Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Professeur des Universités
Centre Norbert Elias UMR 8562 UAPV - CNRS - EHESS

 
   

 

 
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Les disciplines des sciences humaines et sociales
"Le sort des disciplines formelles : de la cohérence à la dispersion"

Extrait de l'ouvrage de Mattei Dogan et Robert Pahre
l'innovation dans les sciences sociales. La marginalité créatrice
Editions P.U.F. / collection Sociologies, Paris 1991, 322 p



Ce texte est reproduit avec l'aimable autorisation de Mattei Dogan, Diecteur de recherche émérite au CNRS et Professeur de Sciences politiques émérite de l'Université de Californie à Los Angeles. Pour contacter Mattei Dogan : http://www.fondationmatteidogan.org/

Nous recommandons au lecteur qui s'interesse aux origines de la frangmentation des disciplines la lecture d'un article de M. Dogan "Fragmentation et recombinaison des disciplines".


    Dans presque toutes les universités, embauches, promotions, évaluation du travail par les pairs, enseignement et administration suivent des règles fixées par discipline, et chaque discipline veille jalousement à garder le contrôle sur ces domaines. En revanche, sur le terrain de la recherche, ces disciplines voient leur souveraineté de plus en plus menacée par des organisations hybrides, et des groupes de recherche qui les font s'interpénétrer. De même que les Etats-Nations doivent aujourd'hui affronter un déluge d'organisations transnationales, de multinationales, et de commerce international, ces disciplines croient avoir plus d'autonomie qu'elles n'en ont en réalité.
    Les processus de spécialisation et d'hybridation ont fait des ravages dans l'organisation traditionnelle des sciences sociales. Chaque discipline formelle devient de plus en plus diversifiée en son sein, et, même temps, de plus en plus exposée à des rencontres avec les autres disciplines.
    De même que la plupart des disciplines ne disposent pas d'un noyau dur, il n'existe de discipline centrale, qui donnerait une unité aux sciences sociales En outre, il n'existe pas de hiérarchie dans ordre de notre présentation ne vise pas à établir telle hiérarchie. La philosophie et l'histoire sont tout simple les plus anciennes et les plus fragmentées, c'est la raison pour laquelle nous en parlons en premier. L'économie et la linguistique, bien qu'elles ne soient pas les plus récentes, sont néanmoins celles qui sont les moins fragmentées, et c'est pour cette raison que nous les gardons pour la fin. Les autres disciplines sont étudiées dans un ordre sans signification particulière, bien que nous avons regroupé des disciplines voisines telles que la science politique et la sociologie, ainsi que la géographie, la psychologie, et l'anthropologie, parce qu'elles recouvrent des sciences naturelles et sciences sociales.

PHILOSOPHIE.

    La philosophie, discipline la plus ancienne, s'est non seulement fragmentée, mais elle a, en plus, perdu ses différents fragments : des mathématiques à la théologie, de la physique à la psychologie. Le symbole de la discipline telle qu'elle était à l'origine subsiste dans le titre de Doctorat de Philosophie (Ph.D.), attribué aujourd'hui aux étudiants, qu'ils soient spécialisés en physique ou en littérature. Chaque, fragment soustrait à son patrimoine s est inéluctablement élargi, tandis que la spécialisation à l'intérieur du fragment se mettait en place : " Les sciences comme la psychologie, la sociologie et la logique se détachèrent progressivement de la philosophie, non pas parce que leurs problèmes étaient établis une fois pour toutes comme scientifiques, et donc ne concernant pas la philosophie, mais simplement parce que le progrès de la connaissance exigeait que les problèmes soient identifiés, et que ceux sur les quels aucun accord n'était possible à un moment donné devait être laissé de côté, et toute l'attention devait être concentrée sur des sujets pour lesquels batterie d'enquêtes et vérification étaient possibles " ( Piaget , 1970a, 13). Le résultat a été que la philosophie règne sur le domaine où les enquêtes et la vérification sont impossibles, Ce qui n'est pas une tâche facile.

    Au cours des premières étapes de la fragmentation, on peut voir des " géants ", hybrides alliant la philosophie à une nouvelle discipline. Ils profitent à la fois de l'aspect spéculatif et invérifiable de la philosophie, et de la nature de plus en plus scientifique du nouveau champ. Un bon exemple de ce phénomène est l'hybridation de la philosophie et de l'économie. F. A. Hayek suggère qu'"une liste des grands économistes britanniques, si on laisse seulement de côté deux de ces grandes figures, pourrait sans problème être considérée comme une liste de grands philosophes : Locke , Hume , Adam Smith , Bentham , James et John Stuart Mill , Samuel Bailev W. S. Jevons , Henry , Sedgwick , jusqu'à John Neville et John May nard Keynes ,". On pourrait facilement multiplier les exemples pour d'autres disciplines et d'autres pays : par exemple Montesquieu et Auguste Comte étaient à la fois des Philosophes et des sociologues.

    Conséquence de l'émancipation continuelle de ses différents fragments, la philosophie n'est plus aujourd'hui qu'une catégorie résiduelle, avec des sous catégories, comme la logique, l'histoire de la philosophie, l'éthique et la théorie des valeurs, la métaphysique et l'épistémologie. On peut se demander combien de temps celles ci vont encore exister, car la logique est en contact avec les mathématiques, l'informatique, et la linguistique ; l'histoire de la philosophie avec l'histoire intellectuelle ; l'éthique avec la théorie politique et l'économie sociale. Y a t il quelque chose de commun entre ces sous catégories qui justifierait le maintien de la philosophie comme un domaine où des économistes, des linguistes, et des spécialistes de l'histoire intellectuelle pourraient se rencontrer ?

    F. A. Hayek (1956, 472) a suggéré un rôle pour la philosophie, du moins lorsqu'elle est en contact avec les sciences sociales, celui de développer l'éthique scientifique et l'épistémologie. Tous les spécialistes des sciences sociales sont concernés par les problèmes d'éthique, et les questions de méthode scientifique sont souvent des sources d'inquiétudes plus typiques des spécialistes en sciences sociales que des spécialistes en sciences naturelles. Si Hayek a raison, on devrait enseigner à tous les spécialistes au moins les rudiments de cette discipline.

    La philosophie pourrait aussi évoluer vers ce qui est au delà des limites de la connaissance. Dans beaucoup de domaines la philosophie renoue avec des échanges avec les sciences naturelles, négligeant de plus en plus les sciences sociales. La rencontre entre la philosophie et certaines sous disciplines de la physique est fascinante. La physique quantique offre beaucoup de matière à réflexion pour la métaphysique. Le principe d'incertitude d' Heisenberg nous montre qu'il existe une relation entre ce que nous pouvons savoir de l'emplacement d'une particule et ce que nous pouvons savoir de ses mouvements. Le principe d'exclusion de Pauli préserve ces particules de la collision. Les électrons se déplacent d'un noyau d'énergie à un autre noyau d'énergie, sans être visibles dans le parcours entre les deux. Un mélange de particules de matière et d'antimatière d'origine inconnue peut apparaître seulement pour donner lieu à une collision, et disparaître à nouveau tout de suite après. De Gödel à Wittgenstein , en passant par d'autres, on peut trouver beaucoup de limites à la formalisation logique, des limites qui sont les os restant du repas des scientifiques, et que les philosophes pourraient ronger avec délectation. Dans tous ces domaines les problèmes philosophiques sont formidables.

HISTOIRE

    L'histoire, autre discipline ancienne, a mieux réussi à garder dans son giron sa turbulente progéniture. C'est peut-être pour cette raison qu'elle est la plus fragmentée de toutes les disciplines. Les préoccupations d'un historien du Moyen Age n'ont que peu de choses à voir avec celles d'un historien politique du XIXe siècle ; un historien des dynasties chinoises peut difficilement trouver un terrain de rencontre avec un historien des empires d'Amérique centrale. Même sur une même période ou sur un même lieu géographique, l'histoire se fragmente en sous domaines : on n'étudie plus l'"Histoire médiévale", mais l'histoire constitutionnelle et légale du Moyen Age, l'histoire économique et sociale du Moyen Age, l'histoire religieuse et ecclésiastique au Moyen Age, ou encore l'histoire intellectuelle et culturelle du Moyen Age. Chacun de ces domaines devient un terrain de chasse légitime pour un spécialiste du droit intéressé par l'histoire, et pour les spécialistes en sociologie, en économie, et d'autres sciences sociales. L'étendue de la spécialisation signifie que l'histoire est en fait un des terrains les plus développés de rencontres transdisciplinaires, puisque la suprématie de l'histoire politique a été réduite par une série de spécialités : histoire sociale, culturelle, économique, psychologique, intellectuelle, etc.
    Ces changements sont évidents dans Les Annales. Commençant par des emprunts à la géographie, la sociologie, et l'économie, " Les Annales n'ont pas élaboré une définition mais une pratique de l'histoire sociale " ( Revel , 1986, 174). Cependant, l'usage de ces disciplines extérieures pour l'étude de l'histoire sociale à la manière de l'École des Annales semble avoir atteint les limites de son potentiel d'innovation. Les animateurs actuels de l'École le reconnaissent, et orientent aujourd'hui leur recherche vers d'autres domaines. Ayant déjà trouvé l'inspiration dans la géographie, la sociologie et l'anthropologie, les responsables des Annales sont actuellement à la recherche de nouvelles frontières comme le montre le manifeste publié à l'occasion du soixantième anniversaire de la revue. "Aux confins de la discipline, il existe des provinces que l'histoire réclame, curieusement sans avoir cherché à s'assurer les moyens d'imposer sa domination... " ( Les Annales , 1988, 293.).
    Comme dans le cas des Annales, on peut retracer les généalogies de certains de ces hybrides. Quelque 500 ou 600 sociologues américains s'identifient eux-mêmes comme des sociologues historiques. Comment cela est il arrivé ? inévitablement la fragmentation ouvre des brèches. Certains historiens, abandonnant l'approche chronologique et donc l'inclinaison de leur discipline en faveur de l'histoire narrative, se sont tournés vers la sociologie et d'autres sciences sociales. En même temps, des sociologues ont ressenti les limites qu'il y avait à se contenter d'étudier les sociétés contemporaines, ou crurent que, pour comprendre les sociétés modernes, ils devaient étudier celles qui les avaient précédées. Eugen Weber , dans son travail sur le XIXe siècle français, est un exemple d'historien tourné vers la sociologie, tandis que Reinhard Bendix ou Charles Tilly symbolisent le sociologue devenu historien. Aujourd'hui il est difficile de distinguer la bonne sociologie de la bonne histoire. Beaucoup ont essayé de tracer leurs frontières, mais les problèmes que ce travail entraîne illustrent l'étendue de leur interpénétration, en même temps que la tendance des deux disciplines à évoluer de l'impérialisme à la dispersion. Nous développerons ce problème dans le chapitre 21
    .En plus d'être une science sociale, l'histoire se rattache aussi aux humanités. Ceci explique pourquoi l'histoire est la seule parmi les sciences sociales à permettre aux romanciers de faire d'importantes contributions au domaine. Parmi les romanciers classiques, l'oeuvre de Balzac reflète une démarche de recherche historique et offre un portrait sociologique de la société française de son temps. On pourrait citer bien d'autres exemples tirés de tous les pays européens. On ne donnera ici que deux exemples récents de romans historiques : Giuseppe di Lampedusa a entrepris un travail approfondi de recherche historique pour son Guépard, un livre important pour la compréhension de l'aristocratie sicilienne au temps de l'unification italienne. Umberto Eco a exploré les archives de divers monastères et a procédé à une lecture approfondie de la théologie médiévale pour Le Nom de la Rose, offrant ainsi un portait inégalé de la vie monacale du Moyen Age.
    Dans la plupart des départements d'histoire il n'existe pas de noyau intellectuel commun à la discipline. L'histoire n'est rien d'autre qu'un agrégat de spécialistes ; comme l'a admis un des membres de la discipline, "ce qui fait l'unité de l'ensemble est seulement l'intérêt commun pour le temps comme composant essentiel pour relater l'aventure humaine, et un savoir faire particulier dans l'interrogation des vestiges (surtout documentaires) des temps passés " ( Rutman , 1986, 121). Quelques uns ne partagent même pas cet intérêt pour le temps, et préfèrent l'analyse diachronique. Les historiens n'ont pas de théories communes ou de méthodes communes. Ils communiquent peu entre eux, sauf à l'intérieur des sous-disciplines. Ce sont des chercheurs extravertis, qui empruntent beaucoup à leurs voisins. Les pages de la revue History and Theory sont quelques-unes des moyens par lesquels ils peuvent échanger leurs découvertes sur les problèmes de causalité, d'épistémologie, de théorie de l'histoire, etc. Considérant ce tableau on peut se demander quelle est, pour la recherche scientifique, l'utilité d'un département d'histoire aujourd'hui ? Bien sûr, le découpage de l'histoire par périodes et par nations, comme cela se f ait parmi les historiens, sous-évalue le consensus sur la manière dont l'histoire se différencie des autres sciences sociales, et par dessus tout, néglige la " méthode historique " couramment acceptée. D'un autre côté, il est facile d'exagérer le caractère unique de l'approche historique, mais il existe certainement des raisons intellectuelles pour lesquelles sociologues, politologues, et économistes exposent leurs théories dans le premier chapitre de leurs livres, tandis que les historiens gardent les leurs s'il y a lieu pour le chapitre final.
    Il est également vrai que la méthode historique est une cible mouvante, grâce en grande partie aux changements extérieurs, ainsi qu'à ceux intervenus à l'intérieur de la discipline. Mabillon et les Bollandistes ont emprunté des nouvelles techniques à la critique biblique ; Niebuhr et Ranke ont tiré parti des méthodes de la philologie classique. " En se tournant vers les sciences sociales pour de nouveaux angles d'approche et de nouvelles techniques, les historiens d'aujourd'hui ne font que perpétuer une pratique suivie par le passé à chaque tournant dans le développement et le raffinement des études historiques " ( Barraclough , 1978, 273).

