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Culture et médias dans l'espace européen.

Pour une Charte européenne de l'Audiovisuel

 

Jean-Marc Ferry, (Université Libre de Bruxelles)

 

 

 

 

 

Sommaire

 

 

 

La culture prise dans la perspective de l'intégration politique (p. 3) ; « Service public versus « service universel » : quels enjeux ? (p. 6) ; La culture prise dans la sphère des échanges éco­nomiques (p. 8) ; Pour une philosophie rénovée du service audiovisuel (p. 9) ; Reformulation de problèmes et tâches programmatiques (p. 10) ; Sur la liberté de communication (p. 12) ; Malentendu sur la liberté de la presse (p. 12) ; Malentendu sur la question du pluralisme (p. 15) ; Sur le service public (p. 16) ; Pour une Charte Européenne de l'Audiovisuel (p. 19).

 

 

 

 

Il y a, comme on sait, une plurivocité ou, à tout le moins, une équivocité du concept de culture. Entre les nations d'Europe, le malentendu sur le sens de la culture s'est accompagné de tensions extrêmes. Que l'on pense ainsi à la naissance de la haute culture allemande, à cette Allemagne de Goethe, de Lessing et d'une intelligentsia dont les membres, pour la plupart issus de la petite bourgeoisie, ont voulu affirmer des valeurs et un goût propres face à l'aristocratie prussienne et au goût français dominant, jouant, pour ainsi dire, Shakespeare contre Voltaire. C'est dans ce contexte, justement, que monta la fameuse opposition entre « culture » et « civilisation ». Norbert Elias[1] montre à ce sujet comment, dans l'esprit idéaliste des Lumières allemandes, la culture renvoie à l'idée de performances essentiellement intellectuelles, tandis que la civilisation s'exprimerait dans un ensemble d'attitudes et de comportements, mais égale­ment de réalisations qui, sans être réservées aux seuls domaines esthétiques et intellectuels, peuvent se présenter dans les ordres aussi bien matériels que spirituels : économiques, techni­ques, scientifiques, politiques ou autres. Maintenant, c'est sans doute dans une intention didacti­que que le grand sociologue historien avait pu ainsi, dans son ouvrage sur « le procès de la civi­lisation », styliser l'« opposition allemande » entre culture et civilisation. Peut-être sous esti­mait-il le fait que certains penseurs de l'État prussien, et non des moindres, avaient su réhabiliter la civilité contre le romantisme ambiant, en la liant à l'idée de la société civile où se gagne une certaine forme de culture. Ainsi Hegel : après Kant, il continuait certes de voir dans la civilité une « culture extérieure ». Mais il se gardait de sous-estimer le gain que celle-ci représente pour l'apprentissage de la liberté subjective, et partant, pour la formation des individus à une cons­cience de l'universel.

Avec les Lumières françaises, anglaises et écossaises, la civilisation ou son idée porte une prétention universaliste et planétaire, laquelle fut historiquement liée à l'impérialisme colonial. C'est cependant là qu'émerge et se fortifie l'idée d'humanité Une et d'unification de l'espèce humaine sous les lois de la liberté (Kant), c'est-à-dire l'appel à poursuivre la réalisation d'un « Règne du Droit » cosmopolitique. La « civilisation des Lumières » devient alors tendanciel­lement la culture moderne à vocation mondiale, qui, en tant que « civilisation de l'écrit », s'identifie aussi à la civilisation tout court. L'historien Pierre Chaunu[2], à qui l'on emprunte ici les expressions : « civilisation des Lumières » et « civilisation de l'écrit », en a retracé le proces­sus de diffusion horizontale et verticale, géographique et sociale, en suivant la propagation du lexique des Lumières, à la fois, dans les différents pays d'Europe et dans les différentes strates de la société. Il se repérait pour ce faire sur des registres littéraires à forte connotation socio­culturelle, depuis les traités philosophiques jusqu'aux almanachs populaires, en passant par le roman, le théâtre, la correspondance, les requêtes d'état civil. Cela suppose un lien fort entre culture et langage. D'abord, le lexique humaniste est universaliste. Ensuite, la formation des grandes nations modernes, dont le coup d'envoi avait été donné, en Europe, par les « deux ré­volutions » : la Révolution française, politique et de visée démocratique, mais aussi, dans l'ordre économique, la « première » révolution industrielle, plus anglaise que française, présupposaient, ainsi que le note le sociologue, Ernest Gellner[3], l'existence d'un « langage formel et libre de tout présupposé ». Norbert Elias avait perçu l'importance de ce mode langagier (contenu en puis­sance dans le langage humain en général), en remarquant combien l'avènement de langues véhi­culaires, stabilisées syntaxiquement dans l'écrit et harmonisées sur une échelle transcendant les particularismes de patois et dialectes, était selon lui fonctionnel pour la formation de grandes societies. Il anticipait à cet égard la thèse de Gellner, en ce qui concerne la constitution des grandes nations modernes. Les langues (écrites) seraient aux nations ce que les patois et dia­lectes (simplement parlés) sont (étaient) aux régions, et l'on peut exciter alors l'imagination prospective sur le type de langage et de médium qui serait appelé à prévaloir pour un au-delà des nations, autrement dit, pour asseoir culturellement des entités politiques d'échelle continen­tale.

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui et sous nos latitudes, l'opposition tendue, conflictuelle de ja­dis, entre « culture » et « civilisation » s'est largement résorbée dans les mouvements de la mo­dernisation. On sait que Max Weber établissait une équivalence entre modernisation et rationa­lisation. Cependant, la rationalisation, au sens de Weber, renvoie au rationalisme occidental, c'est-à-dire à la prégnance d'un type de rationalité méthodique, qui n'est pas le tout de la ratio­nalité en général. Il s'agit d'une rationalité formelle et procédurale, caractéristique, voire spéci­fique de l'« esprit européen ». C'est pourquoi on peut également, sans forcer l'interprétation, mettre en équivalence modernisation et européanisation. D'ailleurs l'idée de l'Europe et sa réa­lité n'ont pris consistance qu'avec les grands mouvements civilisationnels de la culture huma­niste. Qu'il s'agisse de l'humanisme de la Renaissance, au XVIe siècle, ou de celui des Lumiè­res, au XVIIIe siècle, ces époques ont été celles où l'Europe profilait son identité par delà ses composantes et différences culturelles internes. Cependant, l'affirmation des nations modernes, au XIXe siècle, a requis le principe d'unité « statonationale » (un État pour une nation ; une nation pour un État), qui engageait l'homogénéisation culturelle de territoires politiquement délimités. Cette histoire des nationalismes participe éminemment aussi du moment d'« européa­nisation ». Il n'y a pas, en effet, d'antinomie entre la formation des nations et celle de l'Europe moderne comme telle ; pas d'antinomie non plus entre le « principe nationaliste »[4] et la cons­truction européenne. Cela amène à considérer la culture sous un double aspect : 1) suivant qu'elle est prise dans la perspective de l'intégration politique, et 2) suivant qu'elle est captée dans la sphère des échanges économiques. On verra comment, suivant l'intérêt – politique ou économique – qui la finalise de l'extérieur, la « culture » change de signification.

 

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La culture prise dans la perspective de l'intégration politique.

 

La construction européenne a été envisagée sous des prémisses stratégiques dont l'esprit dif­fère à peine de celles qui présidaient à la formation des grandes nations modernes. C'est là, en effet, que la culture fait l'objet d'une politique ; qu'autrement dit, elle est promue dans une cer­taine direction pour des fins d'intégration politique. En ce sens, la culture devient moyen. Dans la perspective téléologique et constructiviste des « politiques de la culture », cette dernière ne peut faire l'objet d'un projet volontariste que si le politique détermine un certain médium qui sera stratégiquement central pour servir l'intégration d'une entité nationale ou supranationale.

Au niveau national, et au regard du défi de l'adaptation culturelle aux mouvements de mo­dernisation politique, économique, scientifique, ce médium fut essentiellement l'École, le sys­tème pédagogique. Au niveau supranational auquel nous pensons spontanément ici (et le seul qui, à vrai dire, ait un commencement d'existence politique) : celui de l’Union européenne, le médium d'intégration politique par la culture n'est plus en première ligne l'École, le système pédagogique. Si, parmi les différents médiums pouvant prétendre servir l'intégration du système social au sens le plus large, il fallait en désigner un qui, aujourd'hui et sous nos latitudes, ne soit pas en perte de puissance, ainsi qu'il en va des médiums traditionnels, tels que la famille, l'ar­mée, l'Église, mais aussi, des médiums modernes, tels que l'école, l'entreprise, et l'État lui-même dans ses fonctions de souveraineté, il semble alors que le seul médium dont on puisse dire qu'il monte en puissance, y compris en ce qui concerne la fonction d'intégration, soit l'Au­diovisuel, la télévision en première ligne, pour le moment et en général le système médiatique, si grands qu'en soient les défauts. D'où aussi la tentation d'y voir le levier stratégique d'une in­tégration communautaire substantiellement efficace. Suivant une certaine philosophie implicite de la construction européenne, le système médiatique se laisserait alors regarder comme l'équi­valent fonctionnel, pour l'intégration politique de l'Union, de ce qu'avaient pu représenter les systèmes pédagogiques, « exo-éducatifs » (Gellner), pour l'intégration nationale. Dans cette perspective néo-constructiviste, en admettant qu'elle soit adoptée, sinon assumée[5], il est consé­quent que le rapport entre culture et communication soit marqué par une conception en somme instrumentale de la culture. Si la culture vient à être regardée comme l'instrument de l'intégra­tion politique, on comprend alors que, dans une situation précisément marquée par la médiati­sation de la culture, le médium stratégiquement central pour les fins d'intégration politique soit un médium de diffusion, dont le principe domine l'audiovisuel. Les médias de diffusion, radio et TV, représentent les modes dominants de communication publique et d'intégration politique, parce qu'ils sont le véhicule le plus « économique », ou encore, le mieux apte à assurer sur un mode attrayant une réception large et aisée de contenus culturels. Au regard des visées intégra­tives de la construction européenne, les télécommunications ne présentent un intérêt comparable à celui des médias de diffusion (essentiellement la télévision) que pour autant qu'ils s'adjoignent organiquement aux médias de diffusion, pour participer, eux aussi, à la communication publi­que. C'est là, au demeurant, la signification technique du multimédia qui intègre la télévision, l'ordinateur et les télécommunications. Le « paradigme » qui en résulte n'est plus réductible à celui de télécommunications privées correspondant à la téléphonie. Les communications entre particuliers, de plus en plus médiatisées par des diffuseurs, cessent dans cette mesure d'être privées, sans toutefois être subverties par le modèle de transmission « point à masse », propre aux médias de diffusion. Mais tant que les télécoms restent assignés à la communication privée, leur intérêt stratégique reste beaucoup plus modeste.

