Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Professeur des Universités
Centre Norbert Elias UMR 8562 UAPV - CNRS - EHESS

 
   

 

 
| cours | | | | |
|
f

chercher
méthodes enquête en SHS
les publics de la culture
publics et réseaux sociaux
politiques culturelles
sociologie des publics
 
 
 
 

économie du cinéma
politiques de l'audiovisuel
exploitation-programmation
histoire du cinéma
analyse de film
le cinéma de genre
économie de la culture
sociologie de la culture.
politiques culturelles
institutions culturelles
économie des médias

l'Europe de la culture
les médias européens
sociologie des médias
   
  liste complète des cours
   
Recherche
programme de recherche
expertises scientifiques
Commission Européenne
   
Publications
ouvrages
chapitres d'ouvrages
articles de revues
colloques & conférences
entretiens
   
Direction de recherches
choix du sujet
choix du directeur
travaux en ligne
consignes de rédaction
 
   
   
   
espace réservé
  ads1
   
Traductions
 
 

Qu'est-ce que la sociologie politique ? 7



    La sociologie politique est la fille incestueuse de l'histoire et du droit. Cette origine malheureuse la marque encore profondément et entrave son développement. La double tradition, historique et juridique, domine toujours notre discipline et empêche de la rattacher à la sociologie, où elle trouve pourtant sa place naturelle.

    L'analyse des faits politiques a d'abord été menée dans une perspective historique. Et plus précisément dans le cadre de la petite histoire, celle des grands hommes. L'histoire anecdotique, événementielle, a persisté dans le domaine politique bien après qu'elle fut abandonnée par les historiens eux-mêmes. L'école des Annales de Marc Bloch et de Lucien Febvre s'est imposée depuis les années 1930 à la Sorbonne. La vision globale des phénomènes historiques, rattachés à leur contexte géographique, économique et social, a réduit la narration des batailles et des crises à leur juste mesure. Mais cet effort considérable de l'école historique française est resté longtemps cantonné aux facultés de lettres. Ailleurs, on enseignait toujours l'événement politique, détaché de ses fondements. Et encore, lorsqu'on l'enseignait !

    Car la science politique n'était rattachée à aucun cadre institutionnel. L'École libre des sciences politiques, rue Saint-Guillaume, étudiait les phénomènes politiques. Le pluriel "sciences politiques" était cependant révélateur. La politique était le carrefour d'un ensemble de disciplines diverses qui y étaient enseignées :histoire politique et diplomatique, géographie humaine, droit constitutionnel, etc. Les Instituts d'études politiques et la Fondation nationale des sciences politiques, qui en ont pris le relais après 1945, sont restés fidèles à cette vision pluraliste : les sciences politiques additionnées permettent seules l'appréhension de la politique. Quant à la sociologie, dernière venue des sciences humaines, elle ne se préoccupait guère des phénomènes politiques. Cherchant à se définir, elle hésitait entre une conception totalisante des phénomènes sociaux, illustrée par les travaux d'un Gurvitch, et l'éparpillement en disciplines techniques limitées à l'étude de groupes particuliers ou restreints : sociologie de la famille, de la religion, du monde rural.

    Ce sont les facultés de droit qui, les premières, ont offert une place à l'enseignement de la sociologie politique. L'enseignement du droit public, et particulièrement du droit constitutionnel, se concevait mal s'il restait détaché de la vie politique. Deux grands publicistes, qui dominèrent la discipline du droit public au début de ce siècle, avaient été impressionnés par la richesse virtuelle de la contribution de la sociologie au droit public. Léon Duguit, disciple de Durkheim et de Lucien Lévy-Bruhl, en reprit les enseignements essentiels. Maurice Hauriou, influencé par Tarde et par Bergson, fit de son côté la part de la sociologie dans son oeuvre. Georges Scelle, Gabriel Lebras, Henri Lévy-Bruhl continuèrent cette tradition.

    Entre-temps, la science politique était développée aux Etats-Unis, soit dans les départements de sociologie, soit dans les départements de " gouvernement " des universités américaines. Maurice Duverger importa cet acquis scientifique en France et appliqua aux Partis politiques (1951) les méthodes d'analyse dégagées aux Etats-Unis. La conception de l'enseignement du droit constitutionnel allait se transformer par cet apport. La description des mécanismes institutionnels était désormais complétée par celle des partis politiques et des groupes de pression qui les animaient.

    Placée sous la tutelle et comme en annexe du droit constitutionnel, la sociologie politique se limitait à ce cadre. Ce rattachement enrichissait sans doute le droit, mais il appauvrissait par là même la sociologie politique. A la description des institutions normatives s'ajoutait celle des associations politiques. On restait dans le descriptif. L'étape était indispensable, le progrès considérable. Il fallait pourtant dépasser cette phase néoinstitutionnelle dans la recherche et dans l'enseignement.

