compte-rendu officiel de la discussion sur la loi DADVSI (Assemblée Nationale), décembre 2005
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Compte-rendu synthétique officiel des discussions sur la loi DADVSI
(Assemblée Nationale, décembre 2005)

 


Troisième séance du mardi 20 décembre 2005

107e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE GUINCHARD,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

 

RAPPEL AU RÈGLEMENT

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.

M. Christian Paul. Madame la présidente, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, mon intervention concerne l'organisation de nos travaux.

Cet après-midi, à quelques heures de l'ouverture du débat sur le droit d'auteur dans la société de l'information, les lobbies ont pris possession de l'Assemblée nationale. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En effet, à quelques mètres de notre hémicycle, une opération de promotion commerciale était organisée, à votre initiative, monsieur le ministre, par des plateformes de vente de musique en ligne.

M. Richard Cazenave. Il n'a vraiment rien à dire !

M. Christian Paul. Chacun des parlementaires qui le souhaitait se voyait ainsi remettre une carte prépayée d'une valeur de 9,99 euros pour télécharger une dizaine de morceaux de musique.

M. Patrick Bloche. Nous avons vu cela de nos yeux !

M. Christian Paul. Il était bon, je crois, d'informer l'Assemblée nationale de cette choquante maladresse, et de redire que nous ne travaillons pas sous influence, fût-ce celle de puissants intérêts économiques par ailleurs tout à fait légitimes. Nous souhaitons que le débat qui va s'ouvrir soit marqué par la recherche de l'intérêt général.

Le président de l'Assemblée nationale a mis bon ordre à cela...

Mme Christine Boutin. Il a bien fait !

M. Christian Paul. ...après l'intervention du groupe socialiste. C'est donc dans la sérénité que la discussion peut s'engager. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

 

 

DROIT D'AUTEUR
DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

Discussion, après déclaration d'urgence,
d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (nos 1206, 2349).

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, notre rendez-vous d'aujourd'hui, nous le savons tous, est très attendu. Je n'hésite pas à le dire : ce débat est historique. Lorsque nous l'aurons mené à son terme, une dynamique positive et, je l'espère, une vraie réconciliation, en faveur de l'accès à la connaissance, de la création et du rayonnement des œuvres sera pour longtemps lancée.

internet est un espace de liberté et de découverte. Ce texte préserve cette liberté et rend possible une offre nouvelle de diffusion des œuvres artistiques et des idées. Ce texte garantit autant les droits des consommateurs et des internautes que les droits des créateurs. Il tourne le dos aussi bien au manichéisme, à l'obscurantisme, qu'à la démagogie facile. Entre la jungle, la dérégulation ultralibérale, et la geôle comme seul facteur et seul vecteur de prise de conscience et de responsabilité, entre l'anarchie et la tyrannie, entre l'univers virtuel sans entraves et les contraintes des procédures, nous aurons ouvert une troisième voie, observée et attendue comme telle par nos partenaires de l'Union européenne. Mesdames, messieurs les députés, je suis extrêmement fier...

M. Patrick Bloche. Il n'y a pas de quoi !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...de débattre avec vous de ce projet de loi et de cette offre nouvelle. Seuls les esprits chagrins pourront regretter que des offres nouvelles soient mises à la disposition des uns et des autres, partout dans le pays, et même à l'Assemblée nationale.

M. Christian Paul. On va vous en montrer d'autres !

M. le ministre de la culture et de la communication. Oui, il y a un espace intelligent et humaniste entre l'anarchie et la tyrannie,...

M. Patrick Bloche. C'est ce que disait M. Aillagon !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...entre l'univers virtuel sans entraves et les contraintes des procédures : celui que nous délimitons dans ce projet. C'est le cas lorsque la liberté de soi va de pair avec le respect de l'autre. C'est le cas de l'espace que je vous invite à ouvrir avec ce texte.

Trois valeurs inspirent notre projet de loi.

La première est l'accès du plus grand nombre à la culture. Dans un monde qui devient numérique, le consommateur doit pouvoir accéder librement à une offre riche et diversifiée. Il doit pouvoir continuer à faire des copies à titre privé. L'existence de la copie privée sera garantie par ce texte. Je suis heureux de corriger ici, devant vous, ce premier exemple de désinformation rampante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce sera la mission d'une nouvelle autorité administrative indépendante, le Collège des médiateurs. Il ne s'agit pas de verrouiller ni de cadenasser, mais de créer les conditions pour que le consommateur puisse profiter de sa liberté sur internet afin d'accéder à une offre culturelle riche et diversifiée.

Car la deuxième valeur fondamentale, c'est la diversité culturelle. C'est une valeur de tous les temps, qui a franchi un nouveau cap en entrant dans le droit international le 20 octobre dernier, grâce à une initiative lancée par le Président de la République française et ayant débouché sur l'adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l'UNESCO. Mais cette diversité culturelle suppose d'être concrètement garantie pour n'être pas un leurre, aussi séduisant soit-il.

Troisième élément, le droit d'auteur est fondé sur une valeur qui demeure plus que jamais actuelle dans une société qui doit affronter les défis de l'avenir : celle de la création, celle qui s'enrichit et se nourrit sans cesse de nouvelles œuvres, qui rencontre de nouveaux publics, grâce à la démocratisation de la culture, laquelle est sans doute l'un des plus grands acquis du dernier demi-siècle, grâce à l'essor des industries culturelles. L'avènement de la société de l'information et de l'ère numérique a accentué cette évolution, qui est d'autant plus positive que la vitalité et la liberté des créations de l'esprit sont protégées, dans toute leur diversité.

Le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, que, au nom du Gouvernement, je soumets aujourd'hui à la représentation nationale, est issu d'un long cheminement. Au-delà de la diversité des points de vue, nécessaire dans une grande démocratie, je souhaiterais que personne n'oublie que ce texte s'enracine dans une longue histoire : de l'âge classique à la Révolution, c'est la conquête progressive, à travers les siècles, d'un droit qui est d'abord une liberté, l'affranchissement d'une tutelle tantôt bienveillante, tantôt pesante, qui plaçait les auteurs à la merci des puissants, auxquels ils devaient attacher leur subsistance et l'exercice de leurs talents, s'ils étaient eux-mêmes dépourvus de fortune. Ainsi, Scarron implorait le roi :

« De toutes vos vertus, si Votre Majesté

M'en voulait donner une

Celle que je requiers, Sire, c'est Charité,

Qui vous est si commune ;

Elle croîtrait en vous en s'étendant sur moi,

Car telle est sa nature.

Faites en donc l'épreuve, ô magnanime roi,

Sur votre créature... »

Autres temps, autre comportement : cette évolution est un bienfait.

À soixante-treize ans, La Fontaine dédie ainsi au jeune duc de Bourgogne, qui n'a que douze ans, le dernier livre de ses Fables : « Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L'envie de vous plaire me tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affaiblie. »

C'est une véritable émancipation, née de l'esprit des Lumières, du combat de Beaumarchais, de la fougue du romantisme, faite de reculs et d'avancées successives. C'est la faillite de Balzac, narrée dans Illusions perdues, face à l'introduction des nouvelles technologies de l'époque dans l'imprimerie, qui entraînera l'avènement d'une nouvelle économie du livre et de la presse au XIXe siècle.

C'est l'énergie de Hugo, dénonçant devant un congrès qui ouvre la voie à la reconnaissance internationale du droit d'auteur ce « sophisme singulier qui serait puéril s'il n'était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n'existe pas. »

M. Christian Paul. Très beau texte !

M. le ministre de la culture et de la communication. Oui, les soubassements de l'édifice législatif, dont le rapport de votre commission des lois décrit si clairement la genèse, sont profonds.

Pourquoi y a-t-il urgence à légiférer ? Vous rappelez dans votre excellent rapport, monsieur le rapporteur, que l'urgence est d'abord juridique. En effet, ce texte a pour origine une directive européenne,...

M. Patrick Bloche. C'est un prétexte !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...dont vous rappelez la longue élaboration, entre 1997 et 2001, et qui aurait dû être transposée avant le 22 décembre 2002.

M. François Brottes. Et alors ?

M. le ministre de la culture et de la communication. La France n'est pas la seule à ne pas l'avoir fait mais il était grand temps qu'elle le fasse. Il ne vous a pas échappé que le projet de loi a été déposé sur le bureau de votre assemblée par mon prédécesseur. En cette matière comme en d'autres, je me suis attaché à tenir les engagements de la France et, surtout, à appliquer une méthode : la concertation...

M. Patrick Bloche. Laquelle ?

M. le ministre de la culture et de la communication.... et le dialogue.

M. Christian Paul. Personne n'y croit !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce texte a été soumis à la concertation au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui l'a longuement et mûrement examiné. J'ai écouté et entendu les professionnels...

M. Didier Mathus. Les lobbies ! Les puissants !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...qui souhaitent saisir les chances mais redoutent les menaces liées aux nouvelles technologies numériques, et veulent en conséquence faire respecter les règles nécessaires au code de la route sur les nouvelles autoroutes de l'accès aux œuvres, aux savoirs, aux produits culturels. J'ai écouté et entendu les auteurs attachés au respect de leurs droits. J'ai écouté et entendu nos concitoyens de toutes les générations, internautes, consommateurs et amateurs des formidables libertés et des découvertes nouvelles offertes par l'internet.

Mais liberté ne veut pas dire gratuité. C'est pourquoi l'urgence de ce texte est aussi culturelle et politique, et il était nécessaire que la représentation nationale en soit saisie.

Dès mon arrivée rue de Valois, j'ai présenté, au conseil des ministres du 19 mai 2004, un plan d'action, avec trois lignes directrices principales.

Tout d'abord, développer une approche globale pour répondre à ce défi, parce qu'il n'existe malheureusement pas de solution miracle et unique.

Ensuite, créer un équilibre, notamment entre le développement d'un maximum de nouvelles offres légales attractives pour développer l'accès à la culture, et la lutte contre la contrefaçon numérique.

Enfin, ouvrir le dialogue et engager la concertation, décloisonner le monde de la culture et l'univers des nouvelles technologies, les créateurs, les industriels et les consommateurs.

À tous les donneurs de leçons qui n'ont rien fait, je demande, puisqu'il était si facile de réunir les professionnels de l'internet, les créateurs de musique ou de cinéma et les représentants de la diffusion radiophonique ou télévisuelle, pourquoi cela n'a pas été fait auparavant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Ce n'est pas gentil pour Aillagon !

M. le ministre de la culture et de la communication. Après le vote de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, il était urgent de renouer les fils du dialogue, de sortir de la caricature, du cliché, de l'anathème, de l'excommunication.

Je souhaite à cet égard que notre débat permette, dans le respect des convictions des uns et des autres, une clarification des enjeux afin que nos concitoyens comprennent quelles valeurs nous défendons, afin d'éviter que les idées fausses continuent de circuler.

Le dialogue a abouti à la signature d'une charte « musique et internet » le 28 juillet 2004 à l'Olympia, pour sensibiliser les internautes, notamment les jeunes, mettre en place des messages de prévention et développer une offre légale et attractive de musique en ligne.

Parce que l'éducation joue évidemment un rôle primordial, le Gouvernement a tenu à sensibiliser en particulier les collégiens à la civilité de l'internet, et confié au forum des droits sur l'internet la réalisation d'un guide pédagogique sur le téléchargement. François Loos et moi-même allons lancer au mois de janvier prochain une campagne de prévention afin de sensibiliser les citoyens aux dommages liés à la contrefaçon numérique.

Les fournisseurs d'accès à internet ont, depuis la signature de cette charte, et pour répondre également à la demande faite par votre assemblée lors du vote de la loi sur la confiance dans l'économie numérique, largement moralisé leur publicité et développé la sensibilisation de leurs abonnés, avec l'appui de la filière musicale, qui a préparé plusieurs vidéos de sensibilisation.

En ce qui concerne l'offre légale, les producteurs de disques se sont engagés dans une vigoureuse action de numérisation de leurs catalogues. Le Gouvernement a mis en place un baromètre de l'offre musicale en ligne au sein de l'Observatoire de la musique, qui publie régulièrement les chiffres de la disponibilité des titres de musique sur les plates-formes en ligne. Ce baromètre a ainsi montré que l'offre française, y compris les catalogues internationaux habituellement distribués en France, était passée de 300 000 titres fin 2004 à plus de 700 000 titres fin 2005.

Mesdames, messieurs les députés, soyez fiers du travail juridique que vous allez accomplir, des normes que vous allez édicter et qui permettront d'enrichir les catalogues. Nous ne sommes ni des censeurs ni des castrateurs. Grâce à la protection des œuvres et des auteurs, vous allez accroître de manière considérable l'offre garantie aux plus jeunes de nos concitoyens, mais aussi aux aînés, car ne soyons pas caricaturaux sur ce point : ...

M. Didier Mathus. Vous l'êtes un peu !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...nombre de personnes âgées sont aujourd'hui des internautes patentés.

M. Didier Mathus. Absolument.

M. le ministre de la culture et de la communication. La sécurité juridique que nous allons offrir n'est pas, je le répète, castratrice. Au contraire, je suis fier de l'offre élargie qu'elle permettra, et je souhaite que tout le monde, du moins ceux qui auront non pas le courage, mais la lucidité et l'intelligence de soutenir ce projet de loi, le soient également.

M. Patrick Bloche. Merci pour les autres !

M. le ministre de la culture et de la communication. Une campagne de promotion du téléchargement légal a été lancée avec le concours de quatorze artistes en janvier 2005, avec le soutien du ministère, pour faire savoir que la musique est disponible sur des sites et des portails qui respectent les droits des créateurs et des producteurs.

Le Gouvernement a, dans le cadre des orientations de la charte, confié à Antoine Brugidou et Gilles Kahn une mission d'expertise des technologies de filtrage, afin d'aboutir à une offre volontaire d'outils de protection contre la contrefaçon, proposée aux abonnés à internet. Leur rapport, remis le 10 mars, recommande d'expérimenter des outils de protection sur le poste de l'abonné, ainsi que des outils d'observation. Les partenaires travaillent en ce sens.

M. Didier Mathus. C'est la Corée du Nord !

M. le ministre de la culture et de la communication. Parallèlement à ce dialogue entre les professionnels de la musique et de l'internet, j'ai moi-même engagé le dialogue entre les professionnels du cinéma, de la télévision et de l'internet. La concertation que j'ai menée...

M. Christian Paul. Personne ne croit cela !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...avec beaucoup de tranquillité mais aussi de persévérance et d'énergie, a abouti cet après-midi à la signature d'un accord sur le cinéma à la demande. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cet accord est capital car il permettra à l'offre légale en matière de cinéma de se développer, sans déstabiliser la filière cinématographique.

Mesdames, messieurs de la majorité présidentielle, soyez fiers qu'en l'espace de quelques semaines nous mettions les nouvelles technologies à la disposition de chacun, notamment la TNT, ...

M. Didier Mathus. Grâce à la gauche !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...qui a rendu accessibles depuis quinze jours dix-huit chaînes gratuites, ...

M. Christian Paul. Pas dans la Nièvre !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...même s'il existe encore dans certaines aires géographiques des zones d'ombre qu'une prochaine programmation devrait éliminer.

Grâce à l'intelligence des partenaires, que je remercie - fournisseurs d'accès à internet, milieux du cinéma, monde de la diffusion et de la télévision - nous avons conclu un accord qui est le contraire d'une réduction voire d'un abandon de l'ambition de départ : faire en sorte que la technologie soit au rendez-vous de la diversité culturelle.

M. Bernard Accoyer. Excellent !

M. Christian Paul. Il conviendrait de décoder pour M. Accoyer !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce dialogue avait aussi pour objectif de proposer une alternative aux poursuites judicaires.

M. Christian Paul. Aux représailles massives, plutôt !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il a débouché sur une proposition d'architecture pour une réponse graduée, dont vous soulignez à juste titre, monsieur le rapporteur, la nécessité : l'idée est de commencer par envoyer des messages d'avertissement, avant de prononcer une sanction adaptée.

Là aussi, ras-le-bol de la caricature !

M. Christian Paul. Et de l'hypocrisie !

M. le ministre de la culture et de la communication. le Gouvernement et la majorité ont pour objectif de faire en sorte que ceux qui découvrent l'accès à la culture et à l'information grâce à internet soient responsabilisés, car les sanctions pénales et judiciaires ne sont pas la priorité les concernant.

M. Patrick Bloche. C'est dans le projet de loi !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce que nous ne voulons pas,...

M. Patrick Bloche. Liberticide !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...c'est un monde où ceux qui gagnent de l'argent au détriment des internautes ne soient pas pénalisés, et que ces derniers le soient.

Mesdames, messieurs les députés, loin de l'autosatisfaction - beaucoup d'eau devra couler sous les ponts de Paris et de Tours ! -, la réponse graduée que nous proposons tend, ce qui n'est pas facile, à concilier, comme dans chacun des pays de l'Union européenne et dans de nombreux États dans le monde, l'accès des internautes à la création sous toutes ses formes et le respect des auteurs. On ne peut, je le dis avec gravité, dénoncer, d'un côté, le projet de loi, considérant que la gratuité est la panacée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Didier Mathus. Personne ne dit cela !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et que les artistes n'ont pas à être rémunérés,...

M. Patrick Bloche. Mensonge !

M. Christian Paul. Mystification !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et exiger, d'un autre côté, une grande attention du Gouvernement envers la situation des artistes et des techniciens.

M. Patrick Bloche. Nous voulons que les auteurs soient rémunérés ! Vous le savez très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. J'ai souhaité également que s'engage un dialogue entre les titulaires de droits et le ministère de l'éducation nationale, afin d'autoriser certains usages pédagogiques des œuvres protégées.

J'ai ainsi signé, dès le 14 janvier 2005, une déclaration commune avec le ministre de l'éducation nationale.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Cette déclaration a permis les négociations qui sont en train d'aboutir entre l'éducation nationale et les ayants droit de la musique, du livre, de la presse écrite, des arts plastiques et de l'audiovisuel, afin de permettre un accès à la connaissance, y compris par des modes numériques, sans léser excessivement les détenteurs de droits.

En ce qui concerne les bibliothèques, une mission de concertation entre les bibliothécaires et les éditeurs a été confiée à François Stasse, qui a remis son rapport en juin dernier, formulant plusieurs propositions dont certaines sont très innovantes. Sur ces bases, le ministère a engagé une concertation qui doit se poursuivre.

M. Patrick Bloche. Adoptez plutôt nos amendements !

M. le ministre de la culture et de la communication. L'ensemble de ces actions visent un seul but : développer le maximum de nouvelles offres et de nouveaux usages, dans un cadre respectueux des droits des créateurs.

M. Christian Paul. Quel dogmatisme !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il s'agit bien ici de réhabiliter la démarche contractuelle...

M. Christian Paul. Avec le code pénal ?

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et de faire du droit d'auteur un droit qui ouvre des possibilités nouvelles, plus qu'il n'interdit. Néanmoins, il est nécessaire de mettre en place aujourd'hui un cadre juridique propice à l'émergence de ces nouvelles offres et d'orienter vers elles les consommateurs. C'est l'objet principal de ce projet de loi.

Il ne faut pas envisager le droit d'auteur seulement sous son angle technique, celui d'un cadre juridique complexe, du code de la propriété intellectuelle et d'une jurisprudence importante. Il s'agit d'une réglementation qui régit et accompagne aujourd'hui notre vie quotidienne, la vie de tous ceux qui lisent, surfent sur internet, écoutent la radio, regardent la télévision et goûtent chaque jour aux produits de la consommation culturelle.

M. Christian Paul. C'est l'effet 35 heures !

M. le ministre de la culture et de la communication. Nombreux sont nos concitoyens qui s'interrogent aujourd'hui, je le sais, sur ce qu'ils ont le droit de faire, nombreux sont ceux qui succombent aux sirènes qui leur promettent un accès illimité à la culture gratuite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave. Quand on parle de démagogie, les voilà qui s'agitent !

M. le ministre de la culture et de la communication. Notre débat aura donc une grande valeur pédagogique. Il tâchera de faire justice de la démagogie, ...

M. Christian Paul. Dans quel monde vivez-vous ?

M. le ministre de la culture et de la communication. ...du leurre de la gratuité...

M. Didier Mathus. Personne ne la défend !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et des fausses bonnes idées, de déjouer les craintes infondées et de construire des réponses adaptées à l'évolution rapide des techniques. Car l'urgence est aussi technologique. Cette accélération doit permettre aux créateurs de vivre de leur propre travail.

Chacun peut comprendre que le travail des créateurs doit être rémunéré...

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et ne peut pas être durablement gratuit, et qu'il est juste que ceux qui bénéficient de ce travail le rémunèrent.

La gratuité totale de la culture sur internet est un leurre.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est vrai.

M. le ministre de la culture et de la communication. La rémunération des créateurs est non seulement légitime mais également nécessaire pour préserver le renouvellement de la création et de la diversité culturelle.

M. Christian Paul. Quel truisme !

M. Patrick Bloche. Vous enfoncez des portes ouvertes !

M. le ministre de la culture et de la communication. J'espère que ce principe est soutenu par chacun.

Mme Christine Boutin. Nous sommes tous d'accord !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ne pas rémunérer la création ou la rémunérer forfaitairement, c'est l'assécher, c'est favoriser la concentration en décourageant la prise de risque. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La gratuité est un leurre difficile et délicat parce que dans la dialectique du rêve, du sentiment, de l'accessibilité infinie au marché mondial, c'est un rêve que chacun peut légitimement avoir. Et en disant cela, je pense avec émotion - ce n'est pas un mot fin - à tous les jeunes créateurs, à tous les premiers talents, quel que soit leur domaine d'expression artistique, où qu'ils se situent dans le monde, et qui se disent que, pour eux, internet est une chance qui leur offre la capacité d'avoir un rayonnement mondial.