Le constructivisme européen était particulièrement clair au cours des années 80, quant à sa façon d'envisager la culture en liaison avec les médias audiovisuels. La TV était regardée comme le médium culturel destiné à servir l'intégration politique de la C.E., sur la base de pro­grammes transnationaux, voire de chaînes en partenariat européen, engagées par vocation à soutenir et promouvoir les valeurs de l'identité européenne, de la citoyenneté européenne, avec la rhétorique maintenant bien connue du rapprochement et de « l'union toujours plus étroite » des peuples européens, de la culture européenne, à la fois une et plurielle, à défendre contre l'américanisation.

Quelles sont les conséquences du néo-constructivisme européen sur la culture dans les mé­dias ?

On a pu voir dans la dynamique communautaire une force de destruction du politique.[6] La dynamique communautaire est jugée « anti-politique » dans la mesure où elle contribue à libérer ce que Hegel nommait le principe de la société civile, marqué par le libre échange, la libre cir­culation, la liberté privée, subjective et individuelle en général, au détriment d'une liberté ob­jective, publique, à la fois moderne et communautaire, classiquement représentée par l'État (si­non réalisée en lui). C'est pourquoi l'État national pouvait être investi comme le lieu effectif de la citoyenneté et comme la référence ultime de l'identité politique. Corrélativement, les idées de « nation » et de « peuple » ne prendraient consistance et réalité que dans et par l'État, tandis que, livré à lui-même, le principe de la société civile ne pourrait que détruire cette consistance tout à la fois politique, sociale et culturelle. Sans assumer l’héritage hégélien, beaucoup de ces partisans de la nation, que l’on nomme, en France, « nationaux-républicains », font de l’Etat national le point de référence ultime de l’identité politique. On pourrait appeler « statonationa­lisme » cette forme d'anti-européanisme, mais en la distinguant expressément des formes iden­titaires ethnicistes et bellicistes qui resurgissent aujourd'hui un peu partout dans le monde. Se réclamant de la « nation civique », ou encore, de la « nation politique », le « national-républica­nisme » valorise certes la nation, tout en croyant la défendre. Cependant, cette défense n’est pas purement affective ou immédiate : elle se fonde notamment sur l’idée de la consistance politique qu’assurerait en général l'État national. Le statonationalisme présuppose alors plutôt que : 1) la construction européenne n'a fondamentalement d'autre signification historique que la libération de la dynamique du marché contre l'État, tandis que 2) l'État est la forme qui, seule, confère aux peuples leur personnalité morale, et aux citoyens de ces peuples leur identité politique, laquelle ne saurait être atteinte que sur le mode de l'identité nationale. En d'autres termes, l'État national serait au civisme ce que la société civile fut à la civilité. Cependant, la subversion des États nationaux par le principe de la société civile, lui-même réduit à une dynamique capitaliste qui manipule plutôt qu'elle ne respecte lesdites lois du marché, détruit aussi bien  –  et de fait, sous nos yeux  –  la civilité que le civisme. Sous ce regard, l'objectif de la « construction » euro­péenne est tristement ambigu : non seulement la dynamique communautaire poursuit la déstabi­lisation des nations européennes, mais cette dénationalisa­tion-désétatisation de l'Europe, or­chestrée sur le mot d'ordre de la dérégulation, prend par là même le risque inconsidéré d'une destruction la civilisation européenne.

La charge de la preuve incombe à présent aux défenseurs de l'Union européenne, pour mon­trer en quoi la construction européenne peut profiler autre chose qu'une déstabilisation du cadre statonational d'intégration politique. Ce cadre est au demeurant le seul à avoir historiquement su faire la preuve de son efficacité dans les contextes modernes.

Considérons alors la façon dont se présente pratiquement le problème de la culture du point de vue spécifique de l'intégration politique européenne. D'un côté, la construction européenne, à défaut d'un État, doit faire appel aux forces de la société civile, et notamment aux investisseurs privés, pour unifier le territoire de l'Union au moins au niveau d'ambition d'une « société de l'information » dont les techniques puissent bientôt, espère-t-on, être suffisamment ancrées dans les pratiques pour apporter un « supplément culturel » au grand marché. D'un autre côté, un tel projet politique ne peut plus se contenter d'une stratégie consistant à laisser faire les opérateurs privés, sans imposer des règles minimales de service public. Mais comment concilier cette exi­gence avec le fait que les États nationaux doivent d'eux-mêmes limiter leurs prétentions de puissance, en renonçant notamment à être des acteurs économiques directs ou par tutelles inter­posées ? Or, cela n'est pensable que si la notion de service public est aménagée, voire démante­lée de telle sorte qu'elle soit déliée des connotations de monopole naturel ainsi que de tutelle étatique.

 

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« Service public versus « service universel » : quels enjeux ?

 

En ce qui concerne les grands médias audiovisuels, il est clair que, pour une sensibilité libé­rale, ces connotations classiquement attachées à la conception du service public heurtent les valeurs de liberté d'expression et d'opinion, ainsi que les exigences de pluralisme interne, c'est-à-dire idéologique et culturel, et externe, c'est-à-dire juridique et financier. Vaudrait-il alors mieux s'en remettre, pour une régulation de l'audiovisuel, aux avantages de souplesse qu'offre en revanche la notion de service universel ? Par rapport au service public, le service universel, d'origine américaine, se présente, en effet, comme une notion de substitution, plus soft.[7] 

Quoi qu'il en soit, les assouplissements requis par l'évolution des choses devraient fonder une compatibilité entre service du public et concurrence entre opérateurs privés, ainsi qu'entre missions de responsabilité culturelle et mode d'exploitation privée, tandis que seraient acceptées des sources de financement publicitaires et autres, du moment que demeure acquis un finance­ment stable et solide, c'est-à-dire public. Cependant, le froid réalisme semblerait inviter à devoir même faire son deuil du modèle suggéré ici, un modèle qui allie deux concepts juridiques : celui de service public fonctionnel (par différence avec le service public organique), et celui de société d'économie mixte. Ce modèle est encore trop « social-démocrate » pour ne pas être em­porté par un vent néo-libéral qui souffle autant d'Est que d'Ouest, et fait que « les marchés » ne toléreraient pas qu'un soupçon d'État européen puisse, par des voies détournées, commencer à domestiquer un espace à peine « libéré ». On s'acheminerait plutôt vers un montage combinant un droit de la concurrence encore très tolérant à l'égard des concentrations et des contraintes de service universel de base, se limitant à des réquisits minimaux de desserte, d'accès et de tarifs, sans aller s'enrichir d'obligations substantielles renvoyant, par exemple, à des missions de res­ponsabilité civique (information) et culturelle (formation). Pourtant, ne faut-il pas aller plus loin, et enrichir substantiellement la valeur normative et la teneur sémantique de la notion de service universel, afin de faire valoir pour les médias de diffusion des missions de responsabi­lité sociale au sens large ?

Il y a sans doute un réel malaise, tant théorique que pratique, en ce qui concerne la régula­tion des grands médias audiovisuels. Autant que je puisse voir, le malaise tiendrait à ce que la politique européenne de l'audiovisuel ne sait comment honorer convenablement les intuitions qui, cependant, la travaillent sourdement.

Il y a l'intuition que les médias ont une mission de responsabilité culturelle et civi­que : premier soupçon.

On sent aussi que la culture est distincte de l'économie, et que les biens culturels « ne sont pas des marchandises comme les autres » : deuxième soupçon.

Troisième soupçon : le pluralisme augmente la liberté de la communication dans l'espace so­cial. Ce sont des intuitions justes.