ANTHROPOLOGIE

    Le domaine de l'anthropologie est un excellent exemple pour notre thèse. Cyril Belshaw va jusqu'à dire que " les échanges interdisciplinaires sont des corpuscules essentiels pour nourrir l'anthropologie, sans lesquels celle-ci cesserait de progresser " ( Belshaw , 1989, 17). Ses origines sont à rechercher dans diverses directions, ethnologie, archéologie, égyptologie, étude de l'Antiquité, sociologie, et histoire ancienne. Les premiers anthropologues venaient de ces domaines ou d'autres encore, comme la biologie, la psychologie, le droit, la musique, la géologie, la médecine, la philosophie et la géographie. " La véritable richesse et variété de ses centres d'intérêts conduit inévitable ment à la fragmentation en nombreuses sous-disciplines semiautonomes, dont la plupart doivent en outre dans la pratique partager la matière de leur sujet avec d'autres disciplines bien établies et indépendantes " ( Greenberg , 1968, 305). Parmi elles, l'archéologie, très liée à la paléontologie et à certaines sciences naturelles, comme l'anthropologie physique, elle-même reliée à la biologie.
    Les anthropologues sont poussés vers les disciplines voisines pour deux raisons. Tout d'abord, la constatation qu'une certaine caractéristique est d'une grande importance pour une société donnée, peut conduire les anthropologues à étudier cette caractéristique en général. Ceci les amène à entrer en contact avec d'autres disciplines : analyser le symbolisme peut les conduire à la linguistique ou la psychologie, analyser l'art peut les amener à l'histoire ou à la sociologie de l'art, etc. La seconde raison les poussant à se tourner vers l'extérieur peut naître à partir d'une accumulation d'exemples dus à la première raison, qui débouche sur la création d'un nouveau terrain de recherche, celui d'une étude multiculturelle d'un phénomène. Observer l'échange réciproque dans un ensemble de cultures amène les anthropologues à constituer la sous-disciplines hybride de l'anthropologie économique, par exemple ; l'évolution similaire des observations a été à l'origine du développement de l'anthropologie politique, de l'anthropologie religieuse, de l'anthropologie du développement, etc. A l'origine, l'anthropologie a été fortement influencée par Charles Darwin et d'autres biologistes. La recherche de " l'origine des espèces " a conduit tout naturellement à la quête des " origines de la culture ". " La culture originale " telle que les premiers anthropologues l'ont considérée pouvait sans doute être trouvée dans des contrées aussi reculées que les Galapagos, la Polynésie ou la Nouvelle Guinée. L'anthropologie est nécessairement comparative. Elle vise l'hétérogénéité culturelle, privilégiant dans ses observations les sociétés illettrées et non occidentales. Paradoxalement, les premiers évolutionnistes darwiniens affirmèrent que les " primitifs " n'avaient pas d'histoire, justifiant ainsi une ethnographie a-historique ; cependant, en dépit de ses insuffisances évidentes, l'approche évolutionniste a donné des résultats intéressants.
    Pour combler l'absence de dimension historique, Bronislaw Malinowski , A. R. Radcliffe-Brown , et d'autres ont développé le structuro-fonctionnalisme, qui est peut-être la théorie anthropologique la plus connue. Le structuro-fonctionnalisme a pris sa source dans les travaux de Marx , Max Weber et autres. Aujourd'hui, ceux qui le pratiquent peuvent s'ouvrir à l'anthropologie cognitive, la psychologie sociale, l'anthropologie politique, etc. En même temps, le structuro-fonctionnalisme s'est avéré si utile qu'il a été emprunté à la fois par la sociologie et la science politique, et a eu une influence décisive sur Talcott Parsons et Gabriel Almond .
    L'anthropologie est traversée par d'autres influences notables. Maurice Freedman (1978) suggère l'existence de cinq grands terrains de recherche en anthropologie : parenté, politique, lois, économie et religion. Faire la liste de ces sujets montre le potentiel d'hybridation avec la sociologie, la science politique, l'économie et la jurisprudence. L'étude anthropologique de la parenté, par exemple, est attirée vers des zones couvertes par d'autres disciplines. Dans les sociétés "primitives", les liens de parenté sont souvent le fondement de la plupart des comportements sociaux, économiques, légaux, politiques et religieux. Comme les anthropologues commencent à accorder une plus grande attention au rôle de la parenté dans les sociétés modernes, ils empiètent inévitablement sur la sociologie, l'économie, et les processus de socialisation politique.
    Dans d'autres domaines, il faut reconnaître que le potentiel a seulement été partiellement exploité, mais les anthropologues ne sont pas à blâmer. La grande majorité des politologues, par exemple, connaissent peu l'anthropologie politique au-delà du structuro-fonctionnalisme tel qu'il a été développé par Almond , Easton et autres. L'asymétrie est peut-être encore plus complète en anthropologie économique, dont les chercheurs doivent connaître l'économie, tandis que peu d'économistes sont versés en anthropologie, et connaissent encore moins les sociétés non marchandes.
    Même si l'influence n'a pas été réciproque, les méthodes économiques ont été utiles à l'anthropologie. Clifford Geertz a démontré que la théorie économique de l'information explique le phénomène du clientélisme dans les bazars du Moyen-Orient comme signe de la persistance de l'intensité du marchandage (au lieu du caractère comparatif des achats dans les économies modernes). Richard Posner suggère que cette analyse a des implications pour d'autres institutions dans les sociétés prélettrées, et démontre que cette théorie permet de rapprocher les observations anthropologiques sur le partage de la nourriture, la polygamie, les systèmes de parenté, les coutumes en matière d'usure, les formes d'échanges, les processus légaux, les droits de propriété, les règles contractuelles, le droit civil et pénal.
    Comme le suggère cet exemple, d'autres anthropologues sont allés jusqu'à l'étude de la législation ainsi que celle des mécanismes de règlement des conflits. Des juristes comme le Nigérien T. O. Elias ont joué un rôle important dans ce domaine en étudiant la loi tribale, souvent en collaboration avec des anthropologues. Cette rencontre entre anthropologie et jurisprudence a atteint une telle ampleur qu'elle a été organisée dans la Commission scientifique de la Coutume et du Pluralisme légal, sous les auspices de l'Union internationale des Sciences anthropologiques et ethnologiques, également reconnue par l'Association internationale des Sciences juridiques.
    Les interactions de l'anthropologie avec d'autres disciplines formelles sont assez variées. Au cours des deux dernières décennies, les anthropologues socioculturels ont étendu leur curiosité à beaucoup de nouveaux domaines, comme la vie urbaine, le monde paysan, les migrations, l'écologie sociale et culturelle, l'étude de la personnalité et de la culture, et la primatologie comparative. Cette sous-discipline a ainsi des tentacules s'étendant sur une partie de la sociologie, de la géographie, de la psychologie et de la biologie. L'anthropologie culturelle et la géographie culturelle, si elles n'ont pas des perspectives identiques, se partagent néanmoins le même territoire, particulièrement dans certaines aires géographiques spécifiques ; les limites entre anthropologie et écologie humaine sont largement arbitraires. Pour sa part, " l'anthropologie politique... reconnaît pleinement l'histoire, même si à l'origine elle tendait à se consacrer à l'étude des sociétés sans histoire. L'anthropologue est devenu historien " ( Izard , 1988). Il existe aussi une tradition britannique liant philosophie et anthropologie, certains philosophes étant aussi des anthropologues, comme par exemple Gellner et Jarvie .
    L'anthropologie et la psychologie ont eu des échanges dans plu sieurs domaines. Des pionniers comme Seligman et Rivers ont utilisé des approches médico-psychologiques dans leur travail sur le terrain ;entre autres sujets, ils cherchèrent à mesurer et interpréter les différences de perceptions sensorielles. Gregory Bateson et Clyde et Florence Kluckhohn , parmi d'autres, ont usé de la psychanalyse en anthropologie. Quelques psychiatres ont récemment inversé le flux en appliquant l'anthropologie à leur recherche. Arthur Kleinman, par exemple, utilise l'anthropologie pou r repenser la définition de la maladie mentale.
    L'anthropologie est plus consciente de son hybridation que beaucoup d'autres, comme on peut le voir dans les noms que la discipline donne à sa descendance. Elle regroupe les sous-domaines de l'anthropologie biologique, l'anthropologie culturelle, l'anthropologie linguistique, l'anthropologie sociale, l'anthropologie politique, l'anthropologie de l'action sociale, l'archéologie, les cultures régionales, théorie et méthodes anthropologiques. Existe-t-il quelque chose qui relie ces sous-domaines, et qui les différencierait des autres domaines ? Comme nous l'avons montré, les liens qu'entretiennent la plupart de ces sous-domaines avec les sous-domaines des autres disciplines biologie, sociologie, linguistique, science politique, et paléontologie sont plus étroits que ceux qu'ils entretiennent entre eux.
    On peut également trouver des échanges de grande ampleur avec l'archéologie, un sous-domaine qui s'adapte souvent difficilement au reste de la discipline. L'archéologie est le fruit de la fusion de quatre grands axes de recherche : les études classiques, celles de l'Antiquité, la géologie, et l'anthropologie. Sigfried de Laet affirme que les approches pluridisciplinaires en archéologie " en sont venues à être si vitales qu'elles sont maintenant partie intégrante des pratiques de recherche " et que le progrès " ne serait plus concevable sans elles " (de Laet , 1978, 207). Pour prendre un exemple évident, les progrès dans les méthodes de datation ont d'importantes implications en archéologie. De façon plus surprenante tel est aussi le cas pour l'astronomie. Chou Hung-hsiang , un professeur de chinois à l'Université de Californie, Los Angeles et l'astronome Kevin D. Pang du Laboratoire de Propulsion atomique de la NASA se sont associés pour utiliser les archives astronomiques de l'ancienne Chine et résoudre plusieurs problèmes de datation de l'histoire de la Chine primitive, comme par exemple celui de la fondation de la dynastie Xia. Ils ont aussi démontré que ces données concordent entre elles et avec la théorie astronomique, et peuvent convenir à des astronomes modernes.
    D'autres sciences naturelles stimulent aussi les progrès de l'archéologie. L'étude de l'environnement naturel dans lequel l'homme préhistorique a évolué amène naturellement les archéologues à travailler avec des géologues, des paléontologues, et autres... En même temps, l'examen de l'apparition de l'agriculture et de la domestication des animaux les conduit vers les zoologues et les palynologues. Plus récemment, des spécialistes de la médecine ont collaboré pour créer un nouvel hybride, la paléopathologie. La paléontologie est, elle aussi, en quête de nouveaux outils de recherche : l'usage du microscope électronique dans l'analyse de l'émail des dents est d'un grand secours, et l'analyse chimique des fossiles a fourni des informations sur l'alimentation des individus examinés ( Rukang , 1988, 294). La succession de vagues d'influences extérieures a contribué au progrès de la discipline. Aujourd'hui les anthropologues communiquent moins entre eux qu'avec leurs voisins. La distance couverte par l'anthropologie en une génération peut être mesurée par deux bornes. En 1948, Radcliffe Brown voyait dans l'anthropologie la "Science de la Société'', englobant la sociologie, l'économie, la psychologie, la science politique, etc. Seulement vingt ans après, on peut lire qu'un " anthropologue général, qui serait à l'aise dans tous les domaines est désormais généralement considéré comme un héros mythique, dont on ne trouve plus trace parmi nous aujourd'hui " ( Chang , 1967, 227). La dépendance à l'égard de l'extérieur est d'ordinaire facilement admise ; un éminent anthropologue assure que " sans les contributions d'autres disciplines classiques comme la philologie, l'archéologie, l'épigraphie, et la papyrologie, rien de ce que j'ai fait dans une perspective anthropologique n'aurait été possible " ( Vernant , 1985, 2). C'est là l'aveu typique d'un chercheur hybride.

