dossier réalisé par Michel BERJON (Les Nouvelles Fiches du cinéma, 4 septembre 2002
 |
Si vous voulez apprendre les métiers du cinéma, nombreuses sont les offres, des cours privés à l'ENSMIS (l'ex-FEMIS). Si vous voulez /'étudier en amateur, vous trouverez facilement un "atelier d'expression artistique" au lycée ou un cursus scolaire et universitaire ad hoc (bac L cinéma, Licences Arts du spectacle)... Ce ne sera pas l'objet de ces quelques pages. Car depuis quelques années, les élèves qui n'ont pas choisi ces fil/ères, qui n'ont pas décidé de se spécialiser et de s'investir dans le cinéma, ont quand même la possibilité de fréquenter le septième art, du CP à la Terminale, grâce à des dispositifs mis en place conjointement par les professionnels, l'Éducation nationale et les collectivités locales.
D'abord, pour les classes primaires, il y a "École et cinéma", gérée par "Les enfants de cinéma", qui a représenté 646 241 entrées pendant l'année scolaire 2000-2001, dans 545 lieux cinématographiques, plus 83 points de projection de circuits itinérants. LE CIRQUE de Chaplin, film muet en noir et blanc, LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT ou LA NUIT DU CHASSEUR projetée en v.o.yont emballé les CM2 ! Ensuite, "Collège au cinéma", inauguré en 1989, est le plus massif et le plus ancien des trois dispositifs. Enfin "Lycéens au cinéma" permet de voir trois films de qualité au cours de l'année scolaire, dans le but d'acquérir les bases d'une culture cinématographique tout en développant le sens critique.
Opération culturelle décentralisée (cette opération touche la plupart des régions mais pas Paris et l'Ile de France), "Lycéens au cinéma" s'adresse aux élèves du public et du privé, et s'appuie sur le volontariat des élèves et des enseignants relais, de même que sur un partenariat avec les exploitants de salles de cinéma qui sont évidemment très intéressés car ils n'ont pas de minimum garantis et surtout parce qu'ils comptent sur l'effet de fidélisât/on d'un nouveau public.
Ce dispositif, qui fait tirer des copies neuves, est piloté par les rectorats, les DRAC, les Régions et le CMC, et un opérateur est choisi dans chaque région, après appel d'offre, pour le coordonner. Le dispositif suit des règles simples : 3 projections par an sur le temps scolaire à 2,30 € (prises en charge par le lycée ou pas, c'est selon le projet d'établissement). Il n'y a jamais plus de 150 spectateurs par séance et chaque film est accompagné de documents pédagogiques réalisés par la BiFi. Pour les classes éloignées des salles de cinéma, le dispositif peut prendre en charge leur transport. L'exploitation pédagogique est du ressort des enseignants et la coordination peut générer des animations. Les rectorats proposent parallèlement des formations pour les enseignants. Chaque région sélectionne 4 ou 5 films sur une liste nationale. Ils sont de nature variée si l'on en juge par les titres en circulation cette année : LA SOIF DU MAL, RESSOURCES HUMAINES, CHAT NOIR, CHAT BLANC, FESTEN, L'ARMEE DES DOUZE SINGES (couplé avec LA JETEE), ET LA VIE CONTINUE, No MAN'S LAND, LES YEUX SANS VISAGE. On attend pour 2003-2004 ZELIG, L'HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE, GHOST DOG. .. Laissons la parole aux différents acteurs de ces dispositifs ... Nous avons choisi plus précisément les Pays de la Loire qui ont rejoint "Lycéens au cinéma" en 2001-2002. Cette région, avec 7915 é/èves inscrits, est déjà au 3e rang des 16 régions concernées, après les régions Rhône-Alpes et Centre, pour le nombre d'établissements inscrits (40 LEGT, 24 LP-CFA et 11 lycées agricoles) et, pour le nombre de cinémas partenaires, au 2e rang après Rhône-Alpes,
la région où ce dispositif fut lancé en 1993.
|
CÉCILE DENIS
Centre National de la Cinématographie
Chargée de mission au département Actions Jeunes
Fiches du Cinéma : Pourquoi Lycéens au cinéma ?