M. Patrick Bloche. Comme les annexes VIII et X sont une chance !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qu'on ne se méprenne pas : nul doute qu'internet peut être une chance formidable, en particulier pour les jeunes talents. Encore faut-il ne pas y être noyé, mais repéré, détecté, reconnu. Le risque de concentration autour de quelques artistes reconnus et de quelques œuvres reste réel et peut même s'amplifier. Une juste distinction doit s'opérer entre la promotion et la découverte librement consentie des talents et le pillage subi de leur œuvre.

M. Christian Paul. Quelle caricature !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qu'on ne s'y trompe pas d'ailleurs : internet ne détournera pas le public, et c'est heureux, de la magie du spectacle vivant, du livre, du cinéma en salle. Il peut et doit mieux les faire connaître à tous les publics, en particulier aux plus jeunes de nos concitoyens. Cela passe aussi à l'évidence par l'amplification des actions d'éducation à l'image. La perspective d'une diffusion immédiatement mondiale crée parfois de faux espoirs, voire des illusions dangereuses. Le rêve, pour un jeune artiste, est évidemment la rencontre avec le public, avec son public.

L'urgence est donc aussi économique. C'est le modèle économique de la création qui est en jeu. C'est la prise de risque et l'investissement, tant financier que personnel, sans lequel il n'y a pas de création, c'est-à-dire pas de diversité culturelle et pas d'emplois dans ce secteur qui est un vivier d'activités. L'urgence est donc aussi sociale.

Pour répondre à ces urgences, le texte que je vous présente aujourd'hui est un texte d'équilibre. La propriété littéraire et artistique ne couvre pas les idées mais leur expression. Elle n'a qu'une durée limitée dans le temps et peut faire l'objet d'exceptions, notamment pour l'usage privé, qui reste garanti. Car la révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires de développement de nouvelles pratiques, de nouveaux chemins d'accès à la culture. L'innovation dans ce domaine est permanente et les nouvelles offres foisonnent. Je pense à la télévision numérique terrestre, entrée dans un million de foyers, au câble numérique, à l'ADSL, aux nouveaux services audiovisuels, aux premières expérimentations de vidéo à la demande.

Je pense aussi à l'accélération voulue et mise en œuvre par le Gouvernement de la couverture de l'internet à haut débit. Il est clair que le développement de la mobilité dans tous les domaines crée des chances nouvelles d'accès à la culture pour tous, bien au-delà des usines de rêve qu'imaginait Malraux lorsqu'il créa le ministère de la culture.

Je pense enfin au développement de nouvelles offres de téléchargement de musique qui ont explosé à partir de l'été 2004. Ce sont ainsi plus d'une vingtaine de plateformes légales qui sont désormais accessibles.

M. Didier Mathus. Elles ont déjà fait leur promotion, ce n'est pas la peine de continuer !

M. le ministre de la culture et de la communication. Elles offrent au public un catalogue allant de 700 000 à plus de 1,5 million de titres, dans des conditions attractives.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est trop cher !

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet, le prix d'un titre est fixé à 0,99 euro contre 4,10 euros en moyenne pour un single deux titres et à 9,99 euros contre 13,60 euros en moyenne pour un album.

M. Patrick Bloche. Merci pour le VRP de service !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ces offres rencontrent un véritable succès puisque le nombre de téléchargements a augmenté de 260 % entre le premier semestre 2004 et 2005 sur les quatre principaux marchés mondiaux.

M. Didier Mathus. C'est normal : il n'y en avait pas avant !

M. le ministre de la culture et de la communication. Des offres innovantes se développent, de nouveaux modèles économiques se créent. Ces offres nouvelles ne cessent de s'enrichir et de se diversifier. De nouvelles plateformes pour le cinéma et l'audiovisuel se mettent actuellement en place.

Sur ces sujets, je veux récuser toute idée de forfaitisation de la rémunération des créateurs. Il s'agit, vous l'aurez compris, je pense, de la licence globale, ou de la licence légale. C'est une fausse bonne idée, qui consiste pour le consommateur à renchérir, quelle que soit sa consommation effective, le coût de son abonnement. Elle appauvrit le créateur à son corps défendant, en le rémunérant sans tenir compte de l'exploitation et du succès de son œuvre.

M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !

M. le ministre de la culture et de la communication. Si certains distributeurs veulent créer des offres forfaitaires, c'est à eux d'assumer les risques de cette forfaitisation, en aucun cas aux créateurs, comme vous en avez d'ailleurs et justement décidé en 2001, à propos des formules d'accès au cinéma permettant des entrées multiples.

J'ai souhaité avec mon collègue chargé du travail que s'engage un dialogue entre les artistes interprètes et les éditeurs de phonogrammes, afin que la rémunération des œuvres et de toutes leurs utilisations puisse être garantie par un accord collectif.

M. Didier Mathus. 5% !

M. le ministre de la culture et de la communication. L'émergence des nouvelles offres légales dans un contexte régulé est au cœur de notre projet de loi.

Ce texte a pour objet d'apporter des réponses à ce paradoxe : jamais l'accès à la culture n'aura été aussi facile et aussi large, et jamais la création n'aura été aussi menacée. C'est dire qu'il s'agit non seulement de nos capacités de rêver et d'inventer des espaces imaginaires en interrogeant le réel, mais aussi de nos emplois, de notre rayonnement, du message que nous adressons au monde, de notre attitude collective face à l'avenir.

La grande différence entre l'univers analogique et l'univers numérique, c'est qu'il est possible de fabriquer un très grand nombre d' originaux. Il fallait trouver les réponses adéquates permettant de préserver l'exception pour copie privée sans alimenter pour autant la contrefaçon, qui n'est rien d'autre que du vol.

L'efficacité des nouveaux systèmes d'échanges de fichiers est formidable. Quand ces systèmes sont les vecteurs de la contrefaçon, leur efficacité est redoutable.

M. Didier Mathus. Comme dirait Pascal Nègre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Utilisant généralement les technologies « pair-à-pair », ils permettent d'accéder à de nombreuses œuvres, dans une qualité souvent identique à l'original. L'illusion de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer que toute offre payante est trop chère, elle oblige les industries culturelles à s'engager dans une spirale de baisse des prix qui leur permet de limiter la baisse des ventes en volume, au prix de la baisse de leur chiffre d'affaires, c'est-à-dire in fine des ressources dont elles disposent pour investir dans la création et les nouveaux talents. Un cercle vicieux pourrait s'engager, ce manque de création nouvelle risquant d'entraîner une désaffection du public. Nul doute que le marché régulera progressivement un certain nombre de chiffres aujourd'hui constatés.

Il s'agit de créer les conditions économiques permettant au marché de déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur. Tel est le rôle régulateur du législateur.

Oui, il était urgent d'agir. Et de légiférer.

Ce projet poursuit quatre objectifs principaux. Il mettra d'abord en place un certain nombre d'exceptions nouvelles. Il régulera et protégera les mesures techniques de protection, qui permettent aux titulaires de droits de mettre en ligne en toute confiance leurs œuvres dans le cadre de nouvelles offres. Il apportera, grâce aux amendements que le Gouvernement a déposés, de nouveaux dispositifs permettant d'inciter les consommateurs et les éditeurs de logiciels pair à pair à rentrer dans la légalité. Enfin, il réhabilite le statut d'auteur des agents publics et apporte une amélioration au contrôle des statuts des sociétés de perception et de répartition des droits par le ministère de la culture et de la communication.

La directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information avait d'abord pour objet de créer une seule exception obligatoire, visant à permettre les copies techniques nécessaires à la transmission des œuvres sur les réseaux de communication. Elle avait pour objet non d'harmoniser toutes les exceptions en Europe, puisque celles-ci n'étaient que facultatives, mais d'harmoniser les contours des exceptions qui existaient déjà dans les différents pays.

Le Gouvernement a souhaité maintenir l'équilibre existant en droit français, sans créer d'exceptions supplémentaires. Il a cependant voulu une mesure en faveur des personnes handicapées dont l'intégration et l'égalité des droits et des chances sont une priorité du Gouvernement et l'un des trois grands chantiers du quinquennat. Une exception a ainsi été prévue, pour permettre à des organismes agréés, comme des associations ou des bibliothèques, de produire des transcriptions dans des formats adaptés comme le braille, ou même de transmettre sur les réseaux des œuvres numérisées, pour les rendre accessibles sur des terminaux électroniques adaptés.

Le Gouvernement a également souhaité moderniser le dépôt légal. Le dépôt légal, c'est la conservation de notre mémoire collective, c'est un témoignage pour les générations futures mais c'est aussi une ressource extraordinaire pour nos chercheurs et nos historiens.

Le projet de loi crée ainsi le dépôt légal de la toile. internet devient en effet un espace majeur d'information et d'échange, mais ce patrimoine est mouvant et éphémère. Le projet met donc en place une nouvelle forme de dépôt légal, qui se fera sur internet par la collecte des sites. De nombreuses expérimentations ont déjà été menées par l'Institut national de l'audiovisuel et la Bibliothèque nationale de France, qui sont désormais prêts.

Ce projet modernise également le dépôt légal pour permettre la numérisation des œuvres déposées et leur consultation sur un réseau local. Cela permettra d'alléger considérablement les tâches de manipulation et de faciliter l'accès des chercheurs à ce patrimoine inestimable.

En ce qui concerne les mesures techniques de protection, il convient de dissiper quelques malentendus pour éviter la caricature et traiter comme il se doit ce problème important.

Ce projet ne crée pas les mesures techniques qui existent notamment depuis vingt ans sur les cassettes vidéo et depuis dix ans sur les DVD. Ces mesures techniques ne sont pas des mesures de verrouillage des œuvres et de la copie. En intégrant aujourd'hui des systèmes de gestion des droits, elles permettent au contraire l'émergence de nouvelles offres et de nouveaux modèles économiques.

Entre ceux qui souhaitent la disparition de la copie privée et ceux qui veulent la dévoyer dans une copie sans limite, je veux maintenir un équilibre, pour conserver une vraie copie privée et sa légitime contrepartie qu'est la rémunération pour copie privée.

M. Jean Dionis du Séjour. Absolument ! C'est très centriste !

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Dans ce texte, la copie privée est préservée, elle est tout simplement adaptée à l'univers numérique, qui permet de fabriquer un très grand nombre d'originaux. J'espère que ce rappel sera entendu partout.

M. Patrick Bloche. Il faut changer le projet de loi, alors !

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est la raison fondamentale pour laquelle le projet de loi instaure un Collège de médiateurs, autorité administrative indépendante spécialisée, chargée de réguler les mesures techniques et de mesurer leur conformité avec les exceptions légales. Cette régulation doit permettre à tous de continuer à bénéficier de l'exception pour copie privée.

Ce Collège des médiateurs constitue une garantie formidable pour les consommateurs puisqu'il pourra être saisi par eux ou leurs associations de tout litige concernant une mesure technique qui serait excessivement confiscatoire du bénéfice de l'exception pour copie privée, dont je rappelle qu'elle concerne le cercle de famille. Quiconque dans notre pays, grâce à internet, aura aimé une musique, un film, pourra dans son univers proche continuer à le transmettre. C'est garanti par le projet de loi.

M. Patrick Bloche. C'est faux !

M. Didier Mathus. C'est le contraire !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je le répète, même si cela vous dérange, c'est une garantie.

M. Didier Mathus. Ne dites pas de bêtises, vous vendez le net à Microsoft !

M. le ministre de la culture et de la communication. Afin d'éviter que certains spécialistes du piratage puissent contourner les mesures techniques, le projet de loi crée une sanction contre le contournement, qui ne vise pas les consommateurs de bonne foi. Là aussi, il ne faut pas tout confondre et faire naître artificiellement de fausses peurs : le consommateur qui, en téléchargeant une œuvre, découvre, grâce à la réponse graduée, qu'en fait il ne respecte pas la loi, sera informé, il sera prévenu. Ceux que nous avons comme objectif, le cas échéant, de sanctionner, ce ne sont pas les consommateurs de bonne foi. Alors, qu'on arrête de dire que ce projet de loi organise la sanction pénale pour les jeunes internautes. C'est de la désinformation.

M. Didier Mathus. Non !

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est le contraire même de l'esprit de ce projet de loi.

M. Didier Mathus. Changez de projet de loi, alors.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est pour cela que nous avons inventé cette nouvelle solution.

M. Patrick Bloche. Vous voulez nous envoyer en tôle, c'est ça !

M. le ministre de la culture et de la communication. Surtout, ce texte crée une sanction contre la fourniture de moyens destinés à faciliter le contournement, afin d'éviter la création de ce genre d'activités, qui créent des profits en incitant leurs clients à enfreindre la loi.

Ces dispositions n'ont pas pour autant, méfions-nous des amalgames, pour objet de créer un dispositif d'agrément des logiciels de lecture ou de remettre en cause des exceptions existantes, comme la décompilation, qui bénéficie notamment aux logiciels libres.

En ce qui concerne le logiciel libre, je veux apporter de la clarté là où d'autres se complaisent dans les confusions et les raccourcis abusifs. Un certain nombre d'entre vous se sont exprimés avec beaucoup d'authenticité sur cette question, je souhaite leur répondre.

Je veux que le projet de loi permette d'éviter les monopoles indus. C'est pourquoi je déposerai, au nom du Gouvernement, un amendement qui permettra d'assurer le respect du droit de la concurrence aux fournisseurs des mesures techniques de protection. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le projet contient d'ailleurs une disposition particulièrement novatrice, destinée à faciliter là aussi une valeur à laquelle beaucoup d'entre vous sont attachés, l'interopérabilité.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il favorisera l'accès à des licences croisées qui permettront de rendre compatibles les plateformes d'offre en ligne et les lecteurs.

Notre projet est un projet d'ouverture. Ce n'est d'aucune manière un projet de cloisonnement, et nous veillerons, ligne par ligne, article par article, à faire en sorte que juridiquement ce soit possible.

Cette disposition - soyons-en fiers - va au-delà de la directive européenne. Elle permet d'éviter le cloisonnement de l'offre, qui serait un non-sens industriel. C'est un point fondamental pour les consommateurs que nous sommes tous, et cette interopérabilité est par ailleurs indispensable au marché.

Ces mesures techniques sont également utiles pour limiter la contrefaçon « à la source », mais elles ne sont cependant pas suffisantes. En effet, il se trouvera toujours un spécialiste ou une équipe assez compétents pour contourner les mesures techniques, obtenir un exemplaire non protégé de l'œuvre et le diffuser à grande vitesse sur les nouveaux réseaux à haut débit, notamment sur des systèmes pair à pair. Or ces systèmes touchent de plus en plus le grand public, et il est donc indispensable de mettre en place des moyens d'action et de prévention efficaces à l'égard de ceux au sein du grand public qui échangent des œuvres de façon illicite sur des systèmes pair à pair. C'est l'objectif du mécanisme de réponse graduée.

M. Didier Mathus. Tous en taule !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous auriez aimé que ce gouvernement et cette majorité en restent à l'alternative entre la dérégulation ultralibérale, le marché, d'un côté, et la sanction pénale et la prison, de l'autre ! Mais, si vous ne votez pas ce texte, vous ne voterez pas pour une solution qui apparaît comme novatrice aujourd'hui, au sein de l'Union européenne.

M. Patrick Bloche. Acceptez nos amendements, c'est ça l'innovation !

M. le ministre de la culture et de la communication. De ce point de vue, la majorité présidentielle pourra être particulièrement fière d'avoir été novatrice et d'avoir trouvé une solution d'équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Vous êtes à la solde des majors !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le Gouvernement a souhaité insérer par amendement dans ce projet de loi ce dispositif de réponse graduée.

M. Patrick Bloche. Avec des amendements déposés au dernier moment ! C'est honteux !

M. Christian Paul. Vous appelez ça de la concertation ? Les lobbies avaient les amendements avant le Parlement !

M. Pascal Terrasse. Vous bafouez le Parlement !

M. le ministre de la culture et de la communication. L'objectif premier de ces amendements est la prévention, l'information, donc la responsabilisation. Ils respectent pleinement les libertés individuelles et présentent le maximum de garanties au regard des droits de la défense des internautes. En effet, les internautes recevront préalablement une mise en demeure, par courrier électronique ou par lettre recommandée, qui devra les inciter à cesser les actes de contrefaçon ou à éliminer les éventuels virus permettant à un fraudeur d'utiliser leur matériel. Ce n'est que s'ils ne tiennent pas compte de ces mises en demeure, qu'ils seront, après une procédure contradictoire écrite, passibles d'une sanction financière, dont le prononcé sera à l'appréciation du Collège des médiateurs.

II est également nécessaire - et c'est une garantie - de préciser que les dispositifs de recherche d'infractions resteront soumis à l'autorisation de la CNIL, qui veille à leur proportionnalité pour éviter une surveillance trop large par rapport à la finalité du traitement.

M. Patrick Bloche. Votre objectif est de contourner la CNIL !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce dispositif permet d'atteindre un équilibre entre la dépénalisation de la contrefaçon numérique et la création de nouveaux mécanismes répressifs. En effet, il préserve les capacités d'action en justice des titulaires de droits pour les cas graves, tout en mettant un place un dispositif équilibré, donnant toute sa place à une prévention personnalisée. Toutes les garanties quant à la confidentialité des informations nominatives ont été prises à cet égard, en liaison étroite avec la chancellerie et la Commission nationale pour l'informatique et les libertés.

Il doit par ailleurs être complété par une action en amont, notamment à l'égard des éditeurs de logiciels d'échanges illicites d'œuvres protégées. Il s'agit d'abord de lutter contre l'incitation à la contrefaçon, car certains éditeurs de ces logiciels font bien souvent des profits en promettant l'accès gratuit à la culture et trompent leurs utilisateurs, qui risquent, eux, d'être la cible de poursuites judiciaires. Cette incitation à la contrefaçon va également à l'encontre de tous les efforts de sensibilisation réalisés par le Gouvernement et les professionnels. Là encore, il faut éviter la caricature : en aucun cas il ne s'agit de condamner la technologie pair à pair, qui ouvre des perspectives très importantes pour la culture. Au contraire, il s'agit plutôt de favoriser l'émergence d'offres légales utilisant cette technologie, comme cela commence à être le cas outre-Atlantique.

Il faut aussi, bien sûr, responsabiliser les éditeurs de logiciels lorsqu'il est manifeste que ceux-ci sont massivement utilisés pour l'échange illicite d'œuvres protégées, pour qu'ils mettent en place les mesures utiles, conformes à l'état de l'art, permettant d'éviter ces usages illicites. Ces mesures pourront notamment être des mesures d'identification des œuvres concernées, mais il ne s'agit en aucun cas pour la loi d'imposer une technologie particulière.

Ce projet de loi nous offre enfin l'occasion de transposer, également dans l'urgence, une autre directive européenne touchant au droit d'auteur, la directive relative au droit de suite. Nous avons en effet jusqu'au 31 décembre 2005 pour ce faire, et vous savez ce qu'il en est de l'encombrement de l'ordre du jour du Parlement.

Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs œuvres sur le marché. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3 % mais n'est, dans les faits, appliqué qu'aux ventes publiques aux enchères.

Une majorité de pays de l'Union européenne, dont l'Allemagne, l'Espagne ou la Pologne, appliquent aussi un droit de suite. Parmi les exceptions, il y a celle, notable, du Royaume-Uni, place largement dominante sur le marché de l'art contemporain.

La directive européenne du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite et les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union. C'est une bonne chose, compte tenu de la concurrence que se livrent Paris et Londres sur le marché européen. L'harmonisation évite les délocalisations, ce qui, pour le rayonnement artistique de notre propre pays, est évidemment une très bonne chose. C'est la raison pour laquelle je la pense nécessaire.

Cette directive permettra de ce point de vue à nos professionnels de travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et au reste du marché intérieur, quand elle aura été mise en œuvre dans tous les États membres.

La directive instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du montant de la vente. En outre, et c'est très important, elle plafonne à 12 500 euros le droit susceptible d'être versé pour une œuvre. Ces deux dispositions devraient lever une des causes majeures de délocalisation des ventes vers les places dépourvues de droit de suite, notamment New York.

Je sais que les professionnels restent cependant inquiets des conséquences de la transposition de cette directive. C'est le cas des galeries, qui, de fait, ne se voyaient pas appliquer de droit de suite jusqu'à présent, mais qui, depuis plusieurs années, cotisent en contrepartie au régime de sécurité sociale des artistes. C'est aussi le cas des sociétés de ventes volontaires, qui, par application des taux prévus par la directive européenne, vont voir le droit de suite augmenter de l'ordre d'un quart.

C'est pourquoi, comme me l'a demandé le Premier ministre lors de son discours prononcé à la FIAC, le Gouvernement fera en sorte que le décret d'application pris en Conseil d'État permette une transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les Britanniques. Il n'y aura donc pas une ligne de cette transposition qui pourra contribuer à un exode du marché de l'art de Paris vers Londres. Le rétablissement de l'égalité est une chose très importante pour nos artistes.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ainsi, le futur décret devra fixer les conditions dans lesquelles les galeries françaises pourront bénéficier du même délai d'adaptation que les galeries britanniques. En effet, les États membres qui n'appliquaient pas le droit de suite ont obtenu de pouvoir, par dérogation, dispenser les ventes d'œuvres d'artistes décédés de tout droit de suite jusqu'en 2010, voire 2012. C'est l'option que semble devoir prendre le Royaume-Uni. Or, je l'ai rappelé, la France applique un droit de suite depuis 1920, mais pas aux ventes des galeries. Le risque est donc de créer artificiellement pendant 4 à 6 ans une dégradation des termes de la concurrence au détriment des galeries françaises, vis-à-vis de leurs homologues, notamment britanniques. Le Gouvernement sera donc vigilant sur ce point.