GÉOGRAPHIE

    La géographie est une " science carrefour, une science établie au confluent des disciplines de la nature et celles de l'homme, une synthèse d'approches venues d'ailleurs " ( Claval , 1988, 1). Shakespeare disait que le monde entier était une scène. Bien que le Barde ne se référait pas au monde au sens littéral, il est néanmoins vrai que la terre est une scène sur laquelle se déroulent les aventures humaines. La géographie étudie cette scène, avec l'idée qu'elle a un effet sur l'action. Elle communique avec toutes les autres sciences sociales. Au tournant du siècle, quelques géographes en France et en Allemagne ont revendiqué pour la géographie une place centrale, un rôle éminent, au carrefour de toutes les sciences sociales.
    Comme tous les impérialismes disciplinaires de ce genre, celui-ci s'est avéré intenable, et la discipline est aujourd'hui très fragmentée. Son hétérogénéité est aussi le résultat de la diversité des origines. Aux Etats-Unis, la géographie s'est développée à partir de la géologie, en Allemagne à partir des " sciences de la terre " ( Erdkunde ) en France à partir de l'histoire ( Mikesell , 1969, 228). Le résultat de cette origine multiple est une discipline englobant à la fois les sciences naturelles et sociales. L'interaction systématique avec les sciences sociales date des premières décennies du siècle. Isaiah Bowman a réuni géographie physique et humaine et créé une sorte de géographie régionale, en même temps qu'il écrivait un livre fondamental de géographie politique.
    Dans son Geography in Relation to the Social Sciences (1934), il a refusé de définir la géographie nous rejoignant sur ce point, en disant que la géographie, comme les autres sciences sociales manque d'un noyau dur mais a décrit le rôle d'un géographe comme suit : " En plus d'être un explorateur, sachant mesurer, décrire, et interpréter les traits caractéristiques de la terre, le géographe fait une synthèse en conformité avec ces réalités de l'expérience appelées Régions, ce qui l'amène à fraterniser avec l'historien, l'économiste, et le sociologue. " Depuis que ces mots ont été publiés les géographes ont précisément continué à faire cela.
    L'étendue de la discipline peut être considérée comme une multiplication des sous-domaines hybrides. Elle comprend désormais de multiples sous-domaines : géographie humaine, géographie culturelle, biogéographie, géomorphologie, climatologie, géographie médicale, géographie économique, géographie politique, géographie urbaine, science environnementale, géographie régionale et cartographie. Chaque sous domaine est directement relié à des spécialités extérieures à la discipline. Pour prendre un seul exemple, celui de la sociologie, on peut remarquer l'écologie humaine, la sociologie de l'environnement, la sociologie rurale et l'urbanisme. En un mot, " pour qui étudie l'espace terrestre, les sciences naturelles, l'histoire, les sciences sociales et les humanités ont depuis toujours quelque chose à dire, mais les curiosités ont favorisé tantôt tel rapprochement, tantôt tel autre " ( Claval , 1988, 21).Ce sont les influences extérieures qui ont engendré les progrès de la géographie. Bien que Polybius fût déjà bien conscient de l'importance de la géographie pour l'histoire, les progrès actuels à l'intersection entre les deux disciplines trouvent leurs fondements dans le patrimoine accumulé au siècle dernier. L'historien Lucien Febvre fut l'un des plus éminents théoriciens de la pensée géographique moderne. En fait, l'introduction de l'environnement géographique dans l'histoire est devenue la pièce maîtresse de l'École des Annales, avec Lucien Febvre , Marc Bloch , et Fernand Braudel , et une brillante phalange dans la génération actuelle. Les développements de l'École ont changé la manière d'aborder le problème des influences externes, comme on peut le voir dans le travail de Fernand Braudel . Le Monde méditerranéen (1949) donne à la géographie un rôle central, puisqu'il commence par un exposé sur les montagnes, les plaines, les plateaux, les isthmes, les péninsules et les îles de Méditerranée, tandis que Civilisation et Capitalisme (1979) puise dans l'histoire économique, l'anthropologie économique, et la géographie sociale. C'est un modèle d'évolution que l'on peut trouver dans l'ensemble de la géographie, et pas seulement en géographie historique ; dans tous les pays la discipline s'oriente de plus en plus vers les sciences sociales, en se détournant de la géologie. Les sociologues et les géographes se sont rencontrés surtout dans les recherches urbaines. Dans l'histoire de cet hybride aux Etats-Unis, une contribution importante vient de sociologues du sous domaine de l'"écologie humaine " (Robert E. Park , Ernest W. Burgess , Louis Wirth , A. H. Hawley , 0. D. Duncan , Foley , W. Firey and L. F. Schnore ), des géographes influencés par des sociologues ( Harris , Platt , Edward Ullman ), et des chercheurs des deux disciplines travail lant sur des données agrégatives et statistiques spatiales ( Duncan , Cuzzort et Duncan , Berry et Marble , Chorley et Haggett , etc.). Domaine hybride, l'urbanisme est maintenant devenu un département autonome dans beaucoup de grandes universités. La " recherche urbaine ", en tant que discipline indépendante englobe des sous domaines qui empiètent sur des spécialités de sociologie, de démographie, de géographie et d'anthropologie. Elles font appel aussi à l'architecture, qui elle même recouvre l'ingénierie (pro jets de construction et méthodes), les sciences naturelles (climatologie, conservation de l'énergie), les sciences sociales (recherche sociophysique), les humanités (histoire de l'architecture), et quelques hybrides de son cru (planification urbaine). Des grands architectes ont remodelé des villes, construit des aéroports, des centres commerciaux ou culturels, comme par exemple à Rotterdam, à Brasilia, à Osaka. Leur renommée est fondée sur leur capacité à embrasser l'ingénierie, les sciences naturelles, les sciences sociales, les humanités autant qu'à concevoir une planification urbaine adaptée. Les recherches urbaines ont été aussi influencées par la géographie économique, qui a apporté ses principales contributions dans la théorie de l'implantation des activités agricoles, industrielles, et commerciales. La collaboration avec les sociologues semble être meilleure qu'avec les économistes, en partie à cause de la part largement inductive du travail, qui rendait difficile l'intégration à la théorie économique déductive.
    Cependant, le flux va plus facilement dans la direction opposée, de l'économie vers la géographie. L'importation des idées économiques par la géographie a été une source importante d'inspiration pour le mouvement de la " Nouvelle Géographie " des années 50 et 60, sous la houlette d'Edward Ullman . Bien sûr, les affirmations souvent extrêmes sur la rationalité de tels modèles ont leurs limites, et ont conduit les autres géographes à emprunter à la psychologie ; ces chercheurs sont très sensibles à la manière dont les gens perçoivent leur environnement géographique, et à leurs préférences concernant les choix d'implantation et l'utilisation de l'espace.
    L'anthropologie, elle aussi, a contribué à l'hybridation de la géographie. La sous-discipline de la géographie culturelle a puisé dans l'anthropologie culturelle. Les géographes ont beaucoup à apprendre d'échanges avec les anthropologues travaillant dans les domaines de l'organisation sociale, de la culture et sur les processus de changement culturel. En échange, les géographes ont beaucoup à enseigner à leurs collègues anthropologues sur les processus de colonisation, d'exploitation du sol, de propriété du sol et d'écologie culturelle ( Mikesell , 1969, 230).Les contacts les plus importants avec la science politique ont eu lieu dans deux sous-domaines, l'étude des relations internationales, et celle du comportement électoral " La géopolitique " n'a que temporairement disparu, après que ses défenseurs germaniques eurent été condamnés comme apologistes d'une politique extérieure expansionniste, et après que la fameuse " théorie du pays central " d'Halford Mackinder eut été battue en brèche par les développements technologiques militaires, terrestre et maritime. Des applications plus récentes de la géographie n'ont pas souffert de ces problèmes, et ont été utilisées, par exemple, dans l'étude de l'interaction régionale. L'étude classique de Karl W Deutsch , Nationalism and Social Communication (1953) repose sur la théorie cybernétique de la décision et sur la densité de la communication dans un contexte spatial. Même si Deutsch n'a pas souligné la composante géographique de son travail, celui-ci a eu des implications pour les études de Bruce Russett International Regions (1967), et de Ernst Haas , The Uniting of Europe (1968), ainsi que sur des recherches ultérieures.
    Les recherches sur le comportement électoral ont aussi emprunté à la géographie, le plus souvent dans un cadre régional (voir Laponce, 1983). Les spécialistes français de la géographie électorale, André Siegfried , François Goguel et Alain Lancelot pour ne citer qu'un seul dans chaque génération ont fondé leurs recherches sur la confrontation de cartes. André Siegfried , par exemple, a pu montrer que les sols granitiques étaient associés à des attitudes politiques conservatrices en France, tandis que les sols limoneux ne l'étaient pas.
    Les différences régionales dans la qualité du sol et dans le potentiel d'agriculture productive expliquent la diversité électorale de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal. Cependant, cette approche géographique des études électorales a été supplantée ces derniers temps par une analyse écologique de données agrégées, où la géographie disparaît simplement en faveur d'un ordonnancement sociologique d'unités territoriales ( Dogan et Derivry , 1988).D'autres politologues ont puisé dans certains aspects de la géographie, en conjonction avec l'histoire et la sociologie. Stein Rokkan (1975) a suggéré un cadre conceptuel pour l'analyse politique comparative, puisant largement dans la sociologie et la géographie. Il a rapproché les variables explicatives de Parsons, les différents cycles de " crise ", et la notion typiquement scandinave des relations centre périphérie, pour construire un schéma géographique construit autour des grands axes commerciaux reliant la Hanse, le Rhin et l'Italie, la distance à Rome et le caractère maritime ou terrestre de l'orientation d'un Etat. Bien que complexe, le schéma est suggestif, non seulement parce qu'il peut expliquer les différentes formes politiques présentes actuellement en Europe, mais aussi parce qu'il aide à comprendre pourquoi des Etats autrefois puissants ont disparu, comme par exemple l'Ecosse, le Pays de Galles, la Bretagne, la Bohême, la Bavière et l'Aragon.
    Résultant de toutes ces tendances, il y a aujourd'hui une incroyable fragmentation qui a fait que la géographie a empiété sur des terrains relevant à la fois des sciences sociales et des sciences naturelles, avec une tendance générale à aller de l'un à l'autre. " Après avoir étudié le monde comme un réceptacle des sociétés humaines, les géographes se sont tournés vers les sociétés elles mêmes et leurs constructions, les villes. La plupart des géographes sont devenus des chercheurs en sciences sociales et ont été classés comme tels dans les universités " ( Hare , 1988, 46). Ceci ne devrait pas nous surprendre.
    Les interactions avec d'autres disciplines ont maintenu la géographie en mouvement. " Plusieurs géographes ont développé leur méthode et à tel point pénétré d'autres disciplines qu'ils sont devenus des spécialistes... d'autres disciplines (géologie, hydrologie, ethnologie) ou, du moins, d'un secteur de ces disciplines " ( Brunet , 1982, 390). Une telle émigration vide le vieux noyau de la discipline. Lors d'un symposium sur les sciences sociales à Paris en 1982, un géographe demanda : " Ne resterait-il à la géographie qu'une part résiduelle de la connaissance, de plus en plus amenuisée avec les progrès des autres sciences ? Ou, au mieux, une ennuyeuse nomenclature ? Qu'apporte-t-elle réellement, a-t-elle un champ propre ou n'est-elle qu'une relique d'une ancienne division du travail actuellement dépassée ?. Y a-t-il en quelque sorte une identité du géographe, et, si oui, de quoi est-elle faite ?. " ( Brunet , 1982, 383, 402). Comme dans le cas des autres sciences sociales, nous pouvons suggérer que cette identité, si elle existe, peut être trouvée dans un idéal fédératif et non dans l'unité d'une discipline.

PSYCHOLOGIE

    La psychologie est tiraillée entre les sciences sociales et les sciences naturelles. Elle est la fille aînée de la philosophie, tandis que la psychiatrie a commencé par une rencontre entre la médecine et la neurobiologie. Un arbre généalogique du domaine dans son ensemble peut commencer avec la neuropsychologie et la psychobiologie, qui ont donné naissance à la psychogénétique et à la psychopharmacologie.
    Elle englobe une liste importante de sous-domaines : psychologie clinique, psychologie cognitive, psychologie du développement, psychologie du comportement, psychométrie, étude de la personnalité, psychologie physiologique, psychologie sociale, comportement animal, comportement de groupe, psychologie politique, psycholinguistique, psychopathologie, éthologie, pharmacologie comportementale, endocrinologie et la neuropsychologie. La psychologie sociale est aujourd'hui une discipline bien établie et autonome ; la psycholinguistique nourrit à la fois psychologie et linguistique ; la zoopsychologie attire autant de zoologues que de psychologues. Lawrence Kimpton constata dès 1956 la fragmentation et l'hybridation de la discipline, lorsqu'il souligna que " dans notre département de psychologie nous avons convenu qu'il y a la biopsychologie et la psychologie sociale, mais personne n'a pu me décrire de façon satisfaisante la différence entre un biopsychologue et un biologiste, ou me dire ce qu'est la psychologie sociale " ( Kimpton , 1956, 348-349). Comme chaque discipline voit les autres empiéter sur son territoire, toute tentative pour délimiter des frontières claires est vaine.
    On peut retrouver une image de la remarquable diversité de la discipline dans un bref historique d'un sous-domaine, celui de la psychologie comparative, dont l'évolution s'est faite par des réponses à des invasions successives venant de l'extérieur de la psychologie. C'est la théorie évolutionniste de Darwin qui a fait faire son premier pas au domaine, en insistant sur le fait que l'esprit humain n'était pas nécessairement d'un genre différent de celui des autres animaux. Des naturalistes britanniques ont été les premiers à rechercher les implications de ce raisonnement. G. J. Romanes , qui inventa le mot de "psychologie comparative", a été un pionnier du domaine, étudiant la structure et la fonction du système nerveux des méduses, étoiles de mer, et oursins de mer à une époque où certains doutaient encore que ces animaux eussent un système nerveux. Ses écrits vulgarisateurs peuvent être critiqués en toute honnêteté pour leur anthropomorphisme à l'égard des animaux, mais son travail a été important. C. Llyod Morgan a consacré ses premiers travaux à la becquée des couvées nouvellement écloses, une étude qui l'a conduit à développer l'idée d'une méthode d'apprentissage par " essai erreur ". L. T Hobhouse , un autre pionnier de la psychologie comparative, auteur de Mind in Evolution , fut un philosophe et un sociologue, pour qui l'étude du comportement animal ne fut qu'une étape dans sa carrière. La psychologie comparative fut aussi au centre de l'école soviétique de réflexologie fondée par Sechenov , mais plus connu à cause de Pavlov et de ses chiens.
    La seconde vague de psychologie comparative a été menée par des psychologues expérimentaux, et non par des biologistes : les animaux n'étaient ordinairement pas étudiés en tant qu'espèces isolées, mais en tant que proches des êtres humains. L'accent mis sur les réflexes et le conditionnement a systématiquement sous estimé le rôle de l'instinct par rapport à celui de l'environnement.
    La troisième vague de la psychologie comparative a réagi contre la précédente, en se fondant sur l'éthologie, et en particulier sur les travaux de Konrad Lorenz et de N. Tinbergen . Elle a conduit à une réaffirmation du rôle de l'instinct, ainsi que la nécessité d'étudier les animaux dans leur milieu naturel. En outre, cette école a démontré que non seulement les animaux ne répondaient pas d'une manière spécifique aux stimuli, mais qu'en réalité ils recherchaient certaines formes particulières de stimulation. L'éthologie a donc ouvert la voie à la psychologie physiologique. E. von Holst a démontré que l'activité locomotrice du poisson était centralisée, et n'était pas une simple chaîne de réflexes dépendant d'une stimulation sensorielle. V. von Saint-Paul et E. von Holst ont par la suite démontré que le fait de stimuler certains points particuliers du cerveau des poulets pouvait déclencher des séquences complètes d'action, apportant donc une preuve supplémentaire aux théories mettant l'accent sur le rôle autonome joué par le système nerveux. En cela, leur travail se rattache à la tradition de la psychologie comparative, qui a constamment cherché à se lier avec des domaines extérieurs à la psychologie, de la biologie à la zoologie, en passant par la physiologie. La physiologie a constitué d'autres hybrides avec la psychologie.
    Dans un récent bilan, W. G. Hall et R. W. Oppenheim estiment que " la psychologie du développement est un sous-domaine des disciplines parentes de la biologie du développement et de la psychologie du développement " ( Hall et Oppenheim , 1987, 93). Il y a eu de nombreux pionniers, venant de plusieurs domaines : J. B. Watson , K. Lashley , F Beach , L. Carmichael , C. L. et C. J. Herrick , George Coghill , W. Windle , Z. y. Kuo , T. C. Schneirla , A. Gesell , M. McGraw , Jean Piaget , etc. La psychologie du développement est un des domaines les plus étendus des sciences sociales.
    Les innovations récentes en psychologie du développement se sont aussi faites sous l'action de sous disciplines qui ont étudié le développement de l'adulte. Etant donné qu'elle s'est étendue de l'étude de l'enfance à celle de l'âge adulte, la psychologie du développement a gagné du terrain sur beaucoup de fronts, et les " affirmations sur la maturité intellectuelle sont concurrencées par de nouvelles perspectives interdisciplinaires de la connaissance de l'adulte " ( Datan , Rodeheaver et Hughes , 1987, 168). Il est intéressant de noter que le noyau originel de la psychologie l'étude du psychisme a été vide pendant une longue période, puisque les chercheurs étaient partis dans beaucoup de directions.
    Oden pose le problème succinctement : " La pensée, au sens large, c'est là tout l'objet de la psychologie ; définissez la de façon plus précise, et ça ne l'est plus du tout " ( Oden , 1987, 203). La spécialisation n'a pas conduit à l'étude de la " pensée ", mais à celle de la perception, de la mémoire, de la prise de décision de Bayes , des approches de solution des problèmes de Gestalt, de la compréhension du langage et autres composants de la pensée. Plus récemment, d'autres spécialités ont aidé la psychologie à se retourner vers son noyau. Cette invasion a commencé pendant la seconde guerre mondiale avec les théories cybernétiques du comportement humain, qui ont rendu possibles,
    pour les psychologues du comportement, l'abandon de la notion centrale mais trop étroite de réflexe, et la réintroduction du comportement orienté vers un but (téléologique) dans leurs analyses.
    Plus tard, l'informatique a aussi aidé à combler les lacunes de la réflexion sur la pensée. A. Newell , J. Shaw et Herbert Simon ont utilisé les ordinateurs pour simuler l'usage par l'être humain de l'heuristique pour résoudre les problèmes. Ils ont testé la théorie cognitive par ces simulations, et ont exploré les raisons de l'importance de l'heuristique pour la résolution des problèmes. Les études ultérieures des mécanismes de la pensée sont largement redevables au développement d'une théorie du réseau sémantique par Ross Quillian. Un exemple frappant de notre thèse : " Bien que souvent considérée comme une partie de l'informatique à l'origine, la théorie de Quillian fut en réalité une partie du travail en maîtrise de psychologie, faite sous la direction d'Herbert Simon " ( Oden , 1987, 204).Herbert Simon est lui même un remarquable hybride, et peut aussi se réclamer du sous domaine de l'administration publique en science politique, pour ne rien dire de l'économie, pour laquelle il obtint le prix Nobel. En plus d'avoir stimulé la pensée en tant que telle, l'informatique a aussi stimulé la pensée sur le processus d'information. L'hybride de la psychologie et de l'informatique l'intelligence artificielle, est désormais un domaine séparé, mais qui reste en contact avec la psychologie cognitive.
    La science cognitive, un domaine fortement hybride, puise dans la psychologie, la linguistique, l'informatique, la neuroscience et la philosophie. 0n s'interroge sur la manière dont le langage est acquis et utilisé, quels sont les processus importants dans la perception humaine et la mémoire, comment les êtres humains résolvent les problèmes, comment fonctionne la raison, en même temps qu'il étudie les fondements biologiques de ces processus, et la façon dont le vieillissement ou les dommages neurologiques peuvent les affecter. Ce domaine hybride s'est développé ces dernières années en grande partie indépendamment des progrès dans les sciences voisines, en particulier l'informatique, la linguistique et les mathématiques. Les progrès technologiques dans la représentation du cerveau ont eu aussi une grande importance, permettant ainsi aux chercheurs d'étudier ces processus en action.
    La science cognitive est un bon exemple de la manière dont les hybrides s'organisent : la Cognitive Science Society publie la revue Cognitive Science depuis près de quinze ans ; une série de revues sont apparues ces dernières années, Machine Learning , Cognitive Neuropsychology , Cognitive Neuroscience , Mind and Language , Connection Science , Neural Networks , etc.
    Ajouté au fait qu'il comble des vides énormes, ce domaine bénéficie des différences de méthodologie entre les disciplines cousines. Les expériences en laboratoire des psychologues, l'étude de l'intuition du locuteur des linguistes, l'examen des succès et des échecs de la programmation des informaticiens, l'étude des erreurs de langage de l'enfant par les linguistes du développement, sont une illustration de la diversité de méthodes qui contribuent toutes au progrès de la science cognitive.
    La sociologie et la psychologie se sont rencontrées pour fonder ce qui est aussi aujourd'hui une discipline formelle, la psychologie sociale. Le spectre de la psychologie sociale couvre une grande partie du comportement. La socialisation peut déterminer des facteurs tels que les valeurs, les besoins, les attentes, qui influencent la perception.
    Le développement psychologique conditionne évidemment la socialisation. La personnalité peut affecter l'interaction du groupe, et l'interaction sociale peut affecter la personnalité. Le domaine se démarque à la fois de l'accent mis par la psychologie du comportement sur le processus stimulus-réponse, et de l'analyse économique du processus de prise de décision en termes de logique formelle et de rationalité. Il peut être utile pour stimuler le progrès dans les deux domaines.
    D'autres étudient l'interaction entre des variables sociologiques et la santé mentale. Ce problème est complexe ; la mort d'un être cher, par exemple, peut conduire à la dépression, tandis que le divorce sera tantôt le résultat, tantôt la cause de la dépression. Des essais parus dans des revues, de G. Caplan , J. Cassel et S. Cobb au milieu des années 70, ont suggéré que l'existence d'un système et d'un réseau de soutien peut protéger les gens des effets déstructurants du stress sur la santé mentale, et ceci a aidé à stimuler la recherche dans cette direction.
    Un nouvel hybride appelé la psycho-immunologie a aboli l'opposition cartésienne corps/esprit, et la tradition de pensée occidentale qui en a découlé. Les recherches sur ce terrain étudient la relation entre variables sociales et psychologiques et santé physique, accordant une attention particulière au système immunitaire. La voie en ce domaine a été frayée par une découverte accidentelle du psychologue Robert Ader et l'immunologiste Nicholas Cohen : les rats pouvaient être conditionnés en vue de détruire leur système immunitaire, d'une manière analogue à celle utilisée pour les chiens de Pavlov . Les techniques de réactions biologiques, par lesquelles un patient entraîne son corps à supprimer la douleur, à diminuer le rythme cardiaque, entre autres, sont une application importante des conclusions de ce type de recherche.
    La diversité des interconnexions de la psychologie avec l'extérieur est remarquable. La linguistique intervient dans plusieurs domaines, parce que l'étude du langage comme système d'acquisition d'information renvoie à la psychologie cognitive, tandis que l'acquisition du langage et l'apprentissage d'une seconde langue font tous deux partie de la théorie psychologique de l'apprentissage. Les psychologues poli tiques ont étudié les leaders politiques en utilisant la théorie de la personnalité, des recherches sur le comportement des masses, les systèmes de croyances, les attitudes, la socialisation, les médias, et les problèmes de relations internationales étudiés à l'aide des théories de la connaissance et de la prise de décision ( Sears , 1987). Tandis que les spécialistes américains ont tendu, dans le domaine de la psychologie poli tique, à se concentrer sur les déterminants psychologiques du comportement électoral, les théoriciens européens, ceux par exemple de l'École de Francfort, se sont intéressés davantage à la manière dont la politique, et plus particulièrement la position socio-économique, influencent le développement psychologique de l'individu ( Deutsch , 1983).La psychologie recouvre aussi la sous discipline du comportement organisationnel, qui est " aux confluents de l'individu, du groupe et des études organisationnelles, prenant sa source dans la psychologie organisationnelle industrielle (I/O), et la théorie du management et de l'organisation (OMT), avec des flux plus importants venant de la psychologie (sociale, psychométrique), de la sociologie (des organisations, du travail et de la profession), et du management (scientifique, des relations humaines) " ( Schneider , 1985, 574). Le domaine en général étudie rôle, stress, satisfaction au travail, socialisation par l'entreprise, absentéisme, leadership et management, les variations démographiques, la structure de groupe, les relations intergroupes et la " culture " organisationnelle, tout ceci dans le contexte des grandes organisations modernes. Aux Etats-Unis beaucoup de chercheurs de ce domaine se trouvent dans des écoles spécialisées : les écoles de management parlent de " dollars ", tandis que la discipline du comportement organisationnel " utilise des mots étrangers comme motivation, leadership, satisfaction au travail, turbulence environnementale, etc. " ( Schneider , 1985, 574). La multiplicité des influences externes sur ce domaine reflète le manque de cadre théorique ou d'approche unifiante sur ce problème.
    Le résultat de l'hybridation de cette discipline est qu'on peut associer le mot " psychologie " au nom de n'importe quelle autre discipline formelle, et découvrir le titre d'une spécialité déjà existante. Chacune d'entre elles a grandi au contact des autres spécialités.

