Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Professeur des Universités
Centre Norbert Elias UMR 8562 UAPV - CNRS - EHESS

 
   

 

 
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Analyse du film Goodbye Lenin, de Wolfgang Becker(2003)

par Marie Volkenner


Dossier de DEUG 2 Arts du Spectacle (Université de Metz)

Réalisé par durant l'année universitaire 2004-2005 pour le cours de Frédéric Gimello-Mesplomb (UE 25 Analyse de la représentation cinématographique)

Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Pour contacter Marie Volkenner :

______________________________________




Introduction

 

Durant la première moitié du siècle, l'Allemagne a été l'une des grandes puissances mondiales du cinéma. La deuxième guerre mondiale mit un terme à cette prospérité artistique et économique, et jusqu'aujourd'hui, le cinéma allemand ne s'en est pas remit. Dans les années 60 et 70 on vit apparaître des réalisateurs comme Fassbinder, Wenders, Schlöndorff, Herzog, qui apportèrent un nouveau vent d'espoir, mais celui-ci s'estompa rapidement et depuis les années 80, le cinéma allemand se résume à des oeuvres ponctuelles et des signatures dispersées.
Aujourd'hui, la situation s'améliore lentement, soutenu par une politique de subvention et une poignée de réalisateurs talentueux; et pourtant "un pays oppose encore une farouche résistance aux charmes du cinéma allemand, et ce pays c'est la France", intitule un article du Monde en février 2003.
Si les films français en Allemagne ont attiré plus d'un million de spectateurs, les films allemands en France se résument à un public de 26000 spectateurs en 2002. Cette situation paraît d'autant plus invraisemblable qu'il a fallût d'un seul film pour changer les chiffres : Goodbye Lenin, film de Wolfgang Becker, sorti en France en septembre 2003.
On constate que le succès de ce film en France a ouvert une brèche entière aux films allemands, et depuis on a vu se multiplier les sorties de films d'Outre-Rhin tel que "Head on" de Fatith Akin ou "la Chute" d'Oliver Hirschbiegel.
Il est donc particulièrement intéressant de s'interroger sur le succès de "Goodbye Lenin", en essayant de voir ce qui a -dans ce film traitant d'un passé national relativement peu connu par les français- conduit à un tel engouement. Etait-ce simplement une question de stratégie marketing ou la réponse se trouve-t-elle dans le contenu même du film, dans une certaine façon de traiter la vie, qui parlerait à chacun, au-delà de l'appartenance culturelle et nationale ?
Dans une première partie, nous nous concentrerons uniquement sur l'Allemagne et les conditions de production du film. Dans une deuxième et troisième partie, nous analyserons les éléments internes du film, pour comprendre son enjeu artistique, esthétique et éthique. Ensuite, nous verrons comment s'est faites la diffusion de chaque coté du Rhin; et de quelle façon il a été accueilli par le public et les critiques, et quels sont les éléments qui permettent d’expliquer ce phénomène.
Cette analyse n’a pas la prétention de couvrir entièrement une problématique si vaste et complexe, son but est de faire une analyse traditionnelle du film Goodbye Lenin, et de se servir des résultats et conclusions pour formuler des hypothèses plus générales sur la relation franco-allemande cinématographique, thème qui m’intéresse particulièrement, de part ma naissance germanique et mon expérience des deux cultures.

 

I-/ Les conditions de production

a. L'Allemagne et le cinéma

L’arrivée des uns amena le départ des autres : lorsqu’ Hitler devient chancelier en 1933, la majorité des artistes, et notamment du milieu du cinéma, s’exilèrent vers la France et les USA. L’Allemagne fut vidé de son potentiel cinématographique, et sans présence de maîtres, il est difficile de former des apprentis.
Néanmoins la situation aujourd’hui est délicate et paradoxale pour d’autres raisons encore : le marché cinématographique allemand est un des plus importants du monde, et pourtant on compte 84 réalisations nationales en 2003, contre 200 pour la même année en France.
Le budget moyen d'un film est comparable aux chiffres français (environ 4 millions d'euros), mais ils sont souvent réservés aux co-productions, et en vérité, le budget des trois-quarts des productions ne dépasse pas les 2 millions d'euros.
Néanmoins, il existe d'autres raisons à l'origine des problèmes du cinéma allemand : premièrement, l'Etat a confié les interventions culturelles aux différents Länder, qui mènent une politique de subvention liées aux retombées directes qu'elles peuvent en escompter, d'où le fait de privilégier les tournages sur leur territoire, sans réel soucis de la qualité artistique; ensuite par une confusion entre production cinéma et télévision, accentués par la pouvoir des empires financiers télévisuels, qui privilégient le petit écran. Pour finir, il faut noter également que l'Allemagne, en tant que le plus grand marché européen, et devenue la cible privilégiée des "majors" américaines et d'Hollywood. Il arrive souvent que des producteurs allemands financent ces films hollywoodiens, et contribuent ainsi à l'hégémonie hollywoodienne, sans se soucier des conséquences désastreuses pour le cinéma national.
Ainsi, dans un chaos pareil ou la bataille est menée sur plusieurs fronts, il est difficile pour le film allemand de trouver terre fertile. Cela n'empêche pas la création, mais restreint l'ambition de celle-ci, et on remarque que la majorité des films se résument à la comédie légère, inexportable et destinée à la diffusion à la télévision.
Très peu de films allemands ont été diffusé dans les salles françaises, et depuis 1993, aucun film allemand n'a été présenté pour la compétition du Festival de Cannes. Pourtant, la télévision française elle, diffuse des téléfilms allemands, et cela même souvent. Est-ce simplement pour remplir la programmation, ou est-ce un signe que les français ne sont pas hermétiques aux films germaniques ? Il existe évidemment une différence d'exigence artistique et qualitative entre un spectateur de TF1 pendant le repas de midi, et une personne qui paye sa place un samedi soir : est ce que le cinéma allemand ne répond pas à cette exigence ? Essaie-t-il seulement d'y répondre ?
Et bien non, il semblerait que l'industrie cinématographique allemande ne soit pas intéressée. Les capitaux, comme nous l'avons évoqué plus haut, sont dirigés dans des productions hollywoodiennes, et des co-productions, beaucoup plus rentables. Ainsi, le film "Astérix et Obelix contre César" a été financé à plus d'un tiers par des investissements allemands. Situation semblable pour "Ennemy at the gates" : réalisateur français, acteurs anglais, mais argent allemand.
Cette situation déplorable est critiquée par nombres de professionnels et politiciens, mais elle ne changera pas tant que le cinéma sera considéré d'avantage comme un moyen de faire du profit économique plutôt qu'un enrichissement culturel. L'Allemagne a les moyens de redresser le cinéma national, mais il leurs manque une politique coordonnée et cohérente.
Les français ont vite remarqué que le cinéma contribuait à diffuser une image positive de leur patrie, dans le monde entier. Ce n'est pas le cas de l'Allemagne. La deuxième guerre mondiale a plongé le pays dans la honte et le rejet de soi-même, si bien qu'aujourd'hui encore, l'Allemagne a du mal à se définir, et encore plus, à se dévoiler.
Peut-être les films à orientation historique sont ils un moyen de digérer peu à peu les évènements, et représentent la première étape vers un épanouissement du cinéma national, à une construction d'identité.

