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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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Histoire économique du cinéma français. Production et financement 1940-1959


note de lecture de Frédéric Gimello-Mesplomb (Université de Metz)
Questions de Communication n° 6, avril 2005.

 

 

Laurent C reton , dir., Histoire économique du cinéma français. Production et financement 1940-1959.

Paris, CNRS Éd., coll. « Cinéma & Audiovisuel », 2004, 346 p.

 

Après la parution ces dernières années d'une série d'ouvrages qui ont questionné l'économie du cinéma ( cf. note de lecture de Kristian Feigelson, Questions de Communication , 3, pp. 272-274), l'économie de l'exploitation (Claude Forest, Économies contemporaines du cinéma en Europe , Paris, CNRS Éd., 2001), ou les relations qu'entretiennent le cinéma et l'argent ( Laurent Creton, Le Cinéma et l'Argent , Paris, Nathan, 2000 ), Laurent Creton, professeur d'économie du cinéma à Paris 3, propose une « Histoire économique du cinéma français » qui n'est pas sans rappeler une première du même nom ( Pierre-Jean Benghozi , dir., Histoire économique du cinéma français : regards croisés franco-américains 1895-1995 , Paris, Éd. L'Harmattan, 1995) qui faisait écho à un colloque organisé au Sénat sur les nouveaux objets historiques que levaient le cadre commémoratif du centenaire du cinéma. Dans les deux cas, il s'agit d'ouvrages collectifs. Tandis que Pierre-Jean Benghozi avait pour ambition de faire une histoire économique des relations France-Hollywood en sous-titrant son ouvrage « Regards croisés franco-américains », Laurent Creton change de focale en analysant, en France, le poids d'une aide publique dans l'économie des années 50, celle des avances à la production cinématographique accordée par le Crédit national entre 1940 et 1959. Cette banque, créée par l'État le 17 novembre 1919 pour le paiement des indemnités dues au titre de la réparations des dommages de guerre, avait terminé l'instruction de la plupart des dossiers de remboursement en 1940, date à laquelle elle se voit appelée à consentir des prêts à l'industrie cinématographique. L'ouvrage est divisé en neuf chapitres que se partagent trois autres spécialistes de la période de l'après seconde guerre mondiale au cinéma : Jean-Pierre Bertin-Maghit - dont on connaît les nombreux travaux sur le cinéma sous l'occupation -, Frédérique Berthet qui fut, durant sa thèse, la première à explorer le fonds du Crédit national déposé à la Bibliothèque du film (BIFI), et François Garçon, un historien du cinéma qui a investi ces dernières années le champ de l'économie en travaillant sur des fonds traditionnellement délaissés par les historiens comme celui des assurances de guerre ( cf. , 1895 , 36, janv. 2002).

 

L'ouvrage retrace l'histoire de cette « improbable rencontre » entre le Crédit national et le cinéma, et apporte le point final à un séminaire que Laurent Creton a dirigé à l'IRCAV de Paris 3 entre 1997 et 2001, au cours duquel étudiants et chercheurs ont exploré la masse considérable d'archives relatives au cinéma contenues dans le fameux « fonds Crédit national » - côte CN, et côtes d'origines AE/C, FDE/Cin, AC/GE, ATC, et FDIC ; conservé à la Bibliothèque du Film - sauvé des broyeurs à papier par cette dernière dans les années 90.

 

Histoire économique du cinéma français : production et financement 1940-1959 est un ouvrage qui apporte un éclairage nouveau sur une période que les historiens avaient jusqu'ici investie en tâtant selon les approches à l'institutionnel (Paul Leglise, Histoire de la politique du cinéma français , Paris, Éd. Pierre Lherminier
(deux tomes), 1969 et 1977) ou à la corporation ( Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le cinéma français sous Vichy , Paris, Éd . Albatros, 1980) mais sans se centrer - où s'y centrant occasionnellement lorsque l'économique croisait l'institutionnel ou les corporatismes - sur l'objet économique. Aussi ce travail a-t-il le mérite de révéler de nombreuses anomalies de fonctionnement entre le Crédit national et le Comité d'Organisation de l'Industrie Cinématographique, sous l'Occupation, puis d'autres pratiques qui ont cours dans les années qui suivent la Libération ; notamment le rôle central, et parfois ambigu, tenu par le producteur et syndicaliste Roger Richebé, qui devance la firme Pathé dans les dotations financières ; ou encore l'explosion budgétaire des fonds alloués par l'État au secteur cinéma du Crédit national, tendance que François Garçon explique par les dérives « budgétivores » des producteurs qui espéraient obtenir davantage de la banque en « gonflant » artificiellement les devis, une pratique qui n'est pas sans rappeler d'autres phénomènes de « boule de neige » que Luc Moullet dénonçait non sans humour en 1999 dans Le cinéma et l'argent ( in  : Laurent Creton, dir., op. cit.).

 

Cependant, sur le plan méthodologie, la démarche de l'ouvrage souffre de plusieurs insuffisances qui font ombre à ce qu'une histoire économique du cinéma français des années cinquante, non spécifiquement axée sur le rôle de cette banque, aurait pu révéler.