 

SCIENCE POLITIQUE

    La science politique recouvre les sous-domaines des relations internationales, la théorie politique, la politique comparée, la vie politique nationale, la politique publique et l'administration publique, et quelques autres. Ces sous-domaines ne sont pas clairement délimités.
    Comme le souligne Emmerich , pour l'un de ces sous-domaines, " dans la structure de l'organisation intellectuelle, le droit public administratif en est venu à avoir une profonde affinité avec la science politique, même si au sein de quelques institutions, il est associé aux recherches juridiques, et celles de gestion " ( Emmerich , 1956, 385).Diverses classifications ont été proposées. Elles sont aussi arbitraires les unes que les autres.
    Diviser la discipline par sujets, même si ceux-ci connaissent une fécondation mutuelle, est trompeur pour plusieurs raisons. 0n reconnaît comme sous-domaines la sociologie politique, la psychologie politique, l'économie politique, ou l'anthropologie politique, entre autres ; les zones de recherche sont évidemment des divisions supplémentaires. En général, il y a relativement peu d'échanges professionnels entre une personne qui étudie le Congrès américain et un spécialiste de la vie politique du Moyen-Orient, entre un philosophe politique et un expert en analyse statistique ou en modélisation mathématique, entre un africaniste et un expert des relations stratégiques Est-Ouest. Mais la plupart d'entre eux semblent entretenir de substantielles relations avec les chercheurs des autres disciplines, comme par exemple, les historiens du Moyen-Orient, des ethnologues de l'Afrique, des sociologues statisticiens, ou un collègue du département de philosophie. La relative absence d'un bloc méthodologique commun contribue à la fragmentation de la discipline et à la fécondation de ces fragments par des spécialités rattachées à d'autres disciplines.
    Du fait de la fertilisation croisée et de l'hybridation, la théorie politique a eu une histoire confuse. Les influences sont venues d'un peu tous les coins de la carte disciplinaire, regroupant des penseurs comme Jürgen Habermas , John Rawls , Robert Nozick , Martin Heidegger , Michel Foucault , H. G. Gadamer , György Lukacs , Antonio Gramsci , Louis Althusser et Karl Popper . Avec les années, " la théorie politique n'était plus centrée sur la science politique, et la science politique ne définissait plus les problèmes évoqués dans les écrits de théorie politique " ( Gunnell , 1983, 28). Les théoriciens politiques ont été influencés par la philosophie de la science et les préoccupations épistémologiques, relativement séparées des problèmes politique majeurs. Une grande partie de la théorie politique d'aujourd'hui consiste, en fait, en l'étude de l'histoire de la philosophie politique.
    Le sous-domaine du droit administratif, peut-être le deuxième par l'ancienneté dans la discipline, a, lui aussi, poussé les politologues en direction d'autres sciences sociales. Selon A. S. Blumberg dans la revue Criminal Justice (1967) " la recherche en science politique à propos des cours d'assises, par exemple, doit beaucoup au travail des sociologues " ( Baum , 1983, 196). D'autres ont été influencés par la recherche anthropologique sur la résolution des conflits, bien que cette influence soit limitée par le fait que la science politique tend à se placer à un niveau d'analyse différent.
    Le principal facteur d'hybridation et d'évolution fut la révolution béhavioriste. Entre les deux guerres, le béhaviorisme a relativement peu progressé, mis à part quelques exceptions comme le travail de l'École de Chicago dans les années 30. Le béhaviorisme a puisé dans plusieurs autres disciplines, et en fait la science politique ne fut qu'un des sites des échanges novateurs : " La plus grande réalisation de l'École de Chicago fut la réelle coopération interdisciplinaire qu'elle a accomplie au sein des sciences sociales " ( Jensen , 1969, 236). La spécialisation et la fragmentation qui lui ont succédé allaient rendre difficile la coopération au niveau des disciplines formelles, les contributions importantes allaient venir de zones plus étroites.
    Bien que la révolution béhavioriste ait été à l'origine de la création de nombreux sous-domaines de la science politique, William Riker pouvait encore écrire au début des années 60 que le processus était inachevé.
    ''Il y a un bouillonnement intellectuel considérable parmi les politologues d'aujourd'hui, dû au fait que la méthode traditionnelle de leur discipline semble s'être engagée dans un cul-de-sac. Ses méthodes traditionnelles c'est à dire écrire l'histoire, décrire les institutions, analyser la législation ont été exploitées à fond au cours des deux dernières générations, et maintenant, il apparaît à beaucoup (dont je suis) que celles ci ne peuvent produire que de la sagesse, et non de la science ou de la connaissance. Bien que la sagesse soit certainement utile dans les affaires humaines, un tel résultat est un échec par rapport à la promesse que contient le nom de science politique " ( Riker , 1962, 8).Le chapitre de David Easton sur " La condition de la science politique américaine ", dans son Framework for Political Analysis , soulignant la nécessité d'approches théoriques de la politique, est une puissante défense de la science politique pré-behavioraliste. Easton va jusqu'à démontrer qu'un des principaux principes de la révolution béhavioriste en science politique était que " la recherche politique pouvait ignorer les découvertes des autres disciplines, mais au risque d'affaiblir sa validité et d'empêcher une généralisation de ses propres résultats " ( Easton , 1965, 7). Les innovateurs ont cherché ailleurs l'inspiration. B. R. Berelson , P. F. Lazarsfeld et W. N. McPhee ont appliqué la psychologie sociale à la politique dans leur Voting (1954) ; Karl W Deutsch a appliqué la théorie de la communication à la politique dans son Nationalism and Social Communication (1953) ; et David B. Truman a utilisé les théories sociologiques du groupe dans sa théorie du The Governmental Process (1951). La science politique s'est depuis lors ouverte à de multiples influences, en particulier à l'économie et à la sociologie, et, dans une moindre mesure, mais de façon néanmoins importante, à la psychologie et la psychologie sociale, et quelques-uns ont recherché la fertilisation mutuelle avec l'anthropologie et d'autres disciplines formelles.
    Il y a eu des changements dans l'hybridation de la science politique. Dans les années 50 et 60, la sociologie a irrigué la science politique, apportant des contributions importantes, comme la théorie du groupe, la socialisation politique, les clivages sociaux, et la théorie des systèmes. Dans les années 70 et 80, l'économie est devenue le principal fertilisant de la science politique, en particulier avec la théorie des biens publics et de l'action collective, la théorie des jeux, celle du choix social, et la théorie du commerce international. La psychologie a constamment exporté vers la science politique. Dans les années 50 et 60, ses principaux apports furent la théorie de la personnalité et l'étude des valeurs. dans les années 70 et 80, la psychologie sociale et la psychologie cognitive exercèrent une grande influence sur certaines branches de la science politique.
    Une des principales raisons de toute hybridation est que la science politique a l'avantage d'être une discipline pragmatique, ce qui l'ouvre à beaucoup de praticiens éclectiques qui cherchent à résoudre des problèmes concrets. Heckhausen a comparé la science politique à la médecine : " Les nécessité de la pratique ont entassé au cours des siècles un salmigondis de progrès multidisciplinaires " ( Heckhausen , 1972, 86). Bien que cet éclectisme puisse constituer une faiblesse, accentuant les désaccords entre politologues, il peut aussi être une source de croissance et une forme d'hybridation précoce et permanente.