Cécile Denis : Le CNC et le Ministère de la culture sont les initiateurs de cette action culturelle et artistique. La priorité, c'est la rencontre des oeuvres, que les élèves voient dans les salles de cinéma. On privilégie aussi les différentes approches du cinéma et les oeuvres peu diffusées. Dans le cadre de ce dispositif, on est particulièrement attentif à la formation des enseignants. Des dossiers d'accompagnement pédagogique, autour des films proposés, permettent une éducation au cinéma et à l'audiovisuel.
FdC : Quelles différences y-a-t il avec Collège au cinéma ?
C. Denis : Collège au cinéma, de par son histoire et son aspect massif, a peut-être un niveau d'exigence moindre que Lycéens au cinéma qui a bénéficié d'une expérimentation en région puis d'une concertation nationale de deux années. On y trouve un haut niveau d'exigence dans le choix des films. On aimerait créer non pas une harmonisation mais des passerelles entre ces dispositifs, parce que l'éducation, c'est la continuité. Dans les commissions nationales de Lycéens au cinéma, on a des observateurs de Collège au cinéma pour échanger les points de vue, au même titre qu'il y a des coordinateurs de Lycéens qui peuvent émettre des avis dans les commissions Collège. On a le souci de niveler vers le haut, d'avoir des évaluations en partant des réalités du terrain. On ne cherche pas forcément à tout fondre dans un même modèle, car ces dispositifs ont la spécificité d'être souvent issus de projets régionaux. Par exemple, pour Lycéens au cinéma, il y a 16 régions et 16 projets différents, avec un cadre commun.
FdC : Quelle est la position du CNC par rapport aux droits d'auteurs dans les pratiques (illégales) des enseignants ?
C. Denis : C'est un vrai souci. Parce qu'on le sait. Nos enfants voient des films en classe... On le sait, mais on ne peut pas valider ça. Ce n'est pas possible. On essaye de plus en plus de diffuser l'information dans les établissements, pour que les enseignants cessent d'être dans l'illégalité et connaissent les catalogues qui existent, comme celui de l'ADAV... Parfois, ils passent des films très différents de ceux des dispositifs, par exemple en fin d'année... On le sait tout ça, on a été élèves, on est parents... C'est une vraie question. C'est un dossier qu'on essaie de faire avancer. Même par rapport aux films qui sont dans les programmes nationaux, on se pose la question de l'accompagnement vidéo...
CATHERINE BAILHACHE
Coordinatrice ACOR (Association Cinémas de l'Ouest pour la Recherche)
Vice-présidente des Enfants de Cinéma
Fiches du Cinéma : Qu'est-ce que l'ACOR ?
Catherine Bailhache : Elle regroupe des salles de cinéma, toutes classées art et essai ou/et recherche, des 6 régions du Grand Ouest, de Dieppe à Angoulême et de Bourges à Morlaix. C'est un petit réseau mais il est assez fort, car il regroupe des gens qui ont une réflexion sur le cinéma, et des pratiques d'animation en direction de publics différents, avec des préoccupations liées à la qualité. On a donc des compétences dans le domaine de la formation des enseignants, au même titre que d'autres organismes. La plupart de nos salles sont naturellement concernées par les différents dispositifs scolaires.
FdC: Comment cela se passe-t-il aux Enfants de cinéma ?
C. :On arrive dans la 9e année d'École et cinéma. Contrairement aux deux autres,
ce dispositif n'a pas été initié par le CNC mais par des salles de cinéma qui se sont regroupées en association transversale puisqu'on y trouve, en plus des divers professionnels (y compris des critiques - Bergala est membre fondateur), des enseignants, des psychologues, des psychiatres, des philosophes, des chercheurs CNRS... Un des principes, c'est de se poser la question du film pour enfants. Par exemple, est-il un film qui n'aurait été fabriqué que pour eux ? Bien sûr que non ! Et selon quels critères peut-on décider de montrer un film à des enfants ? On ne montre pas n'importe quoi à un petit. Et pour juger, c'est plus difficile de faire appel à l'enfant qu'à l'adolescent qu'on a pu être. Les Enfants de cinéma s'attachent plus à la qualité qu'à la quantité. D'ailleurs l'association ne s'occupe pas que du dispositif École, elle travaille aussi sur le cinéma et l'enfance d'une manière globale, et c'est passionnant !
FdC : Pour vous, le cinéma est-il une fin en soi ?