Mais le premier soupçon se heurte à la privatisation des chaînes et au discrédit du service pu­blic ; le deuxième soupçon, au principe de la libre circulation des biens (étendu aux services), et au fait que la culture produite et véhiculée par les grands médias de diffusion entre dans les services marchands dont le commerce relève normalement des accords de l'OMC ; le troisième soupçon, à la doctrine régnante qui considère le pluralisme comme un principe de limitation de la liberté d'expression[8]. Les trois soupçons mentionnés se heurtent ainsi à des éléments qui semblent les contredire ou en entraver l'élaboration. D'où un embarras qui se marque par : 1) le remplacement tendanciel de la doctrine de service public par la doctrine du service universel (en réponse au premier embarras) ; 2) l'installation d'une police des médias, destinée à faire valoir la politique des quotas (en réponse au second embarras) ; 3) le renoncement à intervenir autrement pour les causes du pluralisme que par une politique de la concurrence, au demeurant, reconnue inadéquate à l'objectif du pluralisme[9], si bien que la poursuite de cet objectif n'est tout simplement plus assumée[10].

En ce qui concerne les quotas européens, ils trahissent la difficulté de discipliner les chaînes dans un sens dont on se demande s'il n'est pas avant tout « euro-nationaliste  ». C'est aussi ce qui fait l'ambiguïté de la directive « Télévisions sans frontières ». La difficulté d'une domesti­cation européenne de l'audiovisuel peut invoquer plusieurs facteurs cumulés, tels que le prin­cipe de subsidiarité, le contre-pouvoir des chaînes indépendantes, les révolutions technologi­ques déterritorialisantes. Cependant, le problème me paraît résider plus fondamentalement dans une obstination à vouloir réguler des contenus audiovisuels par des moyens inadaptés. En effet, la directive peut, comme on sait, être aisément détournée par les programmations d'heure d'écoute. Or, on ne peut à l'évidence réglementer un prime time, sans porter atteinte à la liberté de programmation élémentaire. Moralité : ou bien la réglementation est impuissante, ou bien elle devient inacceptable. En outre, la directive ne garantit pas un accroissement de qualité : à qualité égale, les séries américaines coûtent cinq à dix fois moins cher que les séries européen­nes ; et le public les plébiscite... N'y a-t-il pas une inconséquence à légiférer sur la fiction au nom d'une défense de la culture, tout en refusant d'admettre les séries de fiction comme des genres culturels ? Maintenant, si l'on considère que tout contenu symbolique diffusé a une si­gnification culturelle, il semble contraire à l'esprit européen de promouvoir son identité sur le mode défensif d'un protectionnisme culturel. Non seulement la culture américaine peut être regardée aussi comme une manifestation de la culture européenne, au même titre que les mani­festations autochtones, mais l'« identité européenne » ne saurait sans déchoir se construire contre des ennemis choisis, c'est-à-dire de façon réactive  –  un mode, certes, courant, mais peu digne d'une identité émancipée.

Dans la pratique des négociations commerciales multilatérales, une confusion est maintenue de fait entre américanisation et marchandisation de la culture. Sans doute l'intérêt des USA est-il de considérer les productions culturelles comme les autres productions relevant du principe de libre circulation (lequel est au demeurant en vigueur à l'intérieur de l'Union Européenne). Le fait que la CE tende à s'y opposer insinue par collusion l'idée que la lutte contre l'américanisa­tion et la lutte contre la mondialisation de la culture sont un seul et même combat. Mais en droit, suivant la seule logique du concept, les deux notions d'américanisation et de marchandisation de la culture n'entretiennent entre elles aucun lien nécessaire. On doit par conséquent considérer le problème spécifique de la marchandisation de la culture comme étant indépendant des contextes politico-stratégiques de négociations sur la libre circulation. Ce problème est celui de la capta­tion de la culture dans la sphère de l'économie.

 

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La culture prise dans la sphère des échanges économiques.

 

J’avais introduit l'idée que la culture revêt deux significations différentes suivant qu'elle est prise sous les considérations stratégiques, soit de la sphère politique, soit de la sphère économi­que.

Dans le premier cas, l'objectif politique concernant la culture est de renforcer une identité nationale ou supranationale, et la culture renvoie alors plutôt à un système de représentations, de valeurs, d'attitudes partagées par la communauté de référence. Cela fait signe vers un concept sociologique de la culture comprise comme médium de communications alimentées par des références communes. L'objectif est principalement de constituer un fonds commun sym­bolique substantiel pour l'intégration sociale et politique.

Dans le second cas, l'objectif économique concernant la culture est de produire et de diffuser commercialement des biens et des services dont la teneur symbolique possède aussi une valeur d'échange. La culture désigne alors plutôt des œuvres, des réalisations ou prestations que des attitudes ou des comportements. Cela pose des problèmes spécifiques : celui de la limite des aides au regard des distorsions de concurrence, du côté du régulateur ; celui du ciblage de l'offre en fonction des publics et de leurs contextes d'appartenance socioculturelle et linguistique, du côté de l'opérateur, producteur ou diffuseur.

Que la finalité soit politique ou économique, il y a dans les deux cas une atteinte tendancielle à l'autonomie de la culture, soit parce que celle-ci serait intégrée au secteur public des stratégies politiques, soit parce qu'elle serait soumise au secteur privé des stratégies économiques. Cette alternative recoupe d'ailleurs les deux grandes options concurrentes : socialiste et libérale, qui dominent encore l'idéologie politique en Europe occidentale. Cependant, il serait utile de savoir ce que coûte éventuellement à l'usager l'altération ou l'atteinte provenant, soit de considérations politiques, soit de considérations économiques. Il serait intéressant aussi de voir ce qu'y perd, d'un côté et de l'autre, la liberté de communication. Par « liberté de communication », on enten­dra spécifiquement la liberté positive, pour les ressortissants d'une communauté, de contribuer eux-mêmes à l'agenda des thématisations publiques.[11] Ainsi la liberté de communication se laisse-t-elle relier sans tension à l'idée d'un droit civique fondamental, avant même d'apparaître comme un droit civil fondamental. Pratiquement, cela signifie que les publics devraient pouvoir participer au moins indirectement à la sélection ainsi qu'à la hiérarchisation des contenus et des thèmes médiatiques portés à leur attention. Cela suppose qu'ils aient accès à des instances de représentation, d'où ils puissent faire valoir leurs évaluations critiques de la programmation et des news. La sélection-hiérarchisation à cet égard opérée par les médias obéit à des critères opaques, car soustraits à une thématisation publique. Manque, en effet, à la structuration de nos espaces publics l'institutionnalisation d'un espace critique ou réflexif à l'égard de l'espace mé­diatique. C'est ce manque qui, précisément, laisse mesurer la distance entre l'espace audiovisuel, tel que factuellement il se constitue dans l'Union, et un espace public digne de ce nom.

Maintenant, les deux options concurrentes que l'on vient d'évoquer ne sont pas strictement recoupées par l'alternative entre un régime de droit privé et un régime de droit public. De même, en effet, que l'on peut assigner les médias au secteur privé, tout en orientant les pro­grammes culturels sur des objectifs politiques conventionnels[12], de même on peut les assigner au secteur public, tout en soumettant la culture aux conditions générales de la concurrence et de la libre circulation. Cependant, les deux concepts de culture, c'est-à-dire la culture comprise 1) comme ensemble de produits, biens et services diffusés sur le marché ; 2) comme ensemble d'attitudes, représentations et comportements partagés dans une communauté – ces deux accep­tions différentes du mot « culture » tendraient cependant à se rejoindre dans l'organisation d'un service public fonctionnel conférant aux médias audiovisuels des missions spécifiées de respon­sabilité sociale, pour autant qu'un tel service public soit suffisamment indépendant.

 

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Pour une philosophie rénovée du service audiovisuel.

 

On vient de faire allusion à la (déjà) vieille doctrine américaine des « missions de responsa­bilité sociale » des médias. On pourrait aussi parler de « missions d'intérêt général », liées en particulier à l'idée de « service public culturel ». Cela situe l'ambition au-delà des stratégies politiques d'intégration d'une communauté, et au-delà, bien sûr, des stratégies économiques d'adaptation au marché. Cependant, un tel service public conserverait de la visée politique l'ob­jectif de promouvoir un patrimoine spirituel, et il conserverait aussi de la visée économique l'objectif de satisfaire des besoins symboliques. Cependant, le service public est pris entre deux tendances dans lesquelles il peut aussi verser, soit qu'il identifie l'intérêt général à l'intérêt na­tional, soit qu'il réduise les besoins culturels à une demande factuelle évaluée par les program­mateurs sur la base d'indicateurs des préférences des publics (audimat, enquêtes de satisfaction et autres analyses de marché). Pour éviter ces deux écueils, il semble que l'on doive résolument 1) rompre avec la notion « forte » de service public national pour la TV, c'est-à-dire dénationa­liser le service public culturel ; 2) renoncer à inscrire systématiquement le service public dans le secteur public, c'est-à-dire désétatiser le service public culturel (ce qui est une autre façon d'af­firmer l'idée d'un service publique « fonctionnel » plutôt qu'« organique ») ; 3) dépasser la pseudo solution du secteur public concurrentiel, qui cumule les inconvénients de la logique étatique et de la logique marchande[13]. L'idée d'un service public culturel n'est apte à garantir l'autonomie du bien public « culture » que s'il est à la fois dénationalisé et désétatisé. Pratique­ment, cela revient à dire que les missions d'intérêt général justifiant des contraintes de service civique et culturel devraient pouvoir incomber aux grands médias de diffusion, quel que soit le statut – public ou privé – des opérateurs. Pas plus que le service public culturel n'implique l'existence d'un secteur public audiovisuel, pas davantage devrait-il être incompatible avec l'existence d'un secteur privé économique.

