Introduction
Il est d’abord manifeste que les résidences d’artistes ne correspondent
pas à une définition préalable qui aurait trouvé à
s’appliquer dans des structures prédéterminées théoriquement,
mais que le cheminement est ici inverse. Nous sommes
partis de ce qui était considéré, par les différents acteurs
de l’art contemporain, comme susceptible de constituer une
résidence afin d’y voir plus clair sur ce qu’était une résidence,
ou plutôt sur ses conditions de possibilité.
Plusieurs constats peuvent ainsi être faits, dont le premier
est l’augmentation significative des résidences d’artistes en
France : en effet le dernier recensement effectué en 1996,
lors de la réalisation conjointe de deux guides1 par la Délégation
aux arts plastiques et par l’AFAA, en comptabilisait une
quarantaine. Nous en avons aujourd’hui trouvé presque une
centaine. Ce développement est sans doute dû à la facilité
avec laquelle ce mode de travail avec les artistes peut concerner
les acteurs les plus variés et présente une simplicité de
montage qui n’est en rien comparable à d’autres dispositifs,
qui comportent des critères nettement plus spécifiés et donc
plus difficiles à respecter. Plus encore, une résidence ne possédant
pas d’exigences figées est sans doute le moyen qui
peut le plus aisément accompagner les différentes dimensions
du travail de l’artiste, tout en tenant compte des attentes
des promoteurs de la résidence. Ce qui explique la grande
diversité qu’il est possible d’observer.
On notera également que les résidences, naguère plus largement
cantonnées dans les régions de villégiature traditionnelle
(le sud de la France) sont aujourd’hui largement
répandues dans toutes les régions. L’ancrage qu’elles semblaient avoir dans le voyage d’initiation, voire dans le tourisme
studieux, paraît actuellement être remplacé par une
volonté d’accueil dans la durée, comme si la résidence reposait
aujourd’hui davantage sur l’initiative de ceux qui la mettent
en place que sur le désir de l’artiste de se déplacer. On
peut voir dans ce changement sans doute l’effet d’une transformation
du travail artistique lui-même, qui dépend moins
des lieux géographiques dans lesquels l’artiste réside
puisqu’il s’interroge sur sa propre démarche, questionne son
statut dans le concert social, examine la société en général,
mais a en tout cas quitté l’anecdotique de la description, le
travail « sur le motif », même si celui-ci pouvait avoir une
dimension universelle.
Une autre raison du changement de paradigme de la
notion de résidence vient du renchérissement des programmes
immobiliers qui ont plus rarement pris en compte le
besoin d’ateliers d’artistes, axés qu’ils étaient sur des lieux
plus rentables. Du coup, l’artiste est contraint de chercher
dans le temporaire ce qu’il ne trouve plus dans le permanent,
en particulier les moyens dont il a besoin en termes
d’équipements et de matériel (en particulier des moyens issus des technologies de l’information et de la communication qu’un artiste seul n’est pas capable d’acquérir et dont il n’a pas l’usage permanent ; plus encore, l’évolution rapide de ces moyens techniques exige une capacité de renouvellement que seule une institution collective peut garantir). Si l’artiste va dans telle ou
telle résidence, c’est parce qu’il sait qu’il y trouvera une aideà son travail, un lieu où faire l’oeuvre qu’il porte en lui —et
qu’il aurait pu réaliser ailleurs, dans une autre résidence,
voire dans son atelier s’il en avait un. La résidence répond
donc en quelque sorte à la difficulté que rencontrent les
artistes pour travailler dans les lieux où ils habitent ordinairement
(Paris en particulier), à la pénurie d’ateliers fixes.
Mais il est nécessaire d’ajouter qu’on peut également y voir
(et ce n’est pas contradictoire) l’envie de plus en plus largement
répandue auprès des collectivités locales d’attirer des
artistes sur leur territoire afin d’en revaloriser l’image, d’y
proposer des modes relationnels différents de ceux offerts
par les stricts échanges commerciaux ou l’implantation
d’entreprises de production. On a là sans doute un effet de
ce qui s’est formulé en termes d’aménagement culturel du
territoire et a donné lieu dans les vingt dernières années à
une explosion de lieux de soutien à la création et à la diffusion
(centres d’art, frac, écoles d’art, autres lieux - Près de 1000 lieux d’art contemporain ont été recensés en France en
2001, cf. annuaire du Centre de ressources du CNAP, consultable sur le
net et Actions/publics pour l’art contemporain, édition 00h00.com). Tous ces
lieux ne peuvent exister que s’ils sont capables d’attirer des
artistes pour une durée suffisante pour qu’ils y réalisent une
oeuvre et en soient les médiateurs auprès de la population
locale. Les politiques culturelles liées à la lutte contre la
désertification en monde rural ou celles liées à la requalification
urbaine des zones en difficulté ont également contribué
à installer des lieux de vie pour les artistes, sans que ces lieux
deviennent des lieux permanents offerts aux artistes. On
trouve aujourd’hui des promoteurs immobiliers qui cherchentà attirer des artistes dans une stratégie de revalorisation
immobilière préalable à l’installation des classes
moyennes que les programmes immobiliers ne peuvent concerner
sans accompagnement culturel (La société Altaréa, promoteur par exemple de Bercy Village, en est
un exemple, du moins dans l’intention).
Il semble que la résidence offre ainsi tant aux artistes
qu’aux collectivités territoriales, qui en sont les principales
promotrices, un instrument vers lequel convergent des intérêts complémentaires : lieu de travail pour les uns, équipement
capable d’induire une image de mécène pour les autres
et, pour les uns comme pour les autres, lieu d’une rencontre
temporaire sous forme d’un contrat à durée limitée, moment
passager permettant un renouvellement constant.