    Car la politique est d'abord une activité sociale. Le fait politique est un fait social. La sociologie politique est d'abord une sociologie. La méconnaissance de ces évidences explique certaines des faiblesses théoriques et pratiques de la sociologie politique contemporaine. Cet enseignement d'amateurs reste trop souvent une science mondaine. Gaston Bachelard, dans quelques pages terribles 1, évoque les mondanités de la science du XVIIIe siècle. Les expériences de salon faisaient la joie de l'honnête homme et les mathématiques minaudées enchantaient M e du Châtelet. Il faut attendre la science ennuyeuse de Coulomb pour trouver les premières lois de l'électricité. L'état présent de la sociologie politique ressemble curieusement à cette description. Les subtils commentaires sur des sondages approximatifs ou la découverte émerveillée des modèles et systèmes cybernétiques inspirés de l'ordinateur permettent un discours brillant, mais très éloigné de la vraie science. Le caractère préscientifique de notre discipline doit nous inciter à cette rigueur ennuyeuse qu'évoque Bachelard. Sans trop d'illusions, car la sociologie politique n'est pas encore une discipline constituée, ni dans son objet, ni dans ses méthodes. Et une science ne s'invente pas.

    Ces quelques considérations doivent dicter notre attitude initiale à l'égard de la sociologie politique. Il faut d'abord nous méfier du discours idéologique et n'accepter aucune conclusion qui ne s'insère dans un cadre épistémologique et méthodologique rigoureux. Il faut ensuite affirmer la nécessité d'une rupture scientifique avec la discipline, telle qu'elle est constituée aujourd'hui. C'est à travers le refus du présent et du passé qu'il porte Bachelard le montre clairement que l'on peut espérer progresser. Sans doute, il ne s'agit pas de tout remettre en cause. Cet ouvrage d'initiation n'a pas l'ambition de constituer une aventure scientifique. Il s'agit, plus modestement, de vérifier les bases épistémologiques de quelques-unes des innombrables théories qui encombrent le champ de la sociologie politique. Ce travail d'inventaire critique n'est pas aisé, car l'idéologie se pare volontiers des couleurs chatoyantes de la technique la plus sophistiquée. Il reste indispensable et laisse prévoir, dans les années qui viennent, une rupture scientifique en sociologie politique. La science progresse ainsi.

    Les difficultés de l'entreprise, nous les rencontrons dès l'abord, avec la définition de l'objet de notre discipline. Qu'est-ce que la sociologie politique ? L'adjectif politique est ambigu. L'imprécision du concept permet toutes les interprétations et a suscité un grand débat. Le substantif sociologie, moins discuté, implique pourtant des conséquences fondamentales que l'on oublie trop souvent. Commençons par le grand débat sur la notion de politique. Nous verrons ensuite comment on peut en concevoir l'analyse sociologique.

1. La notion de politique

    Littré donne huit définitions du mot politique. Le utilisé aussi bien dans un sens noble (" la politique pluridisciplinaire de l'université de Paris I ") qu'avec une acception péjorative ( " Moi, monsieur, je ne fais pas de politique! "). On parle indifféremment de la politique étrangère de la Ve République, de la politique d'investissements d'une entreprise, du monde politique ou de la finesse de telle analyse politique. C'est dire que le sens commun ne nous aide guère à délimiter le domaine de notre recherche. Mais cette incertitude générale rejaillit sur les tentatives de définition plus rigoureuse du politique. On peut les regrouper autour de deux notions : l'état, le pouvoir. Nous verrons après ce premier survol quelle définition provisoire pourra nous aider. .

I. Le politique n'est pas l'Etat

    Définir le politique par l'état, c'est rester dans le droit fil d'Aristote qui considère la polis comme la société principale, qui renferme en soi toutes les autres et se propose le plus grand avantage possible. Ce critère organique du politique a été singulièrement conforté par l'apparition à l'issue du Moyen Age, puis le renforcement au XIXe siècle, de l'État-nation. Personne ne conteste aujourd'hui la prééminence de l'Etat comme cadre de l'action politique. La vie politique, tant interne qu'internationale, est dominée par la concentration de tous les pouvoirs au niveau organisationnel qu'est l'État.
    Dans cette perspective, la sociologie politique est l'étude de l'état et de ses institutions. La théorie de la souveraineté, qui en est inséparable, en précise les fondements philosophiques, moraux et juridiques.

    La Bigne de Villeneuve a du reste avancé, avant la guerre, le terme de statologie, plus précis pour lui que celui de science politique. On retrouve aujourd'hui cette conception dans les écrits de Marcel Prélot.