b. X Filme : la maison de production

Cette maison de production a été créée en juillet 1994 par Stefan Arndt, Wolfgang Becker, Daniel Levy et Tom Tykwer, à l'instar du modèle de la "United Artist" de Chaplin, Pickford et co.
L'idée de base était "l'union fait la force", avec la volonté de créer une plateforme pour les différentes idées et produire des films de qualité. Ainsi ont été réalisé plus d'une dizaine de films sous l'insigne X Filme, dont les différentes récompenses aux festivals sont une indication que le pari a été tenu.
Le succès national et international de Goodbye Lenin a contribué au succès de la maison, et depuis 2003, elle est devenue leader sur le marché cinématographique allemand, aussi bien dans le domaine de la production que dans la diffusion, qu'elle assure également, sous le nom de "X Verleih" (X location).
Les principales réalisations de X Filme sont : Winterschläfer (Wintersleepers-1997)), Lola rennt (run Lola, run-1998), Heaven (2002) et Goodbye Lenin (2003).

 

c. De l'idée au casting

L'idée de faire un film traitant de la chute du mur a germé dans la tête de Bernd Lichtenberg, scénariste de Goodbye Lenin, il y a plus de dix ans. Mais il avait le pressentiment que l'époque n'était pas encore propice et que l'Histoire devait mûrir avant de pouvoir être traitée.
Le scénariste enterra donc son projet au fond d'un tiroir, et c'est en voyant le film en 1997 "Das Leben ist eine Baustelle" de Wolfgang Becker, qu'il remarque que le style du réalisateur concorde parfaitement avec l'histoire qu'il avait imaginé. Il fit donc parvenir le scénario à Becker, et ce fût le début de leur collaboration.
L'exigence du réalisateur, relié à la maison de production de même nature, est à l'origine du long travail qui s'ensuivit : deux ans d'écriture et de réécriture. L'équilibre entre comédie et tragédie devait être parfait, pour ne tomber ni dans le pathétique, ni dans le burlesque. De plus, les deux hommes étant originaires d'Allemagne de l'ouest, ils ont effectué un travail de recherche considérable, rendu difficile par la mémoire des habitants de l'est, altérée par les années.
Le projet ayant mis beaucoup de temps à se mettre en place, il y avait proportionnellement beaucoup de temps pour choisir les acteurs. Pour le rôle de la mère, Becker choisit Katherine Sass, avec qui il avait collaboré pour "Heidi M.", et qui est originaire de Schwerin, en Allemagne de l'est. L'actrice était légèrement trop jeune pour le rôle de la mère, mais comme ils n'avaient pas trouvé qui allait interpréter son fils Alex -personnage principal-, et qu'elle avait été parfaite lors du casting, la décision tomba rapidement.
Au départ, Becker était à la recherche pour le rôle d'Alex d'un acteur originaire de l'Est pour plus de vraisemblance, mais il ne trouva pas. On lui conseilla un jeune acteur de Cologne qui avait fait ses preuves auparavant dans des films comme "das weisse Rauschen" (The White Sound) et "nichts bereuen" (No regrets), et se décida pour lui. Depuis Goodbye Lenin, Daniel Brühl est devenu un acteur de renommé internationale.
Dans la version française, la question de l'origine des acteurs peut sembler superficielle, mais dans la version originale elle est importante, car l'accent de l'acteur trahit sa provenance. Il ne conviendrait pas pour un personnage de l'est de parler le patois du Bade-wurtemberg. Daniel Brühl a donc dû revêtir un léger accent berlinois, pour paraître plus authentique.
Lors d'une interview, le réalisateur dit avoir choisit les acteurs dans un esprit d'ensemble. Ce qui comptait n'était pas la performance individuelle, mais une harmonie entre les différentes personnalités.
Les acteurs enrôlés n'ont pas influencé le film au-delà de leur propre interprétation, car Wolfgang Becker est connu pour être un réalisateur extrêmement têtu, il ne tint jamais compte des propositions de ses acteurs, ce qui fût parfois à l'origine de disputes et rendit le tournage quelque peu pénible.

d. Un tournage difficile

Le tournage de Goodbye Lenin débute en septembre 2001. La maison de production est encore assez "jeune" et n'a que peu de moyens financiers. Le budget ne dépasse pas 4 800 000 millions d'euros, dont 3,4 millions de subventions (1,7 millions d'euros par l'Etat; 1,1 millions par les Länder, et seulement 0,7 millions de participation de la télévision). Cela constitue une première difficulté et non la moindre, car comme les producteurs vont vite se rendre compte : il est plus facile de restituer l'histoire ancienne que l'histoire récente. Il ne reste rien de la RDA, tout est à reconstruire : costumes, décors, quartiers. Il n'est donc pas étonnant de voir que le film se déroule quasiment dans un huis clos, et qu'il y a peu de lieux de tournages différents.
La météo ne facilite pas les choses non plus. Lorsque le tournage débute, il pleut quatre semaines sans interruption à Berlin, alors qu'il était prévu de tourner des scènes extérieures, censées se dérouler en plein été. Le moral des troupes n'est donc pas au mieux, et l'attentat du 11. Septembre ne vient pas détendre la situation. De plus, l'avis du réalisateur Becker et de l'actrice Katherine Sass diverge souvent, ce qui crée une atmosphère tendue sur le set. Lors d'une interview, le réalisateur reconnaît que quelques semaines avant la fin du tournage, personne n'en pouvait plus et tous attendaient avec impatience " la dernière scène".

e. Le résultat

Environ un an après le début du tournage, Goodbye Lenin est terminé. A la clef : une comédie dramatique dans un contexte historique. Le film plongera l'Allemagne dans une "Ostalgie", terme exprimant la nostalgie de l'est. La télévision enchaînera les émissions spéciales sur les années RDA, et des magasins proposeront les produits disparus avec la chute du mur. La réception est phénoménale, même à l'étranger.