Le même décret fixera le seuil de prix de vente à partir duquel les ventes sont soumises au droit de suite, seuil que les représentants des artistes souhaitent aussi proche que possible du seuil actuel, très bas - 15 euros -, et que les professionnels souhaitent aussi proche que possible du maximum prévu par la directive - 3 000 euros. Mon intention est de fixer ce seuil à 1 000 euros, afin de mettre la France au même niveau que nos plus proches concurrents, la Belgique et le Royaume-Uni. Le relèvement de ce seuil à 1 000 euros aura pour effet d'alléger considérablement les formalités administratives qui pèsent actuellement sur les galeries et les sociétés de vente. Je souhaite ainsi que le temps gagné pour les intermédiaires du marché compense l'accroissement du droit de suite qu'entraîne la directive. Je souhaite aussi que ce seuil plus élevé permette également de ne pas dissuader les intermédiaires de vendre des œuvres dont le coût unitaire est limité. De fait, le temps passé sur les formalités nécessaires au droit de suite coûte parfois plus cher que le montant du droit de suite lui-même ! Cela nuit à l'évidence à la fluidité du marché et aux intérêts des artistes comme des professionnels.

Permettez-moi enfin d'attirer votre attention sur un rendez-vous important. La directive prévoit que la Commission européenne présentera avant le 1er janvier 2009 un rapport sur l'application et les effets de la directive, notamment du point de vue de la compétitivité du marché européen. Ce rendez-vous sera l'occasion de s'interroger de nouveau sur l'opportunité en termes économiques de ce droit qui est et reste, je tiens à le rappeler, un droit d'auteur.

C'est parce que le droit de suite est un droit d'auteur que la France a été à l'origine de cette directive. Et c'est parce que la France est attachée au droit d'auteur que le Gouvernement sera attentif à ce que tous les États membres transposent cette directive dans les délais convenus.

Je tiens enfin à rendre hommage au travail remarquable de votre commission, tant sur le droit d'auteur et les droits voisins que sur le droit de suite, pour lequel elle a dû travailler dans l'extrême urgence.

Dans l'ensemble, ce projet de loi n'a d'autre objectif que de concilier la pérennité de la création et l'accès le plus large à la culture, qui est à la fois l'un des grands acquis et l'un des plus grands défis de notre temps. Il nous revient de faire en sorte que, dans notre société numérique, les technologies faites pour le progrès des hommes permettent également d'assurer le développement durable et la diversité des œuvres de l'esprit, qui sont aussi essentielles à son avenir que ceux de son environnement naturel. C'est là une des missions les plus nobles du législateur. Puissiez-vous faire en sorte que, comme l'a déclaré récemment l'historien Roger Chartier, le droit d'auteur ne soit pas qu'une parenthèse dans notre histoire. Tel sera, mesdames, messieurs les députés, le sens ultime de votre vote sur le projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé aujourd'hui est un texte modeste : la transposition - tardive, d'ailleurs - d'une directive européenne. En effet, cette directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information date du 22 mai 2001, et la France a déjà été condamnée pour manquement une première fois, le 27 janvier 2005, par la Cour de Justice des Communautés européennes, puis à nouveau, en juillet dernier. C'est pourquoi il y a lieu de se réjouir que l'urgence ait été déclarée.

A la transposition de cette directive ont été ajoutées quelques mesures concernant le droit des auteurs membres de la fonction publique, le fonctionnement des sociétés de perception et de répartition des droits d'auteurs et de droits voisins, le dépôt légal et, bien sûr, des dispositions propres aux collectivités d'outre-mer.

Mais la modestie du texte ne doit pas cacher qu'il se situe au confluent de deux réalités considérables. La première, c'est la révolution numérique, Pour une fois, le terme de révolution n'est pas usurpé. Marshall Mac Luhan dans son ouvrage essentiel, La Galaxie Gutenberg, avait souligné l'importance du passage de la communication par l'écrit, par le livre, grâce à l'imprimerie, à la communication dans cette nouvelle galaxie des mass media. A la découverte personnelle et volontaire des textes et des auteurs se substituait la soumission au flux d'images et de sons véhiculés par la voie hertzienne.

Or nous vivons, depuis vingt ans surtout, une autre révolution. Nous quittons la galaxie Mac Luhan pour ce que certains pourraient appeler la galaxie Bill Gates.

M. Christian Paul. On pourrait choisir d'autres parrainages !

M. Christian Vanneste, rapporteur. C'est un univers marqué par trois phénomènes essentiels : les frontières sont plus abolies encore, les modes de communication fusionnent, tandis que leurs outils se rejoignent. Les sons, les images et les textes passent par une même voie. Le téléphone, la télévision et l'ordinateur convergent. La compression numérique permet une conservation, une duplication quasi parfaites des œuvres reproduites, sans commune mesure avec ce qui prévalait dans l'analogique. La fibre optique et la largeur des bandes augmentent de manière vertigineuse la rapidité et la quantité des informations transportées.

M. Jean Lassalle. Très bien expliqué !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cette révolution en recèle une autre beaucoup plus importante encore. Le monde des mass media conduisait à la « foule solitaire » dont parle David Riesmann, cette foule anonyme, massifiée, pétrie par le message unique des grandes chaînes de télévision nationales, reçu passivement et sans véritable choix. La communication informatique et numérique constitue au contraire un véritable retour vers la liberté de choix, la convivialité d'un dialogue, dépourvus l'un et l'autre de limites.

C'est un monde plus individualiste, ou plutôt plus personnaliste, où l'intelligence active n'est plus uniquement du côté de l'émetteur. Elle est à la périphérie, chez tous les internautes, stimulée sans cesse par l'interactivité et vivifiée par de nouvelles formes d'échanges à travers des réseaux communautaires : on pourrait citer l'exemple des blogs. On trouve dans cette évolution la popularité du peer to peer, ou pair à pair.

Cette révolution rencontre à la manière d'un défi une tradition, elle aussi considérable, celle qui a consacré dans notre pays depuis plus de deux siècles le droit d'auteur. En effet, le nombre des échanges de fichiers, l'effacement des frontières et des distances, la quantité des conservations et des reproductions, la liberté d'initiative et de choix créent un vaste espace où de nombreuses œuvres peuvent être découvertes ou représentées en toute bonne conscience, alors que leurs auteurs n'auront été ni justement rémunérés ni même consultés. Une liberté quelque peu anarchique conduit au risque de piratage et celui-ci à la disparition de la création.

Selon les syndicats de producteurs de phonogrammes, en l'espace de quatre ans le marché de la musique aura perdu 409 millions d'euros : moins 31 %. Cette forte baisse n'est pas sans conséquences sur la création musicale et sur l'emploi. Ainsi, les effectifs des maisons de disques ont chuté de 22 % entre 2001 et 2004. La production musicale, pour sa part, s'est fortement ralentie : entre 2001 et 2004, le nombre d'albums commercialisés a chuté de 23 %, dont 20 % - je le souligne - pour les premiers albums de jeunes artistes francophones, au cœur de notre préoccupation d'aujourd'hui.

M. Dominique Richard. Tout à fait !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Entre 1999 et 2003, on est passé de deux milliards de fichiers musicaux échangés sur internet à 150 milliards. Dans le même temps, le marché des phonogrammes tombait de 38,7 milliards à 29 milliards. Le risque pour la filière du cinéma est plus considérable encore : seize millions d'internautes disposant d'un accès à domicile avaient déjà téléchargé des films gratuitement sur internet. En raison du très bon équipement en haut débit des internautes français - 8,4 millions d'internautes haut débit à la fin juin 2005 - la menace est particulièrement inquiétante pour le cinéma français, pour notre exception culturelle et pour la diversité culturelle.

M. Dominique Richard. Évidemment !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Une étude du CNC parue en mai 2004 concluait que 21 % des téléchargeurs avaient réduit leur fréquentation des salles de cinéma. Or le téléchargement illicite d'un fichier américain, avant sa sortie en France, prive le cinéma français d'une part de son financement par la taxe sur les prix des places dans les salles de cinéma, il ne faut pas l'oublier. Actuellement, le cinéma français est financé grâce à la chronologie des médias : projection en salle, puis édition des DVD, puis télévision payante, et enfin les chaînes hertziennes gratuites. C'est l'ensemble qui est fragilisé par le piratage internet.

Or le défi que le monde numérique lance à la création contient sa réponse. Le numérique, c'est aussi la possibilité de coder, de filtrer, de limiter le nombre de copies, en un mot de protéger les droits de tous ceux sans lesquels la création disparaîtrait.

M. Frédéric Dutoit. Tout est dit !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Le numérique, c'est même aujourd'hui la possibilité de gérer ces droits de manière équitable et précise de telle sorte que le lien entre l'utilisateur et le créateur soit à la fois personnalisé et juste. Cette possibilité est au cœur de la directive et donc du projet de loi.

C'est pourquoi, avant de préciser les points principaux de celui-ci, j'insisterai sur l'idée principale qui a présidé à mon rapport et aux amendements qu'au nom de la commission des lois j'aurai l'honneur de vous proposer : celle de l'équilibre pour que soit préservée et vivifiée la création culturelle. Dans cet objectif, il faut que les auteurs et les interprètes soient justement rémunérés, que les risques économiques courus par les entreprises, et donc l'ensemble des emplois de l'industrie culturelle, soient limités, et qu'enfin les consommateurs, les utilisateurs, trouvent un juste équilibre entre leur liberté et la pérennité de la source de ce qu'ils aiment, entre leur sécurité d'utilisateur et la préservation des intérêts sans lesquels la filière culturelle n'existerait plus, entre la mise en œuvre des dispositifs de protection des ayants droit et la transparence qui doit régner dans la démocratie numérique.

Le titre Ier du projet de loi correspond à la transposition de la directive européenne. Son premier chapitre détermine les exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins. Les articles 1 à 3 ont un objet analogue qui vise à intégrer dans le code de la propriété intellectuelle pour les auteurs, les titulaires de droits voisins et ceux de droits sur les bases de données deux exceptions. La première, obligatoire, se circonscrit aux aspects transitoires techniques. La seconde est la seule retenue parmi celles qui étaient proposées à titre optionnel par la directive : il s'agit de l'exception pour les personnes handicapées. Là aussi, je souligne ce choix dont nous pouvons être fiers et qui figure effectivement parmi les trois chantiers du Président Chirac.

De manière transversale est inscrit dans notre droit le principe du test en trois étapes afin d'encadrer la mise en œuvre des exceptions à l'application des droits, et ce en référence à l'article de la convention de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle - l'OMPI - du 20 décembre 1996. Les exceptions ne doivent concerner que des cas spéciaux. Elles ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou du droit protégé et ne doivent pas porter préjudice de manière injustifiée aux intérêts légitimes des propriétaires de droits. Voilà ce que nous intégrons dans la loi. Le nombre des exceptions est limité au minimum pour obéir à la règle du test en trois étapes et tenir compte de la fragilité économique des filières qui pourraient être touchées par l'élargissement des exceptions. En raison de la nécessité de maintenir notamment la place de la langue française et des éditions françaises dans les domaines scolaire et universitaire, et de la très grande diversité des situations, il a été jugé préférable de laisser à la convention le soin d'épouser la variété du terrain.

Le deuxième chapitre conforte le principe de la copie privée, c'est-à-dire la possibilité pour un utilisateur d'effectuer une copie d'usage strictement domestique, sans remise aux titulaires de droits. Dans le même souci de protéger les intérêts du consommateur, la commission a adopté un amendement tendant à améliorer la transparence des travaux de la commission pour copie privée.

Le troisième chapitre, clef de voûte du texte, porte sur les mesures techniques de protection et d'information. L'article 7, en particulier, apparaît comme le cœur du dispositif puisqu'il introduit dans le droit français l'autorisation et la protection des mesures techniques qui permettent de contrôler l'accès aux œuvres sous forme numérique et aux autres objets de droits voisins. Protection des auteurs à l'égard des excès de mesures techniques de protection, celles-ci doivent être connues et voulues par les titulaires de droits. Protection des mesures techniques contre le piratage et leur contournement qui deviennent des délits, de contrefaçon notamment, lorsqu'il s'agit des droits d'auteur. Protection enfin du consommateur qui doit être informé des limites d'utilisation et de copie et se voir garantir autant que faire se peut la compatibilité des formats et des matériels et leur interopérabilité. Protection des bénéficiaires de l'exception pour les personnes handicapées et réaffirmation du droit à la copie privée, vous l'avez à juste titre souligné à plusieurs reprises, monsieur le ministre. Un Collège des médiateurs est créé afin de permettre le plus tôt possible de trouver un juste équilibre entre la protection des ayants droit et le souci légitime d'utilisation des consommateurs. La saisine du collège sera très large, ouverte à toute personne bénéficiaire des deux exceptions protégées et à toute personne morale agréée pour représenter en justice les consommateurs individuels. La commission a adopté un amendement visant à permettre la saisine a priori afin de limiter les contentieux trop tardifs et un autre fixant à deux mois le délai pour que le collège statue.

D'une manière générale, la commission a retenu les amendements qui confortaient la transparence des informations et la sécurité des utilisateurs. Elle a conforté la copie privée et clairement rejeté la tentation de la licence légale, taxation désuète dans le but de développer une gestion collective des droits, absurde dans un espace mondialisé et plus absurde encore dans le temps du peer to peer, de la communication personnalisée qui a succédé aux mass media. Une très large majorité des professions de la culture souhaitait la clarté de ce droit. Il s'agit aujourd'hui de légaliser le peer to peer, en décourageant non seulement le piratage, mais aussi ceux, éditeurs de logiciels ou fournisseurs d'accès, qui le facilitent ou le stimulent. Pour cela, à côté d'elles, et avant les sanctions, doivent être mises en œuvre deux démarches alternatives : la réponse graduée, pédagogique avant que d'être répressive, et l'offre de serveurs légaux. Je me réjouis que le cinéma rejoigne aujourd'hui la musique. Bravo, monsieur le ministre ! Cette demande avait été annoncée par la charte de juillet 2004. Elle devrait être confortée aujourd'hui par la loi afin notamment de respecter les observations légitimes de la CNIL.

Les autres titres du texte revêtent une importance plus modeste.

Le titre II vise à étendre la conception personnaliste et libérale du droit d'auteur à la française aux agents publics. Il vise à reconnaître un droit d'auteur aux agents publics, tout en l'assortissant de garanties propres à assurer la continuité du service public. L'article 16 intègre les agents publics dans le principe fondateur du droit de la propriété intellectuelle, par un régime analogue à celui applicable aux salariés de droit privé. L'article 18 permet un intéressement des fonctionnaires auteurs.

Le titre III a pour objet d'améliorer le contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, Cette amélioration repose sur deux piliers. D'abord, elle renforce le rôle du ministre de la culture en allongeant le délai de saisine du TGI par le ministre pour s'opposer à la création d'une société, et en élargissant les motifs de demande de sanction à l'autorité judiciaire. Ensuite, elle instaure une harmonisation des règles comptables des SPRD en application des conclusions de la commission permanente de contrôle de décembre 2002.

Le titre IV touche au dépôt légal. Il vise avant tout à étendre le principe de la conservation patrimoniale, qui s'inscrit dans notre tradition, à la communication au public par voie électronique. L'INA se chargera des 5 000 sites internet liés à la radio et à la télévision, la BNF, se consacrera, quant à elle, au dépôt légal des 200 000 autres sites retenus non relatifs aux médias et dont la taille moyenne, il faut bien le reconnaître, est en général beaucoup plus limitée. Les organismes dépositaires légaux, BNF pour l'écrit, le son, les CD-ROM et le multimédia, l'INA pour l'audiovisuel, le CNC, pour la vidéo et le cinéma, ne sont pas affranchis du droit de la propriété intellectuelle, qui encadre donc la consultation. Là encore, c'est l'équilibre qui prévaut entre la préservation des droits exclusifs de communication et de reproduction et l'intérêt général qui conduit à ouvrir la consultation aux chercheurs dans les meilleures conditions et à reproduire les œuvres pour mieux les conserver, mais avec des garanties sérieuses quant à cette utilisation.

Enfin, le titre V compte deux articles. L'article 28 porte sur l'application du texte dans les collectivités territoriales d'outre-mer. L'article 29 met en place des mesures transitoires dont la principale tend à instituer un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi pour que les personnes soumises à ce nouveau dépôt légal s'y conforment.

Ce texte modeste sur un grand sujet recèle une ambition forte qui est de constituer une nouvelle étape du combat séculaire dans notre pays...

M. Christian Paul. C'est historique !

M. Christian Vanneste, rapporteur....pour affirmer la suprématie et la pérennité de la richesse intellectuelle, de la création d'une part, et de la protection de la propriété intellectuelle, d'autre part, sans lesquelles cette richesse viendrait à disparaître. « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et la plus personnelle des propriétés est l'ouvrage fruit de la pensée. » Loin de remettre en cause cette célèbre formule de Le Chapelier, la technique d'aujourd'hui permet de la rendre plus vivante que jamais. Marier la liberté de la création avec celle de l'accès de tous à la culture, telle est l'ambition du texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, et je vous en félicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec tout le respect que je dois à M. le ministre, les grands mots empilés et les citations ne peuvent faire office d'arguments.

M. François Brottes. Très bien !

M. Frédéric Dutoit. M'étant moi-même déclaré publiquement favorable au retrait du texte que nous examinons aujourd'hui, je ne pouvais que venir défendre devant vous la présente motion.

J'aurais évidemment préféré ne pas avoir à opposer cette exception d'irrecevabilité et à en soutenir l'opportunité. Toutefois, si je me fais peu d'illusions sur son issue, je nourris des craintes quant à l'adoption d'un texte qui aura des conséquences graves sur la vie quotidienne de millions de citoyens et d'utilisateurs de données numériques, des conséquences sociales, technologiques, économiques et géostratégiques qui auraient dû appeler ses rédacteurs à plus de prudence et le Gouvernement à plus de circonspection. Au contraire, le texte qui nous est présenté a fait l'objet d'une déclaration d'urgence, au prétexte de satisfaire un calendrier européen de transposition du droit. L'argument paraît assez fragile lorsque l'on sait que la Commission européenne travaille déjà à la modification de la directive en question sur des points tout à fait essentiels comme la notion de rémunération juste ou les problèmes liés à la libre circulation des informations essentielles et à l'interopérabilité.

Par ailleurs, il faut bien constater que nous ne disposons pas à ce jour de l'étude d'impact prévue pourtant expressément par la circulaire du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions cadres négociées dans le cadre des institutions européennes.

J'ajouterai que la nécessité de transposer une directive n'exonère pas le Gouvernement de s'être insuffisamment soucié de l'organisation d'un débat assez large pour permettre de prendre concrètement la mesure des enjeux très divers que soulèvent l'avènement de la société de l'information et le développement des technologies de traitement et de communication qui lui sont afférentes, un débat qui aurait pu et dû associer un plus large public, et tenir surtout davantage compte que cela n'a été le cas du point de vue des partisans d'une refonte plus radicale de notre droit, vu la révolution des usages culturels à laquelle nous assistons.

Nous aurions pu, à la lumière de ces constatations, attendre du Gouvernement qu'il retire son texte pour privilégier la recherche plus scrupuleuse des voies et moyens susceptibles de mieux encadrer et protéger les droits d'auteur dans le cadre de l'essor des échanges numériques en ligne.

Nous aurions pu également nous attendre à ce qu'il prête une oreille moins sélectivement attentive à la cohorte de ceux qui réclamaient la mise en place d'un arsenal de mesures coercitives.

Cela n'a pas été le cas, et nous le regrettons, car le texte qui nous est soumis apparaît dès lors très en retrait des enjeux et des attentes de nos concitoyens, mais également en décalage complet avec les réalités nouvelles auxquelles nous confronte notamment le développement de l'internet.

internet nous offre un outil capable de répondre par sa propre complexité à celle des défis modernes. Comment s'en servir pour faire progresser la gouvernance locale et mondiale vers une société faite pour et par les hommes ? Tout est là. L'information, matériau brut, n'a pas plus de valeur qu'une pierre sans sculpteur.

Si l'on a assez de discernement pour trier des informations et les articuler, on produit du savoir. La nouveauté tient en deux constats. D'une part, depuis quelques décennies, le progrès des techniques de communication a rendu massive et rapide la circulation des personnes, des biens, des informations, des idées et des nuisances. internet accélère encore les flux. D'autre part, nous sommes devenus si puissants que les conséquences de nos actions belliqueuses et civiles se font sentir à grande distance dans le temps et l'espace, et sont donc difficiles à discerner.

Depuis 2001, plus d'un demi-milliard de personnes sont interconnectées par internet, à leur domicile, au travail, dans la rue. Une intensification si massive et si brusque des communications instantanées crée une rupture qualitative. Bientôt, un milliard de personnes différentes pourront interagir.

Nous ne pouvons plus penser le monde que comme un système solidaire où le sort de chaque région dépend de celui des autres et l'influence. C'est la définition d'un système complexe.

À l'ère des réseaux numériques, nous devons garder à l'esprit deux caractéristiques des systèmes complexes et des réseaux : leurs propriétés globales peuvent être totalement différentes de la somme des propriétés des parties qui les composent, et elles peuvent évoluer brusquement, de façon difficile à prévoir, sous l'influence d'un événement déclencheur parfois en apparence insignifiant.

L'instabilité symbolisée par l'effet papillon a une conséquence très heureuse qui fonde notre responsabilité individuelle.

Si l'influence de chaque citoyen se réduisait à un divisé par le nombre de membres de son groupe, chacun ne pèserait rien. Il pourrait se sentir incapable de changer quoi que ce soit, donc irresponsable. Il n'est rien. Il suffit, dans un groupe, qu'une personne prenne à un certain moment une initiative pour déclencher une réaction en chaîne, positive ou négative.