    La définition du politique par L'État présente un avantage appréciable : la précision. On sait à quoi on a affaire. L'étude est limitée à l'appareil d'État. Sans doute faut-il fixer les contours de l'état : est-ce l'ensemble des agents publics ? Mais en quoi l'activité des gardiens de musée est-elle politique ? Et la grève n'est-elle jamais politique? Les problèmes de frontières ne sont pas simples, mais ils sont solubles. Ajoutons que la définition saisit l'activité politique en son essence. Tout le monde convient que l'État se trouve au coeur du politique. Pourquoi ne pas limiter le politique à l'État ?

    C'est que la précision et la simplicité de cette définition ne vont pas sans inconvénient. On présuppose ainsi la spécificité du phénomène de l'état, ce qui interdit d'en rechercher ailleurs et par analogie les fondements. En quoi l'autorité du président de la République est-elle semblable ou différente de celle d'Al Capone ou de Jésus de Nazareth ? Les Nuer, qui vivent sans État, vivent-ils sans politique? Autant de questions qu'une problématique centrée sur l'Etat rend difficiles à poser.

    A cet inconvénient théorique s'ajoute une considération d'opportunité. Définir le politique par l'État, c'est verser dans l'institutionnalisme. La science politique est réduite à l'étude d'un ensemble de normes avec leur substrat social. On risque de fausser l'analyse en donnant la priorité au normatif et à l'organisationnel et d'expliquer les phénomènes sociaux par les normes qui les régissent, non l'inverse. C'est mettre la charrue devant les boeufs ou, du moins, préjuger la réponse à la question du rapport entre structure et superstructure, pour employer la terminologie marxiste.

    Il est curieux, dans ces conditions, de trouver certains marxistes aux côtés d'Aristote et de Marcel Prélot. Pourtant, les sociologues de l'URSS et des démocraties populaires considèrent la science politique comme la doctrine de l'État et du droit. Le philosophe polonais Adam Schaff 2ajoute que la science politique ainsi définie est partie de la doctrine générale du développement social, conçu avant tout du point de vue des relations de propriété. En d'autres termes, Schaff  se livre à une double opération :en premier lieu, il isole l'État et le droit de l'ensemble social considéré; en second lieu, il rattache la doctrine de l'État et du droit aux forces économiques et sociales analysées. Nous trouvons ici la préoccupation d'une liaison constante entre le tout et les parties, qui caractérise la démarche sociologique. Nous y reviendrons dans le troisième paragraphe. .

    II. Le politique n'est pas le pouvoir

.
    La majorité des auteurs contemporains ramènent le politique à la notion de pouvoir. Lasswell et Dahl aux États-Unis, Burdeau, Duverger ou Aron en France s'accordent pour considérer que la politique est l'exercice du pouvoir. Pour reprendre la formulation la plus récente, celle de Dahl 3, un " système politique est une trame persistante de rapports humains qui implique une mesure significative de pouvoir, de domination ou d'autorité ".
    La définition s'attache à un phénomène essentiel. Tout rapport politique touche sans doute, de près ou de loin, au phénomène du pouvoir. De plus, la notion de pouvoir se retrouve dans toutes les sociétés. Elle n'est pas limitée à l'organisation étatique. Elle permet ainsi de comparer des phénomènes semblables, sinon identiques et de cerner, par exemple, l'essence de l'autorité dans la société esquimau et au Royaume-Uni, dans un parlement, un parti ou un syndicat. On rompt ainsi avec l'analyse formelle des institutions pour se saisir d'un phénomène social : le pouvoir.

    On peut objecter que cette théorie ramène la politique à la lutte pour le pouvoir. La version subjective de cette notion est incarnée par Machiavel, pour qui le seul appétit de l'homme politique est le pouvoir. Dans une version objective, faisant abstraction de la motivation des acteurs, on constatera que toute politique se traduit en fait par une lutte pour le pouvoir. Or, la politique, nous le verrons, c'est bien autre chose que le pouvoir. La lutte pour le pouvoir n'est qu'un des aspects de la vie politique. Le pouvoir apparaît davantage comme un instrument que comme un fondement du politique. Une définition qui s'attacherait exclusivement à l'étude du pouvoir risquerait de passer à côté d'autres aspects essentiels de la vie politique.

    On a observé, en outre, que cette définition n'écarte pas le danger de la description néoinstitutionnelle. Nombre d'auteurs se sont contentés de décrire l'institutionnalisation du pouvoir et de proposer des typologies du pouvoir institutionnalisé. Certes, la description et la classification sont une étape essentielle dans la connaissance. Sans Linné, Darwin n'aurait jamais existé. Remarquons simplement, à ce stade, qu'une définition substantielle ne suffit pas à se prémunir des limitations inhérentes à la simple description.