 

II-/ Analyse du film : Goodbye Lenin

a. Version utilisée


Malheureusement, il n’était pas possible de trouver des renseignements sur les différentes versions qui pourraient exister du film. Néanmoins, il semblerait que c’est le cas, car la durée affichée varie entre 1h47 min (sur le dvd), 1H58 (pour les cinémas français) et on trouve même des indications qui tendraient vers une version de 2heures.
L’analyse s’appuiera sur la version du dvd français, diffusé par océan films et TF1, en privilégiant la V.O sous titrée. Cette version respecte le format 1.85, ce qui est important dans la mesure où il est arrivé que le film soit diffusé dans les salles dans un autre format, et qu’à cause de cela le micro de la prise de son était parfois visible dans le cadre, chose souvent mentionné dans les forums de cinéma.

b. Que raconte le film ?

En 1978, Sigmund Jähn est le premier allemand à aller dans l’espace, et sur terre, la famille Kerner se désagrège. Le père de famille est parti en Allemagne de l’ouest, en laissant sa femme et ses deux jeunes enfants : Alex et Ariane.
La mère supporte très mal ce départ et passe plusieurs semaines à l’hôpital. Quand elle en sort, elle est transformée : elle a « épousée » la patrie socialiste et dorénavant, elle consacre toute son énergie à l’amélioration du quotidien en RDA.
Les enfants grandissent, et en 1989, Alex est presque devenu un homme. Il se languit dans ce petit pays et ne se sent pas vraiment au sommet de sa virilité. Il est exaspéré par les informations et a soif de changement. Lorsque se déroule une marche silencieuse auprès du mur, il y participe donc.
Malheureusement, sa mère –qui se rendait au palais de la République pour voir les grandes figures du parti communiste- voit son fils se faire arrêter par les forces de l’ordre, et s’écroule par terre, suite à un infarctus. Elle restera dans le coma pendant plus de huit mois.
Son coma lui fait rater un épisode important de l’Histoire : la réunification des deux Allemagnes, et les bouleversements que cela entraîne au sein de sa famille : Ariane abandonne ses études d’économie pour travailler au Burger King, et Alex tombe amoureux.
Lorsqu’elle se réveille, elle est encore très fragile. Les médecins préviennent Alex et sa sœur qu’il ne faut pas la soumettre au moindre choc émotionnel, car elle risquerait un deuxième infarctus, qui lui serait fatal.
A cet instant, le jeune homme prend une décision : pour ne pas courir ce risque, il va falloir cacher à sa mère la réunification et toutes les choses qui ont changées si brusquement et risqueraient de la troubler. La RDA va donc continuer à exister dans les 78 m² de leur appartement.
Plus le temps passe, et plus il est difficile de rester dans le mensonge. Lorsque la mère réclame des cornichons de Spreewald, Alex va découvrir à quel point il est difficile de trouver les vieux produits de consommation ; et lorsqu’elle demande à voir la télévision, il va être obligé de modifier quelques peu les images à l’aide de son ami Denis, réalisateur amateur.
Néanmoins il parvient toujours à éviter la vérité. Un jour, lorsqu’ils amènent leur mère à la maison de campagne, elle leur apprend qu’elle leur a menti pendant tout ce temps et que leur père ne les a pas abandonné, il est parti en attendant que sa femme le rejoigne avec les enfants, mais elle n’en a jamais eu le courage. Ce fût la plus grosse erreur de sa vie.
Après cet aveu, l’état de la mère s’aggrave brusquement, mais avant qu’elle meure, Alex manipule une dernière fois la vérité pour lui expliquer les changements survenus : l’Allemagne est réunifiée, le mur n’existe plus.

c. Comment le raconte-t-il ?

