À quand remontent les liens entre éducation populaire et cinéma ?
Ils sont lointains. Le cinéma est surtout entré dans le cadre des fédérations avec la mise en place des ciné-clubs, auxquels se sont formées plusieurs générations de "militants en cinéma". La Ligue de l'enseignement, la fédération Jean Vigo, les fédérations chrétiennes, toutes les grandes associations étaient adhérentes des ciné-clubs. Mais deux grandes tendances ont marqué l'histoire du cinéma dans l'éducation populaire : l'une de création, et l'autre plus pédagogique.
Comment sont nées ces deux tendances ?
Elles n'é taient pas antagonistes dans leur idéal mais dans leur rapport au médium. Les pédagogues avaient une attitude de défense, voire d'attaque, vis-à-vis du cinéma. C'était parfois nécessaire, comme lorsqu'ils s'opposaient à la domination du cinéma dit "commercial". Cela a donné lieu aux séances du jeudi après-midi pour les enfants, aux films estampillés "public familial". Mais à force de subordonner la création cinématographique à la pédagogie, ce propos est devenu un peu pervers. À la suite des deux guerres mondiales, on défendait l'enfant dans sa spontanéité, sa grandeur, sa beauté : interdiction de "salir l'enfance", donc de lui montrer n'importe quel film. De là s'est établie ce qu'il faut bien appeler une censure. Des ligues morales sont apparues, à gauche comme à droite. Même le mouvement Freinet - dont nous sommes très proches - a eu cette attitude défensive. La fédération Jean Vigo va s'émanciper de tout cela. Elle apporte une autre façon de penser le cinéma pour la jeunesse : laisser l'artiste créer comme il l'entend, s'intéresser à l'ouvre et puiser ce qui peut correspondre à l'enfant, à un moment donné de son évolution. |
Cette conception est-elle celle défendue par l'Uffej ?
Oui, les membres les plus âgés de l'Uffej, formés à la fédération Jean Vigo, restent attachés à cette idée, tout en la faisant évoluer. Il faut mettre à part égale le propos de l'auteur et la valeur de l'oeuvre. Cela dit, qui n'a pas organisé des débats - sur la peine de mort par exemple - à partir de films ? À certains moments, pourquoi ne pas se servir du cinéma ? L'éducation populaire et le cinéma ont donc eu des moments de communion et de divergence importants. Encore aujourd'hui, les animateurs de centres de loisirs sont formés au plein air, à diverses techniques, mais pas au cinéma. Autrefois, le ministère de la Jeunesse et des Sports avait créé des ateliers de Super 8 et de 9 mm. Ils coûtaient si cher que les associations ont dû les abandonner. Les ciné-clubs, eux, travaillaient plus à montrer des films et défendre des auteurs, qu'à mettre en place des lieux de réalisation. Cet aspect a donc manqué pendant toute une période.
L'éducation populaire est-elle dépendante de la politique ?
Complètement. Ayant dirigé une MJC, je peux constater par exemple que la liberté qui y existait s'est amenuisée. Avant, les subventions venaient de différents lieux - la municipalité, le département, le national. C'est une forme d'indépendance puisque l'équipement de base n'est pas inféodé à un seul financement. Quand l'argent national se retire peu à peu, comme durant ces trente dernières années, on devient dépendant de la ville et du maire. L'action socioculturelle risque alors de devenir le fait du prince. C'est un danger énorme que j'ai vu s'amplifier. Or, l'éducation populaire n'a pas à être à la merci d'un pouvoir. Elle est cet autre pouvoir, celui de la rue, indépendant des urnes. Elle représente la France des associations subventionnées pour leur travail et non pas leurs propos ou leurs idéaux. On doit leur laisser une certaine liberté pour exister.
Entretien réalisé par DAVID MATARASSO
(publié dans Projections Action cinéma/audiovisuel , n° 1, septembre-octobre 2002)
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