    L'objection majeure que l'on peut opposer à cette définition du politique est son excessive compréhension. Si la sociologie politique doit analyser tous les phénomènes du pouvoir, elle se confond, à la limite, avec la sociologie générale. Quel groupe social ignore le phénomène du pouvoir ? Le pater familias, le chef d'entreprise, le chef de train ou le professeur détiennent une parcelle de pouvoir, d'autant plus précieuse qu'elle est plus réduite. Est-ce à dire que leurs rapports respectifs avec leurs enfants, leurs ouvriers, leurs voyageurs ou leurs étudiants sont politiques ? Dans la mesure où une définition doit d'abord délimiter un champ de recherche, la définition du politique par le pouvoir reste insuffisante.

    Plusieurs auteurs ont senti les inconvénients d'une définition trop large. Aristote lui-même, qui s'attache à la polis, la caractérise par l'autorité. Il combine, ce faisant, le critère de l'État avec le critère matériel du pouvoir. David Easton, que nous aurons l'occasion de retrouver, estime que le politique est l'allocation autoritaire de choses de valeur. Tout exercice de l'autorité n'est donc pas politique. Il doit encore servir cette fin politique qu'est la distribution des ressources et la répartition de la pénurie. On pourrait multiplier les définitions. Chaque auteur (ou presque) avance la sienne, tant le politique est insaisissable. Mais, au fond. .

    III. Pourquoi définir le politique ?

    . A quoi sert une définition? Cette interrogation préalable peut aider à préciser l'utilité et la signification de la définition du politique. Suivons le raisonnement d'un disciple de Durkheim, Marcel Mauss 4. Mauss se propose d'étudier un fait social, la prière. Il s'agit, comme pour le politique, d'un fait social incontestable, mais dont l'étendue et les limites exactes restent flottantes. La définition doit transformer cette impression indécise en une notion distincte. Cette définition ne peut être que provisoire. Elle ne saurait saisir d'emblée la substance même des faits, qui ne peut venir qu'au terme de la science. Elle est seulement destinée à engager la recherche, à déterminer la chose à étudier, sans anticiper sur les résultats de l'étude. Elle doit limiter le champ de l'observation.
    Mauss observe que la définition permet de rompre avec les prénotions, de préciser la nomenclature. Ainsi, des ethnographes, après avoir dit que la prière est inconnue dans telle ou telle société, citent des "chants religieux" et des textes rituels qu'ils y ont observés. Une définition préalable épargne" ces déplorables flottements et ces interminables débats entre auteurs qui sur le même sujet, ne parlent pas des mêmes choses".

    Puisque la définition vient au début de la recherche, c'est-à-dire à un moment où les faits sont seulement connus du dehors elle ne peut être faite que d'après des signes extérieurs. Il faut trouver quelques caractères apparents, suffisamment sensibles qui permettent de reconnaître, presque à première vue, tout ce qui est prière. Ces caractères doivent être objectifs. Il ne faut se fier ni à nos impressions, ni à nos prénotions, ni à celles des milieux observés. Définir d'après des impressions revient à ne rien définir du tout, car rien n'est plus mobile qu'une impression ; elle change d'un individu à l'autre, d'un peuple à l'autre." De même que le physicien définit la chaleur par la dilatation des corps et non par l'impression du chaud, c'est dans les choses elles-mêmes que nous irons chercher le caractère en fonction duquel la prière doit être exprimée. L'ancienne physique faisait du chaud et du froid deux natures différentes ; un idéaliste, aujourd'hui encore, se refusera à admettre qu'il y ait quelque parenté entre la prière et la grossière incantation magique ".

    En quoi cette réflexion de Mauss peut-elle nous servir? Retenons d'abord qu'il s'agit de délimiter un champ d'études. Une bonne définition limite la recherche à certains objets. La notion de pouvoir reste, à cet égard, trop floue pour nous. En second lieu, la définition n'a pas à saisir la substance des faits. Peu importe que l'État soit le lieu privilégié de l'activité politique ;cela ne qualifie pas la notion d'État comme définition du politique pour autant. Enfin, il importe de rompre avec les prénotions et impressions, tant de l'observateur que des sujets observés. Ce n'est pas parce que nous considérons telle activité comme politique qu'elle mérite d'entrer dans le cadre de la définition. Il faut nous attacher, autant que possible, à des caractères objectifs, incontestables.

    Appliquons cette méthode à l'objet de notre étude. De même que Mauss constate l'existence, dans de nombreuses sociétés, d'un rite qu'il appelle prière, nous pouvons constater, dans de nombreuses sociétés, la présence d'un système politique, c'est-à-dire d'un ensemble de rôles sociaux organisés à des fins très diverses et qui maintiennent leur autorité par un certain degré de contrainte. Comment définir cet ensemble qui a une réalité objective, tangible, dans nombre de sociétés humaines? Ne cherchons pas à saisir l'essentiel. Comme pour la prière, nous le trouverons à la fin de la science. La définition par l'organisation, la structure sociologique, ne suffit pas. L'appareil d'État est un moment dans l'évolution des sociétés humaines. Existe-t-il vraiment partout aujourd'hui ? Subsistera-t-il demain ? Les raisons pour lesquelles nous avons écarté la définition du politique par l'État subsistent. La définition par la fonction n'est pas plus satisfaisante. On a observé que les fonctions politiques varient à l'infini. Aucun domaine n'échappe à l'activité politique, si personnel soit-il. Et l'on ne peut pas davantage préciser des fonctions essentielles, présentes dans toute organisation politique. Même le maintien de l'ordre ou la distribution de la justice ne relèvent pas toujours du politique, comme l'a noté M. Weber.