Le film est monté dans l’ensemble de façon chronologique et linéaire, mais il est parfois interféré par des retours en arrière. Une voix off –celle du personnage principal Alex- nous guide tout au long du film, et permet de garder une impression de continuité temporelle malgré ces flash-backs. La voix-off d’Alex est extradiégétique bien qu’il fasse parti de l’histoire, parce qu’elle est omnisciente et commente son propre vécu a posteriori.
Cette voix off permet également de montrer régulièrement des images d’archives ou de reconstruction historique, sans briser le déroulement de l’histoire.
Elle impose le rythme : lorsqu’elle est utilisée, elle permet d’accélérer les événements –comme lors de la chute du mur- et lorsqu’elle laisse place aux images, le temps s’arrête et attire notre attention sur les sentiments et les dialogues.
La première partie de l’histoire, celle qui va jusqu’au réveil de la mère, est très brève. En moins d’une demi-heure, le spectateur s’est familiarisé avec la famille et la situation.
Ainsi, la majorité du film tourne autour de la situation plus comique qui consiste à recréer un monde qui n’existe plus.
De plus, la mort de la mère –élément plus tragique du film- est résumée en moins de 5 minutes.
La structure du film indique donc que l’intention principale est de montrer la façon dont Alex s’y prend pour faire comme si rien n’avait changé, et non pas d’insister sur les choses plus tragiques comme la maladie de la mère et le mensonge concernant le père.
Par là, le réalisateur privilégie le côté humoristique de la reconstruction d’un pays disparu et qui n’a jamais vraiment existé de la façon dont Alex le présente, et l’importance de la relation mère-fils. Pour finir, on notera également que l’économie de lieux de tournages rend l’histoire plus intimiste. Ce qui est une conséquence directe du manque de budget influence le film dans l’atmosphère qu’il crée : un nid douillet dans lequel le spectateur prend facilement ses repères.
Goodbye Lenin n’est pas un film hollywoodien, et cela saute aux yeux. Le film n’est pas manichéen, et il est difficile d’en tirer une problématique ou une thèse clairement énoncée.
C’est la raison pour laquelle une analyse de ce film ne peut se faire par catégories distinctes et conclusions catégoriques. Le film a tendance à s’articuler autours de plusieurs pôles, dont deux opposés, et le but tout au long de la pellicule va être de les faire s’articuler ensemble, par un intermédiaire.
D’un côté l’Allemagne de l’est, de l’autre l’Allemagne de l’ouest, et au centre, la coupe du monde de football 1990 qui va les réunir pour un instant en une seule Allemagne.
D’un côté une constante : la mère ; de l’autre le changement, et entre : Alex et ses innombrables essais de ne pas arriver à une confrontation entre les deux. D’un côté le quotidien, de l’autre les médias, et au centre : le peuple.
Cette dichotomie est traduite également de façon visuelle, à travers des contrastes très appuyés. La majorité de l’histoire se déroule dans la petite chambre dans laquelle est allongé la mère, et l’unique source lumineuse est la fenêtre la journée, et la petite lampe de chevet la nuit, si bien que dans un cas comme dans l’autre, la lumière n’est pas diffuse uniformément et crée des ombres.
Néanmoins, ces images contrastées sont équilibrées par l’univers sonore : la voix-off et la musique.
La musique de Yann Tiersen est très semblable à celle qu’il a faite pour le film de Jean-Pierre Jeunet : Amélie Poulain, il en utilise même certain morceaux.
D’autre part on remarque une similitude dans la construction du film par différents éléments.
Les plus criants sont ces extraits de films de souvenirs qui créent une ambiance nostalgique, où tout parait accéléré (montage de plusieurs épisodes de vie), flou, tournés par une caméra amateur, sur lesquels vient se poser une voix-off commentant le visuel. De plus, on observe dans un film comme dans l’autre une utilisation importante de filtres, notamment de couleur afin de créer certaines ambiances.
Pour finir, on notera un type de cadrage et d’éclairage semblable, et une inspiration de la peinture romantique flamande : peinture très intimiste et basée sur des contrastes très fort de lumière.
On peut même aller jusqu’à tirer des parallèles entre les personnages d’Alex et d’Amélie, dont le but est de faire un monde meilleur, et de rendre les gens heureux. Ce qu’Amélie Poulain raconte d’une façon poétique, Goodbye Lenin le dépeint avec humour et tendresse.

 

d. Symbolique et construction de thèmes

 

Le rouge


Il y a un tout un jeu symbolique autour de la couleur rouge, qui est annoncé d’emblée dans le générique. Cette couleur « communiste » est très liée à la perception d’Alex. Ainsi, elle est quasiment absente pendant les quelques minutes qui présentent son enfance, comme s’il était trop jeune pour la relier à quoi que ce soit.
Depuis le moment où il est adolescent, assis sur un banc en train de boire de la bière, jusqu’à l’infarctus de sa mère, elle est présente avec excès, à travers les symboles communistes, et la lumière de sa chambre, filtrée par un drapeau rouge suspendu sur l’immeuble. L’excès du rouge traduit l’exaspération d’Alex, son sentiment d’oppression. Pour s’en libérer, il participe à une démonstration. Il est intéressant de voir que cette séquence de « marche silencieuse » est filmée avec un filtre, ou du moins retravaillée en post-production, pour insister sur les jaunes et les verts. A ce moment, la couleur rouge n’est matérialisée qu’une seule fois : à travers la robe de la mère !
La symbolique est d’autant plus forte qu’après cet instant, la couleur rouge n’apparaît que de temps en temps, et (presque) toujours comme incarnation capitaliste : le rouge de coca-cola et le rouge du nouveau habit de travail d’Alex, dans une entreprise de vente d’antennes de télévision.
Ainsi, on peut interpréter le rouge comme couleur des sentiments d’Alex : en RDA, il y en a à outrance, ça le dégoûte ; mais après la chute du mur, le rouge a perdu sa valeur symbolique, il a glissé dans le camp capitaliste, et on y perçoit du regret et de la nostalgie. Son monde est passé d’un extrême à l’autre.

 

La mise en scène de la RDA

Goodbye Lenin n’est pas un film qui se veut historique. Pourtant, le contexte historique est bel et bien présent, et en traitant l’histoire, une position est prise quant à la situation de la RDA.
Cette position est forcément proche de celle du personnage principal qui nous « explique » ce qui se passe, mais il arrive parfois que les indices donnés dépassent la simple personne.
Ainsi, le réalisateur prend parti en choisissant ce qu’il montre et ce qu’il ne montre pas. Cela se voit particulièrement aux images de la ville : Wolfgang Becker nous présente toujours des images similaires de Berlin Est, celles de grands immeubles carrés, froid et laids. Or, bien que ces immeubles aient été construits sous le système communiste, ils ne représentent pas la totalité de l’urbanisme de la RDA. Il privilégie les plans généraux et les plans larges, de sorte a accentuer la « grandeur » de ces constructions, leurs aspect imposant et surdimensionné.
Néanmoins, l’image donnée au spectateur de la RDA est surtout véhiculée de façon indirecte. Le film ne se déroulant que quelques minutes dans la RDA, celle qui nous sera présentée sera celle de l’imaginaire d’Alex, qu’il construit pour maintenir en vie sa mère.
Le film prend donc une position étrange vis à vis de l’Allemagne communiste. On souligne ses défauts en présentant un idéal utopique. En fait, le film procède au contraire du système communiste, qui lui présente un idéal utopique, mais pour dissimuler ses défauts.
Goodbye Lenin critique la manipulation du peuple par les médias et la répression des opposants, et montre l’incapacité de contribuer à une société meilleure, à travers l’ironie. Cette ironie repose sur le savoir du spectateur, sur l’écart qu’il perçoit entre ce qu’il sait du système communiste de la RDA, et ce qui lui est présenté dans le film.