Mais comment cela est-il possible ? – Moyennant une innovation institutionnelle. Cela conduit à une suggestion relative à l'organisation de l'audiovisuel européen, en ce qui concerne les médias de diffusion. Mais avant d'entrer dans le vif du programme, et par souci de prévenir les malentendus qui peuvent surgir à ce propos, j'aimerais ressaisir l'essentiel des considérations qui précèdent, afin, également, de mieux préciser la nature des problèmes au regard de solutions possibles.

 

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Reformulation de problèmes et tâches programmatiques.

 

La situation actuelle est donc marquée par les ambivalences de la privatisation. Expérience étant faite de la privatisation des chaînes TV sur l'espace européen, on note, en effet, une double ambivalence du phénomène. D'une part, la privatisation est fondée au regard d'une critique de l'idéologie neutraliste. Ce mouvement de la contre-idéologie accompagnait une montée des relativismes. En même temps, il répondait à des exigences authentiquement pluralistes. D'autre part, l'impact rhétorique de cette critique reposait sur une identification douteuse de la T.V. à la presse, et sur l'assimilation de trois concepts distincts : service public = tutelle étatique = cen­sure politique. En même temps s'exprimait, au nom de l'indépendance de la presse et de la li­berté d'expression, la volonté légitime d'émanciper la communi­cation publique des tutelles et censures.

Force est maintenant de constater que la privatisation des chaînes s'accompagne d'une perte de pluralisme, tant en ce qui concerne les contenus (pluralisme idéologique) que les genres (plu­ralisme stylistique).

D'une part, l'uniformisation des styles affecte le pluralisme des genres télé­visuels, et cela peut s'analyser comme une baisse de qualité. C'est pourquoi la privatisation des chaînes pose le problème d'une diversification des programmes, à développer dans l'esprit d'un rééquilibrage se réclamant de la qualité. La difficulté d'un tel rééquilibrage est qu'il renvoie sans doute à des critères de programmation, qui ne convergent pas avec ceux des annonceurs publi­citaires.

D'autre part, une forme de censure est enchâssée dans le milieu médiatique lui-même, lequel opère souverainement la sélection des contenus idéologiques, des genres télévisuels, des news à commenter, des thèmes de débat public, des individus autorisés de médias, ainsi que des personnalités consacrées comme grands Représentants, au titre d'Interprétants ou de Discutants privilégiés[14].

Le problème nouveau est qu'il s'agit moins, à présent, de protéger la liberté de la presse contre la tutelle de l'État que de promouvoir une autonomie des citoyens face au pouvoir des médias.

Quant au contrôle exercé sur les médias par les groupes d'intérêt économique, soit di­rectement, par une prise de participation à leur capital financier, soit indirectement, via les an­nonceurs publicitaires, il ne peut plus être enrayé efficacement par une reprise de contrôle par l'État, c'est-à-dire par la création ou la restauration de chaînes publiques, tant que ces dernières restent soumises à la concurrence de chaînes privées.

Même si l'on redécouvre les vertus du modèle public ; même si la B.B.C. est à nouveau invoquée comme un exemple de pluralisme réussi, la privatisation des chaînes est un fait accompli, et la nationalisation-étatisation ne sau­rait être une voie d'avenir. C'est pourquoi, une fois passés les vents de la désétatisation et de la déréglementation, l'effort d'imagination doit essentiellement porter, à présent, sur de nouveaux modes de régulation.

Deux tâches réformatrices, deux directions programmatiques semblent s'indiquer en creux :

      1) garantir le pluralisme idéologique (des contenus) et stylistique (des genres), afin d'as­surer une offre médiatique globale de qualité ;

      2) procéduraliser vis-à-vis des médias et au profit des publics l'implémentation de cer­tains droits fondamentaux touchant à la participation et à la personnalité.

Ces deux ordres de préoccupations pourraient recevoir une réponse avec l'élaboration d'une Charte européenne de l'Audiovisuel, et la mise en place de mécanismes incitatifs liés à des pro­cédures d'évaluation des programmes audiovisuels.

Il s'agit au fond de « constitutionnaliser » le « quatrième pouvoir ». Mais avant d'esquisser à ce sujet un dispositif institutionnel, deux élucidations se recommandent. L'une porte sur la li­berté de communication ; l'autre, sur un service universel de diffusion.

 

 

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Sur la liberté de communication.

Des libertés qui, telles que la liberté de conscience, la liberté d'opinion, la liberté d'expres­sion, la liberté de diffusion, la liberté de circulation, la liberté d'entreprise, se rapportent à la liberté de communication au sens large, entrent parfois en tension avec des éléments qui, tels le droit à l'information, le droit de réponse, le droit de la concurrence, le droit de propriété, le droit d'auteur, touchent à l'organisation du pluralisme (interne et externe). Il serait sans doute utile de préciser les différences conceptuelles entre ces différentes libertés subjectives, ainsi que les liens fonctionnels qu'elles peuvent entretenir entre elles. Il serait également utile de mettre au clair le rapport qu'elles entretiennent avec les grands types de droits fondamentaux : civils, po­litiques, sociaux, moraux. Cependant, je me limiterai à formuler un concept de liberté de la communication, qui soit suffisamment « objectif » pour inclure sans tension le principe du plu­ralisme.

Une telle perspective parle pour une conception « communautaire » et publique de la liberté de communication. Cela implique la suggestion de fonder le droit de la communication sur un tel concept, plutôt que sur celui de la liberté d'expression. Cette dernière se présente, en effet, comme une liberté subjective, individuelle et d'essence privée. Ce concept ne convient pas aux exigences d'un droit de la communication conciliant liberté et pluralisme. Nous avons besoin d'un concept « holiste » de liberté de la communication. Le fondement d'un droit de la commu­nication dans une conception subjectiviste, individualiste et foncièrement privatiste de la liberté (conçue comme liberté d'expression) conduit, en effet, à des difficultés. Parmi celles-ci on re­lève : 1) un malentendu sur la liberté de la presse ; 2) un malentendu sur la question du plura­lisme.

 

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Malentendu sur la liberté de la presse.

 

Le malentendu sur la liberté de la presse met en question les limites principielles de l'autoré­gulation privée. Celle-ci tend à être assimilée (abusivement) à une liberté d'expression du jour­naliste. Une telle assimilation se fonde sur l'idée que le journaliste représente son public (voire, le public en général), et qu'il porte en conséquence la voix de l'opinion publique. Afin d'honorer cette prétention, les professionnels de la presse ont dû élaborer une déontologie du journalisme, à compléter sans cesse par l'éthique individuelle. L'ensemble de ces dispositions normatives donne alors lieu à des chartes éthiques, des codifications moralement éclairées qui ressortissent à l'autorégulation. L'autorégulation se rapporte ici fondamentalement à la morale. En même temps, elle représente le pôle essentiellement privé de la régulation des médias [bien que, par ailleurs, des juridictions (tribunaux) ou des quasi-juridictions (autorités administratives indé­pendantes) puissent sanctionner des manquements à la déontologie professionnelle].[15]

La problématique se constitue à partir d'une tension entre autorégulation (privée) et hétéro­régulation (publique). Tandis que l'autorégulation appartient au versant privé de la régulation des médias, et relève essentiellement de la morale, l'hétérorégulation appartient au versant pu­blic de cette régulation, et elle se rapporte explicitement au droit.[16] Elle consiste en dispositions légales, décrétales et réglementaires (certaines traduisent des directives européennes), sanction­nées par des juridictions de l'ordre judiciaire ainsi que par des autorités administratives indé­pendantes [du type du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (en Belgique et en France)]. Un des objectifs constants de la profession est de faire admettre l'autosuffisance de l'autorégulation privée. Sa stratégie d'argumentation est défensive : elle consiste à insinuer que l'hétérorégula­tion comporte une menace virtuelle pour la liberté de la presse. Il s'ensuit que chaque tentative de domestiquer le pouvoir des médias tend à être stigmatisée comme une tentative de museler la liberté d'expression et d'opinion.[17] À l'appui d'un tel soupçon il est clair que l'histoire de la presse fournit des exemples en abondance. Il suffit alors d'accréditer l'idée que ces exemples sont toujours actuels, non pas parce que l'État serait tout autant autoritaire que jadis, mais parce que la lutte pour la liberté n'est jamais gagnée, et que la sauvegarde des acquis n'autorise aucun repos.

Sur le fond, les défenseurs de l'autorégulation devraient toutefois pouvoir aussi argumenter de façon positive : ils devraient pouvoir montrer que les dispositifs autorégulateurs couvrent tous les besoins de la régulation, y compris sur le versant public, et y compris sur les aspects de la régulation publique qui ne s'épuisent nullement dans les formes réglementaires et juridiction­nelles. Or, non seulement l'autorégulation orientée vers l'éthique ne saisit pas le domaine cou­vert par les instances de réglementation et de juridiction, mais il existe en outre un versant pu­blic qui n'est pas couvert par ces instances, et que la déontologie serait cependant tout à fait impuissante à réguler. Il s'agit d'un impuissance fonctionnelle générale de la régulation des mé­dias.