    Reste la définition par le moyen. Le pouvoir, dit-on ? Mais ce critère est trop large, nous l'avons vu. En outre, il est trop vague, trop subjectif. Définir le politique par le pouvoir, c'est déplacer le problème sans le résoudre. Nous sommes loin des signes extérieurs de Mauss, des caractères apparents suffisamment sensibles, qui permettent de reconnaître, presque à première vue, tout ce qui est politique.

    Notre définition, nous l'emprunterons à Weber : est politique un groupe de domination dont les ordres sont exécutés sur un territoire donné par une organisation administrative qui dispose de la menace et du recours à la violence physique 5. Malgré sa complexité apparente, cette définition répond aux exigences de simplicité et de sécurité posées par Mauss. Retenons de cette définition les notions de territoire, d'organisation administrative et de contrainte physique. Ce sont les moyens de l'action politique selon Weber. Et ces moyens sont définis d'une manière objective, qui ne souffre pas grande discussion. La définition de Weber limite le politique à l'exercice de certaines formes de pouvoir :l'État, sans doute (qu'il définit plus précisément par le monopole de contrainte physique légitime sur un territoire donné), mais encore d'autres formes d'organisation pré-étatique (la tribu, le clan) ou para-étatique (la corporation médiévale, la mafia).

    Certes, la définition passe à côté d'une grande partie de l'activité politique. Une élection, un débat parlementaire, une loi sur l'allocation-chômage ne font pas directement appel à la contrainte physique. L'essence du politique ne risque-t-elle pas d'échapper à cette définition, alors qu'elle est appréhendée par les notions d'État ou de pouvoir ? Rappelons les termes de Mauss. Il ne s'agit pas de saisir d'emblée la substance de notre matière, mais de la délimiter et d'organiser les hypothèses de travail à partir de la définition. Pour le moment, la définition de Weber nous convient. .

2. L'analyse sociologique du systeme politique

    Le substantif sociologie politique utilisé par le décret du 10 juillet 1962 est lourd de portée. Que l'on ait choisi cette expression, de préférence à celles de science politique ou de politologie, parfois avancées, rattache officiellement notre discipline à la sociologie. Effrayées sans doute par ce lien de parenté avec une discipline suspecte, certaines universités se sont empressées de supprimer ce cours, alors que d'autres le débaptisaient pour l'affubler d'un titre plus anodin.
    La science n'a que faire de ces consécrations officielles et de ces querelles universitaires. En l'espèce, il se trouve que le législateur ne s'est pas trompé. L'analyse des phénomènes politiques doit être sociologique si elle veut être compréhensive. Car l'étude du fait social relève de la sociologie. Ce truisme comporte des conséquences que l'on ne perçoit pas toujours. Il implique l'unité fondamentale de la société globale, dont le politique n'est qu'un aspect. Il impose de même l'unité de la démarche sociologique. .

I. L'unite de la société globale

    L'idée directrice de toute sociologie réside dans la notion d'unité de la société. Plus précisément, la société est une totalité, c'est-à-dire un ensemble d'éléments interdépendants. Tous les aspects de la vie sociale se tiennent. Le politique, l'économique, la religion ou les relations de travail sont les facettes diverses d'une même société. Ils ne constituent pas en eux-mêmes des mondes clos, isolés les uns par rapport aux autres. Reprise récemment par le structuralisme comme par l'analyse systémique, cette notion d'unité de l'ensemble social avait déjà été soulignée par Émile Durkheim à la fin du siècle dernier.
    Celui-ci fait remarquer, dans les Règles de la méthode sociologique, qu'un ensemble ne peut pas être réduit à la somme de ses éléments. On ne peut donc saisir la signification d'un fait social isolé, ou replacé dans un contexte limité à telle ou telle activité sociale déterminée. Durkheim remarque que le biologiste ne peut pas appréhender la vie dans la cellule en partant seulement de ses composantes minérales, de même que l'oxygène et 1'hydrogène envisagés séparément ne rendent pas compte des propriétés de l'eau. La structure propre à l'ensemble fait apparaître certaines relations, certains attributs, qui n'existent pas dans la somme des éléments pris isolément. Ceci est particulièrement vrai de la vie sociale, qui constitue un tout.