 

L’envahisseur capitaliste


Bien que la chute du mur soit perçue comme quelque chose de positif par le protagoniste principal, les images relativisent un peu son enthousiasme.
Après la réunification de l’Allemagne, la Deutsch-mark vient s’imposer comme un tyran, réduisant à néant la monnaie antérieure, et en détruisant les repères des personnes « âgées », pour qui le changement se fait de façon trop abrupte.
Dans l’ascenseur apparaissent des croix gammées, et la culture de consommation s’impose de façon radicale et agressive.
Ce changement est introduit sous la forme de cornichons de Spreewald. Lorsque la mère exprime son désir de cornichons, Alex va découvrir que les produits de l’est ont laissé place à la concurrence mondiale : désormais, les cornichons viennent de Hollande.
Il va donc établir une réelle obsession pour ces cornichons, et va jusqu’à fouiller les poubelles pour découvrir d’anciens bocaux dans lesquels il pourrait en transvaser d’autres.
Cette obsession est signalée par les nombreux gros plans de bocaux de nourritures, et la récurrence du motif.
Lorsque la petite communauté d’initiés fête l’anniversaire de la mère, un élément vient perturber leur quiétude. Une immense publicité Coca Cola, symbole fort et récurent du capitalisme, est déroulé sur l’immeuble en face : le capitalisme hisse son drapeau, et fragilise l’équilibre construit autour de la mère d’Alex. L’agressivité du geste est matérialisé par les couleurs : l’intérieur de l’appartement est très terne, dominé par les jaunes et les bruns ; alors que la publicité est d’un rouge flamboyant, d’autant plus souligné que l’immeuble sur lequel il est déroulé est blanc.
L’ouverture des frontières, est perçue comme un vent d’espoir à ses débuts. Mais peu à peu les indices se multiplient et on finit par considérer « l’envahisseur capitaliste » comme dérangeant le petit îlot communiste idéalisé de l’appartement familial, dans lequel les gens se sentent si bien.
La position que prend le film par là est relativement unique dans l’histoire du cinéma allemand. Peu de gens auraient osé il y a quelques années encore, de montrer les dégâts qu’a causé une politique trop radicale. C’est étroitement lié au long mandat d’Helmut Kohl, adulé par le peuple allemand, qui l’a réélu chancelier quatre fois de suite, et qui fut un des principaux acteurs de la réunification.

Heimat


Par trois fois résonnent les airs de la chanson « unsere Heimat » dans le film, chanté par des cœurs d’enfants. Les paroles patriotiques visent à faire le portrait d’un pays parfait, où tout formerait une unité avec la « patrie ». Néanmoins le terme « Heimat » désigne également le « chez soi » plus large, l’endroit où on se sent à la maison.
Le film nous présente cet endroit, ce n’est pas la RDA, mais l’appartement des Kerner, et plus particulièrement la pièce où est alitée la mère. Cela est évident par la dramaturgie, et est traduit visuellement par des couleurs chaudes et des plans rapprochés, ainsi que part l’immobilité de la caméra et des personnages au sein de cette pièce.
Cette « Heimat » est vitale dans le sens où elle est l’élément qui motive le « héros » principal Alex, plus qu’une quête il s’agit de quelque chose qu’il a construit avec amour, pour préserver sa mère des dangers de la vérité.

 

L’évolution des personnages


Le film débute sur des images d’enfances d’Alex et Ariane : il y a donc forcément évolution.
Celle de la mère, celle d’Ariane, et celle d’Alex. Les deux premières sont moyennement intéressantes, et le film n’attire pas l’attention dessus. Néanmoins, celle d’Alex est plus flagrante, et mise en parallèle avec le thème de l’espace et d’un personnage en particulier : Sigmund Jähn.
Lorsque l’enfant apprend que son père ne reviendra plus, il est en train de regarder la télévision qui exhibe avec fierté les images du premier allemand dans l’espace, signe de supériorité de la RDA sur la RFA. Sigmund Jähn incarne depuis ce jour un idéal de réussite pour le petit Alex. L’importance de ce motif est soulignée plusieurs fois au cour du film, notamment au début et à la fin.
Entre, on nous présente un adolescent désabusé, sans ambition et sans espoir. Cela est surtout traduit dans le jeu d’acteur de Daniel Brühl, qui montre son laisser aller par la tenue de son corps. Il est toujours courbé, le regard dans le vide, l’air blasé.
La première fois qu’on lit une émotion forte sur son visage, c’est lorsqu’il voit sa mère s’effondrer sous ses yeux. Ensuite vient une courte période d’angoisse et de tristesse.
Mais après, son visage s’illumine et on découvre un adolescent plein de vie, qui est ému devant les belles jambes des infirmières, et qui se découvre un côté protecteur et attachant.
C’est l’instant où le personnage principal comprend le rôle qu’il doit jouer, et va mettre en place un système complexe de mensonge et manipulation pour protéger sa mère.
Il se réalise entièrement dans cette quête, et l’Alex qui nous est présenté à la fin du film est un homme. Lorsqu’il croise par le plus grand des hasards Sigmund Jähn –devenu entre temps un simple chauffeur de taxi- plus rien ne sera en travers de son chemin pour enterrer son idéal de la République démocratique d’Allemagne, et par là, sa propre adolescence.




Daniel Brühl et Katrin Saß
Photo Conny Klein - © 2003 Sony Pictures Classics.

 

III-/ Analyse de séquence

 

a. Position de la séquence dans le film

La séquence choisie est intéressante dans la mesure où elle est un concentré du film. La mère d’Alex, vient de sortir pour la première fois depuis sa convalescence, à l’insu de ses enfants, et a été confrontée aux changements intervenus dans la ville. Aussitôt, Alex et sa sœur la ramènent chez eux, et vont devoir lui fournir des explications.
Dans cette séquence, Alex et sa sœur sont assis près de leur mère et regardent la télévision, où plutôt, une cassette vidéo qu’Alex a monté au préalable avec son ami Denis. Les images sont bouleversantes : des milliers de personnes de l’ouest on été accueilli « dans un soucis d’humanité » par la RDA, après s’être réfugié dans les ambassades de Budapest et Prague. Ils ont été relogé au centre de Berlin est, ce qui explique les bouleversements observés par la mère.