Cette impuissance affecte l'autorégulation privée des codes déontologiques et autres chartes éthiques, mais aussi l'hétérorégulation publique des réglementations et des juridictions. C'est que le partage entre autorégulation (privée) et hétérorégulation (publique) tend à recouper une division implicite du travail : tandis que l'autorégulation (éthique) s'occuperait des aspects inter­nes ou qualitatifs (probité, responsabilité morale, équité), l'hétérorégulation (juridique) se spé­cialiserait plutôt dans les aspects externes ou quantitatifs (gestion, concurrence, quotas). Il s'en­suit que les contenus tendent à n'être régulés, sur un plan interne, que sous l'aspect subjectif et particulier des actes ou des messages moralement répréhensibles. Échappe notamment au point de vue interne ou qualitatif tout ce qui relève de la programmation, problème central de la ré­gulation des contenus. Or, cela ne signifie pas que l'on doive renoncer à une régulation publique des contenus sous l'aspect qualitatif. On ne saurait, en effet, remettre un intérêt public à une liberté privée. Le problème est accentué par la tendance de la TV à s'assimiler juridiquement à la presse, de sorte que la liberté de diffusion et de programmation entre dans le paradigme d'une liberté de la presse, elle-même pensée sur fond de liberté d'expression.

Il y aurait, à l'évidence, une confiscation de la liberté de communication par les médias, si les choix de programmation ne cherchaient à se justifier qu'au nom d'une liberté souveraine de décision. À vrai dire, l'argument couramment invoqué par les programmateurs est le désir du public, ou plutôt, leur connaissance « directe » de ce désir. Dans un esprit néo-libéral qui s'en remet au marché, les programmateurs estiment qu'ils ne décident pas autre chose que ce qui s'énonce sous la dictée d'indices complétés par des enquêtes effectuées auprès des téléspecta­teurs. Il y aurait là contre une critique à faire valoir sur un plan méthodologique. En effet, la préférence factuelle d'une émission ne constitue pas une évaluation. Trois points à cet égard :

·       Tout d'abord, l'audimat entendu comme indicateur de ce que les gens regardent et ne regar­dent pas à la télévision, ne renseigne pas sur ce que le public aurait souhaité en-dehors de ce qui est offert. La « démocratie » dont se réclament aujourd'hui les programmateurs pour justifier leurs sélections, soit : le désir manifesté du public, est essentiellement « acclamative » ; mais elle n'est pas « participative », au sens où les publics ne sont pas as­sociés activement à l'élaboration ni même à l'évaluation des programmes.

·       Ensuite, les indicateurs de type audimat ne mesurent que de façon très relative la satisfaction du public, cela, non seulement parce qu'ils ne font qu'exprimer une réaction oui/non à l'inté­rieur des limites d'une offre déterminée, mais aussi parce que la quantité des « suffrages » reçus par une émission ne mesure pas la qualité et l'intensité de la satisfaction des publics : on peut, par exemple, préférer une émission à une autre parce qu'elle aide à mieux à s'en­dormir, ou pour toute autre raison fonctionnelle, indépendante du jugement de valeur porté sur l'émission choisie.

·       Enfin, le désir que les différents publics manifestent en réaction positive ou négative à une offre médiatique donnée ne renseigne pas sur ce que les mêmes téléspectateurs souhaite­raient pour leur télévision : on peut n'aimer regarder que le football, et refuser l'idée d'une télévision qui n'offrirait que du football ; on peut ne jamais regarder une émission culturelle, et tenir cependant à ce que sa télévision offre des émissions culturelles.

Outre que le désir manifesté du public ne coïncide pas a priori avec l'intérêt public jugé du point de vue de Sirius, ni même avec une volonté empiriquement articulable par les citoyens eux-mêmes, il est probable que l'idéal d'une programmation strictement orientée par l'intérêt du spectateur est sévèrement contrarié par des contraintes commerciales.[18] Sans aller jusqu'à dire que les annonceurs publicitaires font la loi sur les chaînes, ils exigent cependant des program­mations qu'elles ciblent des publics bien définis quant aux catégories d'âge, compte tenu du sexe. Les genres à programmer aux grandes heures d'écoute ne répondent donc pas à un public dont le désir pourrait sans tension se laisser comprendre en direction d'un intérêt général, mais au désir commercialement interprété d'un public sélectionné sur des critères ajustés à la satis­faction d'intérêts particuliers dont on ne sait, faute d'avoir un test d'universalisation, dans quelle mesure ils seraient partageables.

 

 

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Malentendu sur la question du pluralisme.

 

Le malentendu sur la question du pluralisme touche, quant à lui, aux limites factuelles de l'hétérorégulation publique. La doctrine juridique qui sous-tend la politique européenne de l'au­diovisuelle est marquée par une tendance – commune à Strasbourg et à Bruxelles – à considérer le principe du pluralisme comme un principe de limitation légitime de la liberté de communica­tion.[19] Or, cette vision des choses n'est évidente que si l'on regarde la liberté de communication, fondamentalement, comme une liberté subjective, à l'image de la liberté d'entreprise, ou encore, de la liberté d'expression. Si c'est au nom du pluralisme externe que l'on envisage une limitation de la liberté de communication, cette dernière est alors implicitement pensée sur le modèle de la liberté d'entreprise, et son traitement peut relever du droit de la concurrence. Si c'est au nom du pluralisme interne que l'on envisage une limitation de la liberté de communication, cette der­nière est alors implicitement pensée sur le modèle de la liberté d'expression, et son traitement peut relever du droit de la personnalité. Dans les deux cas, cependant, la régulation juridique, soit par un droit économique (droit de la concurrence), soit par un droit moral (droit de la per­sonnalité), fait très tôt l'expérience de son impuissance.

Là où il est question de pluralisme externe, le droit n'atteint pas la propriété du capital finan­cier ; il ne touche pas à la structure de la propriété. À supposer même que, tout en restant dans les limites du droit de la concurrence, on parvienne cependant à briser des positions de puissan­ces trop écrasantes (oligo-monopolistiques), cela ne garantirait pas que soient réunies par là les conditions d'un pluralisme interne (ce que reconnaît explicitement la Commission des Commu­nautés Européennes). Là où il est question de pluralisme interne, le droit ne peut guère interve­nir que de façon réactive, pour réparer des préjudices et en vue d'imposer le respect d'une fair­ness doctrine (droit de réponse, partage équilibré de temps d'antenne entre les représentants des diverses formations politiques). Une telle régulation est centrée sur la juridiction, parce qu'elle doit équilibrer pratiquement des principes concurrents en se guidant elle-même sur le principe de proportionnalité. Ici, la juridiction s'entend au sens large, incluant notamment les autorités administratives indépendantes. Dans les faits, au regard de toute la matière en besoin de régula­tion, sa compétence est toutefois fort limitée. Outre qu'elle n'organise que très formellement le pluralisme idéologique, elle ne touche pas au pluralisme stylistique (des genres télévisuels). Reste en dehors de son champ la qualité de l'offre médiatique et l'appréciation des critères de sélection, qu'il s'agisse de l'information ou de la programmation en général.

Quant à la politique des quotas, quotas culturels et quotas européens, elle se heurte aux li­mites inhérentes à toute tentative de réguler des contenus symboliques par les voies de la ré­glementation. La réglementation est un mode inadapté de régulation des contenus, car, ou bien elle est inefficace (parce que détournable), ou bien elle devient autoritaire (et donc inaccepta­ble). Ce n'est toutefois pas une raison pour renoncer à lier une régulation de l'audiovisuel à l'objectif du pluralisme interne et de la qualité de l'offre médiatique globale européenne : d'au­tres moyens de régulation que la réglementation offrent à cet égard une voie d'avenir.

Pratiquement, la difficulté évoquée plus haut à propos du pluralisme est liée à une certaine façon d'utiliser le droit pour réaliser un objectif politique. Sur un plan théorique fondamental, cette difficulté renvoie à une façon subjectiviste d'interpréter la liberté de communication (soit sur le modèle de la liberté d'entreprise, en liaison avec le pluralisme externe, soit sur le modèle de la liberté d'expression, en liaison avec le pluralisme interne). Cependant, cette difficulté théorique s'estompe, si l'on conçoit la liberté de communication comme la situation qui résulte de l'ouverture plus ou moins grande d'une société à la thématisation publique. En ce qui concerne la thématisation publique autorisée spécifiquement par les médias de diffusion, la plus ou moins grande ouverture communicationnelle de la société mesure aussi la qualité de l'offre médiatique globale. La théorie des médias est aujourd'hui parvenue à cerner de façon satisfai­sante ce concept de qualité,[20] naguère jugé inaccessible aux définitions. La qualité cesse d'être une variable purement subjective. On la fait dépendre de paramètres tels que la diversité des genres, la densité culturelle, le pluralisme idéologique, le perspectivisme (croisement des points de vue sur un même objet), le décentrement, ainsi, il est vrai, que de paramètres davantage liés à la satisfaction du public, tels que l'attrait et l'intérêt. Quoi qu'il en soit, la question de la liberté de communication se laisse poser différemment : on ne demande plus avant tout si le journaliste peut parler librement, mais si l'espace médiatique est largement ouvert aux questions d'intérêt public ; si donc ces questions sont publiquement accessibles, et à quel degré de thématisation.

Ici, les limites de la liberté de communication sont définies institutionnellement et culturel­lement pour une société donnée. On obtient là un concept communautaire et public de la liberté de communication. Cette définition, qui ne se fonde plus sur les présupposés individualistes de la liberté d'expression, n'entre pas dans la conception d'une liberté négative ou subjective, c'est-à-dire qu'elle ne procède plus de l'idée que la liberté de communication devrait être limitée afin que puissent être honorées les exigences du pluralisme. Au contraire : en suivant le concept non-subjectiviste, il devient clair que la liberté de communication, dès lors qu'on en juge au regard des limitations thématiques de l'espace public pour une communauté donnée, ne peut qu'être augmentée par les progrès réalisés sur la voie du pluralisme. Liberté de communication et principe du pluralisme ne jouent plus en raison inverse.