SOCIOLOGIE

    "Tous les sociologues ou à peu près ont cherché à définir l'objet de la sociologie. Ce qui est une autre manière de dire que personne ne paraît y être parvenu... aucune des définitions proposées n'a été universellement acceptée" ( Boudon , 1971, p. 11). Aujourd'hui la sociologie est extraordinairement fragmentée. A un certain stade de son expansion elle fut une discipline impérialiste. Auguste  Comte mettait la sociologie au deuxième rang, après la philosophie, et sous l'influence de Max  Weber , Emile  Durkheim , et Talcott  Parsons , parmi d'autres, la sociologie est devenue la reine des sciences sociales.
    Sous une forme ou sous une autre la sociologie a envahi toutes les disciplines formelles des sciences sociales. A son tour la sociologie a été touchée par de multiples vagues successives au cours de la dernière moitié du siècle, par des courants venus de la psychologie, de l'anthropologie, de la science politique et de l'économie, sans oublier les échanges avec l'histoire (voir le chapitre 21). L'interaction avec la psychologie est en grande partie responsable du développement de la rigueur méthodologique en sociologie, en particulier la recherche sur le comportement, l'adoption de concepts clés comme les valeurs ou la socialisation, et l'emprunt de méthodes telles que la recherche par enquêtes, et l'analyse statistique.
    Les apports de l'anthropologie sont surtout théoriques, notamment ceux du structuro-fonctionnalisme. La science politique a influencé beaucoup de sociologues qui commencèrent à s'interroger sur le pouvoir, en particulier dans les années 60. Plus récemment, les tentatives pour expliquer les différences des valeurs et motivations ont orienté beaucoup de sociologues vers les méthodes de l'économie. Il n'y a pas aujourd'hui de domaine à qui on pourrait donner le nom de sociologie sans lui adjoindre un adjectif. Greenstein a raison de souligner qu'"il n'existe pas de 'purs'sociologues ou psychologues qui correspondent à nos critères de définition abstraits de la discipline" ( Greenstein , 1969, 164). Il y a deux générations, un doyen de sciences sociales de l'Université de Chicago avait déjà pensé abolir complètement la sociologie, comme l'explique James Miller , parce qu'"il y avait un chevauchement complet entre pratiquement tous les cours donnés en sociologie, et les cours donnés en économie, science politique, psychologie, géographie, histoire ou anthropologie. Un tel domaine allait inévitablement connaître des tensions internes, à moins d'être unifié par une forte approche théorique qui serait communément acceptée" (dans Deutsch , Markovits , Platt , 1986, 55). Talcott  Parsons avait jadis tenté de construire une telle théorie, et de maintenir l'unité de la discipline. Mais il avait beaucoup exagéré l'unité interne de la discipline. De telles tentatives, si elles étaient entreprises aujourd'hui " apparaîtraient comme risibles " ( Smelser , 1988, 12).Aujourd'hui au sein de l'Association internationale de Sociologie il existe un comité de recherche sur la " Théorie de la Sociologie ", mais cette discipline s'est étendue ou dispersée dans toutes les directions, comme on peut le voir dans la liste des comités de recherche de l'AIS.
    Il y a des sociologues de l'éducation, du droit, de la science, de la religion, de la médecine, des valeurs, de la connaissance, de la politique, de l'économie, de la famille, des loisirs, du sport, de la déviance, de la communication, de l'aliénation, de l'agriculture, des organisations, de l'impérialisme, de la santé mentale, des migrations, des sexes, de la jeunesse, et des arts, de même qu'il existe des comités de sociologie rurale, sociologie urbaine, sociologie militaire, sociologie comparative, sociolinguistique, psychologie sociale, sociocybernétique, écologie sociale, etc. Personne ne parle aujourd'hui de sociologie en général, sauf pour des raisons administratives ou d'enseignement. Comme le suggère cette liste la matrice de la sociologie a éclaté en sous-domaines spécialisés. Certains sociologues après avoir envahi un sous-domaine voisin ont " quitté leur terre natale ", et maintenant un gouffre culturel les sépare de leurs anciens compatriotes. Un regard sur la liste suffit à mesurer l'ampleur du chevauchement entre la sociologie et les sous-domaines des autres sciences sociales.
    Chaque sous-domaine de la sociologie entretient des relations avec des sous-domaines d'autres disciplines. Voici un témoignage parmi d'autres :" La sociologie religieuse a besoin du concours de toutes les sciences humaines. Nous les avons presque toutes rencontrées : géographie et histoire, psychologie et ethnologie, droit et morale, théologie et liturgie. On ne saurait s'étonner qu'il y eût quelques conflits de frontières et que le débat se poursuive sur les relations entre la sociologie religieuse et la psychologie ou l'histoire, sur les réserves de la géographie humaine ou de la phénoménologie ''(Gabriel Le Bras , p. 95).Le terme de " sociologie " n'a plus grand sens aujourd'hui, bien qu'il soit une appellation commune à un grand nombre de gens, s'intéressant à des choses très différentes. Prospectant l'avenir de la discipline, Neil Smelser prévoit que " la probabilité pour que ce terme dé signe un domaine identifiable tendra à diminuer, même s'il y a des raisons évidentes de carrière professionnelle pour les individus qui ont suivi des formations de sociologues ; il semble que l'investissement dans la discipline en général diminuera, et que des sous-groupes chercheront à échanger et à se regrouper dans des organisations à l'intérieur (par ex. dans des sections spéciales) ou à l'extérieur (par ex. une société pour l'étude du choix public) de l' Association internationale de Sociologie " ( Smelser , 1988, 13). En réalité, même ceux qui sont formellement à l'intérieur de la discipline sont déjà, en large part, intimement liés à l'extérieur. Parmi les 50 sections reconnues par le Guide to Graduate Study in Sociology publié par l'Asso ciation américaine de Sociologie de 1986, 41 sont des domaines croisés et 9 seulement sont considérés comme appartenant au coeur de la sociologie. Parmi ces spécialités situées au centre de la sociologie se trouvent la théorie, la méthodologie, l'histoire de la sociologie, la pratique sociologique, l'étude du comportement collectif, et celle de la stratification. Les autres sont, à des degrés divers, pénétrées par les spécialités d'autres disciplines, qu'elles relèvent des autres sciences sociales ou de la biologie, de la médecine, des mathématiques ou de la musique. La sociologie comparative et la politique comparée ont une relation fructueuse, en particulier dans l'élaboration des techniques d'analyse. La criminologie ne dépend pas seulement de la sociologie et de la jurisprudence, mais aussi des études psychologiques de la déviance, et plus récemment, des modèles économiques ont alimenté le débat. La sociologie industrielle est en contact étroit avec les relations industrielles en économie, et avec un nombre croissant de politologues intéressés par le rôle des syndicats dans la vie politique nationale. L'étude sociologique de la religion tire parti non seulement des études religieuses, mais aussi de l'anthropologie ; la sociologie rurale entretient des échanges avec la géographie sociale, les études anthropologiques paysannes et les historiens des sociétés rurales. Les sociologues qui étudient les processus de socialisation entrent en contact avec des psychosociologues, les anthropologues culturels et les politologues. La sociologie rencontre la linguistique dans la sociolinguistique, les relations internationales dans la sociologie des conflits ; les études urbaines dans la sociologie urbaine, et la démographie dans la sociologie du vieillissement. La sociologie a aussi formé un domaine hybride avec la pédagogie.
    La sociologie de l'éducation a des échanges avec beaucoup d'autres sciences sociales et c'est seulement la matière du sujet qui fait l'unité du domaine. Ses sous-domaines principaux sont la psychologie de l'éducation, la philosophie de l'éducation, l'histoire de l'éducation, l'anthropologie de l'éducation. Ici encore, la matière du sujet se fragmente au contact des autres disciplines formelles.
    Il existe beaucoup d'autres divisions dans la sociologie, et c'est inévitable. " Il est difficile d'imaginer un paradigme unique, s'appliquant à la foule de problèmes et de niveaux d'analyse existant en sociologie " ( Turner , 1988, 51). Raymond  Boudon (1988) montre qu'il existe plusieurs approches différentes dans la recherche sociologique, qui peuvent coexister, même si elles sont incompatibles entre elles. Il distingue trois choix méthodologiques différents, chacun étant un choix binaire, générant huit conceptions de base de la recherche sociologique. Un tel pluralisme intellectuel dénie effectivement à la discipline un corps central, et probablement, par la même occasion, une unité.
    Certains choix sont intimement liés à des disciplines extérieures ; l'étude des acteurs sociaux en tant qu'êtres rationnels empiète sur l'économie, tandis que ceux qui étudient les comportements irrationnels s'appuient sur la psychologie et la psychologie sociale.
    D'autres clivages divisent aussi la sociologie. 0n ne peut pas, semble-t-il, appartenir à la fois à une école marxiste et à la tradition weberienne de la sociologie. Les deux s'excluent l'une l'autre, dès leurs origines, et cela est attesté par le fait que  Weber lui même ne cite  Marx que deux fois ; en dépit de ses efforts, Günter Roth n'a pas réussi dans sa tentative pour construire un pont entre les deux géants. De même, Durkheim ne se réfère pas à  Marx , et n'est pas entré en relations avec son contemporain Max  Weber . Des sociologues freudiens se distinguent de tous ceux-là, et, en fait, Freud lui même ne se réfère à aucun d'entre eux. Bien que Parsons ait trouvé un peu d'inspiration chez  Weber , il y a néanmoins entre eux un abîme. Cette situation a conduit Paul Veyne à un jugement impitoyable et même excessif." La sociologie n'est qu'un mot, sous lequel on place différentes activités hétérogènes : phraséologie et topique de l'histoire, philosophie politique du pauvre ou histoire du monde contemporain... écrire l'histoire de la sociologie, de  Comte à  Durkheim , en passant par  Weber Parsons et Lazarsfeld , ne serait pas écrire l'histoire d'une discipline, mais celle d'un mot. De chacun de ces auteurs à l'autre, il n'y a pas de continuité de fondement, d'objet, de propos ou de méthode ; "la" sociologie n'est pas une discipline une, qui aurait évolué ; sa continuité n'existe que par son nom, qui établit un lien purement verbal entre des activités intellectuelles qui ont pour seul point commun de s'être établies en marge de disciplines traditionnelles. Il v avait du vide entre ces disciplines... Dans ce terrain vague entre les vieilles disciplines sont venues camper successivement, en des emplacements différents, des entre prises hétéroclites, qui ont dû à leur seule marginalité d'avoir reçu le même nom de sociologie. La question n'est donc pas de savoir, par exemple, ce que le sociologue  Durkheim a de commun avec le sociologue  Weber , car ils n'ont rien de commun... Un signe ne trompe pas : étudier la sociologie n'est pas étudier un corps de doctrine, comme on étudie la chimie ou l'économie ; c'est étudier les doctrines sociologiques successives, les placita des sociologues présents et passés " ( Veyne , 1971, 191).Les successeurs de ces géants ont des difficultés à communiquer, c'est vrai, et les désaccords idéologiques et politiques exacerbent les clivages. Les différences idéologiques peuvent être facilement déplorées, mais si un dialogue s'établissait entre eux, le choc des perspectives pourrait faire avancer la cause de la science, en forçant chacun à justifier avec plus de rigueur ses positions.
    Dans certains cas, l'apparition d'une nouvelle perspective peut avoir des implications pour nombre de sous-domaines de la discipline. Neil Smelser décrit un tel cas : " Commençant par la critique de Coser inspirée par Simmel, la critique de  Marx par Mills , et la critique de  Weber par Dahrendorf , le conflit de perspective a éclaté dans plu sieurs douzaines de directions, touchant les sous domaines de la sociologie les uns après les autres, la sociologie des sexes, la sociologie de l'éducation et celle de la déviance " ( Smelser , 1988, 11). La plupart d'entre eux ont affecté d'autres disciplines formelles. Une seule innovation peut irradier toute une discipline et au delà. L'hybridation de la sociologie a bien sûr donné naissance à beaucoup de nouveaux terrains de recherche et de connaissance.  Boudon et Bourricaud (1982) se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles la montée de la sociologie a été suivie d'un déclin aussi rapide. Nous voyons plutôt un éclatement vers les périphéries, et un déclin seulement au centre. Aujourd'hui, les sociologues continuent à se battre tellement, en terre étrangère, que le centre de la discipline est déserté, sauf par quelques fidèles comme Raymond  Boudon , Pierre  Bourdieu , Anthony Giddens , John Golthorpe ou Neil Smelser . Le centre de la sociologie est aujourd'hui aussi vide que la péninsule italienne à la fin de l'Empire romain, quand toutes les troupes étaient aux frontières. Il n'est pas impossible que la sociologie connaisse, à l'avenir, le même destin que la philosophie : sa descendance abandonnera la maison familiale, pour construire de nouvelles forteresses académiques. L'incohérente diversité de la sociologie apparaît avec encore plus de clarté si on la compare avec les disciplines dont le corps central est identifiable, comme par exemple l'économie politique et la linguistique.

LINGUISTIQUE

    La linguistique est une discipline ancienne, dont on peut trouver trace dans l'ancien sanskrit et les études des grammairiens grecs. Elle fut aussi une des premières à proposer des lois vérifiables du comportement social. Les premières de ces lois furent élaborées à partir de la démonstration faite en 1787 par William Jones que le sanskrit, let contact avec les autres : phonétique, phonémique, morphologie, morphophonémique, syntaxe et pragmatique. Bien sûr, ils échangent aussi avec les autres disciplines. A partir de ce corps central, les linguistes rencontrent l'acoustique, l'anthropologie, l'intelligence artificielle, la logique formelle, les mathématiques, la psychologie et la sociologie. La sociolinguistique, par exemple, étudie les eff grec et le latin avaient un ancêtre commun, et par Frederick Schlegl , qui ajouta les langues indienne, perse, grecque, italienne et germanique à la famille en 1808. Grâce à de telles découvertes, Francis Bopp , William Humboldt , Jacob Grimm et Eugene Burnouf ont développé une classification généalogique des langues, et ont commencé à travailler sur les lois de dérivation d'une langue par rapport à ses formes passées. Globalement, ces lois sont encore valables aujourd'hui. Nonobstant son âge, la linguistique est étonnamment cohérente.
    Les linguistes doivent connaître un corps central, dans lequel ils choisissent une spécialisation, sans complètement perdre touets de la classe sociale, de la mobilité géographique, des problèmes de colonisation et autres déterminants sociologiques sur l'usage de la langue et des dialectes.
    La psycholinguistique étudie la réalité psychologique des catégories linguistiques, le processus de création et de compréhension du discours, mais aussi les aspects de la connaissance liés au langage. D'autres sujets d'études comme la psycholinguistique comparative, le bilinguisme, l'analyse de contenu, les processus associatifs dans le comportement verbal, les dimensions de la signification, le style, l'aphasie et les universalités dans le langage peuvent être évoqués. Le domaine a eu son coup d'envoi par un séminaire du Social Science Research Council en 1951, qui a conduit à la constitution d'un comité de linguistique et de psychologie, comprenant des psychologues comme John Carrol , James Jenkins , George Miller et Charles Osgood , et des linguistes comme Joseph Greenberg , Flyod Lounsbury et Thomas Sebeok . Il a progressé sous l'action de la revue de A. R. Diebold de 1954 portant sur les problèmes proposés par le SSRC. Au cours de la décennie 50, les linguistes structuralistes comme Bloomfield , Fries , Hockett et Pike ont dominé le domaine naissant. La sous-discipline n'a pas réellement explosé, jusqu'à ce que George Miller applique les règles de transformation de Chomsky à la psychologie, date habituellement considérée comme celle du début réel de la psycholinguistique comme terrain de recherche autonome.
    L'étendue de la discipline est remarquable : "La linguistique devient une discipline qui est à la fois une science naturelle, une branche des humanités, et une science sociale" ( Parsons , 1965, 54). Son centre garde cependant une certaine cohérence, et un sous domaine comme la linguistique historique peut puiser la plupart de ses données dans n'importe quel secteur de la discipline. Les spécialistes en syntaxe ne peuvent éviter de se confronter à la sémantique, la morphologie et même la phonologie, entre autres sous-domaines dépendants. Tous les linguistes savent, par exemple, que la syntaxe ne peut pas expliquer pourquoi la phrase, " des idées vertes sans couleur dorment furieusement " n'est pas " grammaticale " ; la réponse réside évidemment dans le domaine voisin qu'est la sémantique, et pas nécessairement hors de la discipline, dans la psychologie ou la logique. De tels problèmes ont contribué à l'intérêt actuel des chercheurs en syntaxe ou en morphologie pour la sémantique. Dans une discipline aussi cohérente, l'autofertilisation est possible parmi les sous-domaines, comme c'est le cas pour certaines plantes. Souvent, ce sont les développements dans un sous-domaine de la linguistique qui stimulent l'innovation ailleurs dans la discipline. Les prospections de Noam Chomsky dans Syntactic Structures (1957) ont conduit à une sorte d'impérialisme de la syntaxe à l'intérieur de la discipline, une domination qui s'est affaiblie seulement au cours de la dernière décennie. La syntaxe a eu un impact sur la phonologie générative, comme le montrent les exemples de The Sound Pattern of Russian (1959) de M. Halle, les Aspects of Phonological Theory (1961) de P. Postal , et le classique The Sound Pattern of English (1968) de Chomsky et Halle. Plus récemment, les problèmes de sémantique et de pragmatique ont eu tendance à occuper le devant de la scène. Les domaines hybrides comme la sociolinguistique ou la psycholinguistique sont souvent les premiers à absorber et à exploiter les innovations des sous-domaines appartenant au corps central. D'autres disciplines absorbent elles aussi fréquemment les innovations et les méthodes de la linguistique, comme ce fut le cas en anthropologie dans les analyses sémantiques des systèmes de parenté par Flyod Lounsbury et Ward Goodenough . Les linguistes ont tiré parti du fait que leur corps central était relativement fort. Tout d'abord, cela rend la communication plus facile entre les diverses spécialités. En un certain sens, l'existence d'un noyau central permet aussi la spécialisation par sujet, tandis que l'on partage méthodes, concepts, perspectives et théories. Bien sûr, il y a aussi un prix à payer pour cette cohérence. L'existence de corps centraux peut néanmoins créer des fractures. Ces clivages de la linguistique deviennent plus évidents si on examine la linguistique historique : nous n'avons qu'une petite idée des raisons pour lesquelles les langues se modifient. En fait, une des observations les plus anciennes du sous-domaine, la loi de Grimm (telle qu'elle a été modifiée par Verner) en reste au stade de la généralisation descriptive, corrélant les consonnes de l'indo-européen d'origine avec leurs reflets en langue germanique. Pourquoi un groupe linguistique donné joue de la chaise musicale avec l'ensemble de son système de consonnes, cela reste un mystère. A une plus grande échelle, on peut se poser des questions sur les résultats d'une rencontre entre deux langues, en se demandant pourquoi la plupart des Celtes britanniques ont abandonné leurs langues en faveur de l'anglo-saxon dominant au bas Moyen Age, alors que les Anglo-Saxons n'ont pas adopté le français normand après 1066 ; le français normand a pour sa part emprunté au scandinave dominant par le biais des vassaux français de Normandie, mais nous ne savons pas pourquoi. Les raisons de ces différences dans les choix d'une langue ont des effets importants sur son développement ultérieur, comme par exemple la créolisation partielle de l'anglais et du français normand, qui a stimulé les changements radicaux du vieil anglais au moyen anglais, de Beowulf à Chaucer. Cependant, les méthodes de la linguistique historique, comme celles de la plupart des linguistes, ne sont pas les meilleures pour poser ces questions.