 

b. Analyse

Cette séquence n’est pas très riche d’un point de vue cinématographique. Elle est uniquement construite sur le système : champs / contrechamps : d’un coté le lit sur lequel sont allongés la mère, Alex et Ariane (sa sœur), de l’autre la télévision.
Cette séquence est extrêmement statique, la caméra est fixe pendant 1minute et 13 secondes, sur une durée totale de 1minute et 26 secondes. A part un léger panoramique qui part d’un plan rapproché de la mère vers un plan rapproché d’Alex, il a seulement deux sortes de cadrages : une sorte de plan américain du côté du lit, et un plan rapproché sur la télévision.
Si l’on considère que le plan américain est souvent utilisé pour organiser une conversation entre deux personnages, on constate la position centrale de la télévision dans cette séquence. Non seulement les plans qui la montrent durent plus longtemps en moyenne que les plans du contrechamps ; mais en plus, elle bénéficie d’une position centrale, tout les regards convergent sur ce même point.
Bien évidemment, le spectateur ne va pas regarder la télévision dans sa forme, mais les images qu’elle va montrer. Ainsi, l’attention est attirée sur l’information télévisuelle, par les images, et par le son. Car lorsque la caméra est dirigé sur la famille Kerner, on va bien sûr regarder leur réaction, mais la fixité des personnages met en évidence surtout une chose : le son diffusé par la télévision.
De plus, la réaction est difficile à lire sur les visages lors des cadrages en plan américain, car le regard du spectateur ne sait pas vers qui se diriger. D’une part, c’est la réaction de la mère qui suscite le plus d’intérêt, mais d’une autre part, c’est Alex qui se trouve au centre de l’image.
C’est une des raisons pour laquelle il était nécessaire de faire des plans rapprochés sur la mère : pour essayer de lire dans ces yeux ce qu’elle pense en voyant ces informations. Néanmoins, le dernier plan rapproché de la mère termine sur un plan rapproché du fils, ce qui crée une fois de plus la confusion : quel est le personnage central de cette séquence ? C’est à cet instant que la voix-off d’Alex résonne : « d’une certaine façon, je pense que j’étais dépassé par mon propre stratagème, la RDA que j’inventais pour ma mère, devenait de plus en plus la RDA dont j’aurais rêvé. »
De cette manière les choses deviennent plus claires. Cette séquence ne met ni en scène la télévision, ni la famille Kerner ou Alex, elle souligne la mise en scène de la RDA via la télévision, par l’agissement d’Alex.
Ce qui compte, c’est la façon dont est manipulée la vérité, et cela se manifeste sur deux niveaux : une première fois par la télévision, et une deuxième fois par la construction de cette séquence.
Wolfgang Becker n’a pas besoin pour cela d’éclairages complexes ou de jeu subtils de couleurs ; ni de montage poussé ni de décors signifiants. Il se repose uniquement sur un jeu d’acteur très effacé et une voix-off, qui s’enrichit en parallèle du spectateur, des expériences faites au long du film.
Implicitement, cette séquence se construit sur l’expérience du spectateur et sa connaissance en matière d’histoire. L’ironie et l’humour ne sont accessibles qu’aux personnes qui savent qu’Alex inverse la réalité et que les réfugiés de l’est en Hongrie deviennent des gens de l’ouest fuyant une société qui n’offre pas assez de « perspectives » et dans laquelle les nazis du parti républicain gagne de plus en plus de terrain politique. Néanmoins tout cela est très subtil, car on se laisse prendre au jeu. Après tout, il est vrai que les nazis n’existaient pas en RDA, et il est vrai qu’il y avait une place pour chacun dans la société. La vérité exposée par l’émission manipulée d’Alex souligne à la fois les défauts de la RDA et ceux de la RFA. Le monde qui nous est présenté n’est pas un monde dans lequel seulement Alex se reconnaît, c’est un monde dont rêve également le spectateur, de quel côté qu’il vienne.
En analysant le « découpage technique » de cette séquence, on est étonné par son schéma répétitif et très pauvre visuellement. Le discours y a une position centrale. Les plans ne concordent pas avec le discours, si bien que c’est le son qui fond les différents plans ensembles et évite ainsi de ressentir la pauvreté du schéma. Une certaine tension est crée par cet alternement de plan, dans la mesure où le spectateur est aussi intrigué par le génie filmique d’Alex et Denis, que par la réaction que va avoir la mère en apprenant ce qu’il se passe en RDA pour qu’il y ai des gens de l’ouest devant sa porte et des Mercedes garées devant chez elle.
Le choix du cadre pour les plans sur la télévision est astucieux. Il souligne la matérialité de ce média, et le recul qu’il faut avoir vis à vis des images montrées. Si les images manipulées étaient diffusées en plein écran, le spectateur se serait fait piégé de la même façon que la mère d’Alex, ou tout au moins, son attention ne se serait pas portée –comme c’est le cas ici- sur la démonstration de la manipulation.
Ainsi, le film incite le spectateur a considérer davantage la télévision comme ce qu’elle peut être, et de prendre du recul par rapport à ce qui est montré et dit.
La composition de l’image des plans impairs ne laisse entrevoir de la chambre qu’un lit et une armoire. Au premier plan à droite, on peut apercevoir la télévision et le bout du meuble sur lequel elle est posée, mais seulement en regardant l’image avec attention, car toute cette partie est sombre et floue, tout est fait en sorte de diriger le regard sur le second plan.
Etant donné que la moitié de la séquence est constitué de ce cadrage, et qu’il n’y a quasiment pas de mouvement des acteurs, à part quelques échanges de regard, on peut se permettre une analyse tabulaire de ces plans. On distingue dans un premier temps un contraste entre la partie droite, beaucoup plus sombre et brune que la partie gauche. Les visages sont éclairés par une source lumineuse à droite, que l’on peut soupçonner être la fenêtre et la lumière extérieure.
La disposition de la caméra dans la chambre est telle que la pièce est allongée visuellement, et permet de montrer ce vers quoi tous les regards convergent.
Alex occupe la position centrale de l’image, néanmoins, la tapisserie en fond permet de rappeler l’importance de la mère dans cette situation. Ariane, bien que dans le cadre et plus proche du premier plan s’efface entre les couleurs sombres qui l’entourent.
La position qu’occupent les personnages est significative. A gauche la mère, à droite la fille, et au centre : Alex. Tout au long du film, Ariane incarne le changement et le vent de l’ouest. Dès la chute du mur, elle abandonne ses études pour travailler au burger King, dès que l’occasion s’en présente, elle débarrasse l’appartement des vieux meubles socialistes, et c’est elle aussi qui s’énerve lorsque son petit ami s’achète une traban. Alex au contraire est plus prudent quant à l’arrivé d’une nouvelle société, et formule quelques regrets vis à vis de ce bouleversement trop radical. En construisant un monde imaginaire autour de sa mère, il construit un îlot de bien-être ou il se sent en sécurité.
Quant à la mère, elle est toujours persuadée de vivre dans un pays socialiste, auquel elle a consacré une grande partie de sa vie et de son énergie.
Ainsi, chaque personnage regarde la même chose et y voit quelque chose de différent. La mère perçoit les informations comme la réalité, Alex les perçoit comme un idéal de réalité, et Ariane n’y voit qu’un mensonge grotesque.
La perception du spectateur sera une articulation entre ces trois éléments, et c’est ce qui fait la richesse de l’histoire tout au long du film.