 

En premier chef, on regrettera ce désir de porter à la connaissance de tous l'importance de l'intervention du Crédit national qui mène parfois les auteurs à de vertigineux raccourcis. Par exemple, les auteurs vont extraire de la masse des 904 dossiers de films pour lesquels une avance à été sollicitée, un échantillon restreint de 10 films qui illustre le fonctionnement courant, mais aussi la réussite du fonctionnement du système des avances. On peut s'interroger sur le choix de ces films que l'histoire du cinéma a légitimé depuis sur des critères esthétiques puisqu'on y trouve les incontournables Visiteurs du soir , L'Éternel retour , Casque d'Or , Jeux interdits , ou Manon des sources . Resitués à leur époque, ces films étaient-ils représentatifs de la production aidée ? Ce corpus conteste le rôle quantitatif de la banque puisqu'il semble que l'on aie autour d'eux, en germe, l'ébauche d'un système sélectif d'aide à la qualité que ne fera qu'officialiser la Prime à la qualité, instaurée pour le court métrage en 1953, puis pour le long en 1955, avant que l'avance sur recettes prenne le relais en 1959, signant le coup d'arrêt de l'intervention du Crédit national dans le domaine de l'aide à la production de films. D'autres questions restent en suspens. Où sont passés par exemple les autres films non financés, les films de production courante, « films de série », oubliés des historiens car moins intéressants que les grandes ouvres de Renoir, Carné ou Pagnol sus cités ? Autant de questions qui laissent le lecteur novice en économie du cinéma sur sa faim.

 

Quant au le lecteur avisé, il ne manquera pas de remarquer au fil des pages la surestimation récurrente et un peu abusive accordée par les auteurs au rôle du Crédit national dans l'histoire économique du cinéma français. Le ton est donné dès la page 2 où il est affirmé que « dans l'histoire du cinéma le rôle du Crédit national est une référence cruciale même si le sujet est rarement approfondi ». À la page 265, le Crédit national est considéré comme un « auxiliaire de la puissance publique », et l'ouvrage ne cesse de nous distiller des anecdotes liées au travail de ce pauvre Chéret, auquel le Crédit national sous-traitait les expertises financières des devis de films, et qui ne sont, du point de vue de la sociologie de l'expertise ou des sciences sociales du politique, qu'une succession d'accommodements interpersonnels auxquels ils faudrait bien de garder de tirer des conclusions générales en matière d'action publique. Si bien que le lecteur a parfois, à la lecture, le sentiment qu'à force de nous rappeler cette importance du Crédit national dans la production cinématographique de l'époque (un corpus de films aidés qui représente environ un tiers des films produits sous l'Occupation, deux tiers en 1948, puis à nouveau un tiers entre 1949 et 1959), cette « histoire économique du cinéma français » pêche par trop d'assurance en ne mentionnant pas ou trop peu d'autres types d'interventions complémentaires ou parallèles en vigueur à la même époque comme les assurances de guerre, sur lesquelles François Garçon avait pourtant réalisé un remarquable travail (François Garçon, Un outil essentiel de la relance de l'industrie cinématographique française. Les assurances de temps de guerre, 1942-1945 , 1895 , revue de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma, 36, fév. 2002, p. 35), mais surtout en faisant peu de cas de l'ensemble des films qui parviennent à être réalisés chaque année sans aucune intervention publique ! Excepté les quelques films marquants ayant bénéficié d'un prêt, Pierre Sorlin juge finalement comme très relative (note de lecture à propos de l'ouvrage Histoire économique du cinéma français : production et financement 1940-1959, 1895 , revue de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma, 44, déc. 2004, p. 115) l'importance qualitative de ces 904 films ayant bénéficié d'un prêt du Crédit national. Par contrecoup, la surestimation de ce corpus fait mauvaise mémoire aux autres films, ceux produits, réalisés, distribués, et ayant connu une exploitation publique sans aucune intervention du Crédit national, soit (l'année 1948 mise à part) la grande majorité des films français produits durant la période de référence de cette étude, et qu'un tableau, page 117, nous permet d'évaluer entre 300 à 400 par an. Aussi, le titre, certes séduisant de l'ouvrage, est, à l'égard du contenu finalement proposé, un peu abusif dans la mesure où il aurait été certainement plus sage, en dehors des contraintes éditoriales, de parler d'une « histoire de l'intervention du Crédit national dans le cinéma français » plutôt que d'une « histoire économique du cinéma français » élargie à partir des déductions faites de l'intervention du Crédit national, une intervention - rappelons-le - restreinte quant à la masse des films sur lesquels la banque est intervenue, tout autant que restreinte dans le temps, puisque la banque ne fonctionne, pour son activité « cinéma », que de 1940 à 1959 comme nous le montre l'intéressante chronologie reproduite page 300. Enfin, outre l'absence en annexe d'une liste des films aidés et de quelques statistiques qualitatives qui auraient pu révéler les genres soutenus, on regrettera cette tendance, récurrente en économie du cinéma, à privilégier le domaine de la production de films, au détriment d'autres secteurs, jugés secondaires car n'accouchant pas de la création d'ouvres cinématographiques, au sein desquels le Crédit national est pourtant intervenu, certes de manière moins visible - mais réelle - comme celui de l'aide sélective à l'exploitation dans la cadre de la création du réseau Art et Essai en 1959, ou celui de l'aide à la distribution de films, secteurs sur lesquels une étude élargie aurait permis de lever certaines interrogations en matière d'histoire de l'exploitation et de diplomatie culturelle. Sans minorer les qualités indéniables de ce travail collectif, une suite du présent ouvrage ou un deuxième volume apportant réponse à cet ensemble d'interrogations sur les années cinquante serait donc les bienvenus !

 

Frédéric Gimello-Mesplomb

ÉRASE, université Paul Verlaine-Metz