 

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Sur le service public.

 

La privatisation des chaînes est simplement un fait accompli, politiquement justifié et motivé par un mouvement des idées et des intérêts. Cependant, elle n'a pas prouvé son avantage en ce qui concerne le pluralisme, la qualité, la liberté entendue au sens développé ici. Ce sont toute­fois deux choses différentes que de contester l'avantage de la privatisation et contester le droit à l'existence de chaînes privées. On doit sans doute reconnaître cette existence. Reste que la re­connaissance du fait, même sans arrière-pensées, ne doit pas signifier un renoncement à l'idée originale du service public. Celle-ci n'impliquait d'ailleurs, à l'origine de la doctrine (chez Léon Duguit),[21] ni un mode d'exploitation selon des règles de gestion publique, ni une dépendance forte à l'égard de tutelles étatiques, ni des prérogatives de puissance publique, exorbitantes du droit commun.

Conformément à l'évolution de la problématique relative au service universel, on abandonne le critère du monopole jugé « naturel ». On partira, en outre, de la distinction heuristique entre service public organique et service public fonctionnel, car l'idée de service public fonctionnel s'accommode du principe d'exploitation privée. On en retiendra la notion pour autoriser les opé­rations mentales suivantes : 1) séparer le service public de la tutelle étatique ; 2) assortir le mode d'exploitation privé de missions de responsabilité civique et culturelle. Ainsi parviendra-t-on à un concept enrichi de service universel pour l'espace audiovisuel européen.

Cela se conçoit même sans aller compenser la perte de contrôle étatique direct par une tutelle d'autorités administratives indépendantes. Il est vrai que ces quasi-juridictions peuvent faire valoir, à la fois, la réglementation d'État, certains droits moraux des individus, la déontologie professionnelle, les dispositions communautaires (quotas). Mais, d'une part, elles innovent peu sur un plan normatif et, d'autre part, elles ne répondent pas aux problèmes résistants de régula­tion (qualité, pluralisme), ceux qui, notamment, touchent à la programmation en général et à l'information en particulier, c'est-à-dire à l'agenda, au sens large, lequel suppose sélection et hiérarchisation de ce qui est jugé digne de la publicité (entendue au sens de la diffusion publi­que). Or, les critères qui président à la sélection et à la hiérarchisation de ce qui est porté à l'at­tention du public par les grands médias de diffusion sont l'élément stratégique d'une politique de l'audiovisuel ambitieuse, c'est-à-dire intéressée aux enjeux civiques (relatifs à information) et culturels (relatifs à la formation) de la communication publique réalisée à partir du médium aujourd'hui dominant. Cependant, les critères de sélection et de hiérarchisation des messages médiatiques sont opaques, à l'heure actuelle.

En disant que ces critères sont opaques, on ne dit pas qu'ils sont mauvais en eux-mêmes, ou inadaptés à certaines missions souhaitables. On souligne plutôt le fait qu'ils ne sont pas rendus réflexifs, c'est-à-dire thématisables publiquement : ils sont laissés à la discrétion d'instances privées. C'est presque un paradoxe que les critères présidant à la sélection et la hiérarchisation des thèmes d'attention publique soient eux-mêmes structurellement soustraits à une thématisa­tion publique institutionnalisée. Par rapport à la situation actuelle, marquée par la privatisation des chaînes (et, pour les chaînes demeurées publiques, par leur prise d'indépendance relative à l'égard de l'État), l'ancienne situation pouvait se prévaloir du fait que ces critères n'étaient pas à disposition de personnes privées, même si la puissance publique ne les exposait pas à la discus­sion. À présent que c'est le marché et non plus l'État, qui, apparemment, en dispose, non seule­ment ces critères ne sont pas plus discutés qu'auparavant, mais ils sont soustraits à l'autorité statutairement en posture de représenter l'intérêt public et d'agir pour le service du public. Fon­damentalement, le problème actuel tient à ce que ni le marché ni l'État ne sont capables d'assu­rer par eux-mêmes la fonction critique d'un espace public réflexif à l'égard de l'espace médiati­que (audiovisuel). Comment ouvrir alors un tel espace critique en ce sens, c'est-à-dire suscepti­ble de thématiser le fonctionnement de l'espace médiatique, afin que les critères de sélection et de hiérarchisation des messages radiodiffusés cessent d'être remis à la discrétion de ces person­nes privées que sont les programmateurs, rédacteurs, médiateurs divers ; afin, autrement dit, que ces critères puissent être arrachés à l'opacité ? C'est là un souci auquel pourrait répondre le dispositif d'évaluation dont il sera plus loin question à propos d'une Charte européenne de l'au­diovisuel. Cependant, il serait déjà important de pouvoir faire admettre le principe d'une moder­nisation de la doctrine du service public à l'usage des grands médias de diffusion. Or, cela pour­rait s'entendre aujourd'hui comme un appel à assortir le mode d'exploitation privé de missions de responsabilité civique et culturelle.

Il s'agit d'une spécification des « missions de responsabilité sociale » des médias, telles que la doctrine en avait vu le jour aux États-Unis.[22] Cela suppose des charges que l'on pourrait dire de « service public », plutôt que de « service universel », tant que, du moins, ce dernier est tenu à l'acception actuelle, fort limitative. Dans les deux doctrines, cependant, nous retrouvons les mêmes principes : principes d'égalité, d'universalité, de continuité, d'adaptabilité. En outre, l'idée du service universel n'est pas connotée par les notions de tutelle étatique et de règles d'ex­ploitation publique. D'un côté, le service universel est un concept mieux ajusté que celui de service public à l'idée d'un secteur concurrentiel et soumis aux conditions normales du marché. D'un autre côté, il conviendrait d'en enrichir fortement la notion, en étendant sa compréhension aux aspects de contenu, car les charges de service universel, qui touchent à la desserte, ne cou­vrent pas des finalités politiques symboliquement riches. Pour l'essentiel, les « missions de res­ponsabilité civique et culturelle » des médias de diffusion valent pour l'information et pour la formation. Il s'agit de « biens sociaux primaires » (expression empruntée à John Rawls pour un autre usage), lesquels revêtent naturellement le caractère de biens publics. Dans cet esprit se recommande l'affirmation d'un droit de la communication publique, qui, essentiellement diffé­rent d'un droit de la communication privée, soit constitué en un véritable droit public de la communication.[23]

Il ne semble pas possible de dégager un et un seul type de régime juridique dans la perspec­tive d'une régulation efficace de ladite société de l'information en général et de l'espace audiovi­suel européen en particulier. On se heurte dans ce domaine à des problèmes généraux qui tien­nent notamment à une double impossibilité : 1) impossibilité technique de contrôler la produc­tion et la diffusion des messages émis dans l'espace européen ; 2) impossibilité théorique de raisonner en termes de programmation dans la perspective futuriste d'une interactivité générali­sée par l'intégration des médias de diffusion aux médias de communication. Cependant, il res­tera toujours possible de garantir a minima les missions d'information et de formation sur des critères de qualité et de pluralisme de l'offre. En effet, on ne pourra, certes, empêcher le déver­sement de messages incontrôlés, ni, par conséquent, réglementer avec succès la diffusion dans un sens à la fois restrictif et normatif. En revanche, il serait possible d'assurer un minimum sur l'information et la culture (reportages, documentaires, débats politiques ou de société, journaux d'actualité). Se pose la question des moyens. Comment assurer ce minimum ? Par des services publics organiques ? Par des incitations fiscales et budgétaires ? Par des reversions d'un opéra­teur à l'autre ?

C'est la troisième option que l'on retient ici, en relation avec l'idée d'une Charte Européenne de l'Audiovisuel.

 

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Pour une Charte Européenne de l'Audiovisuel.

 

La Charte comporterait des sortes de directives en forme de recommandations, qui ressem­blent plus à des principes qu'à des règles.

On peut parler de « principes régulateurs » qui auraient, d'un point de vue juridique, une va­leur indicative.

Pour leur conférer alors une efficacité pratique, il conviendrait de les assortir de mécanismes incitatifs. Il ne s'agit pas, comme on le verra, de détailler les principes par des règlements, mais de les interpréter pour application. Cependant, la Charte indiquerait des critères pour une telle interprétation. Des mécanismes seraient prévus, afin d'inciter les opérateurs à remplir les critè­res de la Charte. Le système d'incitations reposerait lui-même sur un principe de reversions rendant tous les opérateurs signataires de la Charte solidaires entre eux et coresponsables de l'offre médiatique européenne.

Supposons que la Charte Européenne de l'Audiovisuel parte d'une Déclaration énonçant des réquisits de qualité, ainsi que des missions de responsabilité civique et culturelle des médias. Supposons que les conséquences en soient explicitées ensuite, dans le corps de la Charte, en ce qui concerne l'utilité sociale ou l'intérêt public de certains types d'émission (relatives, notam­ment, à l'information et à la formation). Imaginons que la Charte valorise l'effort de chaînes qui consacreraient une partie conséquente de leurs ressources propres à de telles émissions. D'une part, cela ne signifie pas que les chaînes européennes n'auraient pas le droit de se consacrer entièrement, par exemple, aux jeux et variétés, c'est-à-dire d'établir leur programmation, éven­tuellement, au mépris des genres valorisés par la Charte ; il n'y aurait donc pas, en fonction de la Charte, de sanction pénale à prendre (par exemple, sous forme d'amendes) contre les chaînes peu « civiques » ou peu « culturelles ». Cela diffère ainsi profondément de la philosophie des quotas culturels et européens actuellement en vigueur. D'autre part, l'incitation se traduirait, d'un côté, par des transferts aux chaînes « méritantes » et, d'un autre côté, par des prélèvements sur des recettes publicitaires des chaînes « non-méritantes ».

