité de réalisation
est étonnante, quand on connaît les temps de tournage
[un peu plus d'une vingtaine de jours pour un téléfilm
d'une heure et demie]. Il y a une très grande diversité
dans les scénarios, et il faut aussi noter la qualité
exceptionnelle des premiers rôles. Au total, beaucoup
de professionnalisme. » Mais, après ces louanges,
la critique ne tarde pas à venir : «J'ai une
impression de monotonie en voyant le choix des seconds rôles.
On se contente d'aller chercher toujours les mêmes, alors
qu'il existe un grand réservoir de talents en France.
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Raymond Vouillamoz relève une première «
exception française » dans le fait que - hormis
la case policière de France 2, le vendredi soir - les
séries à héros « récurrents
» se font en 90 minutes, ce qui est, depuis toujours,
un gros obstacle à l'exportation des œuvres françaises.
Car, partout à l'étranger, le format de 52 minutes
est privilégié. Il déplore en outre que,
pour fidéliser le téléspectateur - de la
même façon que le fait un « récurrent
» -, l'« unitaire » soit souvent inclus, sinon
enfermé, dans une case spéciale, qui doit avoir
une « couleur » précise, définie par
la chaîne. Exemple: la soirée consacrée
au «sociétal » (phénomènes
de société), le mercredi sur France 2.

Michel Blanc et Michel Serrault dans «
L'Affaire Dominici» (TFl). Bernard
Giraudeau et Maruschka Detmers dans « Mata Hari, la vraie
histoire » (France 3).
Souvent
dénoncée, la «frilosité» des
grandes chaînes généralistes n'affecte pas
tant ce domaine des mœurs que celui de la politique, selon
Raymond Vouillamoz. « C'est, ajoute-t-il, une caractéristique
qui dépasse la télévision et se retrouve
dansle cinéma et la presse : on ne touche guère
au premier cercle du pouvoir. Les Anglo-Saxons, eux, n'hésitent
pas à gratter là où ça fait mal.
Pour faire «Les années Tony Blair»
[de Peter Kosminsky, diffusé par Arte, vendredi
19 septembre (voir « Le Monde Télévision
» du 13 septembre)], il faut des années de
préparation, de recherches, faire les poubelles du pouvoir.
Ce n'est,- hélas ! pas dans la tradition française.
D'ailleurs, en règle générale, nos scénaristes
ont plutôt l'habitude de travailler avec leur imagination
qu'avec de la documentation. » Encore une particularité
française, pour laquelle les scénaristes ne sont
pas les seuls à blâmer, tant sen faut.
Jacques Otmezguine, réalisateur, partage et complète
le point de vue du « sélectionneur » de Saint-Tropez
: « En France, on n'aurait pas pu faire «Les
années Tony Blair ». Pourtant, avec de nombreux
scandales, on ne manque pas de matière. La raison est
peut-être moins politique que financière. Il faut
investir beaucoup d'argent en amont pour qu'un scénario
soit sans failles, et je ne vois pas de chaînes disposées
à un tel investissement. «Jacques Otmezguine
est le président du Groupe 25 images, qui réunit
la majorité des réalisateurs. En 2000, le Groupe
avait participé aux états généraux
de la création audiovisuelle, qui avaient dénoncé
les « diktats des diffuseurs », en affirmant
: « La frilosité des chaînes bride la
création. » En 2001, le Groupe avait publié
un manifeste pour rappeler le rôle central du réalisateur
et condamner la toute-puissance des chaînes, plus particulièrement
leur interventionnisme incessant, tendant à « domestiquer
l'imaginaire ».
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Sarah Grappin dans «Froid comme l'été
» (Arte), primée l'an dernier au Festival de Saint-Tropez.
Olivier Marchai dans «Paul Sauvage» (M6).
Deux années plus tard, Jacques Otmezguine n'a pas changé
d'avis. «Les différentes directions de la fiction
et les conseillers de programmes [qui, pour elles, suivent de
bout en bout une production] imposent non' seulement le genre
du film mais encore se mêlent du moindre détail
et dictent le nombre de gros plans. Nous n'avons aucune liberté
de manœuvre. Le scénario est cadenassé. On
refait le montage derrière notre dos, on change la musique.
La distribution des rôles est imposée à
plus de 80 %. Les chaînes veulent faire tourner les Interprètes
des héros récurrents dans d'autres films pour
les garder à leur service. » Le porte-parole
du Groupe 25 images assure que le mot création a disparu
du vocabulaire pour être remplacé par «fédérateur
» et « consensuel ». Il constate que ces derniers
mots, d'abord imposés par TF1, ont gagné toutes
les chaînes, même celles du service public. Il loue
toutefois la « résistance » des responsables
de la fiction de France 3 et Arte, Perrine Fontaine et Pierre
Chevalier (mais celui-ci vient de quitter ses fonctions).
« La création doit être provocatrice
», tonne Jacques Otmezguine, avant de préciser
: « Aujourd'hui, c'est simple, il n'y a plus que des
adaptations littéraires - pas toujours bonnes - et des
récurrents : un scénario simple pour une histoire
pseudo-réaliste qui se termine bien. Hors cela, point
de salut ! » II modère un peu son propos en
reconnaissant que les directions de chaînes sont elles-mêmes
soumises à des impératifs : «Le manque
d'ambition, c'est la peur de l'Audimat. Le pouvoir appartient
désormais aux annonceurs, à la publicité.
Même le service public est soumis à l'obligation
d'un minimum d'audience. Ce qui montre que le système
est bâtard. France Télévisions devrait fonctionner
avec des subventions et non pas avec la pub. »
Directeur de "Cinéma tout écran", festival
genevois qui entend notamment combler le fossé qui sépare
le cinéma de la télévision en matière
de fiction, Léo Kaneman regarde les téléfilms
du monde entier. Pour lui, aucune chaîne n'a l'indépendance
de la BBC, bien que celle-ci soit de service public. «Je
pense qu'on peut trouver une des raisons de la moindre audace
française dans la réglementation, déclare-t-il.
Cela tient à une séparation très forte
entre cinéma et télévision. Quand la BBC
lance une fiction, elle ne sait pas forcément à
l'avance si elle la distribuera au cinéma ou à
la télévision. Dans les chaînes françaises,
sauf Arte, les circuits sont absolument séparés.
Il y a, d'autre part, des contraintes, une sorte de cahier des
charges qui régit la fiction, et les réalisateurs
doivent s'y conformer. Est-il impossible de s'en dégager
?]'ai l'impression que les réalisateurs acceptent ces
lois comme inhérentes à la télévision.
Si un jour ils veulent faire une œuvre, ils vont choisir
de la faire au cinéma. »
Léo Kaneman voit cependant des « progrès
», en partie dus, à ses yeux, au travail d'un Pierre
Chevalier. Et il remarque que désormais le cinéma,
au Festival de Cannes, sélectionne des fictions de télévisions.
Enquête
de Francis Cornu, Armelle Cressard et Catherine Humblot, Le
Monde TV, 22/09/03.
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