    Conséquence de cette constatation, tout phénomène dans un ordre d'activités a des répercussions immédiates dans l'ensemble de la société et vient donc perturber les relations dans les autres ordres d'activités. Il est impossible d'analyser un aspect de la vie sociale sans tenir compte de tous les autres aspects. La sociologie politique ne peut ignorer ce qui se passe dans les domaines économiques, religieux, etc. L'analyse d'un élément le politique, par exemple isolé de l'ensemble qu'est la société globale, n'a aucune signification. Pas plus que l'étude du nombre "deux", isolé de l'ensemble que constitue la série des nombres entiers.

    De cette idée découle le rattachement de la sociologie politique à la sociologie générale. La sociologie politique ne peut être qu'une branche de la sociologie générale, une spécialisation techniquement utile, mais accessoire. Elle reste soumise en ses fondements et en ses méthodes à la discipline mère.

    Une autre manière d'exprimer cette idée fondamentale serait de dire qu'il y a un système politique, mais qu'il n'y a pas de société politique. Nous découpons, aux fins d'analyse, un secteur d'action sociale dans la société globale, que nous constituons en système distinct grâce à la définition que nous avons adoptée. On distingue ainsi un système politique, un système économique, un système religieux, etc. Mais cette Opération reste intellectuelle. Elle est simplement destinée à faciliter la recherche en limitant son objet. Nul ne peut saisir à la fois toutes les données d'un ensemble si complexe. Il faut en isoler certains éléments pour mieux les comprendre. Le but de cette opération est de définir un système social (...).

    Mais ce système intellectuel n'est pas une société réelle, un ensemble d'hommes groupés en une société donnée, distincte d'autres sociétés. Il n'y a donc pas, en ce sens, de société politique distincte de la société économique ou de la société religieuse. L'analyse du secteur d'activité particulier doit toujours se référer à la totalité sociale.

    D'ailleurs, chacun peut observer dans la vie courante cette interaction des systèmes sociaux. On est en même temps étudiant, consommateur, citoyen, fils dévoué, etc. Chaque agent est investi d'une pluralité de rôles sociologiques, qu'il tient tour à tour. Ce faisant, il participe à divers systèmes sociaux. Or, ces rôles sociaux réagissent les uns sur les autres et ne peuvent être séparés que par artifice. De même que les rôles sont les facettes multiples de la personnalité sociale de 1'individu, les systèmes sont les aspects divers de la société. On ne peut pas plus étudier le système en ignorant la société qu'on ne peut étudier le rôle en ignorant l'individu.

    Il faut donc dénoncer toute autonomisation de la sociologie politique. Étudier le politique en soi, expliquer le politique par le politique, sont des erreurs fréquentes et pourtant manifestes. Le premier devoir des sociologues est de rattacher le fait social à la totalité sociale. .

    II. L'unité de la démarche sociologique

    Corollaire méthodologique de l'affirmation de 1'unité de la société globale, l'unité de la méthode sociologique n'est pas moins évidente. En clair, cela veut dire que la sociologie politique est d'abord une sociologie et qu'elle est donc soumise aux règles de la méthode sociologique.
    L'affirmation ne devrait pas souffrir grande discussion. On avait naguère cru voir dans la science politique une matière au carrefour de plusieurs disciplines, échappant par là même aux exigences de chacune d'elles. Art plus que science, l'étude de la politique aurait ainsi fait appel au talent des historiens comme des géographes, des démographes, des psychologues, des sociologues, des économistes, etc. Cette multitude de perspectives permettrait seule d'embrasser la complexité des phénomènes politiques.

    Il n'est pas contesté que l'apport de toutes ces disciplines peut être utile, voire nécessaire, pour l'étude des faits politiques. C'est d'ailleurs vrai de l'étude de tout fait social. Par la nature même de son objet, qui est la société globale, la sociologie est appelée à s'appuyer sur l'ensemble des contributions des autres sciences sociales.

    Ce n'est pas une raison pour détacher la science politique de l'ensemble de la sociologie et l'ériger en domaine autonome, où la fantaisie de chaque chercheur pourrait se déployer librement. Une telle affirmation, pour être légitime, demanderait au minimum que l'on établit l'originalité des phénomènes politiques par rapport à l'ensemble des faits sociaux. La preuve n'en a jamais été apportée. Tout au contraire, les difficultés que nous avons rencontrées en essayant de définir le domaine du politique démontreraient, si besoin était, que les faits politiques ne se distinguent pas nettement de l'ensemble social.

    La plupart des auteurs contemporains se rangent à cet avis et considèrent les termes de science politique et de sociologie politique comme synonymes. L'origine historique explique la dualité de la terminologie. Aux États-Unis, l'étude de la science politique relève des départements de sciences du gouvernement ("government"), alors que les départements de sociologie étudient la sociologie politique. Cette concurrence entre structures universitaires se traduit par une différence d'accent dans l'étude du même objet. Cependant, la mise au goût du jour du lexique de certains auteurs ne doit pas dissimuler leur fidélité aux conceptions les plus communes de la discipline.