IV-/ Les conditions de réception

a. La diffusion

► Remarques générales

Goodbye Lenin a été diffusé dans plus de 35 pays dans le monde, dans un lapse de temps d'un an et demi. Le 9 février 2003, il est présenté à la Berlinale, et quatre jours plus tard, c'est la sortie nationale. En moins d'un mois, il amène 3 millions de spectateurs dans les salles. Au bout de six mois, il a fait 6 millions d'entrées. Le film a été diffusé par 176 copies au départ, il y en avait plus de 600 à la fin. La maison de distribution X Verleih ne s'attendait donc pas à un tel succès. A l'étranger, la diffusion passe en grande partie par les festivals. Ainsi, Goodbye Lenin est présenté en France pour la première fois le 15 mai 2003 à l'occasion du festival de Cannes. Néanmoins, il ne sera accessible au grand public qu'à partir du mois de septembre. Il semble que la maison de distribution a été prudente vis à vis de l'exportation du film; et les chiffres leurs ont donnés raison. Passant dans un premier temps par les différents festivals, ils pouvaient ensuite diffuser le film quelques mois plus tard, en se servant des nominations ou des prix reçu pour attirer les spectateurs des différents pays et leurs montrer que Goodbye Lenin n'est pas réservé au cercle restreint des anciens habitants de la RDA. En France, le film démarre la première semaine avec 163 695 entrées, et dépasse déjà le total des entrées des films allemands en France de l'an passé. Le 25 novembre, on recense un public de 1,19 millions, cela fait plus de 15 ans que cela n'était pas arrivé au cinéma allemand.
La diffusion en France a été prise en charge par océan films, label de qualité, qui diffuse également les oeuvres de Wim Wenders et Wong Kar Wai.

► Les prix obtenus lors des festivals

La totalité des nominations et prix obtenus pour le film est signalé dans les annexes.
Il est impossible de commenter les récompenses une à une, car elles sont trop nombreuses. Ce qu’il faut prendre en compte, c’est la diversité des festivals et donc pays dans lesquels Goodbye Lenin a été présenté, et l’importance des nominations au festival de Cannes et l’obtention du Golden Globe dans la catégorie meilleur film étranger. Depuis longtemps, le cinéma allemand n’avait plus été capable de rafler autant de récompenses. Ce succès à l’étranger a eu en plus un retour positif en Allemagne, puisque les gens qui ne l’avaient pas vu au mois de février, se sont empressés de rattraper leur retard, pour pouvoir parler et échanger leur expérience, autour de cette « fierté » du cinéma allemand.

 

20 January 2004 : Daniel Brühl et Wolfgang Becker présentent Good bye, Lenin! au Festival Sundance 2004
Photo Jeff Vespa - © WireImage.com

 

 

b. La réception par le public

- Allemagne :
Dans le classement des films allemands ayant fait le plus d'entrées depuis 1973, Goodbye Lenin occupe la position n°5, derrière les comédies de Michael Herbig et Otto Walkes, deux comédiens de la télévision, adulés par le public germanique.
Le film a été très peu controversé lors de sa sortie, même si certaines personnes, ayant vécu le quotidien de la RDA, le considèrent comme une caricature mensongère. Paradoxalement certains critiquaient le fait de banaliser la dureté du système communiste, et d’autres, le fait de se moquer de quelque chose qui fût leur vie pendant longtemps. Néanmoins ce genre d’opinion reste très peu partagé, et la critique de Goodbye Lenin a été dans l’ensemble très positive.
On acclamait la réussite de cette petite maison de production, et la qualité et authenticité du jeu des acteurs.
Le quotidien de Stuttgart, la Stuttgarter Zeitung, se réjouit d’être « endlich Weltniveau », c’est-à-dire, enfin à la hauteur mondiale. Cette phrase énoncée dans le film en parlant du remarquable travail aéronautique de la RDA est employée dans ce contexte pour exprimer la joie d’avoir enfin un film allemand présentable, intelligent et comique à la fois.
Le succès du film dans son propre pays n’est pas quelque chose d’étonnant. Les allemands avaient vécu la réunification de façon très abrupte et ne s’y sont pas confronté, comme si le fait d’oublier la séparation de l’Allemagne et la chute du mur était un moyen d’affronter l’avenir plus facilement. A la sortie du film, une vague de nostalgie remarquable a déferlé sur l’Allemagne, comme si le film avait donné un signal : n’ayons pas honte de ce passé, acceptons le et rions-en.
Que le succès soit lié à un travail sur la mémoire collective en Allemagne parait normale, mais cela rend encore plus difficile de comprendre les raisons de son succès en France.