Internet étend la sphère de contacts possibles à la planète et cela oblige à tenir compte bien plus que par le passé d'une loi qui décrit la valeur des réseaux. Plus nous pouvons joindre de personnes, plus nous avons de chances de rencontrer celle avec laquelle nous pourrons opérer un échange utile. internet est l'outil démocratique du partage.

Le document numérique provoque une révolution du fait qu'il peut être dupliqué à l'infini sans perte, pour un coût infime, et que celui qui le reçoit se trouve libre d'en faire ce qu'il veut.

Lorsqu'on lit un livre sur papier ou que l'on regarde une image imprimée, on ne peut pas modifier, dupliquer ces documents, ajouter une phrase, varier les couleurs. Le numérique le permet, aux réserves juridiques près, bien entendu.

Le coût quasi nul de la reproduction des fichiers étend l'impact pratique de l'une des caractéristiques essentielles de l'économie de l'immatériel, la possibilité de donner un bien sans s'en priver pour autant.

Une idée transmise dans une conversation ne s'use pas et sa diffusion ne coûte que le temps de la conversation. La même idée imprimée sur un support matériel, papier ou autre, ne se répand pas sans frais de fabrication et d'expédition du support. Le problème n'existe plus si le support est immatériel ou aussi peu coûteux qu'une mémoire numérique.

Donner un fichier numérique ne me retire rien, sauf si la valeur du contenu tient à sa diffusion faible ou contrôlée, s'il s'agit par exemple d'un tuyau sur la prochaine course hippique.

Je puis, sans rien retirer à personne, puiser ce que je veux sur internet, dont on a dit qu'il était la plus grande bibliothèque du monde. C'est surtout ma bibliothèque personnalisée. Je puis, de chez moi, en allant aux sources les plus diverses, organiser selon ma logique l'information correspondant à mes centres d'intérêt.

Toutes les sources ne sont pas fiables, certes, tous les livres et tous les experts non plus. Le problème est dans le discernement des utilisateurs.

Radio, télévision et téléphone ont rendu immédiate la communication à distance mais, de ces médias, les deux premiers imposent une relation à sens unique, entre un émetteur central et des récepteurs passifs. Le téléphone permet de converser mais à deux personnes seulement. internet se distingue de tous les autres médias par les possibilités qu'il ouvre de communications riches en contenus, interactives, entre un grand nombre de personnes à la fois.

Avec internet, chacun intervient sur un plan d'égalité, peut être récepteur et émetteur, pour un investissement de plus en plus réduit. Cela facilite l'expression des différences individuelles ou régionales et devrait renforcer les cultures locales, le multilinguisme, d'où une créativité qu'une monoculture mondiale stériliserait.

Le numérique fournit un outil à l'exercice du libre arbitre individuel, à l'expression de soi et à l'entretien de relations avec les autres.

L'une des questions les plus critiques reste celle de la sécurité numérique. Elle a deux faces antagonistes : d'un côté, assurer l'honnêteté des transactions numériques en vérifiant l'identité des parties et en sécurisant les flux d'argent, dans l'intérêt des acheteurs et des vendeurs ; de l'autre, préserver la vie privée des particuliers.

La puissance de traitement de l'information peut aussi servir à violer notre intimité et à nous espionner où que nous soyons. À vouloir trop garantir la sécurité, on risque de sacrifier la liberté individuelle et d'instaurer l'ère de Big Brother. C'est une contradiction souvent apparue depuis le 11 septembre 2001, avec les demandes de contrôle des services spéciaux américains.

La menace de Big Brother restera permanente, tout comme le risque de l'écrasement des différences locales, laminées par l'effet de masse d'une offre mondiale plus ou moins médiocre, véhiculée par des séries télévisées, des jeux élaborés pour atteindre le plus grand nombre.

De l'imprimerie à internet, les dangers de chaque nouvelle technique de communication ont été dénoncés par ceux qui ont craint qu'elle ne serve les pires causes. Chaque progrès de la communication a fini par profiter plus à la liberté qu'à ceux qui voulaient l'étouffer.

Les deux faces du numérique suscitent des tendances antagonistes, les unes porteuses de développement humain, les autres opprimantes. Ma conviction est que nous pouvons favoriser les premières contre les secondes et qu'une fois de plus la communication démontrera sa vertu profonde.

L'essentiel du travail producteur de valeur est de plus en plus fondé sur la mise en œuvre des compétences et de la créativité. Pour mobiliser cette dernière qui, à la différence de l'effort physique, ne s'obtient pas par la contrainte, il faut convaincre ou séduire.

Conséquence révolutionnaire : le respect des différences et de la liberté devient une condition d'efficacité. Aucune personne, aucune organisation n'est plus capable de maîtriser à elle seule, dans des conditions économiques viables, toutes les connaissances nécessaires pour résoudre quelque problème un peu important. L'efficacité d'une organisation est donc fondée sur la qualité et l'intensité des synergies suscitées entre talents complémentaires et volontés convergentes.

Nous sommes arrivés au point où il est devenu moins urgent de mobiliser notre intelligence pour obtenir un surcroît de puissance que de libérer notre raison pour que notre actuelle puissance ne soit pas utilisée sans discernement. Le monde a besoin de libérer son bon sens. Le facteur décisif n'est donc plus le niveau de culture mais celui de la culture démocratique et humaniste, du respect de l'État de droit et des libertés essentielles.

Les réseaux de communication non hiérarchisée d'internet apportent un outil précieux pour établir de la communication, donner l'alerte, interpeller l'opinion mondiale, créer une transparence là où des options politiques ou des intérêts particuliers veulent imposer l'obscurité.

Des standards sont nécessaires au bon fonctionnement des réseaux mais, dans la logique d'internet, les solutions d'avenir se doivent d'être ouvertes, partagées, tout comme les infrastructures routières n'ont pas été réservées aux véhicules d'une seule marque. Cela milite pour des logiciels dits libres.

Dans tous les domaines, les citoyens souhaiteront des outils pour mieux choisir, mieux comprendre, se sentir plus forts face aux institutions. Si on veut les y aider, il convient d'appuyer le développement des moteurs de recherche, des agents dits intelligents, ces automates logiciels capables de réaliser pour nous des tâches de recherche et de traitement des informations, de simplifier les opérations.

Le législateur devrait veiller, naturellement, à ce que les critères utilisés par les dispositifs de recherche ne soient pas biaisés au profit de certains acteurs.

Le pouvoir des personnes dans la société et les entreprises dépendra aussi de la diffusion des technologies d'échange et de collaboration entre pairs, le fameux peer to peer. La cohabitation, dans une organisation, d'un système centralisé hiérarchique et de systèmes de collaboration transversaux de pair à pair pour des groupes spontanés est sans doute le moyen produisant le plus de valeur pour tous.

Les projets numériques peuvent être sélectionnés en fonction de leur propension à renforcer les proximités physiques locales et à créer des proximités virtuelles, même aux antipodes. Ils doivent intensifier les désirs de coopération, relier les acteurs locaux, mutualiser les ressources. Les techniques d'échange de pair à pair, exploitées par exemple pour échanger livres et fiches de lecture, peuvent servir à construire du lien social, à animer des communautés culturelles, citoyennes ou professionnelles.

La définition des nouveaux systèmes informatiques est l'occasion de poser des options fondamentales : le système informatique pérennisera-t-il la pyramide hiérarchique stalinienne ou favorisera-t-il initiatives locales, collaborations informelles, alliances, expériences, réactivité ? Est-il centré sur le contrôle ou sur l'écoute du citoyen ? Les tâches sont-elles rigidifiées ou plus fluides ? Je suis du côté de l'initiative locale, de l'écoute du citoyen et de la fluidité ; et vous, monsieur le ministre ?

Votre tentative malheureuse est vouée à l'échec ou à une rapide obsolescence, mais elle est surtout dangereuse au regard des libertés publiques, et c'est le point qui justifie à nos yeux d'opposer l'irrecevabilité au présent texte,

Quelles seront en effet, pour en venir au fond, les conséquences les plus immédiates du projet de loi que vous nous présentez ?

Il aura d'abord et notamment pour effet de légitimer les dispositifs techniques de contrôle d'usage et de traçage, les fameuses mesures techniques, installés par les éditeurs et les producteurs sur les supports numériques, dans les logiciels, les matériels électroniques et les fichiers multimédias. Cela aura même pour conséquence de supprimer de facto le droit à la copie privée et de restreindre de façon drastique l'utilisation dans un cadre familial ou tout autre cadre licite.

Cela aura aussi pour conséquence d'imposer aux utilisateurs le coût des mesures techniques empêchant la copie privée. Ils continueront toutefois, contre toute logique, d'acquitter la redevance pour copie privée payée sur les supports numériques.

Ces mesures conduiront en outre à pénaliser la diffusion d'informations techniques permettant de comprendre le fonctionnement des mesures techniques tout comme l'utilisation, le développement et la diffusion de logiciels libres.

Graver ses propres compilations à partir d'un CD, extraire son morceau favori pour l'écouter sur son ordinateur, transférer son contenu vers un baladeur MP3, prêter un CD à un ami, lire un DVD avec le logiciel de son choix, programmer, améliorer, utiliser ou diffuser un logiciel libre permettant la lecture d'une œuvre numérisée, autant de pratiques très répandues et parfaitement légales que le Gouvernement se propose ni plus ni moins aujourd'hui de prohiber.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est faux !

M. Frédéric Dutoit. Ne tournons pas en effet autour du pot : votre projet de loi est avant tout un texte de prohibition de fait...

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh !

M. Frédéric Dutoit. ...de pratiques culturelles non seulement légales mais encore, je le répète, légitimes.

Vous nous dites que votre texte est équilibré, mais vous faites reposer cet équilibre, ainsi que le soulignait d'ailleurs M. le rapporteur, sur les intérêts individuels des ayants droit, des consommateurs et des industriels, d'une part, et sur, dites-vous, l'intérêt général, dans la double perspective du développement des services sur internet et du financement de la création artistique et culturelle. L'équilibre recherché est ainsi, avant toute chose, un équilibre contractuel d'inspiration purement marchande. Le privilège accordé dans vos propos au terme de consommateur par rapport à celui d'usager ou de citoyen trahit la philosophie qui est la vôtre et que nous ne partageons évidemment pas.

Vous oubliez un peu vite que l'équilibre du droit d'auteur français actuel repose aussi - et peut-être surtout - sur la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques, et que notre droit veut en conséquence, une fois l'œuvre divulguée, que l'auteur ne puisse interdire au public certains actes, comme la lecture, la copie privée, la courte citation, le détournement parodique...

À cet équilibre protecteur des droits et libertés, votre projet de loi ne propose que de substituer la loi du marché et d'introduire, à la place d'une forme de présomption d'innocence, une « présomption d'utilisation déloyale » qui jouera aux dépens du public et au seul bénéfice des éditeurs et producteurs.

Le projet de loi prévoit ainsi que les auteurs, éditeurs et producteurs pourront utiliser des mesures techniques pour interdire, aux utilisateurs ne pouvant justifier a priori d'une licence d'utilisation, l'accès à une œuvre et, plus largement, pour contrôler l'usage qui en est fait, transformant ainsi le droit de lire en un droit exclusif, car sans accès, pas un droit de lecture. Indirectement, le projet de loi créera aussi une obligation d'achat de logiciels et de matériels de lecture récents, équipés de dispositifs de contrôle et de traçage.

Cela aggravera du reste la fracture numérique car seuls les utilisateurs ayant les moyens de se payer une licence d'utilisation et le matériel ou l'équipement adéquats - eux-mêmes en constante évolution et imposés par une poignée de multinationales - pourront accéder à une copie d'une œuvre numérisée.

Si ce processus est mené à son terme, la liberté de stocker et d'utiliser de l'information pour son usage privé sera excessivement restreinte. Des usages culturels légitimes seront rendus impossibles, avec des effets équivalents en termes de liberté d'expression, de pensée, d'opinion, de droit à l'information, et des risques majeurs pour la protection de la vie privée et des données personnelles. Demain, tout accès à de l'information protégée par un droit d'auteur pourrait être tracé, à des fins avancées de contrôle d'usage et de facturation à l'acte, sans que l'utilisateur puisse s'y opposer.

On pourrait penser que je me livre là à de la politique fiction, que tout cela relève d'un cauchemar orwellien, mais l'ensemble de ces effets est pourtant bel et bien contenu en germe dans votre projet de loi. Sinon, comment expliquer que votre projet de loi prévoie jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour le simple fait de lire un DVD avec un logiciel non autorisé par l'éditeur du DVD ?

Vous nous dites agir au nom de la nécessité de garantir une juste rémunération à la création pour en assurer la vitalité et la diversité, au bénéfice du public. Mais vous vous fondez là encore sur des grilles d'analyse erronées. Personne ne défend aujourd'hui l'idée que la culture devrait être gratuite et qu'il faudrait condamner le droit d'auteur aux gémonies.

Tous les sondages effectués auprès des internautes le montrent : une grande majorité d'entre eux ne sont pas hostiles à payer pour la musique et les films qu'ils téléchargent et 83 % se disent d'ailleurs prêts à payer une redevance à cet effet sur leurs abonnements à internet.

M. Christian Paul. Il faut transmettre ces sondages au ministre !

M. Frédéric Dutoit. Je ne résiste pas au plaisir de vous lire le témoignage d'un internaute, Laurent B. dix-neuf ans, étudiant en sciences politiques, que certains d'entre vous ont certainement dû recevoir.

« Je télécharge sur internet des séries diffusées au Japon et aux États-Unis qui n'ont pas de circuits de distribution en France, qui ne sont pas licenciées en France. C'est une façon de ne pas être trop repérable mais aussi parce que ce sont des séries que l'on ne peut pas voir autrement que sur internet. Même si c'est illégal, c'est aussi une manière de ne pas se laisser dicter nos goûts par rapport à la rentabilité du marché, de ne pas attendre qu'une société de production décide d'acheter telle ou telle série et de la diffuser parce qu'elle sera soi-disant rentable. On se retrouve entre internautes, sur un logiciel qui permet de dialoguer et d'échanger ce que nous avons, en musique et en films. C'est une petite communauté de gens en général responsables, et qui sont conscients que tout a un prix. Il n'est pas question du tout-gratuit. Tout le monde préfère acheter des originaux, mais à vingt ou vingt-cinq euros le CD et trente euros le DVD, le prix rebute. Pour ma part, je n'achète pas moins de CD qu'avant le téléchargement. J'en achète un par mois mais je télécharge plus, ce qui me permet de connaître plus de choses. Bien sûr, beaucoup de gens sont conscients que le tout-gratuit pourrait être un danger pour les artistes les moins connus. Mais, finalement, peu d'artistes se plaignent du piratage sur internet. L'Américain Prince avait même mis en téléchargement l'intégralité de son CD, ce qui ne l'a pas empêché d'en vendre quand même. Sa musique s'est sans doute plus largement diffusée. »

M. le ministre de la culture et de la communication. Il est libre de le faire !

M. Frédéric Dutoit. « Et que dire de la commercialisation du lecteur MP3, qui permet de télécharger plusieurs centaines de chansons ! Qui peut imaginer que les internautes se contentent de télécharger des chansons sans droit d'auteur ! C'est absurde. De l'argent est perdu d'un côté pour être récupéré de l'autre. »

Du reste, la plupart d'entre eux continuent à acheter des disques à un niveau presque équivalent et des DVD en nombre sans cesse croissant. Ils n'ont guère le profil de délinquants ou de semi-délinquants, de pirates ou de contrebandiers, dont vous vous plaisez à nourrir le fantasme. Si vous voulez que nous vous suivions sur cet étrange terrain, commencez par démontrer que les échanges de pair à pair - le fameux peer to peer - peuvent par exemple être tenus pour responsables de la crise traversée par l'industrie culturelle ces dernières années.

De nombreuses études indépendantes, réalisées aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon affirment le contraire ; elles ont apporté la preuve que ces échanges sont sans conséquence directe ou indirecte sur le volume des ventes de disques ou des fichiers musicaux. Une étude française conduite par la FNAC a également conclu à l'impact très limité des téléchargements illégaux sur la consommation de musique en France.

Certaines études, dont une étude japonaise, ont même témoigné d'un impact bénéfique des échanges de pair à pair sur la vente de disques, en soulignant notamment que l'utilisation des réseaux constitue un levier de promotion de la musique. Et, de fait, nul ne peut nier certaines réalités socio-économiques touchant ce type d'échange. Les utilisateurs qui s'y livrent massivement sont le plus souvent des consommateurs assidus, qui achètent par ailleurs des disques et des DVD, ou encore des personnes qui ne disposent pas des moyens financiers d'acheter les disques qu'ils téléchargent ; le manque à gagner devient alors très théorique. Nous avons encore le cas de ceux qui téléchargent des contenus qu'ils ne sont en aucun cas prêts à acheter, ou de ceux qui papillonnent à la découverte de nouveaux auteurs...

Je ne verse pas dans l'angélisme, rassurez-vous, j'entends simplement souligner l'extrême diversité des motivations et des cas de figure qui se présentent à travers le développement du phénomène du téléchargement dit illégal de contenus culturels. Le préalable indispensable serait de disposer d'études précises, plutôt que de légiférer à partir de l'a priori que les échanges de pair à pair ont vocation à constituer des manœuvres frauduleuses, passibles du délit de contrefaçon et qui nuisent gravement à l'économie culturelle.

La vérité est que le débat, tel qu'il est conduit aujourd'hui en France, est tronqué et empreint d'une certaine hypocrisie.

M. Dominique Richard. C'est vrai !

M. Frédéric Dutoit. Le développement d'internet représente un marché considérable qui aiguise tous les appétits, ceux des maisons de disques, des éditeurs, des distributeurs mais aussi, c'est vrai, de certains qui « surfent » sur la vague du tout-gratuit et misent sur le développement de nouveaux modes de consommation gratuits, contre lesquels la loi dont nous discutons sera d'ailleurs inopérante.

Cette gratuité favorise le développement de comportements manifestement frauduleux, tels que la contrefaçon et le commerce illicite d'œuvres protégées. Il convient de les condamner avec la plus grande fermeté et d'engager les moyens de police nécessaires. Mais, de grâce, ne confondons pas tout ! Car dans ce vaste marché de dupes qui se joue aujourd'hui et auquel prennent part toutes sortes d'acteurs, les seuls vrais perdants sont et seront les auteurs. La guerre commerciale qui a débuté depuis quelques années, l'affrontement des modèles commerciaux auquel donne lieu le développement de la fameuse société de l'information, se fera nécessairement à leur détriment, tout autant, voire davantage, que la fraude ou le contournement.

Il serait particulièrement illusoire de penser que le développement des systèmes de gestion des droits numériques et de tous les systèmes de surveillance technique des usages individuels aura demain pour effet de permettre une rémunération plus équitable des auteurs.

L'évidence est en effet que le coût de vérification des usages croît proportionnellement au nombre de titres surveillés alors que les sommes collectées sont décroissantes. Les fameuses « mesures techniques » favoriseront donc, comme c'est déjà le cas, des stratégies de concentration accrue de l'effort commercial sur un petit nombre de titres. En outre, est-il besoin de le souligner, les coûts engendrés par ces mesures de gestion et de surveillance ne pourront être assumés que par les seules têtes de pont de l'industrie éditoriale, musicale ou non, favorisant là encore la concentration, qui représente la première des nuisances dès lors que l'on évoque les enjeux de diversité culturelle.

Dire, dans ce contexte, que le projet de loi qui nous est présenté est de nature à favoriser cette dernière relève de la mauvaise foi ou de l'aveuglement, et je m'étonne que certains syndicats ou associations représentant les auteurs aient vu, dans la mise en place des mesures techniques, dans le contrôle accru des usages et la sanction sévère de tout contrevenant la planche de salut de la défense de leurs droits.

Je comprends néanmoins leurs réserves à l'égard de la solution alternative souvent proposée, celle de la licence légale, qui repose sur l'idée de mutualiser le financement social de la création. L'idée de créer un financement additionnel de la création musicale par la mise en place de redevances sur les abonnements à haut débit, comme il en existe déjà sur les supports numériques vierges, consacrerait un droit d'usage garanti par la loi, autorisant le partage de fichiers d'œuvres sur les réseaux.

Mais il reste des points importants à éclaircir : cette redevance devrait-elle être acquittée par tous les abonnés au haut débit ou seulement par ceux qui souhaitent échanger des fichiers d'œuvres ? Comment assurer que tous les créateurs musicaux bénéficient bien de la redistribution des sommes collectées ? Cette solution se heurterait, à n'en pas douter, à d'importantes difficultés mais elle s'impose malgré tout comme la voie la plus crédible, et surtout infiniment plus favorable à l'immense majorité des créateurs, que le déploiement des mesures techniques.

Le partage légalisé des fichiers offrirait véritablement les conditions d'une plus grande diversité culturelle, mais également, et c'est bien évidemment l'essentiel, une meilleure garantie des libertés et des arbitrages fondamentaux. Liberté d'utiliser l'information pour créer et partager. Arbitrages fondamentaux entre le développement culturel et humain et les intérêts des lobbies des médias centralisés qui nous montrent chaque jour qu'ils ne reculeront devant rien pour défendre leur modèle, quels que soient les dommages collatéraux de cette défense.

La vraie question qui nous est posée, c'est d'avoir le courage de savoir dire non aux lobbies, d'où qu'ils viennent, et de ne pas déguiser ou encore confondre leurs intérêts avec l'intérêt général, comme s'y emploie malheureusement votre projet de loi.

Qu'il me soit permis, à titre de nouvelle illustration des failles de votre projet, de l'unilatéralisme de son approche, de sa complaisance à l'égard de certains lobbies, de me faire à présent le relais des inquiétudes légitimes exprimées par les bibliothécaires, les universitaires, tout comme par les associations d'élus des collectivités locales, telles que l'AMF ou la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture. Je veux bien sûr évoquer la revendication, portée par ces élus et les défenseurs du service public de la culture, de l'aménagement d'un régime d'exception que votre projet de loi leur refuse pour mieux privilégier le recours systématique au contrat.