Cependant, il ne s'agit pas d'une logique de sanction/récompense ou de pénalisa­tion/rétribution au sens du droit, mais d'une logique de coresponsabilité sur base de réversion. On dit, en substance, aux chaînes la chose suivante : « vous avez le droit, individuellement, de faire ce que vous voulez (dans les limites déjà connues) ; mais vous devez ensemble faire en sorte que, au total, les citoyens constituant le public européen aient un service répondant aux réquisits universels de la Charte. En conséquence, nous vous considérons comme coresponsa­bles de l'offre globale. Ceux dont la programmation est la plus éloignée de l'esprit de la Charte ne sont ni stigmatisés ni sanctionnés. Mais, en tant que coresponsables de l'offre globale média­tique, vous devez tous contribuer à l'effort pour que soient honorés les critères de la Charte. Soit vous le faites directement, par une programmation conforme ; soit vous le faites indirectement sous forme de contribution financière effectuée par réversion d'une partie de vos recettes publi­citaires ». Un tel discours (imaginairement) tenu aux chaînes européennes ne serait pas une rhétorique hypocrite. Il exprimerait effectivement la philosophie qui inspire la Charte dans un esprit, certes, libéral, au sens où il ne s'agit pas de réglementer les contenus, mais attaché à la défense de missions d'intérêt public, et avec la conviction que ces missions ne sauraient être remplies grâce au simple jeu du marché.

Le mécanisme incitatif a toutefois ses limites. C'est ici l'hypothèse théoriquement possible où aucune chaîne ne satisferait ni de près ni de loin aux critères de la Charte, de sorte que l'offre globale ne répondrait pas aux objectifs ou missions de responsabilité retenues dans la Charte. Une telle situation peut avoir au moins deux significations différentes : ou bien les chaînes as­sument fermement leur politique sur la base, par conséquent, d'une contestation explicite de la Charte : on parlera de rejet assumé ; ou bien la dérogation aux principes de la Charte n'est pas explicitement assumée par les chaînes : on parlera d'un mépris « honteux ». Quoi qu'il en soit, on demande par quels moyens faire valoir le droit des citoyens européens face aux pratiques médiatiques qui seraient dérogatoires aux principes énoncés dans la Déclaration de la Charte.

Le non-respect, par les chaînes, des contraintes que représenteraient ces principes pose indi­rectement la question de la normativité de la Charte, ainsi que celle du fondement de sa légiti­mité. La réponse à cette question dépend elle-même de la façon dont la Charte aura été élaborée et opposée aux intéressés. Ou bien elle est préparée par les gouvernements nationaux, selon les procédures administratives de consultation des intéressés, puis adoptée entre les États membres sur le mode de l'intergouvernemental, pour être ensuite signée par les chaînes européennes, dans le cadre de conventions nationales entre chaque État membre et les chaînes ressortissantes de cet État. Ou bien elle est adoptée par les représentants élus du peuple européen, c'est-à-dire par le Parlement européen, ou mieux : elle est coopérativement élaborée par l'ensemble des Parlements européens, pour être adoptée, en finale, par le Parlement européen. Dans le premier cas, la Charte ressemble plus à une Convention qu'à une Constitution, et la dérogation (« mépris "honteux" » ou « rejet assumé ») à ses principes équivaut à une rupture de convention. Dans le second cas, la Charte dispose d'une légitimité démocratique claire et directe, elle se rattache davantage à une Constitution qu'à une Convention, et la dérogation à ses principes déclarés constituerait une offense à la volonté publique. Le statut de cette « offense » est ambigu. D'un côté, il ne s'agirait pas à proprement parler d'une atteinte à l'expression de la volonté générale, étant donné que les principes de la Charte n'auraient pas de statut d'obligations légales directe­ment opposables aux opérateurs. Aucune chaîne en particulier ne serait sanctionnable au titre d'une violation de la loi pour cause de non-respect des principes de la Charte. D'un autre côté, cependant, il y aurait une obligation collective pouvant justifier la contrainte exercée sur les chaînes par la puissance publique, afin que les objectifs de la Charte puissent être servis. On pourrait alors imaginer qu'un Office de l'Audiovisuel Européen soit créé, afin de représenter l'unité de coresponsabilité des chaînes, en tant qu'interlocuteur officiel des instances qui, tel le Parlement européen, seraient justifiées de demander des comptes à l'audiovisuel européen, au cas où celui-ci, globalement, ne satisferait pas aux principes et critères de la Charte. Tandis que les dispositions normatives de la Charte n'auraient pas de caractère obligatoire qui soit directe­ment opposable à chaque chaîne européenne prise en particulier, ce caractère obligatoire serait, en revanche, opposable à l'Office, en tant qu'il représente l'ensemble coresponsable des chaînes européennes. Cela pourrait juridiquement se traduire par des prérogatives de puissance publi­que, dévolues à l'Office, afin qu'il puisse légitimement imposer aux chaînes qui en relèvent les mesures contraignantes justifiées par la situation, telle que, du moins, celle-ci aurait pu être évaluée par les instances habilitées à cet effet.

Quoi qu'il en soit, le dispositif normatif de la Charte ne fonctionne que s'il peut être soutenu par des mécanismes incitatifs mettant en œuvre la coresponsabilité des chaînes. Cela suppose alors une évaluation des programmes de ces chaînes. Des commissions d'évaluation structure­raient institutionnellement un certain aspect de l'espace public. C'est l'aspect sous lequel l'es­pace public est critique à l'égard de lui-même. Dit autrement : les commissions d'évaluation constitueraient un espace politique réflexif à l'égard de l'espace médiatique (audiovisuel). Ces commissions auraient pour tâche d'évaluer les programmations et émissions, chaîne par chaîne, pays par pays, et de rendre périodiquement un jugement sur le degré de satisfaction des critères de la Charte pour les chaînes considérées. Cela devrait évidemment donner lieu à des rapports publics annuels (par exemple, du type du Rapport annuel de la Cour des Comptes, en France, mais avec d'autres contenus et d'autres critères).

Ce sont, tout d'abord, des critères qualitatifs, et ces critères sont ceux de la Charte. La Charte doit être le point de référence obligé des commissions d'évaluation. Il n'y a que la procédure longue de discussions supposant interprétations et argumentations, qui puisse former une éva­luation, certes, faillible, mais acceptable    à la condition, toutefois, que les discutants puissent être regardés comme les intéressés. Cela pose la question de la représentativité des commis­sions.

Ce sont, ensuite, des critères quantitatifs (comptables). Les résultats d'exploitation des chaî­nes, et leurs bilans, devraient également être pris en compte dans l'évaluation, comme l'un des indicateurs de satisfaction du public, et partant, comme l'une des composantes de l'appréciation qualitative. Il convient, en effet, d'éviter le risque bien connu de soutien artificiel, élitaire et régalien à des produits culturels non appréciés par le public, quelle qu'en soit la composition sociologique.

On récapitulera ce point en disant que les critères d'évaluation seraient d'ordre :

·       qualitatif (ceux de la Charte uniquement) ;

·       procédural : discussions comportant interprétations et argumentations ;

·       quantitatif (comptable) comme les résultats d'exploitation des chaînes.

Les membres des commissions d'évaluation devraient au total être représentatifs du public dans sa diversité. Mais ils devraient aussi compter des représentants de la profession, ainsi que des autorités diverses (juridictionnelles, universitaires). Les commissions pourraient être répar­ties géographiquement par nations, et composer, chacune, des Centres Nationaux de l'Audiovi­suel. À cet égard, non pas le C.S.A., en France, mais le C.N.L. (Centre National du Livre), pourrait offrit un modèle parmi d'autres possible. On pourrait imaginer, en s'inspirant le modèle institutionnel ici évoqué, que chaque commission composant avec d'autres un Centre soit spé­cialisée, soit dans une chaîne (mais, dans ce cas, impérativement, avec rotation), soit dans un genre télévisuel (information, fiction, etc.).

Nous laissons ouverte la question relative à l'institution d'un Centre Européen de l'Audiovi­suel. Celui-ci aurait-il pour tâche de rassembler les rapports émanant des centres nationaux, afin d'étudier les possibilités de réversion des chaînes d'un État membre X à des chaînes d'un État membre Y ? Il y a lieu de penser que, dans l'état actuel de l'intégration communautaire, ce serait politiquement explosif. Avant cela, il semble que, pour plus de sérénité, le système de réver­sion/coresponsabilité devrait fonctionner au niveau national. Quant au niveau de l'Union Euro­péenne, il serait toujours représenté par l'Office de l'Audiovisuel Européen. Celui-ci différerait d'un Centre Européen de l'Audiovisuel en ce qu'il n'aurait pas de compétence pour imposer une réversion entre des chaînes n'appartenant pas au même État membre, mais seulement pour connaître des rapports qui, émanant des commissions d'évaluation, seraient présentés, assortis de recommandations, par chaque Centre National de l'Audiovisuel, et pour ordonner les mesu­res à prendre en conséquence de ces rapports et recommandations. Dans ce cas, l'Office serait doté d'un pouvoir décisionnel à l'égard de l'ensemble des chaînes susceptibles d'être évaluées au regard de la Charte, afin de conférer aux principes de cette dernière une puissance normative effective.