C. Bailhache : L'idée, c'est de ne pas s'enfermer dans l'élitisme. Bergala, dont j'apprécie tout à fait le travail, est parfois un peu trop radical. Attention, il y a une réalité de terrain ! Il ne faut pas parler que de cinéma, en oubliant qu'il est aussi une approche du monde. L'art c'est aborder le monde différemment, et le cinéma est un outil formidable...
Trois questions à...
CHRISTINE DOYEN
Conseillère Cinéma la Direction Régionale des Affaires Culturelles des Pays de la Loire
et responsable de Collège au cinéma au CNC
Fiches du Cinéma : Comment aborder le cinéma au sein de l'Éducation Nationale ?
Christine Doyen : D'un côté, légitimer le cinéma dans les établissements scolaires et de l'autre donner à voir des œuvres, faire découvrir des auteurs, mettre en perspective des écritures, des genres. Cela conduit à l'analyse de l'image, mais pas seulement. Il y a par exemple beaucoup d'enseignants qui se montrent intéressés par des informations sur le fonctionnement du cinéma, sur ce système français complètement original : à quoi correspond un ticket de cinéma... et sa taxe parafiscale alimentant tout le système de soutien, aussi bien pour les rénovations de salle que pour les aides à la production. Tout ça aussi n'est pas inintéressant...
Mais tant qu'il n'y aura pas un véritable temps banalisé pour l'éducation artistique (et je ne parle pas seulement du cinéma), on n'arrêtera pas de jongler avec les contraintes diverses. Car ces disciplines '•ne sont pas encore inscrites dans le programme général ! On n'a toujours pas résolu l'éternel dilemme de la tête bien faite et de la tête bien pleine.
FdC : Quelle était la philosophie de Collège au cinéma, quand vous avez lancé ce dispositif en 1989?
C. Doyen : C'était tout simplement (mais c'est déjà pas si mal !) provoquer une sensibilisation à une culture cinématographique, considérant qu'elle appartient à la culture tout court, comme la littérature... Je pensais à un enseignant, qu'on a tous connu à un moment ou à un autre, un enseignant qui est un médiateur, un passeur. Mais qu'est-ce qu'on passe ? On ne passe pas que du savoir. On est sur une matière sensible, on est sur de l'imaginaire, on est sur de l'écriture. Introduire le cinéma à l'école, comme on introduit le théâtre, c'est introduire une "discipline" artistique.
FdC : Doit-on enseigner le cinéma ?
C. Doyen : L'idée n'était pas fondamentalement d'enseigner le cinéma, c'était de pouvoir laisser une expression naître. Quand on a vu que grâce au vecteur qu'est le cinéma, des enfants qui étaient en difficulté scolaire, qui ne s'exprimaient jamais, prenaient la parole d'un seul coup et qu'une classe les écoutait, là on a commencé à arriver à quelque chose. On parle de sensibilité, on parle d'art, on parle d'esthétique. Alors, est-ce qu'on enseigne le cinéma ou est-ce qu'on donne à voir, comme dans d'autres disciplines, en donnant des fils conducteurs.
Il faut rester réaliste, parce qu'en collège comme en lycée, combien les enseignants ont-ils de temps pour exploiter un film ? Selon une ancienne enquête de Collège au cinéma, les profs y consacrent en moyenne deux heures. Ça veut dire que certains pouvaient travailler sur la durée d'un trimestre et que d'autres disaient : c'est un film qui parle de ça, point final. Le fils d'un conseiller DRAC d'Avignon demanda un dimanche soir à son père : "Papa, faut que tu me donnes 12F, demain je vais au cinéma." "Ah bon, tu fais quoi ?" demande le père innocemment. "Ben j'sais pas, il nous emmène au cinéma... C'est un film sur les vendanges, ...une histoire de raisins." C'était LES RAISINS DE LA COLERE !
XAVIER MASSE
Secrétaire général du festival Premier Flans (Angers),
opérateur de Lycéens au cinéma pour la Région Pays de la Loire
Fiches du Cinéma : Les trois dispositifs sont-ils différents ?
Xavier Massé : Ils se ressemblent. Dans les trois cas, c'est une proposition culturelle faite par des professionnels et acceptée par un enseignant. Les objectifs vont dans le même sens. Chez les petits, on peut parler de découverte, d'éveil, encore qu'ils percutent plus vite sur les formes que les collégiens et les lycéens... À tous, on donne quelque chose à voir.
FdC : Quels sont les enrichissements que procure, pour les élèves, ce dispositif ?