Vous savez que ce recours mettrait chaque établissement, chaque bibliothèque, chaque centre de recherche ou de documentation à la merci d'un rapport de force qui leur sera forcément défavorable lors de la négociation des prix et des usages.

Mais loin d'en faire cas, la philosophie de votre projet de loi conduit en réalité à faire de nos bibliothèques,de nos médiathèques, de nos archives, de nos centres de documentation, les simples locataires d'un droit à l'information. En dehors même de la question des coûts supplémentaires que cette logique de marchandisation de la culture fera peser sur nos collectivités et nos services publics, votre texte organise un véritable bond en arrière.

M. Dominique Richard. Il faut oser dire cela !

M. Frédéric Dutoit. Nous voici revenus au XIXe siècle, à l'époque où les éditeurs craignaient déjà à tort de subir un préjudice financier du fait de la multiplication des bibliothèques publiques.

M. Dominique Richard. Vous ne croyez même pas à ce que vous dites !

M. Frédéric Dutoit. Ces droits fondamentaux de la société à l'accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l'information, sans lesquels la liberté demeure un vain mot, voilà que vous voulez les soumettre à la loi du marché, en faisant des concessions inacceptables à ceux qui veulent profiter du développement du numérique pour les remettre en cause alors qu'ils sont consubstantiels à la conception que nous nous faisons de la République.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, sans m'attarder plus qu'il n'est nécessaire sur les différents points que je viens d'évoquer, je voudrais en conclusion insister sur le fait que ce projet de loi nous place à la croisée des chemins, devant deux options fondamentales pour l'avenir : soit nous reconnaissons que la recherche et l'éducation sont des activités essentielles, dont l'épanouissement ne peut être entravé par l'invocation peu étayée d'un risque pour les profits des éditeurs et des distributeurs, et nous privilégions alors du même mouvement l'exercice des libertés publiques plutôt qu'une conception étriquée et réactionnaire du droit du contrat ; soit, à l'inverse, nous nous engageons dans la voie que le Gouvernement nous propose. Cette dernière signifie aussi la consécration d'une marchandisation à outrance de la culture qui, sous le couvert d'une simple adaptation du droit aux enjeux de l'économie numérique, institue un contrôle privatif des actes de chacun pour les besoins d'un modèle commercial particulier et organise, sous le prétexte de protéger les droits d'auteur, la main mise des grands groupes sur l'ensemble des activités culturelles.

Ce qui s'est passé tout à l'heure à l'Assemblée le prouve, et je m'associe à la protestation élevée par mes amis et collègues socialistes contre la démonstration de l'usage de portables par des salariés de groupes privés, que vous avez organisée au sein de l'Assemblée nationale. De telles manifestations sont attentatoires à la dignité, la sérénité et l'indépendance du débat parlementaire. Il ne s'agit de rien d'autre que de pressions caractérisées, comme en témoigne le fait que ces ordinateurs affichaient les sites des magnats de la musique en ligne. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. Les marchands du temple !

M. Patrick Bloche. Avec les badges du ministère de la culture ! C'est une honte !

M. Didier Mathus. Ça ne s'est jamais vu !

M. Frédéric Dutoit. Une telle démonstration des mesures techniques qu'on veut imposer par la loi n'est absolument pas neutre. Elle ne dit rien des possibilités extraordinaires ouvertes par les logiciels libres ; elle ne dit rien non plus des atouts considérables du peer to peer pour la démocratie, les libertés, le développement des connaissances et l'accès à la culture.

Pour ma part, mes chers collègues, mon choix est fait, et je vous invite à adopter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Bien que j'aie écouté vos propos avec la plus grande attention, monsieur le député, je n'y ai pas trouvé la moindre preuve du caractère inconstitutionnel de ce projet de loi. La liberté d'expression règne dans cet hémicycle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ...

M. Patrick Bloche. Encore heureux !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et je comprends que vous ayez voulu vous exprimer. Je vous rappelle simplement qu'une exception d'irrecevabilité vise normalement à dénoncer le caractère anticonstitutionnel d'un texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Bloche. Vous avez la mémoire courte ! Vous ne vous souvenez plus des exceptions d'irrecevabilité que vous avez défendues comme opposant !

M. le ministre de la culture et de la communication. Libre à vous de contester toute forme de respect de nos traditions juridiques !

M. André Chassaigne. Est-ce à vous de nous faire la leçon, alors que vous imposez à notre assemblée les VRP des groupes privés ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Le projet de loi qui vous est présenté n'est en aucune façon liberticide. Son objectif est tout simplement de rendre possible une offre légale nouvelle en instaurant un dispositif de sécurité juridique qui garantisse la rémunération des œuvres.

M. Christian Paul. À n'importe quel prix !

M. le ministre de la culture et de la communication. J'ai été choqué par le terme de « marchandisation » que vous avez employé à de nombreuses reprises.

M. Patrick Bloche. Le terme vous choque, pas la chose !

M. Christian Paul. Cachez ce terme que je ne saurais voir !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il est particulièrement nécessaire de distinguer la légitime rémunération du travail des artistes, que, je pense, vous ne contestez pas, d'une marchandisation qui ferait des œuvres de l'esprit et des biens culturels des marchandises comme les autres.

J'aurais aimé qu'au moins vous acceptiez de vous associer à la victoire extraordinaire sur le plan international que nous avons remportée à l'UNESCO.

M. Frédéric Dutoit. Je l'ai fait lors de la discussion budgétaire, monsieur le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous avons précisément obtenu que les biens culturels et les œuvres de l'esprit ne soient pas considérés comme des marchandises comme les autres.

M. Patrick Bloche. Ce n'est qu'un engagement et nous voulons des actes, pas seulement des discours !

M. le ministre de la culture et de la communication. Les uns et les autres, nous avons à cœur que la question des biens culturels ne soit pas abandonnée aux lois draconiennes du marché. Aujourd'hui, veiller à la diversité, c'est s'opposer à l'uniformisation imposée par une forme de domination mondiale que nous condamnons tous à juste titre.

M. Laurent Wauquiez. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. La concurrence est bénéfique parce que, précisément, elle est synonyme de diversité. Je veux, moi, que les artistes, les talents, quels qu'ils soient, puissent rayonner largement. Mais je m'oppose à une vision romantique et fausse qui fait d'un marché mondial une rencontre sympathique entre internautes du monde entier. C'est aux artistes, et à eux seuls, qu'il revient de décider de diffuser librement leurs œuvres. C'est à eux seuls de dire s'ils veulent ou s'ils refusent que leur travail soit juridiquement protégé et rémunéré.

M. Patrick Bloche. C'est aussi ce que nous voulons !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il reste toujours loisible à un artiste de disposer de son propre site où il diffuse librement et gratuitement son œuvre : rien dans ce texte ne s'y oppose.

Outre la diversité culturelle et la rémunération de l'artiste, ce texte a pour objectif que chacun soit reconnu et détecté. Si j'ai insisté sur ce point, c'est que je ne veux pas nourrir de rêves sans rapport avec la réalité : l'ouverture n'est pas synonyme de rencontre immédiate avec le public. Là encore, la diversité est mon mot d'ordre.

Je ne peux pas vous laisser dire que ce projet de loi est dangereux pour les libertés individuelles. J'aurais aimé qu'au moins vous saluiez la novation juridique que constitue la réponse graduée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Paul. Ce sont plutôt des représailles massives qu'une réponse graduée !

M. Patrick Bloche. Où est l'amendement du Gouvernement ?

M. Didier Mathus. Il n'a pas été distribué !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le caractère original de cette solution a été reconnu par l'unanimité des États membres de l'Union européenne, et sa mise en œuvre est attendue avec intérêt dans le monde entier.

Je comprends et je respecte la liberté d'expression, mais vous ne m'avez en aucun cas convaincu du caractère anticonstitutionnel de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Frédéric Dutoit. Je n'espérais pas vous en convaincre !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Madame la présidente, l'intervention de M. Dutoit appelle de ma part quelques remarques.

Vous avez, cher collègue, commencé votre exposé en criant au loup et continué en accumulant archaïsmes doctrinaux, sauts qualitatifs et « effets papillon ». Vous avez même invoqué Orwell ! Tout cela avait un côté assez pathétique et freudien. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Vous vous êtes montré freudien en d'autres circonstances.

M. Christian Paul. La psychiatrisation des opposants, c'est cela la liberté ?...

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cela révèle votre curieuse propension à parler de certaines choses.

M. Patrick Bloche. Nous en avons autant à votre compte !

M. Frédéric Dutoit. Alors, d'après vous, on désirerait ce qu'on critiquerait ?

M. Christian Paul. Intéressant !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Je vous rappelle que Big Brother est une image de Staline !

M. Patrick Bloche. Apparemment, c'est votre maître !

M. André Chassaigne. On n'assène pas ses leçons de morale à autrui quand on est à genoux devant les intérêts !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Le marché, c'est précisément la liberté. Il n'y a de liberté que dans les pays qui ont choisi à la fois la démocratie et le marché : ce sont les deux piliers de la liberté.

M. Christian Paul. Vous oubliez le colonialisme, troisième pilier de la liberté !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Même si ce sont des projections inconscientes, vos références renvoient à un système totalitaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Toute votre préoccupation relève du fantasme.

M. André Chassaigne. Traquer l'inconscient de ceux qui osent s'opposer, ce n'est pas du tout totalitaire...

M. Christian Vanneste, rapporteur. Eh bien, ce fantasme n'atteint pas la Constitution.

M. Frédéric Dutoit. Les vôtres la salissent.

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Didier Mathus, pour le groupe socialiste.

M. Didier Mathus. Nous allons voter l'exception d'irrecevabilité présentée par nos collègues communistes, en raison notamment des conditions extrêmement singulières dans lesquelles nous sommes saisis de ce projet de loi. Le Gouvernement a soudainement déclaré l'urgence, après trois ans de non-débat, d'absence de dialogue, hormis avec le lobby des industriels de la culture qui, semble-t-il, a été le seul à avoir l'oreille du ministère de la culture.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est faux !

M. Didier Mathus. Ce n'est pas nous, monsieur le ministre, qui avons distribué des badges de votre ministère aux représentants dans ces locaux de Virgin ou de la FNAC. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. C'est un fait !

M. Didier Mathus. C'est la pure et simple réalité.

L'examen de ce projet de loi se déroule donc dans des conditions particulièrement étranges et biaisées. Si vous l'adoptez, mes chers collègues, vous transcrirez dans notre droit l'interprétation la plus répressive en Europe de la directive de 2001. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) À l'égard des internautes, ce projet a retenu toutes les options les plus répressives, et toutes les options les plus complaisantes en faveur du lobby des industries de la culture. Telle est la réalité de votre texte, monsieur le ministre.

Vous nous opposez ce que vous appelez « la réponse graduée », espèce juridique inconnue portée par un amendement surgi à vingt heures du brouillard du ministère de la culture !

M. Patrick Bloche. Où est l'amendement ?

M. Christian Paul. On veut l'amendement !

M. Didier Mathus. C'est cela, votre conception du débat parlementaire ?

La vérité, c'est que vous êtes soumis à la pression des industriels de l'entertainment , pour reprendre un terme américain, qui ont argué d'une prétendue crise de l'industrie du disque pour imposer une telle transcription de la directive. Cette crise n'est qu'un prétexte : sachez, mes chers collègues, que les ventes de disques ont augmenté de 16,5% au premier trimestre 2005 ; que cette année les bénéfices de Vivendi sont de 754 millions d'euros ; que ceux revendiqués par Sony-BMG s'élèvent à 21 millions de dollars.

M. Christian Paul. C'est ça, l'exception culturelle !

M. Didier Mathus. Telles sont les malheureuses PME dans le besoin qui ont manifestement besoin du soutien massif du ministère de la culture pour faire face aux hordes des télénautes !

De tels faits posent des questions qui ne sont pas tout à fait étrangères à la Constitution. Jamais, de mémoire de parlementaire, on n'aura légiféré sous la pression aussi directe et insistante des lobbies, monsieur le ministre !

Pour toutes ces raisons, nous nous associons au vœu de nos collègues communistes. La position que nous défendrons tout au long de ces débats est simple et claire : la recherche d'un équilibre entre le souci de faire contribuer l'évolution technologique au bien-être collectif, en donnant une sécurité juridique aux huit millions de personnes qui téléchargent dans ce pays, et la rémunération de l'acte de création.

Pour résoudre cette équation, nous proposerons une panoplie de solutions, telles que des dispositifs provisoires ou la possibilité d'opter pour des dispositifs forfaitaires. Ces solutions visent à enrayer la surenchère pénale sans issue dans laquelle ce projet de loi nous engage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Richard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Dominique Richard. Je n'aurai besoin que de quelques mots, madame la présidente. Vous avez voulu, monsieur Dutoit, entamer le débat avant l'heure, mais chacun a pu débusquer l'artifice. Ce n'est pas l'objet d'une motion d'irrecevabilité que de traiter ainsi des questions de fond avant l'heure, qui viendra cette nuit ou demain. En tout état de cause, vous n'avez à aucun moment apporté le début du commencement d'une preuve de l'irrecevabilité de ce texte au regard de la Constitution, ce qui était pourtant l'objectif affiché de cette motion. C'est la raison pour laquelle le groupe de l'UMP votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre-Christophe Baguet. Disons-le franchement : les motifs de l'exception d'irrecevabilité défendue par Frédéric Dutoit ne nous apparaissent pas évidents : la transposition d'une directive européenne, même si elle est fort tardive, il faut le rappeler, ne peut être considérée comme irrecevable.

La question pourrait éventuellement se poser pour une autre motion de procédure, mais pas pour celle-ci. Il est particulièrement choquant, en effet, que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ait même pas été saisie pour avis. De même, le fait que le Gouvernement déclare l'urgence sur ce texte après quatre ans d'attente suscite quelques interrogations, tout comme la date choisie pour son examen.

Toutefois, compte tenu des enjeux, le groupe UDF juge nécessaire de débattre et nous ferons demain dans la discussion générale, par la voix de M. Dionis du Séjour, des propositions qui, nous l'espérons, seront entendues. Nous ne voterons donc pas l'exception d'irrecevabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Si la réponse du ministre est un peu facile et rapide, pour ne pas dire cavalière, celle du rapporteur est - je pèse mes mots - scandaleuse : taxer Frédéric Dutoit de « stalinisme » !

M. Christian Paul. Quand on le connaît !

M. André Chassaigne. Ce n'est surtout pas à vous, monsieur le rapporteur, de donner des leçons de morale et de parler de stalinisme !

M. Christian Paul. Il réécrit l'histoire !

M. André Chassaigne. Quant au fond, monsieur le ministre, vous contestez l'irrecevabilité. Mais quand deux principes fondamentaux de notre République, la liberté et l'égalité, sont mis en cause, il me semble qu'on peut bien parler d'irrecevabilité.

Avez-vous nié que ce projet de loi assurera le contrôle des réseaux numériques, et donc de la diffusion des richesses informationnelles ?

Avez-vous nié qu'il autorisera les intermédiaires à dire le droit, chaque acte sur les réseaux devant être connu, contrôlé et autorisé ou interdit ? Cette atteinte à la liberté n'est-elle pas anticonstitutionnelle ?

Avez-vous nié qu'il y aurait privatisation de la connaissance, avec l'extinction de la notion de prêt et la généralisation de la vente forcée ? N'est-ce pas là une atteinte à ce principe fondamental de notre République qu'est l'égalité ?

Avez-vous nié que ce projet de loi a en réalité pour objectif de servir, de privilégier, d'enrichir les multinationales propriétaires des logiciels et de pérenniser la domination de quelques grands monopoles ? Vous feignez de protéger le droit d'auteur, mais c'est une tromperie , car il s'agit essentiellement, pour ne pas dire uniquement, de protéger le propriétaire. C'est très emblématique de ce qu'il faut bien appeler, même si cela vous choque, le capitalisme, ou plus prosaïquement la recherche du grisbi, ce capitalisme qui veut maîtriser, s'approprier toute l'information.

Lorsque vous mettez en cause Frédéric Dutoit à propos de la convention UNESCO sur la diversité culturelle, votre argument est fallacieux, car notre collègue s'est félicité très clairement, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2006, que la France ait joué un rôle déterminant pour l'adoption de cette convention.

Ce qui est aujourd'hui à l'ordre du jour, en contradiction avec les idées mêmes que vous avez défendues, c'est le grignotage du patrimoine informationnel de l'humanité. Cela seul serait une raison de voter l'exception d'irrecevabilité.

M. Christian Paul. C'est du cannibalisme !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, il est vrai qu'en 2005, sept millions de Français, huit millions peut-être, ont téléchargé de la musique sur l'internet et que plus de trois millions ont téléchargé des films. On les appelle - ou plutôt vous les appelez - des « pirates ». Mais est-ce bien sûr ?

La plupart d'entre eux l'ont fait en échangeant des fichiers numériques à des fins non commerciales, dans le cadre de l'abonnement qu'ils ont légalement contracté avec un fournisseur d'accès. Ces Français ne sont pas différents de centaines de millions d'êtres humains qui chaque jour échangent, partagent et copient des œuvres culturelles. Ces pratiques sont massives, irréversibles. Elles modifient, bouleversent même, depuis près de dix ans la diffusion de la culture, les modes d'accès à la musique, aux images et aux textes.

J'ai ici deux baladeurs numériques. Les plus puissants de ces appareils, dont le coût est accessible, permettent de charger, de stocker et d'écouter près de 60 000 morceaux de musique, soit l'équivalent de 3 000 CD. Désormais, la musique s'échange, elle est nomade et accessible au plus grand nombre avec une simplicité inégalée. Ces pratiques sont l'un des fruits de la révolution numérique qui transforme l'économie tout entière, pour le meilleur et pour le pire.

Dans le domaine culturel, heureusement, le pire n'est pas toujours sûr. Au coût et à la rareté de l'œuvre sur un support physique se substitue l'abondance, puisque la reproduction est sans limite et pour un coût presque nul. Cette grande transformation ne laisse pas indemnes, il est vrai, les métiers de producteur et d'éditeur. Plus profondément encore, elle renouvelle les conditions de la création elle-même, car elle redéfinit la place des auteurs et des interprètes, mais aussi du public. La révolution numérique déplace les lignes, elle redistribue les rôles et la valeur et, dans la création contemporaine, elle modifie les frontières traditionnelles entre le public et les créateurs.

Monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure présenté ce débat comme historique, et le groupe socialiste a envie de vous prendre au mot - mais pour vous dire que de ces changements naissent aujourd'hui des espoirs. La légalisation des échanges culturels non commerciaux sur l'internet n'est pas une utopie : elle est pour demain. Ne brisons pas ces espoirs par ignorance ou par dogmatisme.

Devant cette mutation, nos règles et notre droit, en France comme en Europe, apparaissent d'un autre âge. Nos principes sont solides, à commencer par le droit d'auteur, mais nos techniques juridiques, pour être efficaces, doivent se remettre en question.

La culture, vous le savez, ne s'invente pas au Parlement. Et quand arrive le temps d'écrire la loi, comme nous en avons l'exemple ce soir, il est souvent trop tard ou trop tôt. Sur ces questions, monsieur le ministre, vous avez rendez-vous avec le Parlement depuis longtemps. Et pourtant, ce rendez-vous que vous honorez tardivement, il aurait été sage de l'annuler. Plus de cent mille internautes vous ont interpellé en ce sens, vous demandant de renoncer à ce texte qu'ils perçoivent à juste titre comme une menace. Comme beaucoup d'entre nous, ils jugent déraisonnable de placer ce débat sous le signe de l'urgence qui, dans un domaine aussi sensible, sera mauvaise conseillère.

Vous objecterez, car c'est de rigueur, le temps passé à la concertation. Mais, dans une démocratie, quand il privilégie un seul point de vue et néglige tous les autres, le dialogue est truqué. Vous-même et votre prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avez sur ces sujets une pensée, une conviction, mais trop exclusives.

M. Frédéric Dutoit. Mais ça, ce n'est pas du stalinisme !

M. Christian Paul. Devant l'âpreté de cette controverse, qui d'ailleurs ne se joue pas seulement en France, mais aussi en Europe et à l'échelle planétaire, il fallait organiser une confrontation sincère, et non un simulacre. Vous n'en avez pas la volonté - en tout cas pas la force.

Ce projet de loi est devenu le drapeau d'une croisade répressive que vous menez avec constance.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est de la désinformation !

M. Christian Paul. Nous la jugeons moyenâgeuse, injuste et inefficace.

M. Jean Dionis du Séjour. Tout en nuance !

M. Christian Paul. C'est pourquoi je vous demande, au nom du groupe socialiste, de l'interrompre. La manière la plus rapide d'y parvenir serait, pour notre assemblée, de voter cette question préalable. À défaut, ce serait de modifier sur des points essentiels un texte dangereux, inadapté et lacunaire.

M. André Chassaigne. Le ministre commence à réfléchir...

M. Christian Paul. Il est de mon devoir, de notre devoir car Frédéric Dutoit l'a très bien fait avant moi, d'alerter le Parlement. Il ne s'agit ni d'un sujet mineur ni d'un texte anodin. En dépit de son apparence très technique, voire hermétique, ce projet de loi, ses motifs et ses contenus sont en effet au cœur de l'avenir de la propriété littéraire et artistique dans la société de l'information.

Faut-il, inspirés par la nostalgie d'un hypothétique âge d'or aujourd'hui révolu, durcir à l'excès le droit d'auteur ou, au contraire, le repenser et lui redonner sa légitimité en l'adaptant à la réalité des pratiques d'aujourd'hui ? Faut-il imaginer pour les artistes, les créateurs et les interprètes de nouvelles formes de rémunération auxquelles ils n'ont pas droit aujourd'hui ou bâtir, au contraire, des lignes Maginot techniques ou juridiques pour préserver - en vain, selon nous - l'ordre ancien ?