    Il faut affirmer, à l 'encontre du confusionnisme de la science carrefour, la rigueur qui impose de traiter les faits politiques comme des faits sociaux. C'est dire que nous ne considérons pas la science politique comme un lieu privilégié de rencontres mais comme une branche de la science sociologique et qu'à la diversité d'approches ou de traitement des phénomènes politiques nous préférons l'unité de la démarche sociologique.

    Encore faut-il dire quelques mots de cette unité souvent controversée. Pour beaucoup, la sociologie générale semble s'être diluée dans une série de sciences sociales particulières. Il est vrai que la sociologie s 'est diversifiée et spécialisée. Aux grandes synthèses générales d'un Spencer auraient succédé des recherches minutieuses sur la sociologie rurale ou le système d'enseignement. Par ailleurs, on ne peut être que frappé par la diversité des théories du système social et leurs " irréductibles oppositions ". Sans discuter ici de cette irréductibilité pourtant discutable sous certains rapports, disons que l'opposition des théories sociales cache à beaucoup l'unité épistémologique qui a permis leur réalisation. Il est frappant de voir à quel point les plus grands auteurs engagent dans leurs oeuvres les mêmes principes épistémologiques. MarxDurkheim et Weber, par exemple, que tout sépare Sur d'autres plans, nous enseignent la même méthode sociologique. On ne peut donc pas dire que la sociologie générale s'efface, mais plutôt qu'elle se développe en une série de sociologies particulières, issues de la discipline de base et devant respecter ses principes.

    La sociologie politique aspire à s'intégrer à cet ensemble Elle est encore loin du but. Nous aurons souvent l'occasion de constater que les préceptes les plus élémentaires ne sont pas respectés par la recherche politique. La sociologie politique, à proprement parler, balbutie encore. Le retard de notre discipline est flagrant. Cette remarque limite dès l'abord l'ambition de notre entreprise : prendre connaissance d'une science en devenir, mais qui reste imparfaitement constituée. Dans cette incertitude, assurons au moins les fondements de notre démarche. Durkheim l'affirmait déjà : " Si l'on veut suivre une voie méthodique, il faut établir les premières assises de la science sur un terrain ferme et non sur un sable mouvant. Il faut aborder le règne social par les endroits où il offre le plus prise à l 'investigation scientifique. C'est seulement ensuite qu'il sera possible de pousser plus loin la recherche, et, par des travaux d'approche progressifs, d'enserrer peu à peu cette réalité fuyante dont l 'esprit humain ne pourra jamais, peut-être, se saisir complètement 6. "
     


Notes
 

    1. Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, 4e éd., Paris, Vrin, p. 24 s.
    2. Adam Schaff, " La conception du matérialisme dialectique en science politique ", in La Science politique contemporaine, UNESCO, 1950.
    3. Dahl, Modern Political Analysis, 2e éd., 1970, p. 6.
    4. Marcel Mauss, La Prière cité in Bourdieu et al., Le Métier de sociologue, Paris, Mouton-Bordas, 1968, p. 143
    5. Max Weber, Économies et Société, Paris, Plon, 1971, tome 1, p. 57.
    6. Durkheim, Règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 17e éd., p. 46.
    7.  Jean-Louis Cot, Jean Pierre Mounier, Pour une sociologie politique, Point Seuil, 1974, T. 1,  p11-25.


Bibliographie

     

    Lagroye (Jacques) ; François (Bastien) et Sawicki (Frédéric) : Sociologie politique, Paris, Dalloz, 2002
    Muller (Pierre) et Surel (Yves), L'analyse des politiques publiques , Paris, Montchrestien, Collection Clefs-Politique, 1998
    Duran (Patrice), Penser l'action publique , Paris, LGDJ, 1999
    Lagroye (Jacques), avec Bastien François et Frédéric Sawicki, Sociologie politique , Paris, Presses de la FNSP-Dalloz, 2002, chapitres VI et VII
    Massardier (Gilles), Politiques et action publiques , Paris, Armand Colin, 2003
    Gaudin (Jean-Pierre), L'action publique. Sociologie et politique , Paris, Presses de Sciences Po-Dalloz, 2004

    ouvrage recommandé :

    Lagroye (Jacques) ; François (Bastien) et Sawicki (Frédéric) : Sociologie politique, Paris, Dalloz, 2002

    Sommaire

    - La production sociale du politique
    - L'espace politique
    - Les organisations politiques
    - Les pratiques de participation
    - L'acceptation de l'ordre politique
    - Les gouvernants
    - L'action publique

    résumé :