- France
Le 5 septembre 2003, le journal le Point introduit un article par : « le gigantesque succès de Goodbye Lenin ! » (…) s’explique par l’ »Ostalgie », cette nostalgie de la RDA et du Mur, signes de traumatismes encore chauds. »
Moins d’une semaine après, le public français démontre que ce n’est pas le cas, car lui aussi –loin de la nostalgie de la RDA et des traumatismes allemand- est intéressé par le film de Wolfgang Becker.
Le succès en France est tel qu’il ne peut s’agir d’un hasard ou simplement d’une bonne campagne publicitaire, bien que ces deux éléments ont leur part de responsabilité…
Quelque chose dans le film, plait au français.
Néanmoins, il faut relativiser l’ampleur de l’impact, car nous l ‘avons vu dans l’analyse du film : le spectateur est largement acteur de la construction de sens du film, qui lui donne son aspect humoristique et toute sa profondeur. Ainsi, le film n’a pas pu plaire aux français en général, mais seulement à un certain public plus avertit.
Les journalistes en faisant parti, il n’est pas étonnant que les critiques soient très bonnes, ce qui a à son tour dû pousser beaucoup de gens dans les salles.
Toutefois, même un public germanophile ne sera pas capable de comprendre certaines allusions, qui ont contribué à son succès en Allemagne : les images du « Sandmann » dans l’espace, ou celle de Harald Junke sur un panneau publicitaire.
Il y a donc quelque chose au-delà de la simple histoire nationale qui intéresse les gens.
Premièrement, cela semble lié à l’histoire même du cinéma allemand. Comme nous l’avons vu dans une première partie, celui-ci est absent depuis longtemps de la scène mondiale. En France, la majorité des productions sont hollywoodienne ou françaises. Peut-être que le public attendait ce film, attendait enfin de voir renaître un cinéma qui avait disparu en même temps que Fassbinder.
Cela est étroitement lié à une deuxième explication du succès de Goodbye Lenin : faire face au géant américain. Grâce à l’exception culturelle de la France, le cinéma national peut survivre et faire face à Hollywood. Néanmoins, beaucoup de films s’en inspirent et singent les block busters américains. Ainsi, un an avant Goodbye Lenin sort en France Taxi 3, et ce petit film allemand sans grande prétention est un signal : il existe un cinéma européen, et ce cinéma est intéressant et drôle.
Toutefois, il y a également beaucoup d’éléments internes du film qui permettent de comprendre ce que le public français y a apprécié.
Tout d’abord il s’agit d’un film très simple. Nous avons vu à quel point il était difficile de faire une analyse poussée du film ou d’une séquence, simplement parce qu’il n’y a pas de règles réellement établies, que les signes amènent à des conclusions tout à fait différentes et que la dramaturgie n’est pas traduite visuellement. Il n’y a pas de bons et pas de méchants, et même la RDA avait ses côtés positifs.
Le discours est politique et pourtant, il ne prend pas vraiment parti. La séquence analysée le montre bien : ce qui compte, c’est la mise en scène de la réalité ; et celle-ci s’opère dans un système comme dans l’autre.
Cette simplicité est positive et agréable dans le sens où cela représente un changement : raconter quelque chose avec des « mots » simples.
Ensuite, l’histoire racontée est émouvante, car proche de ce que chaque spectateur connaît : l’amour et l’amitié, la volonté de protéger ses proches, de se créer un monde imaginaire … .
Le journal l’humanité dit que le film « embrasse la vie dans toutes ses dimensions », et on parle de « magnifique drame humain ».
La Tribune va jusqu'à dire « il y a dans cette comédie de quoi plaire à tout publics, la réalisation de Wolfgang Becker est honorable et le scénario plutôt bien ficelé. »
Je suis d’accord sur le scénario, mais ne pense pas que la mise en scène de Becker soit étroitement liée avec le fait de plaire à tout public. Je pense que le réalisateur fait même parfois preuve de maladresses et ne gère pas judicieusement le rythme, ce qui est à l’origine de moment très long, et d’autres trop rapides.
Néanmoins, il est vrai que le scénario fasse l’unanimité. Ce qui semble plaire en France n’est même pas le fait de garder la mère dans l’illusion de la RDA, mais plutôt l’ingéniosité dont doit faire preuve Alex pour préserver cette RDA.
La séquence analysé incarne avec justesse l’esprit du film : d’un côté une réalisation « peu audacieuse », et de l’autre, un discours très drôle, une satire particulièrement bien amenée.
Pour finir, on notera également qu’il y a certaines choses dans ce film qui parlent directement au public français.
Ainsi par exemple, il semblerait que le succès du film « Amélie Poulain » ait poussé certaines personnes à tirer des parallèles avec le film de Wolfgang Becker –via certains éléments analysés auparavant- et qui aurait contribué à son succès.
Le réalisateur rend également des hommages à Kubrick, qui feront sourire autant le spectateur cinéphile français qu’allemand.

 

Conclusion

Goodbye Lenin fait parti de ces films dont il est impossible de dire qu’il traite seulement d’une chose. Ce n’est pas un film sur quelque chose, c’est un film qui traite une quantité de problématiques et toujours de façon subtile. Ce n’est pas un western, ni un blockbuster américain. Son langage est complexe car indéfini, comme l ‘est le cinéma allemand et de façon plus générale, le pays lui-même.
Son discours en revanche, est conciliateur : il unit les deux Allemagnes dans un seul pays, un idéal que créé un fils pour sa mère.
Cette relation entre Alex et sa mère dépasse la simple thématique historique et s’inscrit dans un sentiment universel que les spectateurs apprécient, à Paris comme à Munich, d’autant plus qu’elle est traitée avec simplicité et honnêteté.
Le pari de Bernd Lichtenberg et Wolfgang Becker de créer un parfait équilibre entre comédie et drame a été tenu, mais ils ont réussi quelque chose de plus spectaculaire encore à travers Goodbye Lenin : réconcilier les Allemands avec l’ex-RDA et le cinéma « made in germany », et surtout renouer le lien entre le public français et le cinéma d’Outre-Rhin.
Si ce public comprend qu’il n’est finalement pas très différent de celui d’Outre-rhin, et que l’Allemagne reprend confiance par là en son cinéma national, les capitaux pourront commencer à être acheminé là où ils auraient toujours dû l’être, et de préférence, en direction d’un cinéma européen, digne de ce qu’il fût à ses débuts.