À l'évidence, il ne s'agit pas simplement de défendre ou de redéfinir les droits en présence. Nous sommes devant un choix majeur de politique culturelle. Ce qui est en jeu pour les décennies à venir, c'est l'accès libre à la culture. Dans notre histoire, chaque avancée vers l'accès libre à la culture est une victoire de la démocratie.

Avant d'entrer plus avant dans l'examen de ce texte et de ses dangers bien réels, je voudrais vous faire partager ma conviction. À l'occasion de la transposition de cette directive, le Parlement est en effet invité à choisir entre deux visions, deux voies désormais bien distinctes tant il est vrai que, depuis plusieurs années, le débat se déroule en dehors de lui : une voie répressive et une voie progressive.

La première voie, celle de la répression, s'illustre par les poursuites engagées, en Amérique puis en France, contre les internautes pour des faits de téléchargement et de mise à disposition de musiques ou de films. Ce sont les perquisitions à l'heure du laitier, la saisie des disques durs, les sanctions pour l'exemple. J'y vois comme une prise d'otages.

Nous avons été nombreux, au parti socialiste et sur d'autres bancs de l'Assemblée, à demander un moratoire sur ces poursuites, pour donner à la société française le temps de mieux appréhender, collectivement, la complexité de cette question. Ce moratoire n'a pas été accordé.

Assumant ces poursuites engagées en particulier par les producteurs de disques, vous dites combattre la « piraterie ». Cette notion n'est pas reconnue en droit, sinon peut-être en droit maritime !

Je sais ce qu'est la contrefaçon. Elle relève de trafics à but lucratif, parfois de réseaux criminels organisés. Elle constitue un danger pour le public comme pour les créateurs, et elle doit être réprimée sans états d'âme.

J'ignore, en revanche, ce qu'est la « piraterie » au sens où vous l'entendez et, jusqu'à la fin de nos débats, je m'abstiendrai d'utiliser trop souvent ce terme, pour ne pas risquer de qualifier de « pirates » vos enfants et vos petits-enfants, et donc d'en faire des délinquants passibles de lourdes peines.

M. Frédéric Dutoit et M. Jean Dionis du Séjour. Pas mal !

M. Christian Paul. Vous dites combattre de tels actes d'échange. Pourtant, la quasi-totalité de la jurisprudence française récente considère que le téléchargement de morceaux de musique ou de films ne constitue ni un crime ni un délit, mais au contraire un acte légal de copie privée, à usage strictement privé et sans but commercial.

Vous réclamant déjà de la voie répressive - car vous faites preuve, monsieur le ministre, de beaucoup de constance -vous aviez déclaré, peu de temps après votre arrivée rue de Valois, dans Le Monde du 19 juin 2004 : « La piraterie sur internet, crime contre l'esprit ». Dix-huit mois plus tard, permettez-moi de craindre, au moment où vous présentez ce texte devant la représentation nationale, que le verrouillage de l'internet soit une offense à notre intelligence collective. Hier, dans le même journal, vous refusiez, et je peux le comprendre, d'arbitrer « entre la jungle et la taule ». Mais en vous lisant, en vous écoutant tout à l'heure, en relisant votre texte,...

M. le ministre de la culture et de la communication. J'ai dénoncé l'un et l'autre, c'était clair !

M. Christian Paul. ...on pouvait penser que vous aviez plutôt choisi le centre éducatif fermé.

M. Jean Leonetti. C'est vous qui êtes fermé, monsieur Paul !

M. Christian Paul. Non, cher collègue, je récuse ce manichéisme : il ne s'agit pas de choisir entre le non-droit et le verrouillage. Car il existe une seconde voie possible, une voie de réforme progressive. C'est la poursuite d'une histoire longue et tumultueuse, mais positive. À chaque étape de notre histoire depuis deux siècles, il a fallu rechercher un équilibre entre les droits des auteurs, des ayants droit et du public.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est vrai !

M. Christian Paul. Depuis le déploiement de l'internet, cette seconde approche, celle que nous défendons, a souvent été caricaturée. Encore ce soir, avec excès, sans vergogne, vous la décrivez comme le mythe de la gratuité totale, alors que nous n'avons jamais défendu la gratuité, encore moins la gratuité totale.

M. le ministre de la culture et de la communication. Je ne parlais pas de vous ! Ne vous croyez pas le centre du monde !

M. Christian Paul. Vous présentez nos positions comme des fables libertaires ou comme une philosophie de pacotille. Pour ma part, je prends au sérieux les bouleversements qui s'opèrent sous nos yeux et je crois à la recherche de solutions pratiques pour permettre de dégager des ressources nouvelles, de financer des rémunérations compensatoires et des aides à la création.

M. André Chassaigne. Il faut de la concertation !

M. Christian Paul. Qui affaiblit le droit d'auteur, au risque de le tuer ? Ceux qui envisagent des adaptations aux nouveaux usages culturels, ou les majors de la musique quand elles mènent cette croisade répressive et régressive en s'arc-boutant sur des pratiques obsolètes ? Qui risque de tuer le droit d'auteur ? Ceux qui veulent démocratiser la création, permettre à tous les artistes de diffuser et de vivre de leurs oeuvres grâce aux technologies d'aujourd'hui, ou ceux qui fabriquent, salarient, puis vendent, comme un produit de supermarché, de jeunes artistes en prime time ?

M. Frédéric Dutoit. Très bonne question !

M. Christian Paul. Qui est réaliste et raisonnable ? Ceux qui proposent des remparts de papiers, ou ceux qui proposent d'inventer de nouveaux modèles culturels et économiques adaptés au monde qui vient ?

M. Frédéric Dutoit. Il faut être audacieux !

M. Christian Paul. Il est vrai que dans l'approche que nous proposons, que nous opposons avec parfois un peu de passion à la vôtre, il y a à la fois de la raison et de l'idéal.

Oui, il y a de la raison car nous refusons l'idée de gratuité totale, que d'ailleurs personne ne défend sérieusement dans ce débat. Il ne faut donc pas travestir notre position. Il n'y a pas de création sans ressources pour les créateurs.

Mais, dans notre position, il y a aussi de l'idéal, car nous pensons possible que les technologies et les réseaux numériques permettent une avancée considérable, à la mesure peut-être de celle que fut l'invention du livre imprimé à la fin du XVe siècle. Sans ignorer Beaumarchais, nous n'entendons pas mépriser l'idéal de Condorcet, celui de la culture ouverte au plus grand nombre. Et nous n'entendons pas oublier l'appel de Victor Hugo - nous avons lu, monsieur le ministre, les mêmes textes, mais nous n'en faisons pas le même usage -, qui proclamait en 1878 : « Constatons la propriété littéraire, mais en même temps fondons le domaine public. »

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Christian Paul. C'est donc à la lumière de cette histoire et de ces principes que nous devons évoquer les dangers que recèle ce texte.

Ce projet de loi est d'abord dangereux par son inspiration. Il ne recherche pas l'équilibre entre des droits légitimes qu'il convient de concilier. Il cède à la panique, celle qui a saisi nombre d'acteurs économiques, parmi les plus puissants, mais aussi des artistes, devant les conséquences, apparentes du moins, des évolutions que nous observons.

Le marché du disque, c'est vrai, a connu des soubresauts ces dernières années. Personne ne le méconnaît. Cette crise a de multiples causes, et la preuve reste à faire, même après vous avoir écouté, que le téléchargement en est la principale. Certes, depuis le début du XXIe siècle, une chute des ventes de disques a été régulièrement constatée. Mais au-delà de ces analyses trop simples, pour ne pas dire simplistes, qui l'imputent entièrement ou très majoritairement aux échanges peer to peer, d'autres facteurs peuvent largement expliquer cette crise : c'est la fin d'un cycle de ce produit qu'est le disque. Nous savons bien, puisque nous en sommes, que les consommateurs ont aujourd'hui reconstitué pour l'essentiel leur collection de disques au format CD. Il y a également la crise économique, qui est bien là : le pouvoir d'achat des ménages est en baisse. C'est une dure réalité que personne ne peut ignorer au moment du choix d'un achat. Il y aussi l'essor des nouvelles technologies de communication, avec les téléphones portables, les ordinateurs, l'accès à internet, qui opèrent une nouvelle ponction sur le budget des ménages et plus particulièrement sur celui des adolescents. Il y a enfin cette concentration de l'offre, en particulier dans le domaine de la musique, autour de quelques artistes, selon les règles d'un marketing qui tue la diversité culturelle.

M. Dominique Richard. Justement, d'où la loi !

M. Christian Paul. L'étude universitaire la plus récente qu'il nous a été donné de connaître, menée en relation avec une association de consommateurs et financée par le ministère de la recherche - ce qui doit a priori garantir sa qualité, voire son indépendance -, est très catégorique : même s'il y a bien sûr parfois des exceptions, elle considère que l'intensité des usages peer to peer n'a globalement aucun effet sur l'achat de CD et de DVD.

Il y a aussi, et nous ne la méconnaissons pas non plus, la fragilité structurelle du cinéma. Mais, monsieur le ministre, si vous voulez soutenir le développement des ventes en ligne, en particulier celle de la vidéo à la demande, vous avez le loisir d'abaisser à 5,5 % la TVA sur ces produits culturels, comme vous le demande le cinéma français. Si vous le faisiez, ce ne seraient pas des discours à l'UNESCO, mais des actes - Patrick Bloche vous le disait tout à l'heure.

À chaque révolution dans les technologies de diffusion et de reproduction, après des affrontements musclés - y compris dans cet hémicycle -, on a trouvé un nouvel équilibre.

À l'époque des pianos mécaniques, monsieur le ministre, les ayants droit de Verdi attaquaient l'un des inventeurs, et les grands compositeurs s'opposaient aux boîtes à musique. Mais le législateur, quelques années après, rendait légale la fabrication d'appareils de reproduction de musique et, quelques décennies plus tard naissait l'industrie du disque, que ce choix avait rendu possible. Puis il y eut la radio : la musique devenait gratuite pour l'auditeur, la qualité du son était meilleure. Vives protestations alors des producteurs de disques, dont les ventes ne repartiront, c'est vrai, notamment après la guerre, qu'au prix d'un certain nombre d'innovations : le 45 tours, le 33 tours et la haute fidélité.

Et le magnétoscope ? Là on s'en rappelle, on y était, et aux premières loges : on a cru à la mise à mort du cinéma. Jack Valenti, le lobbyiste du cinéma américain, déclarait alors - ce qu'on pourrait entendre aujourd'hui à propos du peer to peer - que « le magnétoscope est au cinéma ce que l'étrangleur de Boston est aux femmes seules chez elles ». Deux ans plus tard, contre Hollywood, la Cour suprême des États-unis légalisait le magnétoscope. Et le cinéma est toujours là.

Puis il y a eu le baladeur numérique : le premier modèle fut attaqué en 1998 par les maisons de disques. Il est aujourd'hui dans des millions de poches. Ensuite, quand les logiciels d'échange de musique de pair à pair sont apparus, Napster puis Kazaa en tête, les mêmes entamèrent une nouvelle croisade.

La démonstration que nous devrons accepter, maintenant ou plus tard, est évidente : il y a place pour la cohabitation, pendant longtemps, pour les canaux de diffusion de la culture. La cohabitation des modèles de diffusion dans le domaine musical - disques, plateformes de vente en ligne et échanges non commerciaux sur des réseaux peer to peer - est possible et souhaitable.

Ce texte, dangereux par son inspiration, l'est aussi par son contenu même. Vous faites le choix de sanctuariser par le droit les mesures techniques de protection, donc la gestion numérique des droits. J'y vois trois conséquences, qui sont autant de risques.

D'abord, il y a un risque pour la copie privée. Vous allez bien sûr le démentir, mais nous en débattrons pied à pied dans les jours qui viennent. Nous pensons que les dispositifs anti-copie que ce texte défend et veut généraliser - implicitement ou explicitement - vont inéluctablement réduire, puis supprimer la copie privée.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est faux ! C'est scandaleux de dire cela !

M. Christian Paul. Ce n'est peut-être pas consciemment votre objectif, du moins je l'espère, mais c'est le but avoué de beaucoup des grands acteurs de ce domaine. Dans le même mouvement, en même temps que l'on réduira, puis supprimera, la copie privée, on tarira la rémunération pour copie privée que perçoivent aujourd'hui, à juste titre, les artistes.

Ensuite, il y a un risque pour les libertés. Depuis le début de cette législature, nous sommes confrontés à une redoutable récidive : c'est la tentation du filtrage, du fichage et, osons le dire, du flicage de l'internet.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. En 2004, trois textes - en trois mois ! - sont allés dans ce sens. La loi Perben 2 a durci les sanctions contre la contrefaçon, en particulier pour dissuader l'échange de fichiers musicaux sur internet. La loi dite de « confiance »...

M. Patrick Bloche. Quelle confiance !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il y a aussi de la barbarie sur internet !

M. Christian Paul. La loi dite « de confiance dans l'économie numérique » a cédé à la tentation - nocturne, on s'en souvient ! - de mettre en œuvre le filtrage des contenus et de renforcer à l'excès la responsabilité civile et pénale des fournisseurs d'accès. Beaucoup de ceux qui sont ici ce soir étaient déjà présents cette nuit-là. Ils seront d'ailleurs ici demain aussi, tout au long de la nuit.

M. Patrick Bloche. Et jeudi, et vendredi, et samedi !

M. Pierre-Christophe Baguet. Toujours les mêmes ? (Sourires.)

M. Christian Paul. Même le Conseil constitutionnel a émis d'expresses réserves sur la nature de ces mesures.

Troisième exemple de cette récidive : la loi réformant la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Cette loi, débattue non pas la nuit mais dans la chaleur de l'été 2004, a prévu la possibilité pour les sociétés de gestion de droits de constituer des fichiers d'internautes en infraction.

M. Patrick Bloche. Scandaleux !

M. Frédéric Dutoit. C'est la même logique !

M. Christian Paul. Là, le Conseil constitutionnel n'a pas réagi. Mais la CNIL elle-même, au nom des libertés qu'elle garantit, a refusé en 2005 les modalités techniques qui lui étaient proposées pour détecter automatiquement les infractions au code de la propriété intellectuelle. Quel désaveu ! Et ce n'était pas volé ! Avec la protection légale donnée aux DRM, à ces mesures techniques de gestion des droits numériques, le risque pour la vie privée se confirme. C'est un véritable contrôle de l'usage des œuvres et, potentiellement, le traçage des préférences littéraires et artistiques, puis de tous nos échanges en ligne qui nous attend.

M. André Chassaigne et Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est faux !

M. André Chassaigne. Non, c'est la vérité !

M. Christian Paul. Après les risques pour la copie privée et pour les libertés, il y a enfin un troisième risque, monsieur le ministre, celui qui pèse sur l'interopérabilité, c'est-à-dire sur la capacité de deux systèmes d'information à communiquer entre eux, par exemple la possibilité de lire un CD ou un DVD sur le lecteur de son choix. Le contre-exemple nous a d'ailleurs été fourni cet après-midi, à votre corps défendant, par les plateformes en ligne qui étaient en démonstration à quelques mètres de cet hémicycle, parce qu'avec le baladeur que j'ai ici, je ne peux rien télécharger sur ces plateformes.

Au moment ou les députés discutent de ce projet de loi, de très nombreux Français achètent des baladeurs pour Noël. Il va s'en vendre peut-être des dizaines de milliers, et parmi eux, beaucoup comme celui dont je viens de parler. Mais les Français qui les achètent, et nous les députés qui discutons de ce texte, savons-nous que ce projet de loi transforme potentiellement les acheteurs de baladeurs en délinquants ?

M. Patrick Bloche. Nous, on le sait !

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est lamentable ! C'est minable !

M. Christian Paul. Je ne voudrais pas vous infliger un voyage au bout de l'enfer numérique, mais tout de même, monsieur le ministre, prenons quelques exemples dans la vie quotidienne parce que chacun peut les comprendre, qu'il soit de bonne ou de mauvaise foi, qu'il soit passionné ou indifférent à ces questions.

Les mesures techniques qui sont d'ores et déjà installées sur les CD par les producteurs de disques ne sont pas lisibles sur les baladeurs de la même marque. Si j'achète tout a fait légalement un titre sur les plateformes payantes qui, à votre initiative, étaient en démonstration à l'Assemblée nationale cet après-midi, et que je transfère ce titre sur ce baladeur-là, je ne pourrai pas l'écouter. Les formats et les mesures techniques de protection de ces plateformes, fournies par Microsoft - pour ne pas le nommer - sont en effet incompatibles avec les formats que mon baladeur, lui, sait lire. Après avoir acheté ce titre - même si, en faisant distribuer des enveloppes prépayées, vous avez donné cet après-midi aux parlementaires une leçon de gratuité - je vais devoir, pour l'écouter sur mon baladeur, contourner les mesures techniques installées par la maison de disques. Ce faisant, je m'expose aux peines prévues par la loi.

M. Patrick Bloche. Absolument ! Trois ans de prison !

M. Christian Paul. Jusqu'à trois ans de prison, en effet, et 300 000 euros d'amende.

M. Patrick Bloche. La taule pour Paul ! (Sourires.)

M. Christian Paul. Poursuivons ce « voyage au bout de l'enfer ».

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce que vous dites est lamentable, minable !

M. Christian Paul. Monsieur le ministre, vous vouliez donner à ce rendez-vous législatif un caractère historique ; pour la troisième fois en moins de dix minutes, votre parole vous échappe !

M. le ministre de la culture et de la communication. Absolument pas !

M. Christian Paul. En guise de remède, les vendeurs du plus grand distributeur français et européen de disques et de livres, lequel diffuse aussi de la musique sur sa plateforme en ligne, avec des fichiers protégés par le format et les mesures de protection de Microsoft que ce baladeur ne peut pas lire, recommandent aujourd'hui à leurs clients de graver sur un CD vierge le titre qu'ils ont acheté sur cette plateforme de musique en ligne pour pouvoir le lire dans ce format, alors que celui-ci n'est pas compatible !

Mme Marylise Lebranchu. Exact !

M. Christian Paul. En fait, le vendeur recommande de contourner la mesure technique de protection.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. N'est-ce pas « lamentable », monsieur le ministre ? Si la loi est votée en l'état et que ce distributeur continue de recommander à ses clients de contourner la mesure technique que vous allez sanctuariser par la loi, il les expose aux peines prévues par la loi !

Avec ce baladeur, la seule option légale qui m'est ouverte, si je veux acheter de la musique en ligne, c'est de me rendre sur une grande plateforme internationale, celle d'Apple. Le but de ce projet de loi est-il de conforter le monopole d'Apple, qui contrôle aujourd'hui le plus grand parc mondial de baladeurs numériques ?

M. André Chassaigne. C'est évident !

M. Christian Paul. Je peux aussi acheter un autre baladeur, qui sache lire les formats Microsoft, pour pouvoir lire les titres que j'achète sur les plateformes qui ne sont pas celles d'Apple.

M. Patrick Bloche. On a le choix entre Microsoft et Apple !

Mme Marylise Lebranchu. C'est la liberté !

M. Christian Paul. Le but de ce projet de loi - cette question n'est pas hors de propos : elle correspond à l'expérience de milliers de Français - est-il de renforcer le monopole de Microsoft sur les systèmes d'exploitation ?

C'est d'ailleurs pour avoir lié système d'exploitation et format de diffusion de la musique et des films que Microsoft a été condamné pour abus de position dominante par la Commission européenne.

M. Jean Dionis du Séjour. Je ne vois pas le rapport !

M. André Chassaigne. C'est à ce niveau qu'il y a piraterie !

M. Christian Paul. Certes, si j'ai un baladeur, je peux lire de la musique en format MP3. Mais aucune des grandes plateformes de musique en ligne commerciales ne propose à la vente des titres en format MP3.

M. Patrick Bloche. Attention aux cadeaux de Noël !

M. Christian Paul. J'ai voulu, mes chers collègues, vous proposer ce voyage dans l'univers numérique, pour que nous prenions ensemble la mesure de ce que représente d'ores et déjà, avant même le vote de la loi - et ce sera pire encore si vous l'adoptez - le risque en matière d'interopérabilité, notion qui peut être définie comme l'ensemble des conditions nécessaires pour pouvoir rendre deux systèmes quelconques compatibles.

Il faut en effet, monsieur le rapporteur, savoir s'affranchir de la technique. Mais quand on légifère sur elle, mieux vaut ne pas l'oublier totalement. L'interopérabilité, en pratique, c'est la possibilité pour un consommateur de copier un morceau de musique d'un CD vers son baladeur ; c'est la capacité d'utiliser n'importe quel baladeur pour stocker la musique achetée sur n'importe quel site. Nous en sommes loin et nous en serons plus loin encore si cette loi est adoptée. C'est, en résumé, une simplicité d'utilisation pour le consommateur, simplicité nécessaire, monsieur le ministre, à la réussite des systèmes de vente en ligne que vous défendez à juste titre.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est dans le projet de loi : article 7, alinéa 3 !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le projet de loi va même renforcer cette possibilité.

M. Christian Paul. L'absence d'interopérabilité, c'est en revanche l'obligation d'utiliser un baladeur donné pour écouter une musique donnée ; c'est l'obligation de racheter toutes les œuvres lorsque l'on change de baladeur. Pour prendre une image, c'est l'obligation d'acheter les lunettes d'un certain opticien pour pouvoir lire les livres de certains éditeurs.

L'interopérabilité, c'est également la possibilité pour tout industriel de développer un système compatible. C'est la capacité pour lui de créer, d'entrer en compétition, de proposer ses produits sur le marché. Votre gouvernement déclare se préoccuper d'intelligence économique. Mais aujourd'hui, la plupart des fournisseurs de mesures techniques sont américains ou japonais. Vous devez préserver un cadre favorable à notre industrie dans cette véritable guerre économique, où les seuls gagnants de cette pénalisation du contournement des mesures techniques de protection seront ces grands groupes extra-européens.