ÉCONOMIE

    A écouter les économistes, on entend deux discours contradictoires. Pour les uns, en minorité, la science économique "est balkanisée, éclatée en une multitude de disciplines, chacune étant organisée autour d'une ou deux revues d'où la difficulté pour un économiste d'être au courant de l'état de la science, même s'il existe, fort heureusement, un vocabulaire commun, des théories partiellement englobantes, des associations, des publications ou des hommes assurant des liaisons au sein de l'ensemble (...) Que cette idée plaise ou non, il faut se rendre à l'évidence : la science économique d'aujourd'hui ne peut se condenser en un Traité qui présenterait pour dix ans un savoir figé et sûr. Même s'il existe des bases théoriques solides sur lesquelles s'accordent la quasi-totalité des économistes, la science économique est avant tout un écosystème social qui mélange ordre et désordre et qui se réorganise en permanence au fur et à mesure que progresse la connaissance " (Lesourne, 1990). Pour la majorité des économistes, l'économie a un corps central bien défini. Tous les économistes doivent avoir une formation en théorie monétaire et finance, en macro-économie et micro-économie (théorie de la production, de la demande, de l'échange, de la distribution), et des connaissances mathématiques. Pour la plupart, ils empruntent seulement aux mathématiques et aux statistiques. Leurs divisions sont générées par l'évolution interne, et non par des influences externes. Les économistes peuvent être divisés en deux clans, les théoriciens et les économètres, et la communication entre les deux n'est pas toujours facile. Les théoriciens, tels les moines érudits du Moyen Age, construisent de belles théories détachées de la réalité. Les économètres, de leur côté, analysent des montagnes de données, ignorant les théories des théoriciens, et sont ignorés en retour par ceux-ci On peut aussi distinguer des sous-domaines solides : monnaie et finance, relations industrielles, économie internationale, développement économique, droit et économie, histoire économique, et planification économique comparée. Ces sous-domaines sont - comme ceux de la linguistique ouverts dans une certaine mesure aux sous domaines des autres disciplines comme, par exemple, la science poli tique (relations industrielles, développement économique, politique économique), l'histoire (histoire économique), le doit (droit et économie) et la sociologie (relations industrielles). Les relations industrielles, par exemple, échangent avec le droit du travail, la gestion du personnel, la sociologie industrielle, la psychologie industrielle, et la médecine industrielle. Le sous-domaine le plus ouvert a été finalement, expulsé : l'histoire économique ayant goûté au fruit de la connaissance historique, a été en grande partie chassée de l'Eden des économiste, dans le sens qu'elle est mieux connue en histoire et science politique qu'en économie. 
    Même si quelques-uns de ces sous-domaines sont ouverts Sur,, l'extérieur, les économistes ne travaillent pas habituellement dans des domaines hybrides. Ceux qui font des recherches aux confins de la discipline adoptent généralement la méthodologie de leurs disciplines et l'appliquent à la matière de la discipline limitrophe, une forme limitée d'impérialisme trans-disciplinaire, mais puissante néanmoins. Cette approche "a renforcé l'impérialisme expansionniste de l'économie vers les domaines traditionnels de la sociologie, la science politique, l'anthropologie, le droit et la biologie sociale " ( Hirshleifer , 1985, 53).Gary Becker, par exemple, a utilisé les méthodes économiques pour expliquer la discrimination raciale, le crime, le mariage, les relations entre enfants et parents, le suicide et maints autres phénomènes "sociologiques ".L'étendue de ces applications est impressionnante. Les économistes Georges J. Stigler et Sam Peltzman, étudiant le droit, l'économie et la régulation politique, ont développé une théorie du " soutien politique ". Leur modèle peut expliquer les services publics, les soutiens à l'agriculture, l'autorégulation des médecins et des avocats, et maintes autres formes d'intervention politique sur des marchés. Leur théorie montre aussi une puissante habileté à expliquer les résultats des politiques, en faisant abstraction du processus politique. D'autres, comme Gary Becker , William Brock , Stephen Magee et Leslie Young ont commencé à puiser dans des spécialités de la science politique, comme le comportement des groupes d'intérêts et la compétition entre partis ; le travail de Brock , Magee et Young , en particulier, offre la possibilité d'ajouter des éléments concernant les processus dans ce genre de modèles. En fait, la science politique a probablement été le terrain le plus important de l'invasion de l'économie. Une spécialité hybride - le choix public ne peut être clairement assignée ni à la science politique, ni à l'économie. Faiblement institutionnalisés, ses praticiens peuvent trouver leur patrie académique au sein de l'un des sous-domaines des deux disciplines, que ce soit la théorie politique, la politique comparée, les finances publiques ou droit économique.
    L'économie, comme la linguistique, a elle aussi ses fractures. Les économistes sont, à juste titre, fiers de leur expansion impérialiste.
    Cependant, il existe des variables non rationnelles et non économiques, qui influencent le comportement économique, allant des contraintes biologiques qui s'exercent sur l'esprit humain au processus de socialisation. Le lauréat du prix Nobel F. A. Hayek a même suggéré que " personne ne peut être un grand économiste, s'il est seulement un économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui ne serait qu'économiste a toutes les chances de devenir nuisible, si ce n'est réellement dangereux " (Hayek, 1956, 463). Hayek illustre ceci par son propre travail, et son livre, The Road of Serfdom, puise dans la théorie de la démocratie, autant que dans l'économie. Plusieurs disciplines se réclament de l'autre lauréat du prix Nobel d'économie, Herbert Simon, qui a puisé dans l'économie, la psychologie, la science politique, la théorie des organisations et l'informatique ; mais Simon n'a jamais détenu une chaire dans un département d'économie.
    Les méthodes économiques sont relativement impuissantes à expliquer les "événements" soudains. C'est en grande partie parce que aucun des concepts économiques clés n'est observable, ou même s 'il l'est, quantifiable ; par exemple la notion d'utilité, les fonctions d'utilité, les fonctions d'offre, les fonctions de demande, les économies d'échelle, etc. Ce en quoi les économistes excellent, c'est dans la prédiction du sens de l'évolution de quelques variables, si un changement intervient sur une autre variable. La théorie de la demande n'explique pas les goûts des consommateurs, mais explore en revanche les effets des modifications de l'offre sur l'équilibre qui en découle ; la théorie keynésienne n'explique pas la demande courante, mais prévoit comment la demande va augmenter ou diminuer, en réponse à une politique gouvernementale donnée.
    Compte tenu de ces limites, la méthode des économistes a été à la fois productive et impérialiste. " Les tendances impérialistes d'une discipline ne sont pas néfastes pour les autres ; elles obligent celles-ci à recevoir, accepter, modifier des points de vue, et à utiliser des concepts, des méthodes et des techniques qui sont venus d'ailleurs. Elles reflètent l'impossibilité d'une définition spécifique d'un champ de phénomènes et, assez paradoxalement, l'unité de la démarche scientifique " (Lichnerowicz, 1972, 122). L'économie a seulement besoin de recevoir autant qu'elle donne.
    Nous voyons donc que les deux disciplines les plus " impérialistes " des sciences sociales, l'économie et la sociologie, évoluent de façon différente. Les économistes sont comme une horde mongole disciplinée, bien organisée, qui cherche à conquérir les populations indigènes. Quant aux sociologues, ils ressemblent aux migrations germaniques : des masses désorganisées errant sans but sur tout un continent, saccageant quelques capitales, avant de déménager à nouveau, établissant des royaumes seulement pour une durée limitée. Aujourd'hui, la sociologie est à son tour sujette à l'invasion, parce qu'elle est divisée en écoles idéologiques et sectes méthodologiques, ne pouvant ou ne voulant pas résister aux envahisseurs de tous bords. Les économistes devraient toutefois se souvenir que l'Empire mongol de Gengis Kahn a été divisé entre ses descendants en une série de royaumes dispersés. Ce passage en revue des disciplines nous a conduits à mettre en question l'utilité du cadre existant de l'organisation universitaire.
    Nous n'avons pas de réponse satisfaisante, mais seulement des questions. Mais supposons que, dans un pays démocratique, tous les départements de sociologie soient éliminés pour une raison quelconque. Ceci n'est pas une pure conjecture. Après la crise de Mai 68 en France, le nouveau ministre de l'Education nationale, Edgar Faure (un professeur de droit), fut à l'origine d'une discussion sur " ce qu'il fallait faire " à propos des sociologues, connus pour être des non-conformistes, voire des trublions. Quelques-uns ont suggéré la dispersion des sociologues, mais d'autres ont craint que le virus ne se répande plus facilement de cette manière. La solution sur laquelle on tomba d'accord fut de concentrer et d'isoler certains d'entre eux, les installant dans une nouvelle université. Ce fut une expérience de courte durée, mais qui montre que notre conjecture n'est pas absurde ;ce que suggèrent aussi les efforts répétés de l'administration Reagan, en vue d'éliminer toutes les aides gouvernementales à la recherche en sociologie. En fait, les contraintes financières peuvent avoir le même effet : l'Université de Washington de Saint-Louis ferme progressivement depuis 1989 son département de sociologie, et l'Université de Columbia se débarrasse à la fois de la géographie et de la linguistique (New York Times, 10 mai 1989).Si les hommes politiques avaient réussi à éliminer la sociologie, que serait il arrivé ? Tant que les autres sciences sociales auraient gardé leur entière liberté, la recherche en sociologie aurait continué comme avant, trouvant refuge dans d'autres disciplines. Les voisins de la sociologie auraient été plutôt heureux d'accueillir ces nouveaux venus ; 30 ou 40 nouveaux hybrides dans ces domaines en auraient bientôt résulté, recouvrant les spécialités hybrides qui existent aujourd'hui en sociologie. Seuls quelques sous-domaines, comme les "Théories sociologiques" ou l'"Histoire de la Sociologie" auraient souffert. Si l'anthropologie, l'histoire ou la science politique devaient en être les victimes, la même prolifération aurait lieu dans les disciplines avoisinantes. La démographie a déjà été coupée en morceaux ; la philosophie est dépossédée, la plupart de ses tâches étant assumées ailleurs. La disparition de l'économie, de la psychologie ou de la linguistique causerait plus de difficultés, mais qui ne seraient pas insurmontables. Cette capacité d'adaptation et de survie montre le caractère artificiel des frontières entre les disciplines.
    Nous sommes habitués aux disciplines traditionnelles, en partie à cause des divisions administratives des universités, et en partie à cause de la fonction que remplissent les départements dans l'enseignement.
    Sur le terrain de la recherche, en revanche, de telles divisions sont largement artificielles aujourd'hui.

SCIENCE POLITIQUE

    La science politique recouvre les sous-domaines des relations internationales, la théorie politique, la politique comparée, la vie politique nationale, la politique publique et l'administration publique, et quelques autres. Ces sous-domaines ne sont pas clairement délimités.
    Comme le souligne Emmerich , pour l'un de ces sous-domaines, " dans la structure de l'organisation intellectuelle, le droit public administratif en est venu à avoir une profonde affinité avec la science politique, même si au sein de quelques institutions, il est associé aux recherches juridiques, et celles de gestion " ( Emmerich , 1956, 385).Diverses classifications ont été proposées. Elles sont aussi arbitraires les unes que les autres.
    Diviser la discipline par sujets, même si ceux-ci connaissent une fécondation mutuelle, est trompeur pour plusieurs raisons. 0n reconnaît comme sous-domaines la sociologie politique, la psychologie politique, l'économie politique, ou l'anthropologie politique, entre autres ; les zones de recherche sont évidemment des divisions supplémentaires. En général, il y a relativement peu d'échanges professionnels entre une personne qui étudie le Congrès américain et un spécialiste de la vie politique du Moyen-Orient, entre un philosophe politique et un expert en analyse statistique ou en modélisation mathématique, entre un africaniste et un expert des relations stratégiques Est-Ouest. Mais la plupart d'entre eux semblent entretenir de substantielles relations avec les chercheurs des autres disciplines, comme par exemple, les historiens du Moyen-Orient, des ethnologues de l'Afrique, des sociologues statisticiens, ou un collègue du département de philosophie. La relative absence d'un bloc méthodologique commun contribue à la fragmentation de la discipline et à la fécondation de ces fragments par des spécialités rattachées à d'autres disciplines.
    Du fait de la fertilisation croisée et de l'hybridation, la théorie politique a eu une histoire confuse. Les influences sont venues d'un peu tous les coins de la carte disciplinaire, regroupant des penseurs comme Jürgen Habermas , John Rawls , Robert Nozick , Martin Heidegger , Michel Foucault , H. G. Gadamer , György Lukacs , Antonio Gramsci , Louis Althusser et Karl Popper . Avec les années, " la théorie politique n'était plus centrée sur la science politique, et la science politique ne définissait plus les problèmes évoqués dans les écrits de théorie politique " ( Gunnell , 1983, 28). Les théoriciens politiques ont été influencés par la philosophie de la science et les préoccupations épistémologiques, relativement séparées des problèmes politique majeurs. Une grande partie de la théorie politique d'aujourd'hui consiste, en fait, en l'étude de l'histoire de la philosophie politique.
    Le sous-domaine du droit administratif, peut-être le deuxième par l'ancienneté dans la discipline, a, lui aussi, poussé les politologues en direction d'autres sciences sociales. Selon A. S. Blumberg dans la revue Criminal Justice (1967) " la recherche en science politique à propos des cours d'assises, par exemple, doit beaucoup au travail des sociologues " ( Baum , 1983, 196). D'autres ont été influencés par la recherche anthropologique sur la résolution des conflits, bien que cette influence soit limitée par le fait que la science politique tend à se placer à un niveau d'analyse différent.
    Le principal facteur d'hybridation et d'évolution fut la révolution béhavioriste. Entre les deux guerres, le béhaviorisme a relativement peu progressé, mis à part quelques exceptions comme le travail de l'École de Chicago dans les années 30. Le béhaviorisme a puisé dans plusieurs autres disciplines, et en fait la science politique ne fut qu'un des sites des échanges novateurs : " La plus grande réalisation de l'École de Chicago fut la réelle coopération interdisciplinaire qu'elle a accomplie au sein des sciences sociales " ( Jensen , 1969, 236). La spécialisation et la fragmentation qui lui ont succédé allaient rendre difficile la coopération au niveau des disciplines formelles, les contributions importantes allaient venir de zones plus étroites.
    Bien que la révolution béhavioriste ait été à l'origine de la création de nombreux sous-domaines de la science politique, William Riker pouvait encore écrire au début des années 60 que le processus était inachevé.
    ''Il y a un bouillonnement intellectuel considérable parmi les politologues d'aujourd'hui, dû au fait que la méthode traditionnelle de leur discipline semble s'être engagée dans un cul-de-sac. Ses méthodes traditionnelles c'est à dire écrire l'histoire, décrire les institutions, analyser la législation ont été exploitées à fond au cours des deux dernières générations, et maintenant, il apparaît à beaucoup (dont je suis) que celles ci ne peuvent produire que de la sagesse, et non de la science ou de la connaissance. Bien que la sagesse soit certainement utile dans les affaires humaines, un tel résultat est un échec par rapport à la promesse que contient le nom de science politique " ( Riker , 1962, 8).Le chapitre de David Easton sur " La condition de la science politique américaine ", dans son Framework for Political Analysis , soulignant la nécessité d'approches théoriques de la politique, est une puissante défense de la science politique pré-behavioraliste. Easton va jusqu'à démontrer qu'un des principaux principes de la révolution béhavioriste en science politique était que " la recherche politique pouvait ignorer les découvertes des autres disciplines, mais au risque d'affaiblir sa validité et d'empêcher une généralisation de ses propres résultats " ( Easton , 1965, 7). Les innovateurs ont cherché ailleurs l'inspiration. B. R. Berelson , P. F. Lazarsfeld et W. N. McPhee ont appliqué la psychologie sociale à la politique dans leur Voting (1954) ; Karl W Deutsch a appliqué la théorie de la communication à la politique dans son Nationalism and Social Communication (1953) ; et David B. Truman a utilisé les théories sociologiques du groupe dans sa théorie du The Governmental Process (1951). La science politique s'est depuis lors ouverte à de multiples influences, en particulier à l'économie et à la sociologie, et, dans une moindre mesure, mais de façon néanmoins importante, à la psychologie et la psychologie sociale, et quelques-uns ont recherché la fertilisation mutuelle avec l'anthropologie et d'autres disciplines formelles.
    Il y a eu des changements dans l'hybridation de la science politique. Dans les années 50 et 60, la sociologie a irrigué la science politique, apportant des contributions importantes, comme la théorie du groupe, la socialisation politique, les clivages sociaux, et la théorie des systèmes. Dans les années 70 et 80, l'économie est devenue le principal fertilisant de la science politique, en particulier avec la théorie des biens publics et de l'action collective, la théorie des jeux, celle du choix social, et la théorie du commerce international. La psychologie a constamment exporté vers la science politique. Dans les années 50 et 60, ses principaux apports furent la théorie de la personnalité et l'étude des valeurs. dans les années 70 et 80, la psychologie sociale et la psychologie cognitive exercèrent une grande influence sur certaines branches de la science politique.
    Une des principales raisons de toute hybridation est que la science politique a l'avantage d'être une discipline pragmatique, ce qui l'ouvre à beaucoup de praticiens éclectiques qui cherchent à résoudre des problèmes concrets. Heckhausen a comparé la science politique à la médecine : " Les nécessité de la pratique ont entassé au cours des siècles un salmigondis de progrès multidisciplinaires " ( Heckhausen , 1972, 86). Bien que cet éclectisme puisse constituer une faiblesse, accentuant les désaccords entre politologues, il peut aussi être une source de croissance et une forme d'hybridation précoce et permanente.