X. : Ils sont multiples. L'enrichissement d'une pratique culturelle en dehors
de l'établissement, ensuite l'enrichissement sur la forme qu'on leur propose, car les films ne sont pas ceux qu'ils iraient voir ni ceux qu'ils regardent à la télévision. On donne à voir autre chose, et autrement : on voit un film, mais on ne s'arrête pas à la fin du générique, on travaille dessus et on en discute en classe. C'est une expérience de groupe. C'est un objet qui est différent du cahier, du devoir mais qui participe à la communication des élèves entre eux. C'est un enrichissement pédagogique en plus de culturel et artistique.
FdC : Pourquoi et comment Premiers Plans est-il impliqué dans Lycéens au cinéma ?
X. : D'abord, il y a une envie de contribuer à un dispositif qui met le cinéma
en avant. Premiers Plans a d'ailleurs pour objectif de contribuer à la formation des jeunes publics, pour les nouvelles générations de cinéphiles. Quand Lycéens au cinéma a été lancé dans la Région, on s'est dit que ce serait bien de monter un projet basé sur le partenariat. Nous apporterions une couleur maison, un rapport d'efficacité et de qualité, mais en travaillant avec des partenaires de l'ensemble de la région. Donc, vu les objectifs de Lycéens au cinéma, la situation de Premiers Plans et l'envie de travailler en groupe, nous avons déposé un dossier élaboré en commun, avec Cinéma parlant [autour de Louis Mathieu, formateur au lycée Renoir d'Angers], avec Atmosphères 53 [autour de Antoine Glémain et son réseau en Mayenne], avec Graine d'images [de James Vidal, prof-exploitant dans la Sarthe], en prenant en compte les contraintes de chacun, les envies de chacun, mais en gardant aussi la maîtrise d'oeuvre. Notre dossier a été choisi par le CNC, la Région, le Rectorat et la DRAC. On a donc quelqu'un [Christophe Caudéran] qui met en œuvre le dispositif, de façon pratique et relationnelle. Cependant toutes les associations du réseau continuent à suivre les réunions du comité de pilotage [de même que l'ACOR, Ciné-Nantes, Ciné-Patine, le Festival des 3 continents et la DRAF pour ce qui concerne l'enseignement agricole] pour parler des problèmes fondamentaux : la formation, l'animation et les chartes de qualité qu'on peut envisager avec chacun des partenaires. Globalement, cela ne se passe pas trop mal pour une première année, et cela génère des choses. On a une bonne implication de 75 établissements, et de 37 cinémas.
DENIS BARON
Professeur d'Histoire-Géographie au lycée
accompagnateur de de Seconde au cinéma Concorde (Nantes)
Fiches du Cinéma : Quelle est la motivation du professeur pour le cinéma ?
Denis Baron ! Ma motivation est d'abord une affaire de goût... Et puis, aujourd'hui, on a une société qui fonctionne de plus en plus par l'image, donc il y a tout un travail à faire autour de ça.
FdC : ...et pour ce dispositif ?
D. Baron : Le prof désire que ses élèves voient, dans un cinéma, des films qu'ils n'iraient pas forcément voir autrement. Qu'ils découvrent qu'il existe des films en v.o., qu'il n'y a pas que des films très "speed", mais des films d'un autre genre et qui sont aussi intéressants.
FdC : Comment exploitez-vous ces films ?
D. Baron : C'est une exploitation sauvage ! Car ce n'est pas prévu dans les programmes. Si on prenait les programmes au pied de la lettre, on n'irait pas à Lycéens au cinéma... Je tiens à avoir une exploitation après la projection. Mais le temps est limité. Ce n'est qu'une heure (le programme existe !), basée sur la discussion. Dans un cadre scolaire, les élèves ne doivent pas aller au cinéma pour aller au cinéma. D'où l'intérêt des dépliants fournis, qui sont très bien faits. Les élèves se rendent compte par exemple qu'un cinéaste ne met pas sa caméra n'importe où : c'est important, et pour un élève de Seconde, ce n'est pas si évident que ça ! Une exploitation en cours, même restreinte, a le mérite de montrer qu'on ne va pas seulement au cinéma pour le plaisir, mais que le cinéma est un art à part entière. L'année prochaine, en Première, je pense à d'autres types d'exploitations, peut-être plus longues...
Propos
recueillis par
Michel BERJON