 

 

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[1] Elias, N., La Civilisation des mœurs (1939), trad. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1975.

[2] Chaunu, P., La Civilisation de l'Europe des Lumières, Paris-Montréal, Flammarion, 1982.

[3] Gellner, E., Nations and Nationalism, Oxford, Basil Blackwell, 1983 ; trad. par B. Pineau, Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989.

[4] Pour Ernest Gellner, le principe nationaliste est ce principe politique qui, dit-il, « exige la congruence de l'unité politique et de l'unité nationale ». Voir, à ce sujet, J.-M. Ferry, Les Puissances de l'expérience, 2, Les Ordres de la reconnaissance, V, 2 (Chap. sur « L'identité politique »).

[5] Pour une discussion informée et équilibrée de ce point, Lange, A., "Descartes, c'est la Hollande". La Communauté Européenne : culture et audiovisuel, Quaderni, n° 19, hiver 1993, pp. 99-104.

[6] Thibaud, P., « L'Europe par les nations (et réciproquement) », in : J.-M. Ferry, P. Thibaud, Discussion sur l'Europe, Paris, Fondation Saint-Simon/Calmann-Lévy, 1992. Cependant, la critique adressée par Paul Thibaud à la dynamique d'intégration communautaire ne prend pas pour référence philosophique Hegel, mais plutôt, dans une large mesure, Rousseau.

[7] Simon, J.-P. (Dir.), « Service public, service universel » (Dossier), Réseaux, n°66, juillet-août, 1994.

[8] Voir à ce sujet le Livre Vert de la Commission, « Pluralisme et concentration des médias dans le marché intérieur. Evaluation de la nécessité d'une action communautaire », Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 23 décembre 1992. Les rédacteurs rappellent notamment [p. 16] que « La Cour euro­péenne des droits de l'homme considère que le pluralisme est une exception au principe de la liberté d'expression ayant pour but la protection des droits d'autrui » [art. 10, § 2]. Ils notent à cet égard [p. 15] que « L'analyse juridique de la Convention européenne des droits de l'homme, telle qu'interpré­tée par la Cour euro­péenne des droits de l'homme, et des législations nationales, permet­tent toutefois de dé­gager deux caracté­ristiques com­munes :

    « le concept de pluralisme a pour fonction de limiter la portée du principe de la li­berté d'expression,

    « l'objet de cette limitation est de garantir au public la diversité des informations ».

[9] Voir encore le Livre Vert de déc. 1992, où il est dit que « le critère de l'entrave à une concurrence ef­fective et celui du maintien du pluralisme ont une signification, une nature différente. Le premier vise le comportement de l'opérateur économique, alors que le se­cond vise la di­versité des informations » [p. 86]. Avec discernement, les rédacteurs précisent en outre que « le droit communautaire de la concur­rence n'est pas un instrument adapté au maintien du plu­ra­lisme (même s'il peut y contri­buer) » [p. 91].

[10] « Le seul objectif de maintenir le pluralisme des médias, en tant que tel, ne constitue ni un objectif communau­taire ni une compétence communautaire prévus dans le Traité de Rome ou le Traité sur l'Union européenne » [Livre Vert du 23 décembre 1992, op. cit., p. 57].

[11] Un renouvellement du concept de liberté de communication, qui soit ajusté au droit des médias en tant que droit fondamental a été tenté par Francis Balle qui se référait lui-même, pour cela, aux intentions de Jean d'Arcy. Cf. Balle, F., Médias et Société, Paris, Editions Montchrestien, 1988 (4e éd.). Jean d'Arcy fut directeur des programmes de la télévision française dans les années 50, et fondateur de l'eurovision en 1954. Il milite pour la première fois en 1969 en faveur des « droits de l'homme à la communication » dans un article publié par la revue de l'Union Européenne de la Radiodiffusion. Voir aussi l'article programmatique et rétrospectif que Jean d'Arcy a publié, à ce sujet, dix ans plus tard, dans la Revue Française de Communication (n°3, 1979). Sur l'état du droit de la communication, voir Derieux, E., Droit de la communication, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 1994. Sur l'état de fait empirique de la liberté de communication en Europe, Couprie, E., H. Olsson, Freedom of Communication under the Law : cases studies in nine countries, Manchester, European Institute of the Media, 1987. Sur les conditions d'élaboration et d'application des normes dans ce domaine, Debbasch, Ch., C. Gueydan, La Régulation de la liberté de la communication, Paris & Aix-en-Provence, Economica & Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1991.

[12] C'est ce qui ressort notamment des dispositions de l'ART. 128 du Traité de l'Union Européenne :

    1. La Communauté contribue à l'épanouissement des cultures des États-membres, dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en commun l'héritage culturel.

    2. L'action de la Communauté vise à encourager la coopération entre les États-membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines suivants : l'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l'histoire des peuples européens.

[13] Voir, à ce sujet, le rapport annuel du C.S.A. français de 1989, où il est dit notamment : «(...) Au fil des mois, Antenne 2 a tenté, par sa programmation, de concurrencer TF1, sans d'ailleurs y parvenir. Elle s'est, chemin faisant, écartée de sa mission culturelle, éducative et sociale que lui confie la loi (...). Loin d'affirmer sa différence, (le service public) s'est laissé enfermer dans le piège du « suivisme », avec des moyens financiers plus faibles ».

[14] Sur ces notions, voir mon article : Communication de masse et politique, Cahiers de l'École des sciences philosophiques et religieuses, Facultés universitaires Saint Louis, n° 20, 1996, pp. 11-51.

[15] Le Conseil de l'Europe intervient également pour éclairer et influencer d'un point de vue normatif ou déontique l'éthique professionnelle. Cf. Conseil de l'Europe, Rapport sur l'éthique du journalisme, rapport de la commission de la Culture et de l'Éducation, contenant la recommandation 1215, 17 juin 1993, doc. 6854.

[16] Je dois ces considérations à Boris Libois. Voir, à ce sujet, B. Libois, « Quelle régulation démocratique des médias ? », in : G. Haarscher et B. Libois (Éds.), Mutations de la démocratie représentative, Éditions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997, pp. 81-101 

[17] Libois, B., Éthique de l'information. Essai sur la déontologie journalistique, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1994, p. 81-101.

[18] Dagnaud, M., Profession : programmateur, Mediapouvoirs, n° 20, 1990.

[19] Ferry, J.-M., « Sur la liberté de communication dans l'espace européen », in : G. Haarscher et B. Libois (Éds.), Mutations de la démocratie représentative, op. cit., pp. 53-70.

[20] Lasagni, Ch., G. Richeri, La qualité de la programmation télévisuelle. Points de vue et critères de mesure dans le débat international, Réseaux n° 70 CNET - 1995.

[21] Pisier-Kouchner, E., Le Service public dans la théorie de l'État de Léon Duguit, Paris, L.G.D.J., 1972.

[22] Ce sont, en effet, des universitaires américains, F. Siebert, J. Peterson et W. Schramm, qui ont élaboré, en 1956, la doctrine dite de la «responsabilité sociale des médias». Ils s'appuyaient, pour cela, sur le rapport Hutchins (1947) qui déclare notamment ceci :

    « Il y a contradiction entre l'idée traditionnelle de la liberté de la presse et sa nécessaire contrepartie de responsabilité.

    « La responsabilité, comme le respect des lois, n'est pas en soi une entrave à la liberté ; bien au contraire, elle peut être l'authentique expression d'une liberté positive. Mais elle s'oppose à la liberté d'indifférence [...]. Il est trop fréquent, aujourd'hui, que la prétendue liberté de la presse soit seulement une forme d'irresponsabilité sociale. La presse doit savoir que ses erreurs et ses passions ont cessé d'appartenir au domaine privé pour devenir des dangers publics. Si elle se trompe, c'est l'opinion qu'elle trompe. Il n'est plus possible de lui accorder, comme à chacun, le droit à l'erreur ou même celui de n'avoir qu'à demi raison.

    « Nous nous trouvons ici en face d'un véritable dilemme : la presse doit rester une activité libre et privée, donc humaine et faillible ; et pourtant elle n'a plus le droit d'errer. Car elle remplit un service public [...] ».

[23] C'est là un fondement de la différence de régime entre médias et télécommunications. Cependant, l'interpénétration des technologies fait apparaître un problème de cohérence juridique. On peut styliser ainsi trois modèles : 1) « modèle presse » valable pour les médias de représentation, régulés par un contrôle juridictionnel ou contrôle ex post ; 2) « modèle TV » valable pour les médias de diffusion, contrôlés ex ante (autorisations administratives) et ex post (sanctions administratives + juridictionnelles) ; 3) « modèle télécoms » valable pour la téléphonie ou télécommunication privée, sans contrôle exercé en principe sur les contenus ; 4) « modèle multimédias » valable pour les médias de communication publique, capables de relier entre elles des personnes privées dans une communication médiatisée par des agences de diffusion publique. Ce dernier modèle relève logiquement des trois précédents, pour des raisons qui tiennent à sa technologie et au type de communication complexe et interactif qu'il permet d'établir.