SOCIOLOGIE

    "Tous les sociologues ou à peu près ont cherché à définir l'objet de la sociologie. Ce qui est une autre manière de dire que personne ne paraît y être parvenu... aucune des définitions proposées n'a été universellement acceptée" ( Boudon , 1971, p. 11). Aujourd'hui la sociologie est extraordinairement fragmentée. A un certain stade de son expansion elle fut une discipline impérialiste. Auguste  Comte mettait la sociologie au deuxième rang, après la philosophie, et sous l'influence de Max  Weber , Emile  Durkheim , et Talcott  Parsons , parmi d'autres, la sociologie est devenue la reine des sciences sociales.
    Sous une forme ou sous une autre la sociologie a envahi toutes les disciplines formelles des sciences sociales. A son tour la sociologie a été touchée par de multiples vagues successives au cours de la dernière moitié du siècle, par des courants venus de la psychologie, de l'anthropologie, de la science politique et de l'économie, sans oublier les échanges avec l'histoire (voir le chapitre 21). L'interaction avec la psychologie est en grande partie responsable du développement de la rigueur méthodologique en sociologie, en particulier la recherche sur le comportement, l'adoption de concepts clés comme les valeurs ou la socialisation, et l'emprunt de méthodes telles que la recherche par enquêtes, et l'analyse statistique.
    Les apports de l'anthropologie sont surtout théoriques, notamment ceux du structuro-fonctionnalisme. La science politique a influencé beaucoup de sociologues qui commencèrent à s'interroger sur le pouvoir, en particulier dans les années 60. Plus récemment, les tentatives pour expliquer les différences des valeurs et motivations ont orienté beaucoup de sociologues vers les méthodes de l'économie. Il n'y a pas aujourd'hui de domaine à qui on pourrait donner le nom de sociologie sans lui adjoindre un adjectif. Greenstein a raison de souligner qu'"il n'existe pas de 'purs'sociologues ou psychologues qui correspondent à nos critères de définition abstraits de la discipline" ( Greenstein , 1969, 164). Il y a deux générations, un doyen de sciences sociales de l'Université de Chicago avait déjà pensé abolir complètement la sociologie, comme l'explique James Miller , parce qu'"il y avait un chevauchement complet entre pratiquement tous les cours donnés en sociologie, et les cours donnés en économie, science politique, psychologie, géographie, histoire ou anthropologie. Un tel domaine allait inévitablement connaître des tensions internes, à moins d'être unifié par une forte approche théorique qui serait communément acceptée" (dans Deutsch , Markovits , Platt , 1986, 55). Talcott  Parsons avait jadis tenté de construire une telle théorie, et de maintenir l'unité de la discipline. Mais il avait beaucoup exagéré l'unité interne de la discipline. De telles tentatives, si elles étaient entreprises aujourd'hui " apparaîtraient comme risibles " ( Smelser , 1988, 12).Aujourd'hui au sein de l'Association internationale de Sociologie il existe un comité de recherche sur la " Théorie de la Sociologie ", mais cette discipline s'est étendue ou dispersée dans toutes les directions, comme on peut le voir dans la liste des comités de recherche de l'AIS.
    Il y a des sociologues de l'éducation, du droit, de la science, de la religion, de la médecine, des valeurs, de la connaissance, de la politique, de l'économie, de la famille, des loisirs, du sport, de la déviance, de la communication, de l'aliénation, de l'agriculture, des organisations, de l'impérialisme, de la santé mentale, des migrations, des sexes, de la jeunesse, et des arts, de même qu'il existe des comités de sociologie rurale, sociologie urbaine, sociologie militaire, sociologie comparative, sociolinguistique, psychologie sociale, sociocybernétique, écologie sociale, etc. Personne ne parle aujourd'hui de sociologie en général, sauf pour des raisons administratives ou d'enseignement. Comme le suggère cette liste la matrice de la sociologie a éclaté en sous-domaines spécialisés. Certains sociologues après avoir envahi un sous-domaine voisin ont " quitté leur terre natale ", et maintenant un gouffre culturel les sépare de leurs anciens compatriotes. Un regard sur la liste suffit à mesurer l'ampleur du chevauchement entre la sociologie et les sous-domaines des autres sciences sociales.
    Chaque sous-domaine de la sociologie entretient des relations avec des sous-domaines d'autres disciplines. Voici un témoignage parmi d'autres :" La sociologie religieuse a besoin du concours de toutes les sciences humaines. Nous les avons presque toutes rencontrées : géographie et histoire, psychologie et ethnologie, droit et morale, théologie et liturgie. On ne saurait s'étonner qu'il y eût quelques conflits de frontières et que le débat se poursuive sur les relations entre la sociologie religieuse et la psychologie ou l'histoire, sur les réserves de la géographie humaine ou de la phénoménologie ''(Gabriel Le Bras , p. 95).Le terme de " sociologie " n'a plus grand sens aujourd'hui, bien qu'il soit une appellation commune à un grand nombre de gens, s'intéressant à des choses très différentes. Prospectant l'avenir de la discipline, Neil Smelser prévoit que " la probabilité pour que ce terme dé signe un domaine identifiable tendra à diminuer, même s'il y a des raisons évidentes de carrière professionnelle pour les individus qui ont suivi des formations de sociologues ; il semble que l'investissement dans la discipline en général diminuera, et que des sous-groupes chercheront à échanger et à se regrouper dans des organisations à l'intérieur (par ex. dans des sections spéciales) ou à l'extérieur (par ex. une société pour l'étude du choix public) de l' Association internationale de Sociologie " ( Smelser , 1988, 13). En réalité, même ceux qui sont formellement à l'intérieur de la discipline sont déjà, en large part, intimement liés à l'extérieur. Parmi les 50 sections reconnues par le Guide to Graduate Study in Sociology publié par l'Asso ciation américaine de Sociologie de 1986, 41 sont des domaines croisés et 9 seulement sont considérés comme appartenant au coeur de la sociologie. Parmi ces spécialités situées au centre de la sociologie se trouvent la théorie, la méthodologie, l'histoire de la sociologie, la pratique sociologique, l'étude du comportement collectif, et celle de la stratification. Les autres sont, à des degrés divers, pénétrées par les spécialités d'autres disciplines, qu'elles relèvent des autres sciences sociales ou de la biologie, de la médecine, des mathématiques ou de la musique. La sociologie comparative et la politique comparée ont une relation fructueuse, en particulier dans l'élaboration des techniques d'analyse. La criminologie ne dépend pas seulement de la sociologie et de la jurisprudence, mais aussi des études psychologiques de la déviance, et plus récemment, des modèles économiques ont alimenté le débat. La sociologie industrielle est en contact étroit avec les relations industrielles en économie, et avec un nombre croissant de politologues intéressés par le rôle des syndicats dans la vie politique nationale. L'étude sociologique de la religion tire parti non seulement des études religieuses, mais aussi de l'anthropologie ; la sociologie rurale entretient des échanges avec la géographie sociale, les études anthropologiques paysannes et les historiens des sociétés rurales. Les sociologues qui étudient les processus de socialisation entrent en contact avec des psychosociologues, les anthropologues culturels et les politologues. La sociologie rencontre la linguistique dans la sociolinguistique, les relations internationales dans la sociologie des conflits ; les études urbaines dans la sociologie urbaine, et la démographie dans la sociologie du vieillissement. La sociologie a aussi formé un domaine hybride avec la pédagogie.
    La sociologie de l'éducation a des échanges avec beaucoup d'autres sciences sociales et c'est seulement la matière du sujet qui fait l'unité du domaine. Ses sous-domaines principaux sont la psychologie de l'éducation, la philosophie de l'éducation, l'histoire de l'éducation, l'anthropologie de l'éducation. Ici encore, la matière du sujet se fragmente au contact des autres disciplines formelles.
    Il existe beaucoup d'autres divisions dans la sociologie, et c'est inévitable. " Il est difficile d'imaginer un paradigme unique, s'appliquant à la foule de problèmes et de niveaux d'analyse existant en sociologie " ( Turner , 1988, 51). Raymond  Boudon (1988) montre qu'il existe plusieurs approches différentes dans la recherche sociologique, qui peuvent coexister, même si elles sont incompatibles entre elles. Il distingue trois choix méthodologiques différents, chacun étant un choix binaire, générant huit conceptions de base de la recherche sociologique. Un tel pluralisme intellectuel dénie effectivement à la discipline un corps central, et probablement, par la même occasion, une unité.
    Certains choix sont intimement liés à des disciplines extérieures ; l'étude des acteurs sociaux en tant qu'êtres rationnels empiète sur l'économie, tandis que ceux qui étudient les comportements irrationnels s'appuient sur la psychologie et la psychologie sociale.
    D'autres clivages divisent aussi la sociologie. 0n ne peut pas, semble-t-il, appartenir à la fois à une école marxiste et à la tradition weberienne de la sociologie. Les deux s'excluent l'une l'autre, dès leurs origines, et cela est attesté par le fait que  Weber lui même ne cite  Marx que deux fois ; en dépit de ses efforts, Günter Roth n'a pas réussi dans sa tentative pour construire un pont entre les deux géants. De même, Durkheim ne se réfère pas à  Marx , et n'est pas entré en relations avec son contemporain Max  Weber . Des sociologues freudiens se distinguent de tous ceux-là, et, en fait, Freud lui même ne se réfère à aucun d'entre eux. Bien que Parsons ait trouvé un peu d'inspiration chez  Weber , il y a néanmoins entre eux un abîme. Cette situation a conduit Paul Veyne à un jugement impitoyable et même excessif." La sociologie n'est qu'un mot, sous lequel on place différentes activités hétérogènes : phraséologie et topique de l'histoire, philosophie politique du pauvre ou histoire du monde contemporain... écrire l'histoire de la sociologie, de  Comte à  Durkheim , en passant par  Weber Parsons et Lazarsfeld , ne serait pas écrire l'histoire d'une discipline, mais celle d'un mot. De chacun de ces auteurs à l'autre, il n'y a pas de continuité de fondement, d'objet, de propos ou de méthode ; "la" sociologie n'est pas une discipline une, qui aurait évolué ; sa continuité n'existe que par son nom, qui établit un lien purement verbal entre des activités intellectuelles qui ont pour seul point commun de s'être établies en marge de disciplines traditionnelles. Il v avait du vide entre ces disciplines... Dans ce terrain vague entre les vieilles disciplines sont venues camper successivement, en des emplacements différents, des entre prises hétéroclites, qui ont dû à leur seule marginalité d'avoir reçu le même nom de sociologie. La question n'est donc pas de savoir, par exemple, ce que le sociologue  Durkheim a de commun avec le sociologue  Weber , car ils n'ont rien de commun... Un signe ne trompe pas : étudier la sociologie n'est pas étudier un corps de doctrine, comme on étudie la chimie ou l'économie ; c'est étudier les doctrines sociologiques successives, les placita des sociologues présents et passés " ( Veyne , 1971, 191).Les successeurs de ces géants ont des difficultés à communiquer, c'est vrai, et les désaccords idéologiques et politiques exacerbent les clivages. Les différences idéologiques peuvent être facilement déplorées, mais si un dialogue s'établissait entre eux, le choc des perspectives pourrait faire avancer la cause de la science, en forçant chacun à justifier avec plus de rigueur ses positions.
    Dans certains cas, l'apparition d'une nouvelle perspective peut avoir des implications pour nombre de sous-domaines de la discipline. Neil Smelser décrit un tel cas : " Commençant par la critique de Coser inspirée par Simmel, la critique de  Marx par Mills , et la critique de  Weber par Dahrendorf , le conflit de perspective a éclaté dans plu sieurs douzaines de directions, touchant les sous domaines de la sociologie les uns après les autres, la sociologie des sexes, la sociologie de l'éducation et celle de la déviance " ( Smelser , 1988, 11). La plupart d'entre eux ont affecté d'autres disciplines formelles. Une seule innovation peut irradier toute une discipline et au delà. L'hybridation de la sociologie a bien sûr donné naissance à beaucoup de nouveaux terrains de recherche et de connaissance.  Boudon et Bourricaud (1982) se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles la montée de la sociologie a été suivie d'un déclin aussi rapide. Nous voyons plutôt un éclatement vers les périphéries, et un déclin seulement au centre. Aujourd'hui, les sociologues continuent à se battre tellement, en terre étrangère, que le centre de la discipline est déserté, sauf par quelques fidèles comme Raymond  Boudon , Pierre  Bourdieu , Anthony Giddens , John Golthorpe ou Neil Smelser . Le centre de la sociologie est aujourd'hui aussi vide que la péninsule italienne à la fin de l'Empire romain, quand toutes les troupes étaient aux frontières. Il n'est pas impossible que la sociologie connaisse, à l'avenir, le même destin que la philosophie : sa descendance abandonnera la maison familiale, pour construire de nouvelles forteresses académiques. L'incohérente diversité de la sociologie apparaît avec encore plus de clarté si on la compare avec les disciplines dont le corps central est identifiable, comme par exemple l'économie politique et la linguistique.