    La politique étant aussi un ensemble d'activités sociales, inséparables des pratiques et des croyances qui structurent les rapports sociaux, c'est également un champ d'études sociologiques.
    Cet ouvrage rend compte du renouvellement des approches, de l'extension du champ de recherche, sans ignorer l'apport de travaux anciens et consacrés ni celui des autres disciplines qui ont le champ politique comme sujet. Il aborde des thèmes nouveaux comme la sociologie des institutions, la participation électorale ou les mobilisations collectives.
    Avec cette quatrième édition largement remaniée, les auteurs fournissent un outil de travail et de référence aux étudiants souhaitant comprendre la politique, en proposant de larges références aux travaux de la sociologie politique anglaise et américaine.

    note de lecture :

    Étudier les activités et les organisations politiques, les formes de gouvernement et les conditions de la démocratie, l'État et l'action publique, en adoptant la démarche sociologique et en plaçant celle-ci en relation avec les autres sciences sociales susceptibles de l'éclairer, tel est l'objet de cette quatrième édition de l'ouvrage devenu classique de Jacques Lagroye.
    Commentaire critique La sociologie politique aurait pour but d'analyser tout ce que chacun reconnaît comme relevant du politique (régimes politiques, partis politiques, élections, gouvernants, action publique, etc.), et elle serait une démarche sociologique en ce qu'elle chercherait à saisir et expliquer tous les phénomènes sociaux en relation avec les activités, les rôles, les discours, etc. politiques, en les comprenant comme une dimension particulière de la vie sociale.
    Des chercheurs de différentes disciplines (anthropologues, juristes, historiens, théoriciens du pouvoir) s'y intéressent donc et l'ouvrage va s'attacher à mettre en perspective leurs explications. Les frontières académiques sont constamment transgressées. Cette approche oblige le chercheur à tenir compte du fait que les conceptions du pouvoir, des finalités de l'action politique, des séparations et des hiérarchies entre rôles et institutions politiques varient selon les sociétés.
    Surtout, l'ouvrage s'efforce de montrer comment, dans beaucoup de recherches, s'articulent les questions d'ordre théorique et les recherches empiriques. La théorie ne fournit pas au chercheur des hypothèses toutes faites ; elle l'incite à vérifier telle ou telle relation (par exemple entre la socialisation et les attitudes, entre les caractéristiques d'un groupe social et ses pratiques, etc.) en élaborant les hypothèses qui conviennent à son étude. La théorie vient en point d'appui de la démarche du chercheur. L'ouvrage donne donc la priorité à la présentation des travaux de recherche ; « car la sociologie politique n'est pas un corps de certitudes ; elle se caractérise par une attitude de recherche ».
    Tous les problèmes abordés (par exemple l'étude des groupes d'intérêt ou celle de la façon dont l'exercice du pouvoir tend à garantir à certains groupes la permanence de leur position dominante, l'étude de la participation électorale, etc.) donnant lieu à des débats vifs, ce livre y fait explicitement référence. Pour autant, les auteurs n'ont pas choisi de présenter successivement les différentes théories et leurs applications dans différents domaines, mais de les aborder à l'occasion des objets d'étude qu'elles contribuent à éclairer. « C'est la recherche empirique qui fait apparaître la pertinence de telle ou telle théorie, son intérêt, mais aussi ses limites. »
    Le livre présente donc les acquis et les interrogations qui caractérisent les recherches sur les principaux objets de la sociologie politique : la formation des États occidentaux et la constitution d'un ordre politique différencié, la mise en place d'institutions politiques spécifiques, les organisations politiques et la sélection des dirigeants, comment s'organise la répartition de la tâche de gouverner entre élus et fonctionnaires et qui gouverne vraiment, les pratiques politiques, qu'il s'agisse des formes de mobilisation à travers l'action collective ou de la participation politique en particulier lors des élections, la socialisation des groupes et des individus intervenant dans la vie politique, la formation des préférences et des opinions politiques et enfin, les modalités de l'action publique.
    Cette quatrième édition a été mise à jour pour tenir compte des recherches nouvelles, mais a aussi été profondément remaniée. D'une part Jacques Lagroye s'est associé à deux autres professeurs pour écrire cette nouvelle mouture, d'autre part le plan a été modifié et de nouveaux objets d'étude ont été ajoutés ou développés. Ainsi le chapitre sur les gouvernants s'enrichit d'une partie sur la haute fonction publique qui éclaire les effets d'une forte sélection sociale aux positions les plus élevées de gouvernement et encore plus de la haute fonction publique et d'une étude de l'idéologie du New Public Management qui inspire de plus en plus les pratiques des dirigeants politiques.

    Niveau de lecture : Enseignants, Étudiants.


    Note de lecture rédigée par Micheline Rousselet,
    Professeur au lycée Jules-Ferry à Conflans-Sainte-Honorine