Parmi les industriels français et européens, remarquons ceux qui développent du logiciel libre. Vous les avez certes mentionnés. Mais savez-vous que le premier éditeur mondial de distribution de systèmes Linux destinés aux particuliers est une société française, dynamique et créatrice d'emplois ? Si l'on empêche le contournement à des fins d'interopérabilité, on empêchera cette société - et ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres - d'intégrer dans son offre des logiciels libres pour la lecture des DVD. Les seuls gagnants seront encore Apple et Microsoft.

Préserver le logiciel libre n'est d'ailleurs pas dans le seul intérêt de ses développeurs et de ses utilisateurs. Le logiciel libre est en effet devenu un socle, un bien commun informationnel indispensable au développement et au fonctionnement de nouveaux systèmes d'information. Son existence est dans l'intérêt de tous les acteurs innovants des industries de l'informatique et de l'électronique : vous devez le reconnaître.

L'interopérabilité nous permet, en résumé, d'utiliser les systèmes de notre choix pour accéder aux contenus. Elle nous permet de ne pas nous voir imposer l'utilisation de certains logiciels ou matériels, dont les détails de fonctionnement ne nous sont pas connus. C'est un point particulièrement important dès qu'il s'agit de gérer des informations sensibles. Comment pourrait-on par exemple imaginer que des systèmes utilisés par la défense nationale ou pour stocker les plans d'une invention révolutionnaire aient des brèches de sécurité exploitables par une puissance hostile ou étrangère ? Lorsque ces questions sont évoquées, vous criez souvent à la théorie du complot. Je voudrais seulement vous rappeler que certains logiciels d'IBM ou des systèmes d'exploitation de Microsoft ont été épinglés sur ce point par les juridictions. Plus récemment, votre gouvernement a interdit, à juste titre, l'utilisation d'un logiciel de téléphonie internet dans la recherche publique. C'est à cette réalité et à cet enjeu stratégique que nous sommes aujourd'hui confrontés.

L'interopérabilité, enfin, c'est la république dans le numérique. C'est offrir à chacun une capacité de communication universelle, contre les baronnies et le clanisme informationnels. C'est la langue commune qu'il nous faut sans cesse préserver parce qu'elle est la condition de la liberté et de l'égalité.

Je déplore que certains amendements, issus d'une partie de votre majorité, viennent durcir ces risques répressifs. L'un d'entre eux, qui circule curieusement dans les couloirs de notre assemblée sous le nom d'amendement « Vivendi Universal » - je me demande bien pourquoi - vise à pénaliser le développement de tout logiciel n'intégrant pas de système de contrôle des actes de son utilisateur. Disons-le tout net : cet amendement est une arme anti-logiciel libre. Son adoption serait en totale contradiction avec la politique que la France prétend poursuivre en particulier dans les administrations publiques. C'est pourquoi nous le combattrons énergiquement.

M. Richard Cazenave. Vous soutiendrez donc l'amendement sur l'interopérabilité ?

M. Christian Paul. J'aimerais surtout voir les amendements du Gouvernement ! Vous nous avez parlé tout à l'heure, monsieur le ministre, de la « riposte graduée ». Depuis que vous êtes installé rue de Valois, j'ai plutôt vu des représailles massives contre les internautes ! Nous attendons cette « riposte graduée » avec curiosité. Il doit s'agir d'un objet juridique intéressant. Mais, à moins que Mme la présidente ne me contredise, cet amendement n'a pas été déposé.

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais si !

Mme Muriel Marland-Militello. Il l'a été !

M. Christian Paul. Vous l'avez donc, ma chère collègue ? Ce n'est pas notre cas !

M. Patrick Bloche. Il n'a pas été distribué ! Nous ne l'avons pas !

M. Christian Paul. J'en ai eu connaissance ce matin, sur un plateau de radio, par un représentant de l'une des professions concernées. Faut-il aller à la radio, monsieur le ministre, pour connaître les amendements du Gouvernement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Cet amendement a été déposé !

M. Christian Paul. Je ne doute pas que vous répariez immédiatement cet oubli, afin que les députés de l'opposition, nombreux malgré l'heure tardive, reçoivent ces amendements.

M. Jean Dionis du Séjour. Et l'UDF ?

M. Patrick Bloche. Vous faites bien partie de l'opposition ? ... (Sourires.)

M. Christian Paul. Ce texte vient à contretemps. II arrive trop tard, monsieur le ministre. C'est un projet terriblement daté. II veut transposer une directive européenne de 2001, qui résulte elle-même du traité de l'OMPI de 1996, quand les premiers logiciels peer to peer apparaissaient à peine. On me dit même que la Commission européenne réfléchit ces temps-ci à une modification de cette directive. Nous allons donc la transposer en droit français au moment même où Bruxelles s'apprête à en faire une nouvelle rédaction !

Je crois hélas que ce texte arrive aussi trop tôt. Prisonnier du dogme de la « chasse au pirate », vous n'avez pas procédé aux concertations nécessaires, ni à l'étude précise des alternatives possibles, contrairement à ce que fit Jack Lang en 1985, à l'occasion de la dernière grande loi consacrée au droit d'auteur et aux droits voisins.

Écrire une nouvelle règle du jeu réclamait dialogue et créativité. On a laissé s'installer une confrontation brutale. Je crois, monsieur le ministre, que le Gouvernement a mal travaillé sur ce texte. Les certitudes paresseuses des uns se sont additionnées aux tabous irréductibles des autres pour refuser toute avancée. On a même refusé la mission d'information parlementaire que j'avais demandée il y a un an avec Patrick Bloche, Didier Mathus et le groupe socialiste.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. Vous pouvez, madame la présidente, en faire part au président de l'Assemblée nationale. Nous aurions pu pendant un an affronter les vrais problèmes, au lieu de laisser le rapporteur tout seul. Il est vrai qu'il a déjà remis sa copie depuis près d'un an et demi...

M. André Chassaigne. Ça ne les intéresse pas ! Il n'ont pas besoin de cela pour servir leur soupe !

Mme la présidente. Monsieur Chassaigne, n'interrompez pas M. Paul.

M. Christian Paul. Veillons à ne pas infliger à l'internet des péages, des verrous, des clôtures qui, au demeurant, céderont plus vite que vous ne l'imaginez. Car ce texte qui vient à contretemps est aussi inefficace. Que penser de la politique du tout répressif ou, pour être politiquement correct, de la « riposte graduée » proposée aujourd'hui ? L'exemple des États-Unis est à cet égard fort instructif. Ce pays a transposé dès 1998 le traité OMPI de 1996 en adoptant le fameux Digital Millenium Copyright Act qui, à l'instar de votre texte, interdit le contournement des mesures techniques de protection. Cette législation a d'ailleurs posé, et pose encore, de nombreux problèmes. Elle a notamment été invoquée pour empêcher la concurrence ou la recherche scientifique, en cryptographie par exemple. Cette contre-offensive législative réactionnaire a été doublée en France d'une véritable croisade de certains acteurs économiques contre les utilisateurs de systèmes d'échange, les assignant par centaines en justice, en rançonnant véritablement certains d'entre eux pour n'avoir échangé que quelques dizaines de morceaux. Force est de constater aujourd'hui l'échec complet de cette politique aux États-Unis. Un article du Wall Street Journal - publication qui ne passe pas pour être éditée par des adversaires du capitalisme mondialisé - daté du 16 décembre dernier nous apprend en effet que les ventes de disques y ont chuté de 40 %. Et ce après des années de politique répressive !

M. Jean Dionis du Séjour. Il s'agit de l'achat de musique en ligne !

M. Christian Paul. Pourtant, aux États-Unis, contrairement à la France, il existe une offre dite légale. On ferait mieux d'ailleurs de parler d'offre commerciale tant la légalité de certains sites de vente en ligne reste sujette à caution, notamment en ce qui concerne les reversements aux auteurs et aux artistes. Mais ces sites existent. Les consommateurs américains ont la possibilité d'y trouver leurs morceaux préférés et de les télécharger sur leurs baladeurs.

Monsieur le ministre, en marchant dans les pas des Américains, vous vous apprêtez à conduire notre industrie culturelle vers les mêmes difficultés, tout en empêchant l'émergence de nouvelles manières de créer et d'accéder à la culture. Vous auriez pu emboîter le pas au gouvernement Jospin qui avait su, lui, avec la redevance sur copie privée, trouver une solution garantissant de nouveaux revenus aux créateurs.

Enfin, ce texte apparaît tragiquement lacunaire - nous y reviendrons, si le débat s'engage, dans nos amendements - car il fait l'impasse sur quelques questions essentielles, qu'il traite de manière superficielle ou qu'il ne traite pas du tout. Pour les bibliothèques, par exemple, il n'affirme pas une véritable exception. Pour l'enseignement et la recherche, il faudra renforcer, en effet, les utilisations pédagogiques et le droit de citation des images, des sons et des textes. Et pour les personnes en situation de handicap, je considère que ce qui est proposé est totalement insuffisant. Pour les non-voyants, en particulier, notre responsabilité - je le dis avec gravité, monsieur le ministre - est immense. S'il fallait hiérarchiser les enjeux, celui qui concerne les non-voyants, et plus généralement les personnes en situation de handicap, figure pour moi au premier rang. Le dépôt légal de fichiers numériques ouverts permettrait de reproduire les livres en braille à des coûts non prohibitifs, ou de permettre leur découverte à l'aide de logiciels de reconnaissance vocale.

Nous aurons aussi l'occasion de revenir sur ce point, pourvu que la discussion s'engage. Car, mes chers collègues, toutes ces raisons - et même une seule d'entre elles - justifieraient que nous n'allions pas jusqu'à l'examen de ce projet de loi. Mais parce que je pressens votre obstination, je voudrais achever mon propos en vous disant que, si nous engageons le débat, nous devons prendre au préalable toute la mesure du passage à la civilisation numérique.

Le durcissement des lois sur la propriété intellectuelle s'est généralisé, même si la résistance à cette tentation s'est heureusement manifestée de façon éclatante au Parlement européen, en juillet dernier, lorsque la directive favorable aux brevets de logiciels a été écartée. Nous devons, vous devez écouter les voix qui s'élèvent pour proposer des solutions nouvelles, pragmatiques, respectueuses des droits en présence, dans un esprit de responsabilité.

Ces solutions existent, mais elles ne sont pas, hélas, dans votre texte. La méthode que nous proposons est au fond assez proche de celle utilisée il y a dix ans pour la photocopie. Nous aurions aimé que vous suiviez cette inspiration. Permettez-moi, du reste, de vous lire cette citation, où il suffit de remplacer photocopie par échange de fichiers numériques : « Il s'agit en fait d'un projet de loi simple. Il vient compléter un dispositif qui existe déjà, mais qui n'est pas respecté, alors que les sanctions pénales sont prévues pour réprimer le " photocopillage ". » Remplacez ce dernier mot par « peer to peer » et poursuivons : « Ce projet de loi vise, tout simplement, à faire disparaître ce délit. La prolifération des photocopies s'explique par des raisons techniques et culturelles - simplicité, développement du parc des appareils de reproduction, plus large diffusion des œuvres protégées. Les effets négatifs de la photocopie, vous en connaissez l'importance. [...] Quant aux responsables, ce sont les utilisateurs, nous tous qui photocopions à tour de bras. » Remplacez « photocopions » par « piratons » et achevons : « Qui n'est pas aujourd'hui contrefacteur et justiciable comme tel des tribunaux correctionnels ? Il convient d'assurer un équilibre entre, d'une part, la nécessité de ne pas dessaisir les auteurs et, d'autre part, le souci de faciliter aux usagers le respect de leurs obligations légales en leur garantissant une parfaite sécurité juridique. »

M. André Chassaigne. Pas mal ! Qui est l'auteur ?

M. Christian Paul. Si je vous ai imposé cette trop longue citation, c'est qu'elle n'émane pas d'un apôtre zélé du photocopillage ou du piratage, mais de Jacques Toubon (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), ministre de la culture défendant, en 1994, une loi visant à adapter notre droit à cette nouvelle technique qu'était alors la photocopie.

Vous auriez pu, monsieur le ministre, agir de même, et des solutions auraient été trouvées parce qu'en 2005 des solutions réalistes sont accessibles. C'est la défense de la copie privée et la création d'une licence globale. Sur ces deux fondements, le législateur peut élaborer dès maintenant, pour la musique, une réponse concrète et un nouveau système de rémunération des artistes. C'est la position que défendra demain le groupe socialiste dans le débat d'amendements.

Le téléchargement est d'ores et déjà considéré, dans nombre de cas, comme un acte de copie privée. C'est le droit positif. La rémunération pour copie privée existe et nous devons simplement l'adapter. La mise à disposition peut donner lieu à une gestion collective des droits. On n'a pas répugné, il y a dix ans, à y recourir, dans un contexte plus ancien, celui de la reprographie.

Les internautes sont disposés à s'acquitter de quelques euros par mois pour accéder à la musique du monde. Toutes les études d'opinion l'attestent : ils plébiscitent la solution que nous défendons, et qui a le soutien sans équivoque des organisations de consommateurs, des associations familiales et de nombreuses sociétés de gestion des droits des artistes. J'ajoute, et nous le démontrerons s'il le faut, que cette proposition ne heurte pas, comme certains feignent de le croire, les engagements internationaux de la France. Ce choix n'impose aucune limite ou exception aux droits exclusifs. Il est une adaptation technique aux réalités des échanges numériques, pour le téléchargement comme pour la mise à disposition des œuvres.

Monsieur le ministre, si l'Assemblée nationale choisit, malgré cette question préalable, d'engager le débat, nous vous demanderons d'agir pour la légalisation de l'échange des œuvres musicales sur internet et pour la légalisation du peer to peer. C'est un nouveau contrat culturel que nous proposerons pour la France, pour l'accès plus libre à la culture et le soutien à la création. Mais, vous l'aurez compris, ce texte, en l'état, est à nos yeux un acte inacceptable de répression et de régression. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Dans une démocratie parlementaire comme la nôtre, on a le droit - et c'est une bonne chose, surtout quand on est dans l'opposition, même si, sur un tel sujet, on devrait pouvoir s'unir - d'être contre un projet, mais je trouve dommage de le caricaturer.

Ce projet vient-il trop tard ? Au contraire, nous sommes des pionniers ! Et le démontre l'amendement déposé par le Gouvernement ce matin, à onze heures, qui est maintenant disponible au service de la séance ou à la commission et qui est en cours de diffusion, avant de venir en discussion dans l'hémicycle.

M. Dominique Richard. Il est déjà en ligne.

M. le ministre de la culture et de la communication. Sur ce sujet, nous avons bien l'image de pionniers.

Quant à dire à ceux qui nous écoutent, et à tous ceux qui vont nous lire, que je mènerais une croisade répressive, c'est honteux !

M. François Loncle. C'est pourtant le cas !

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais il est vrai qu'il existe plusieurs courants au parti socialiste...

M. Patrick Bloche. Ce n'est pas très sérieux et un peu politicien !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et j'ai lu certaines interventions, et non des moindres, expliquant que la licence légale n'était plus une solution adaptée pour rémunérer les artistes.

En caricaturant le texte, vous voulez entretenir la confusion chez nos concitoyens. Ainsi, vous prétendez que nous voudrions porter atteinte à la copie privée.

M. François Loncle. Parlons-en, justement !

M. le ministre de la culture et de la communication. Telle est peut-être l'intention de la Commission européenne dans ses futures orientations, mais ce n'est pas ce que souhaite le Gouvernement, je l'affirme formellement. Prétendre le contraire est caricatural. La loi prévoit la copie privée, la simple possibilité de transmettre sa passion ! C'est un scandale de prétendre que nous allons pénaliser les consommateurs de bonne foi, puisque le projet prévoit l'inverse ! C'est un scandale aussi de dire que moi-même et les parlementaires qui auront la fierté de voter ce texte ne voulons pas arbitrer entre la jungle et la geôle, puisque nous proposons une troisième voie !

Prétendre que nous ne nous préoccupons pas du respect de la vie privée, de l'encadrement des mesures techniques, de l'interopérabilité, du développement et du respect des logiciels libres, de la concurrence - pour éviter tout monopole international -, c'est aussi de la désinformation puisque nous avons prévu des dispositifs très précis à cet égard.

Si vous aviez été sincère, monsieur Paul, vous auriez au moins rendu hommage à la concertation authentique que nous avons menée. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Laquelle ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Elle n'avait jamais eu lieu auparavant ! Pensez-vous que l'accord du monde de la musique et du cinéma est le fruit du hasard ? Qui a réuni les professionnels de l'internet, les diffuseurs, les radios et les télévisions ?

M. Patrick Bloche. Vous n'avez fait que votre travail !

M. Laurent Wauquiez. Du bon travail !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qui a rendu possible une offre légale nouvelle, si ce n'est cette majorité, cette équipe qui a mené les travaux de concertation ?

Non, décidément non, je ne mène pas une croisade répressive ! La voie d'avenir, pour moi, est celle dans laquelle nous nous sommes engagés. C'est d'abord avoir le courage de rappeler en quoi le droit d'auteur, la propriété intellectuelle, la rémunération du travail des artistes sont des valeurs essentielles. C'est aussi entreprendre une action de pédagogie et d'information à l'endroit des plus jeunes de nos concitoyens, notamment dans les collèges, non pas en privilégiant la répression mais en informant sur les enjeux. Car on ne peut pas prétendre défendre les artistes et les techniciens, leurs rémunérations et leurs conditions de travail, sans dénoncer le leurre, sympathique peut-être mais irréaliste, de la gratuité.

M. Christian Paul. Vous êtes pathétique !

M. le ministre de la culture et de la communication. La voie d'avenir, la troisième voie, c'est la promotion de l'offre légale nouvelle et la réponse graduée pour faire en sorte que la diversité culturelle soit une réalité. Vous pouvez toujours dire que ce sont là de beaux discours, mais si nous réussissons à faire reconnaître par la Commission européenne tous les dispositifs français de soutien à la création culturelle et artistique, si nous sortons de cette période où aucun gouvernement n'a eu le courage de la transparence vis-à-vis de ladite Commission, c'est en fonction d'un principe du droit international, celui de la diversité culturelle. Aujourd'hui, il trouve sa traduction dans l'audience que nous avons au sein des institutions européennes.

M. Christian Paul. On l'a vu à Londres !

M. François Loncle. En réalité, vous n'avez plus aucune audience !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous pouvez continuer à nous caricaturer, mais le débat montrera que nous veillons au respect de tous les équilibres et que nous savons défendre les grands principes et les valeurs essentielles.

J'aurais aimé, monsieur Paul, que vous soyez moins caricatural parce que nous avons à relever, ensemble, un défi, celui de la technologie. Il faut en faire une chance ; il faut qu'elle soit l'occasion de promouvoir la diversité. Vous usez comme vous l'entendez de votre liberté, mais moi, j'ai le devoir de vous répliquer afin qu'en dehors de cet hémicycle, ne se répandent pas de fausses informations, car jouer sur les peurs et les fantasmes est trop facile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Pitoyable !

M. Christian Paul. Pathétique !

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Franchement, monsieur le ministre, je me demande comment nous allons arriver à la fin du débat qui nous réunit autour de ce projet de loi. Nous n'en sommes qu'à la deuxième motion de procédure et la façon dont vous avez répondu à l'intervention de Christian Paul qui, patiemment, dans le respect des propositions du Gouvernement et au-delà de nos désaccords, ne vous a ni insulté, ni caricaturé, ni agressé.

M. le ministre de la culture et de la communication. Dire que je mène une croisade répressive, c'est m'insulter !

M. François Loncle. Allons ! Tenez-vous, laissez parler l'opposition !

M. Patrick Bloche. Il a simplement exprimé la position du groupe socialiste. Or vous avez qualifié ses propos de lamentables, minables, caricaturaux...Est-ce la parole que l'on attend d'un ministre ? Respectez donc la liberté d'expression au sein de cet hémicycle ! Avant d'être ministre, vous avez été assez longtemps parlementaire. Parce que nous sommes dans l'opposition, nous serions de mauvaise foi ? Vous nous faites un mauvais procès pour mieux tenter d'oublier que votre majorité est très divisée sur ce texte. La proposition de loi de M. Suguenot et d'une cinquantaine de députés de l'UMP va plutôt dans notre direction. Alors, de quel côté sont la caricature, la confusion et la désinformation ?

Alors que les débats relatifs à la propriété intellectuelle se déroulent toujours dans un climat passionnel dans notre pays, comment se fait-il que vous ne puissiez admettre une solution équilibrée permettant d'une part de servir l'intérêt des auteurs grâce à de nouveaux modèles de rémunération, d'autre part celui des internautes qui pourraient acquérir un droit optionnel à télécharger et à échanger des fichiers ? Nous sommes pour notre part véritablement soucieux de l'intérêt général, lequel commande de respecter les créateurs tout en favorisant l'accès à la culture du plus grand nombre et en refusant la pression des lobbies que vous aviez conviés dans la salle des conférences ! (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Christian Paul a évoqué les cadeaux que nombre de Français ont achetés pour les fêtes de fin d'année, baladeurs MP3 ou iPod qui permettent de télécharger et de stocker de la musique.

M. Laurent Wauquiez. Pas de publicité ! Seriez-vous à la solde de quelque grand groupe ? (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Si nous défendons l'interopérabilité pour tous ces équipements, c'est parce que leurs utilisateurs risquent d'être passibles de 300 000 euros d'amende ou de trois ans de prison pour avoir contourné les mesures techniques de protection ! N'est-ce pas ce qui est écrit dans le rapport de M. Vanneste et dans votre projet de loi ?