LINGUISTIQUE

    La linguistique est une discipline ancienne, dont on peut trouver trace dans l'ancien sanskrit et les études des grammairiens grecs. Elle fut aussi une des premières à proposer des lois vérifiables du comportement social. Les premières de ces lois furent élaborées à partir de la démonstration faite en 1787 par William Jones que le sanskrit, let contact avec les autres : phonétique, phonémique, morphologie, morphophonémique, syntaxe et pragmatique. Bien sûr, ils échangent aussi avec les autres disciplines. A partir de ce corps central, les linguistes rencontrent l'acoustique, l'anthropologie, l'intelligence artificielle, la logique formelle, les mathématiques, la psychologie et la sociologie. La sociolinguistique, par exemple, étudie les eff grec et le latin avaient un ancêtre commun, et par Frederick Schlegl , qui ajouta les langues indienne, perse, grecque, italienne et germanique à la famille en 1808. Grâce à de telles découvertes, Francis Bopp , William Humboldt , Jacob Grimm et Eugene Burnouf ont développé une classification généalogique des langues, et ont commencé à travailler sur les lois de dérivation d'une langue par rapport à ses formes passées. Globalement, ces lois sont encore valables aujourd'hui. Nonobstant son âge, la linguistique est étonnamment cohérente.
    Les linguistes doivent connaître un corps central, dans lequel ils choisissent une spécialisation, sans complètement perdre touets de la classe sociale, de la mobilité géographique, des problèmes de colonisation et autres déterminants sociologiques sur l'usage de la langue et des dialectes.
    La psycholinguistique étudie la réalité psychologique des catégories linguistiques, le processus de création et de compréhension du discours, mais aussi les aspects de la connaissance liés au langage. D'autres sujets d'études comme la psycholinguistique comparative, le bilinguisme, l'analyse de contenu, les processus associatifs dans le comportement verbal, les dimensions de la signification, le style, l'aphasie et les universalités dans le langage peuvent être évoqués. Le domaine a eu son coup d'envoi par un séminaire du Social Science Research Council en 1951, qui a conduit à la constitution d'un comité de linguistique et de psychologie, comprenant des psychologues comme John Carrol , James Jenkins , George Miller et Charles Osgood , et des linguistes comme Joseph Greenberg , Flyod Lounsbury et Thomas Sebeok . Il a progressé sous l'action de la revue de A. R. Diebold de 1954 portant sur les problèmes proposés par le SSRC. Au cours de la décennie 50, les linguistes structuralistes comme Bloomfield , Fries , Hockett et Pike ont dominé le domaine naissant. La sous-discipline n'a pas réellement explosé, jusqu'à ce que George Miller applique les règles de transformation de Chomsky à la psychologie, date habituellement considérée comme celle du début réel de la psycholinguistique comme terrain de recherche autonome.
    L'étendue de la discipline est remarquable : "La linguistique devient une discipline qui est à la fois une science naturelle, une branche des humanités, et une science sociale" ( Parsons , 1965, 54). Son centre garde cependant une certaine cohérence, et un sous domaine comme la linguistique historique peut puiser la plupart de ses données dans n'importe quel secteur de la discipline. Les spécialistes en syntaxe ne peuvent éviter de se confronter à la sémantique, la morphologie et même la phonologie, entre autres sous-domaines dépendants. Tous les linguistes savent, par exemple, que la syntaxe ne peut pas expliquer pourquoi la phrase, " des idées vertes sans couleur dorment furieusement " n'est pas " grammaticale " ; la réponse réside évidemment dans le domaine voisin qu'est la sémantique, et pas nécessairement hors de la discipline, dans la psychologie ou la logique. De tels problèmes ont contribué à l'intérêt actuel des chercheurs en syntaxe ou en morphologie pour la sémantique. Dans une discipline aussi cohérente, l'autofertilisation est possible parmi les sous-domaines, comme c'est le cas pour certaines plantes. Souvent, ce sont les développements dans un sous-domaine de la linguistique qui stimulent l'innovation ailleurs dans la discipline. Les prospections de Noam Chomsky dans Syntactic Structures (1957) ont conduit à une sorte d'impérialisme de la syntaxe à l'intérieur de la discipline, une domination qui s'est affaiblie seulement au cours de la dernière décennie. La syntaxe a eu un impact sur la phonologie générative, comme le montrent les exemples de The Sound Pattern of Russian (1959) de M. Halle, les Aspects of Phonological Theory (1961) de P. Postal , et le classique The Sound Pattern of English (1968) de Chomsky et Halle. Plus récemment, les problèmes de sémantique et de pragmatique ont eu tendance à occuper le devant de la scène. Les domaines hybrides comme la sociolinguistique ou la psycholinguistique sont souvent les premiers à absorber et à exploiter les innovations des sous-domaines appartenant au corps central. D'autres disciplines absorbent elles aussi fréquemment les innovations et les méthodes de la linguistique, comme ce fut le cas en anthropologie dans les analyses sémantiques des systèmes de parenté par Flyod Lounsbury et Ward Goodenough . Les linguistes ont tiré parti du fait que leur corps central était relativement fort. Tout d'abord, cela rend la communication plus facile entre les diverses spécialités. En un certain sens, l'existence d'un noyau central permet aussi la spécialisation par sujet, tandis que l'on partage méthodes, concepts, perspectives et théories. Bien sûr, il y a aussi un prix à payer pour cette cohérence. L'existence de corps centraux peut néanmoins créer des fractures. Ces clivages de la linguistique deviennent plus évidents si on examine la linguistique historique : nous n'avons qu'une petite idée des raisons pour lesquelles les langues se modifient. En fait, une des observations les plus anciennes du sous-domaine, la loi de Grimm (telle qu'elle a été modifiée par Verner) en reste au stade de la généralisation descriptive, corrélant les consonnes de l'indo-européen d'origine avec leurs reflets en langue germanique. Pourquoi un groupe linguistique donné joue de la chaise musicale avec l'ensemble de son système de consonnes, cela reste un mystère. A une plus grande échelle, on peut se poser des questions sur les résultats d'une rencontre entre deux langues, en se demandant pourquoi la plupart des Celtes britanniques ont abandonné leurs langues en faveur de l'anglo-saxon dominant au bas Moyen Age, alors que les Anglo-Saxons n'ont pas adopté le français normand après 1066 ; le français normand a pour sa part emprunté au scandinave dominant par le biais des vassaux français de Normandie, mais nous ne savons pas pourquoi. Les raisons de ces différences dans les choix d'une langue ont des effets importants sur son développement ultérieur, comme par exemple la créolisation partielle de l'anglais et du français normand, qui a stimulé les changements radicaux du vieil anglais au moyen anglais, de Beowulf à Chaucer. Cependant, les méthodes de la linguistique historique, comme celles de la plupart des linguistes, ne sont pas les meilleures pour poser ces questions.

ÉCONOMIE

    A écouter les économistes, on entend deux discours contradictoires. Pour les uns, en minorité, la science économique "est balkanisée, éclatée en une multitude de disciplines, chacune étant organisée autour d'une ou deux revues d'où la difficulté pour un économiste d'être au courant de l'état de la science, même s'il existe, fort heureusement, un vocabulaire commun, des théories partiellement englobantes, des associations, des publications ou des hommes assurant des liaisons au sein de l'ensemble (...) Que cette idée plaise ou non, il faut se rendre à l'évidence : la science économique d'aujourd'hui ne peut se condenser en un Traité qui présenterait pour dix ans un savoir figé et sûr. Même s'il existe des bases théoriques solides sur lesquelles s'accordent la quasi-totalité des économistes, la science économique est avant tout un écosystème social qui mélange ordre et désordre et qui se réorganise en permanence au fur et à mesure que progresse la connaissance " (Lesourne, 1990). Pour la majorité des économistes, l'économie a un corps central bien défini. Tous les économistes doivent avoir une formation en théorie monétaire et finance, en macro-économie et micro-économie (théorie de la production, de la demande, de l'échange, de la distribution), et des connaissances mathématiques. Pour la plupart, ils empruntent seulement aux mathématiques et aux statistiques. Leurs divisions sont générées par l'évolution interne, et non par des influences externes. Les économistes peuvent être divisés en deux clans, les théoriciens et les économètres, et la communication entre les deux n'est pas toujours facile. Les théoriciens, tels les moines érudits du Moyen Age, construisent de belles théories détachées de la réalité. Les économètres, de leur côté, analysent des montagnes de données, ignorant les théories des théoriciens, et sont ignorés en retour par ceux-ci On peut aussi distinguer des sous-domaines solides : monnaie et finance, relations industrielles, économie internationale, développement économique, droit et économie, histoire économique, et planification économique comparée. Ces sous-domaines sont - comme ceux de la linguistique ouverts dans une certaine mesure aux sous domaines des autres disciplines comme, par exemple, la science poli tique (relations industrielles, développement économique, politique économique), l'histoire (histoire économique), le doit (droit et économie) et la sociologie (relations industrielles). Les relations industrielles, par exemple, échangent avec le droit du travail, la gestion du personnel, la sociologie industrielle, la psychologie industrielle, et la médecine industrielle. Le sous-domaine le plus ouvert a été finalement, expulsé : l'histoire économique ayant goûté au fruit de la connaissance historique, a été en grande partie chassée de l'Eden des économiste, dans le sens qu'elle est mieux connue en histoire et science politique qu'en économie. 
    Même si quelques-uns de ces sous-domaines sont ouverts Sur,, l'extérieur, les économistes ne travaillent pas habituellement dans des domaines hybrides. Ceux qui font des recherches aux confins de la discipline adoptent généralement la méthodologie de leurs disciplines et l'appliquent à la matière de la discipline limitrophe, une forme limitée d'impérialisme trans-disciplinaire, mais puissante néanmoins. Cette approche "a renforcé l'impérialisme expansionniste de l'économie vers les domaines traditionnels de la sociologie, la science politique, l'anthropologie, le droit et la biologie sociale " ( Hirshleifer , 1985, 53).Gary Becker, par exemple, a utilisé les méthodes économiques pour expliquer la discrimination raciale, le crime, le mariage, les relations entre enfants et parents, le suicide et maints autres phénomènes "sociologiques ".L'étendue de ces applications est impressionnante. Les économistes Georges J. Stigler et Sam Peltzman, étudiant le droit, l'économie et la régulation politique, ont développé une théorie du " soutien politique ". Leur modèle peut expliquer les services publics, les soutiens à l'agriculture, l'autorégulation des médecins et des avocats, et maintes autres formes d'intervention politique sur des marchés. Leur théorie montre aussi une puissante habileté à expliquer les résultats des politiques, en faisant abstraction du processus politique. D'autres, comme Gary Becker , William Brock , Stephen Magee et Leslie Young ont commencé à puiser dans des spécialités de la science politique, comme le comportement des groupes d'intérêts et la compétition entre partis ; le travail de Brock , Magee et Young , en particulier, offre la possibilité d'ajouter des éléments concernant les processus dans ce genre de modèles. En fait, la science politique a probablement été le terrain le plus important de l'invasion de l'économie. Une spécialité hybride - le choix public ne peut être clairement assignée ni à la science politique, ni à l'économie. Faiblement institutionnalisés, ses praticiens peuvent trouver leur patrie académique au sein de l'un des sous-domaines des deux disciplines, que ce soit la théorie politique, la politique comparée, les finances publiques ou droit économique.
    L'économie, comme la linguistique, a elle aussi ses fractures. Les économistes sont, à juste titre, fiers de leur expansion impérialiste.
    Cependant, il existe des variables non rationnelles et non économiques, qui influencent le comportement économique, allant des contraintes biologiques qui s'exercent sur l'esprit humain au processus de socialisation. Le lauréat du prix Nobel F. A. Hayek a même suggéré que " personne ne peut être un grand économiste, s'il est seulement un économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui ne serait qu'économiste a toutes les chances de devenir nuisible, si ce n'est réellement dangereux " (Hayek, 1956, 463). Hayek illustre ceci par son propre travail, et son livre, The Road of Serfdom, puise dans la théorie de la démocratie, autant que dans l'économie. Plusieurs disciplines se réclament de l'autre lauréat du prix Nobel d'économie, Herbert Simon, qui a puisé dans l'économie, la psychologie, la science politique, la théorie des organisations et l'informatique ; mais Simon n'a jamais détenu une chaire dans un département d'économie.
    Les méthodes économiques sont relativement impuissantes à expliquer les "événements" soudains. C'est en grande partie parce que aucun des concepts économiques clés n'est observable, ou même s 'il l'est, quantifiable ; par exemple la notion d'utilité, les fonctions d'utilité, les fonctions d'offre, les fonctions de demande, les économies d'échelle, etc. Ce en quoi les économistes excellent, c'est dans la prédiction du sens de l'évolution de quelques variables, si un changement intervient sur une autre variable. La théorie de la demande n'explique pas les goûts des consommateurs, mais explore en revanche les effets des modifications de l'offre sur l'équilibre qui en découle ; la théorie keynésienne n'explique pas la demande courante, mais prévoit comment la demande va augmenter ou diminuer, en réponse à une politique gouvernementale donnée.
    Compte tenu de ces limites, la méthode des économistes a été à la fois productive et impérialiste. " Les tendances impérialistes d'une discipline ne sont pas néfastes pour les autres ; elles obligent celles-ci à recevoir, accepter, modifier des points de vue, et à utiliser des concepts, des méthodes et des techniques qui sont venus d'ailleurs. Elles reflètent l'impossibilité d'une définition spécifique d'un champ de phénomènes et, assez paradoxalement, l'unité de la démarche scientifique " (Lichnerowicz, 1972, 122). L'économie a seulement besoin de recevoir autant qu'elle donne.
    Nous voyons donc que les deux disciplines les plus " impérialistes " des sciences sociales, l'économie et la sociologie, évoluent de façon différente. Les économistes sont comme une horde mongole disciplinée, bien organisée, qui cherche à conquérir les populations indigènes. Quant aux sociologues, ils ressemblent aux migrations germaniques : des masses désorganisées errant sans but sur tout un continent, saccageant quelques capitales, avant de déménager à nouveau, établissant des royaumes seulement pour une durée limitée. Aujourd'hui, la sociologie est à son tour sujette à l'invasion, parce qu'elle est divisée en écoles idéologiques et sectes méthodologiques, ne pouvant ou ne voulant pas résister aux envahisseurs de tous bords. Les économistes devraient toutefois se souvenir que l'Empire mongol de Gengis Kahn a été divisé entre ses descendants en une série de royaumes dispersés. Ce passage en revue des disciplines nous a conduits à mettre en question l'utilité du cadre existant de l'organisation universitaire.
    Nous n'avons pas de réponse satisfaisante, mais seulement des questions. Mais supposons que, dans un pays démocratique, tous les départements de sociologie soient éliminés pour une raison quelconque. Ceci n'est pas une pure conjecture. Après la crise de Mai 68 en France, le nouveau ministre de l'Education nationale, Edgar Faure (un professeur de droit), fut à l'origine d'une discussion sur " ce qu'il fallait faire " à propos des sociologues, connus pour être des non-conformistes, voire des trublions. Quelques-uns ont suggéré la dispersion des sociologues, mais d'autres ont craint que le virus ne se répande plus facilement de cette manière. La solution sur laquelle on tomba d'accord fut de concentrer et d'isoler certains d'entre eux, les installant dans une nouvelle université. Ce fut une expérience de courte durée, mais qui montre que notre conjecture n'est pas absurde ;ce que suggèrent aussi les efforts répétés de l'administration Reagan, en vue d'éliminer toutes les aides gouvernementales à la recherche en sociologie. En fait, les contraintes financières peuvent avoir le même effet : l'Université de Washington de Saint-Louis ferme progressivement depuis 1989 son département de sociologie, et l'Université de Columbia se débarrasse à la fois de la géographie et de la linguistique (New York Times, 10 mai 1989).Si les hommes politiques avaient réussi à éliminer la sociologie, que serait il arrivé ? Tant que les autres sciences sociales auraient gardé leur entière liberté, la recherche en sociologie aurait continué comme avant, trouvant refuge dans d'autres disciplines. Les voisins de la sociologie auraient été plutôt heureux d'accueillir ces nouveaux venus ; 30 ou 40 nouveaux hybrides dans ces domaines en auraient bientôt résulté, recouvrant les spécialités hybrides qui existent aujourd'hui en sociologie. Seuls quelques sous-domaines, comme les "Théories sociologiques" ou l'"Histoire de la Sociologie" auraient souffert. Si l'anthropologie, l'histoire ou la science politique devaient en être les victimes, la même prolifération aurait lieu dans les disciplines avoisinantes. La démographie a déjà été coupée en morceaux ; la philosophie est dépossédée, la plupart de ses tâches étant assumées ailleurs. La disparition de l'économie, de la psychologie ou de la linguistique causerait plus de difficultés, mais qui ne seraient pas insurmontables. Cette capacité d'adaptation et de survie montre le caractère artificiel des frontières entre les disciplines.
    Nous sommes habitués aux disciplines traditionnelles, en partie à cause des divisions administratives des universités, et en partie à cause de la fonction que remplissent les départements dans l'enseignement.
    Sur le terrain de la recherche, en revanche, de telles divisions sont largement artificielles aujourd'hui.

 

 

 

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