Stable dans son instabilité, la résidence se développe parce
qu’elle coïncide avec ce que la société contemporaine se
représente du travail artistique et parce que l’artiste y produit
la symbolisation de la société qui l’accueille.
Qu’est-ce qu’une résidence ?
Il s’agit ainsi en fait d’un type de projet artistique et culturel
qui met à la disposition d’un artiste un lieu de travail
(atelier), un logement, une assistance technique et une aide
financière, ces différents éléments pouvant avoir des poids
relatifs variés.
N’importe qui peut être à l’origine d’une résidence (individu
ou collectivité) et n’importe quel artiste plasticien peut
en bénéficier (français ou étranger, professionnel inscrit ou
non à la Maison des artistes).
Ces deux aspects suffisent pour définir une résidence si
l’on prend au sens plein la notion de projet artistique et culturel.
La résidence aura la forme du projet que ses promoteurs
auront décidé. C’est pourquoi il est important de
préciser les points sur lesquels il est nécessaire de travailler et
de faire des choix opportuns.
Un projet formalisé en charte
Une résidence se monte en tenant compte d’un questionnement,
initié par un porteur de projet ; à partir des premières
options qu’il prendra, il réunira des partenaires qui
transformeront son idée initiale et donneront la forme finale
du projet de résidence. Celui-ci, une fois défini selon les éléments
cités en annexe et tous les autres que l’on aura estimé
important de préciser peut prendre la forme d’une charte
donnant la définition de la résidence.
Cette charte est établie par les différents partenaires de la
résidence dont elle formalise l’engagement. Elle est utilisée
pour établir la convention que signera l’artiste lorsqu’il
entrera en résidence. Trop souvent encore, ces deux documents
sont confondus et il apparaît qu’il est important de les
distinguer afin qu’un cadre soit donné à chaque résidence et
que son mode de fonctionnement fasse l’accord, dans la
clarté et la transparence, entre des acteurs.
La convention
La convention est le document contractuel établi, selon les
divers points listés en annexe, entre la structure et l’artiste
en résidence. Elle précise les objectifs de la résidence de
l’artiste accueilli.
Le budget de fonctionnement
Il ne saurait exister de budget type d’une résidence d’artistes étant donné la variation de chaque projet. On peut toutefois, à titre indicatif, donner les précisions suivantes : une allocation
de séjour peut s’élever à 1524 €/mois, comprenant les
déplacements, les repas, les frais techniques, le travail de
recherche (ex. ADDC — Dordogne) ; quelquefois il n’existe pas
d’allocation en tant que telle mais l’hébergement est gratuit
(ex. le Centre régional d’éveil aux arts plastiques et à la BD, à
Audincourt en Franche-Comté) ou bien encore les conditions
financières sont étroitement liées au projet de l’artiste en résidence
(ex. le Château de Grignan dans la Drome).
Le personnel
Lorsque la résidence s’installe dans une structure préexistante,
elle bénéficie de ce fait de personnel permanent, pour
exemple le lycée Pasteur de Besançon où le proviseur est le
responsable de la résidence. Cependant ce n’est pas toujours
le cas et l’on veillera à ce qu’il y ait un encadrement minimal,
au moins un responsable bien identifié et un technicien
ou régisseur pour la maintenance.
Le dossier de recrutement
Là encore nous ne saurions donner autre chose que des
indications issues de l’examen de l’ensemble des résidences
en France. Le dossier minimal à adresser au responsable de la
structure doit comporter :
— le projet de l’artiste
— des documents sur son travail antérieur
— une lettre de motivation
— les dates du séjour en résidence
S’agissant de lieux excentrés, on réfléchira sur la nécessité
d’exiger le permis de conduire.
S’agissant des étrangers, il peut être important de demander
la connaissance du français au moins parlé. Il faut savoir également
que certains artistes sont invités en résidence et dans
ce cas précis il s’agit d’affinités artistiques particulières entre le
ou les responsables de la résidence et l’artiste accueilli.
Le recrutement
Il est conseillé de mettre en place pour ce faire un jury
régulièrement renouvelé comportant des professionnels de
l’art contemporain de la région où est sise la résidence voire
même issus d’autres régions, des élus locaux, tel le président
du conseil général ou le maire. On peut envisager de demander
des avis circonstanciés à des personnes externes au jury.
La structure juridique
Le plus souvent ce sont des associations loi 1901 qui portent
les résidences. On peut utiliser d’autres structures ayant
la même caractéristique pour y adjoindre une résidence (un
centre d’art ou un Frac). Les écoles d’art peuvent également être de bons lieux d’arrimage pour une résidence si leur fonctionnement
en service municipal est suffisamment souple
pour pouvoir répondre aux différentes exigences de ce type
d’accueil d’artistes.
Les résidences d’artistes qui se développent actuellement
favorisent l’échange et le croisement des domaines artistiques
et ne sont pas seulement mono disciplinaires. La conception
de la résidence est donc à imaginer en tenant
compte de la présence d’artistes de disciplines différentes
tout en respectant les conditions du travail particulier des
plasticiens.
Au croisement des oeuvres réalisées par les artistes répond
celui des publics : la résidence est certainement le moyen de
rendre présente la création plastique au plus près des populations,
de les concerner dans la durée, de leur faire appréhender
la démarche de création, dans sa lenteur et son
opiniâtreté. Loin de l’exposition spectacle, la résidence offre
aux politiques territoriales un outil adapté à des transformations
en profondeur qui voient dans l’art un mode d’innovation,
un geste désintéressé, un apprentissage de l’autonomie.
Élisabeth CAILLET