Nous devons adopter la question préalable, car ce texte, que nous avons tant attendu, vient trop tôt ou trop tard. La solution que vous préconisez, monsieur le ministre, ne fera pas de la France un pays pionnier en ce domaine. Encore faudrait-il que nous la connaissions, car les amendements n'ont pas été distribués...

M. Laurent Wauquiez. Ils sont là ! Il suffit d'aller les chercher !

M. Patrick Bloche. ...et celui du Gouvernement sur la « riposte graduée », que vous avez placée au cœur de votre intervention, n'a pas encore été porté à la connaissance des parlementaires. Vous avez dit vous-même ne l'avoir déposé sur le bureau de notre assemblée que ce matin. Face aux multiples pétitions et articles de presse, vous avez trouvé la formule de la « riposte graduée ». Monsieur le ministre, est-ce ainsi que vous comptez légiférer ? Ce n'est pas sérieux !

Pour toutes ces raisons, nous devons voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Pierre-Christophe Baguet, qui a plus d'expérience que moi, m'a expliqué qu'une question préalable est une motion de procédure visant à démontrer qu'il n'y a pas lieu de débattre. À l'évidence, nous ne sommes pas dans ce cas de figure !

En tant qu'ancien rapporteur de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, je puis témoigner que la situation de départ semble assez analogue : même sous-estimation initiale de l'enjeu politique du texte, même passion, mêmes craintes, mêmes discours apocalyptiques émanant peu ou prou des mêmes bancs. L'intervention de Christian Paul y fait d'ailleurs écho. Cela étant, la loi pour la confiance dans l'économie numérique est appliquée, sans drame, depuis juillet 2004, et si tel n'était pas le cas, cela se saurait.

De même, on sait que la directive 2001/29/CE, que le présent texte tend à transposer en droit français, est déjà appliquée dans la majorité des pays européens. S'il y avait eu rupture entre logiciels libres et logiciels propriétaires, entre producteurs et consommateurs de culture dans de grandes démocraties comme les nôtres, pensez-vous vraiment que nous ne l'aurions pas su ? Mettons donc un peu de mesure dans nos appréciations et dans nos propos.

Ce texte présente une proposition cohérente ...

M. Pascal Terrasse. Il est nul !

M. Jean Dionis du Séjour. Libre à vous de le penser ! Mais prenez garde de ne pas tomber dans le travers que vous avez reproché au ministre !

Ce texte favorise l'émergence de plateformes légales. J'estime pour ma part que c'est une voie d'avenir. Certes, ce modèle comporte encore bien des défauts : les prix sont trop chers et les répertoires étriqués, mais l'achat en ligne progresse, que ce soit dans le domaine de la culture ou d'autres biens et services.

Compte tenu des critiques faites par ses principaux détracteurs, l'on pouvait espérer une contre-proposition mirifique. Or vous ne nous proposez que la licence légale, laquelle consisterait en une taxe additionnelle de 6,99 euros à l'abonnement à l'internet, soit 33 % d'augmentation de la cotisation ! Vous parlez d'une proposition fracassante et novatrice ! Vous devrez l'expliquer au bon peuple internaute de France ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En outre, le paiement de la taxe serait optionnel. Soit, mais où sont les bataillons de fonctionnaires chargés d'assurer le contrôle d'une telle mesure ? C'est de la foutaise ! (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Pascal Terrasse. Vous préférez jeter les gens en prison ?

M. Laurent Wauquiez. Ne l'attaquez pas ! Il va voter avec vous ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur Dionis du Séjour, cessez de « chercher » vos collègues du groupe socialiste ! Adressez-vous à l'ensemble de l'Assemblée pour achever votre explication de vote !

M. Jean Dionis du Séjour. Et que proposez-vous pour reverser ce qui est dû aux ayants droit ? Une bonne vieille caisse de répartition...

M. Patrick Bloche. C'est faux !

M. Jean Dionis du Séjour. ...avec des reversements nécessairement approximatifs, puisqu'ils sont déconnectés de l'achat en ligne.

M. Jean Leonetti. C'est scandaleux !

M. Jean Dionis du Séjour. La fébrilité du groupe socialiste montre bien qu'il y a lieu de débattre ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. M. Dionis du Séjour a seul la parole. Laissez-le conclure !

M. Pierre-Christophe Baguet. L'UDF est bâillonnée ! (Sourires.)

M. Patrick Bloche. On nous provoque, madame la présidente !

M. Jean Dionis du Séjour. L'intervention de Christian Paul était très intéressante à bien des égards et nous aidera à structurer le débat sur le fond mais, s'agissant des baladeurs, je l'invite à lire plus attentivement le troisième alinéa de l'article de code introduit à l'article 7 : « Les licences de développement des mesures techniques de protection sont accordées aux fabricants de systèmes techniques ou aux exploitants de services qui veulent mettre en œuvre l'interopérabilité... ».

M. Christian Paul. Dans ce cas, retirez votre amendement !

M. Jean Dionis du Séjour. L'initiative est bonne, mais il faut encore améliorer le texte (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) et nous proposons d'en débattre sereinement.

Mme la présidente. Monsieur Dionis du Séjour, vous avez dépassé votre temps de parole. J'ai demandé au groupe socialiste de faire silence pour vous laisser conclure. Ayez maintenant la correction de le faire !

M. Jean Dionis du Séjour. J'ai fini, madame la présidente.

En déclarant l'urgence, monsieur le ministre, vous n'avez pas fait le bon choix. De même, la date retenue pour examiner ce texte n'est pas la plus opportune. Mais nous devons débattre maintenant et ne pas attendre les calendes grecques. Le groupe UDF ne votera donc pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Puis-je vous informer, monsieur le rapporteur, que les staliniens sont, comme les dinosaures, des monstres du passé ?

M. Jean Leonetti. Vous ne manquez pas de les réveiller régulièrement !

M. Frédéric Dutoit. Et puis-je vous rappeler que, sur de tels sujets, nous devons légiférer en pensant à nos enfants plutôt qu'au passé ?

Bien entendu, le groupe communiste votera des quatre mains la question préalable...

M. Bernard Carayon. Bigre ! Vous votez aussi avec les pieds ? ...

M. Laurent Wauquiez. Ou bien serait-ce un concerto ?

M. Frédéric Dutoit. Tout juste : nous sommes deux ! (Sourires.)

M. Bernard Carayon. Alors, le compte est bon !

M. Jean Leonetti. J'ai d'ailleurs toujours pensé que vous étiez binaires ! (Sourires.)

M. Frédéric Dutoit. C'est normal en informatique !

Nous voterons la question préalable car nous partageons le sentiment de nos collègues socialistes : ce texte n'est pas à la hauteur de l'enjeu, à l'heure ou l'internet modifie les rapports que l'humanité entretient avec elle-même. Cette fantastique avancée doit-elle donner lieu à un encadrement du marché ? Ou bien devons-nous accorder une liberté totale à ceux qui souhaitent échanger ?

Je suggère que ce débat soit l'occasion d'oser une réforme globale du droit, de façon à rémunérer justement le travail des auteurs, interprètes et créateurs, en tenant compte, bien sûr, des nouveaux modes de consommation, auxquels doivent correspondre de nouvelles logiques de rémunération. Si c'est dans cette voie que vous nous proposez d'aller, monsieur le ministre, nous pourrons nous retrouver. Mais pour le moment, votre texte est plutôt tourné vers le passé que vers l'avenir. C'est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le ministre de la culture et de la communication. Cela avait pourtant bien commencé...

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Je voudrais d'abord rétablir certains faits. M. Paul s'est exprimé tel une vierge outragée sur la question de la réponse graduée. Mais ce débat, il le sait bien, est sur la table depuis des mois.

M. Daniel Paul. Sur la vôtre, peut-être !

M. Dominique Richard. Dans la presse, en particulier, on en discute depuis longtemps. Et ce matin, le président du groupe socialiste, comme ceux des autres groupes, a reçu un dossier du ministère de la culture dont une fiche développe précisément la philosophie de la réponse graduée.

M. Patrick Bloche. Ce matin ! Quelle improvisation !

M. Pierre Cohen. Quel amateurisme !

M. Dominique Richard. Si l'information ne circule pas au sein du groupe socialiste, ce n'est pas de notre fait.

Quant à l'amendement lui-même, son texte est en ligne, et il est tout à fait possible de se le procurer auprès du service de la séance.

Plus sérieusement, nous aurons tout loisir, demain, de répondre sur le fond aux questions que M. Paul, comme d'autres, se pose à juste titre, mais ce n'est pas l'objet d'une question préalable. Nous devons, en particulier, nous interroger sur l'interopérabilité, afin qu'en aucun cas l'œuvre ne soit prise en otage.

M. Didier Mathus. Alors votez la question préalable !

M. Dominique Richard. Mais ne faisons pas le débat avant le débat.

Que signifie l'adoption d'une question préalable ? Qu'il n'y a pas lieu de délibérer. M ais comment pourrions-nous affirmer cela alors que notre pays a déjà été condamné deux fois pour son retard dans la transposition de la directive européenne et que, s'il persiste, la troisième condamnation sera assortie de lourdes amendes, dont le contribuable français devra prendre la charge ? Pour toutes ces raisons, il convient de rejeter cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

 

 

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

Mme la présidente. Aujourd'hui, mercredi 21 décembre, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 21 décembre 2005, à zéro heure quarante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,

jean pinchot

        COMPTE RENDU
        ANALYTIQUE OFFICIEL

        Session ordinaire de 2005-2006 - 48ème jour de séance, 108ème séance

        1ère SÉANCE DU MERCREDI 21 DÉCEMBRE 2005

        PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

        Sommaire

        QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

        UNEDIC ET DIALOGUE SOCIAL 2

        RÉFORME FISCALE 2

        PERMANENCE DES SOINS 3

        LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ 4

        CRISE VITICOLE 5

        CHANGEMENT CLIMATIQUE 5

        TAXE SUR LE RECYCLAGE DES VÊTEMENTS 6

        DÉCLARATIONS DE REVENUS PRÉREMPLIES 7

        EMPLOI DES SENIORS 8

        DÉFICIT BUDGÉTAIRE 9

        OMC 10

        PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ 10

        CONVOCATION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE 12

        DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite) 12

        MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 34

        La séance est ouverte à quinze heures.

        QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

        L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

        UNEDIC ET DIALOGUE SOCIAL

        M. Philippe Folliot - Depuis la création de l'assurance chômage en 1958, les droits des chômeurs et les taux de cotisations ont varié selon la bonne ou mauvaise santé des comptes de l'UNEDIC. Je tiens aujourd'hui à saluer, au nom de l'UDF, très attachée au paritarisme, le sens des responsabilités de ceux des partenaires sociaux qui sont restés autour de la table des négociations pour trouver un accord difficile, qui demande à tous, salariés, entreprises et chômeurs, un effort. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Cet accord est d'autant plus difficile à trouver que les marges de manœuvre de l'UNEDIC sont nulles, son déficit prévisionnel étant estimé à près de 15 milliards d'euros cumulés. Les négociations actuelles qui visent à dégager quelque 2,4 milliards, bien que représentant un pas important, ne permettront pas de résoudre le financement à long terme du régime, dans la dérive des comptes duquel l'Etat porte une part de responsabilité... Le système actuel est à bout de souffle : les partenaires sociaux ont d'ailleurs décidé de le remettre à plat en 2006. L'UDF propose depuis longtemps d'affecter à l'UNEDIC de nouvelles ressources, par exemple une TVA sociale...

        M. le Président - Quelle est votre question ?

        M. Philippe Folliot - Quelles sont, Monsieur le ministre délégué à l'emploi, vos pistes de réflexion à ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

        M. Jean-Pierre Brard - Plus que des pistes, il faudrait des actes !

        M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Je le redis de la manière la plus solennelle, le Gouvernement partage votre confiance dans les partenaires sociaux. Il s'agit aujourd'hui pour eux de trouver un accord responsable, facilitant le retour vers l'emploi. Le régime d'assurance chômage est un haut lieu d'exercice du paritarisme, où se traduit la vitalité du dialogue social entre les entreprises et les représentants des salariés, et nous croyons au paritarisme. (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Jean-Pierre Brard - C'est un conte de Noël !

        M. le Ministre délégué - Il est normal que les partenaires sociaux prennent le temps de négocier, pour lever certaines interrogations. Plusieurs de leurs objectifs rejoignent ceux fixés par le Premier ministre, comme la sécurisation des parcours professionnels, que celui-ci évoquait la semaine dernière devant la commission nationale de la négociation collective. Nous nous réjouissons que cette priorité fasse aujourd'hui l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux. Alors que la négociation doit se poursuivre demain autour du régime général et des annexes VIII et X, vous comprendrez que je ne fasse pas aujourd'hui davantage de commentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Faire confiance aux partenaires sociaux et au paritarisme, c'est respecter leur dialogue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

        RÉFORME FISCALE

        M. Maxime Gremetz - Monsieur le Premier ministre, une étude sérieuse publiée début décembre montre que votre réforme fiscale profitera aux 117 000 contribuables les plus aisés, qui y gagneront 1,4 milliard d'euros d'allègements au titre de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune, tandis que l'immense majorité de nos concitoyens n'y gagnera rien. Certains y perdront même, comme les couples mariés avec deux enfants dont le revenu annuel est inférieur ou égal à 25 000 euros, allant y perdre.

        Plusieurs députés socialistes et communistes - Scandaleux !

        M. Maxime Gremetz - Cette étude montre également que votre réforme de l'épargne ne concerne qu'un public restreint de nantis (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) en maximisant les profits retirés de l'épargne en actions. En effet, depuis 2003, le taux du livret A, le produit d'épargne pourtant le plus populaire avec 42 millions de souscripteurs, a été ramené de 3 % à 2 %. Vous avez de même décidé de rendre imposables à l'impôt sur le revenu les intérêts des plans d'épargne logement détenus depuis plus de douze ans, mesure emblématique quand, d'un autre côté, vous exonérez les plus-values sur les ventes d'actions détenues depuis huit ans.

        Cette réorientation systématique de l'épargne vers les placements en actions est non seulement injuste mais nuisible pour notre économie. Les fonds de placement opèrent en effet une pression destructrice sur l'emploi, sur les salaires et les investissements productifs. Ils sont la première cause des restructurations et de la multiplication des plans sociaux.

        Allez-vous oser continuer cette politique de classe, qui accorde toujours plus de cadeaux aux plus riches et au Medef, au détriment des millions de Français qui vivent de plus en plus mal ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Je ne suis pas sûr que nous ayons débattu du même budget, Monsieur Gremetz, car dans celui que nous proposons, 75 % du produit de la baisse de l'impôt sur les revenus vont aux revenus moyens et modestes !

        Puisque vous m'avez cité une étude, permettez-moi de vous en citer une autre, qui devrait vous intéresser. Elle montre que 72 % des sympathisants communistes approuvent la réforme de la baisse de l'impôt sur le revenu. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) De temps en temps, il faut écouter sa base, Monsieur Gremetz ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

        M. Maxime Gremetz - Vous ne cessez de mentir à l'opinion !

        M. le Ministre délégué - Enfin, je vous invite à bien regarder ce que vous allez signer, car je sais qu'en ce moment, vous discutez d'un programme commun avec les socialistes. (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Alors, faites attention parce que parmi les signataires du parti socialiste, il risque d'y avoir M. Fabius, qui avait baissé de 14 %, lorsqu'il était ministre des finances, l'impôt de ceux que vous appelez les plus riches - dont nous avons d'ailleurs besoin, comme nous avons besoin de tous les Français. Maintenant, il est plus à gauche que vous, mais à l'époque, ce n'était pas si clair ! Regardez donc bien ce que vous signez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Maxime Gremetz - C'est scandaleux ! Vous persiflez, vous ne répondez pas.

        PERMANENCE DES SOINS

        M. Marc Bernier - Monsieur le ministre de la santé, s'il est un service auquel les Français sont attachés, c'est bien celui de la médecine de proximité, qui leur offre l'assurance de bénéficier de soins de qualité à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Mais dans les zones déjà déficitaires en offre de soins, le rythme des gardes dissuade les jeunes praticiens de s'installer. Pour y remédier, un certain nombre de mesures ont été prises et plusieurs rapports rendus, dont celui que j'avais moi-même rédigé sur l'égalité des citoyens devant l'offre de soins.

        Vous avez souhaité faire évoluer l'organisation de la permanence des soins, Monsieur le ministre, en donnant plus de souplesse aux acteurs locaux. Par ailleurs, l'avenant numéro 4 de la convention médicale de juin dernier a revalorisé la rémunération des médecins généralistes soumis à des astreintes dans le cadre d'une garde. Des difficultés demeurent cependant dans l'organisation et le financement par le Fonds d'aide des dispositifs de permanence, qu'il s'agisse de la régulation ou des maisons médicales de garde.

        Quel bilan tirez-vous donc, Monsieur le ministre, de la politique de permanence de soins que vous conduisez et quelles en sont les perspectives, s'agissant notamment du FAQSV ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités - Concernant la permanence des soins, les choses vont mieux depuis un an, mais elles peuvent encore s'améliorer.

        J'ai reçu lundi soir tous les acteurs concernés - les hospitaliers, en particulier les urgentistes, les syndicats libéraux, le Conseil de l'Ordre, l'assurance maladie - pour faire le point. La permanence des soins est un droit, notre rôle est de l'organiser. A la fin du mois de décembre, 99 départements sur 100 l'auront mise en place. Mais il y a des endroits où les maisons médicales de garde ne peuvent continuer à fonctionner faute de financements, et ce malgré les crédits votés par le Parlement pour le FAQSV. On constate que 30 millions d'euros n'ont toujours pas été dépensés en cette fin d'année. C'est donc que le système ne fonctionne pas assez bien, et j'ai donc demandé à l'assurance maladie de financer ces maisons. Si nous n'obtenons pas satisfaction, il nous faudra modifier les règles de fonctionnement.

        Autre problème : le samedi après-midi. Là encore, si l'assurance maladie ne finance pas, je suis prêt à faire évoluer le décret pour que les gardes médicales puissent aussi être payées ce jour-là. La permanence des soins n'est pas seulement un droit, elle doit aussi être une réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

        M. François Dosé - Avant-hier, Monsieur le Premier ministre, vous avez promis une année 2006 utile à l'ensemble des Français. Nous sommes tous sensibles à cet objectif, qui doit consister à conjuguer la réussite économique avec le développement social. Malheureusement, les Français constatent que nous ne sommes ni au rendez-vous de l'efficacité économique, ni à celui des solidarités.

        En 2005, le chômage a certes légèrement baissé, mais les licenciements économiques ont augmenté et le différentiel s'adosse essentiellement aux emplois d'insertion. En 2005, le nombre de Rmistes a progressé de 5 %, et plus encore dans les territoires déjà les plus pauvres. Les collectivités territoriales modestes seront vraiment exsangues si l'Etat ne compense pas à l'euro près, comme dirait M. Copé, les nouvelles contributions liées au RMI. En 2005, la loi a prévu un effort de 240 millions d'euros pour six millions de bénéficiaires de minima sociaux - soit l'équivalent de la ristourne dont bénéficieront 13 000 redevables de l'ISF !

        Le nombre des créances irrécouvrables et des abandons de créance augmente, comme les aides alimentaires et de multiples autres sollicitations, telles que les fonds d'aide pour honorer les dépenses d'énergie. La détresse impose une mobilisation : je ne vous interrogerai pas, Monsieur le Premier ministre, sur votre action passée ou votre volonté politique, mais sur la capacité financière de l'Etat, au lendemain de la loi de finances, à mettre en œuvre les initiatives nécessaires. Comment allez-vous conjuguer le mieux-disant social avec un endettement qui s'accélère et une politique fiscale largement favorable aux contribuables les plus aisés ? Pourrons-nous dire que 2006 aura été une année utile pour les Français, particulièrement les plus modestes ?

        M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous avez raison, Monsieur Dosé : en matière de lutte contre la pauvreté, il faut savoir faire preuve d'humilité. Cependant, il faut aussi de l'ambition - celle qui vous a tant manqué pendant cinq ans... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) ...tant et si bien que, malgré une période de croissance exceptionnelle due à la conjoncture internationale, le nombre de bénéficiaires du RMI et de l'API n'a cessé d'augmenter ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

        M. Augustin Bonrepaux - Dites-nous plutôt ce que vous allez faire !

        M. le Ministre délégué - Vous manquez sans doute de mémoire, mais les Français s'en sont souvenus en 2002 ! Non, Monsieur Dosé : nous n'avons pas la même politique ! Notre objectif n'est pas de maintenir les titulaires de minima sociaux sous assistance respiratoire, mais de les en sortir !

        M. Augustin Bonrepaux - C'est cela, le Gouvernement ?

        M. le Ministre délégué - Vous pouvez avoir des remords : c'est nous qui avons fait le RMA, le contrat d'avenir et le contrat d'accompagnement vers l'emploi (Vives interruptions sur les bancs du groupe socialiste). C'est nous qui avons doublé le nombre de logements sociaux, que vous aviez fait baisser ! (« Minable ! » sur les bancs du groupe socialiste) Mesdames et Messieurs les députés de l'opposition, vous n'avez décidément pas de leçons à donner en matière de lutte contre la pauvreté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous renforçons les droits pour l'accès à l'emploi : c'est une politique d'équilibre entre les droits et les devoirs. Voilà ce que c'est que de lutter utilement contre la pauvreté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        CRISE VITICOLE

        M. Hervé Mariton - La viticulture française est en crise ; nombreux sont les vignerons qui en souffrent. Chacun sait que l'Etat ne peut y répondre seul, mais les vignerons doivent être entendus et soutenus. Leur demande est simple : quelle réponse le Gouvernement apportera-t-il à l'urgence de leurs besoins ?

        Plusieurs députés socialistes - Aucune !

        M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement - Le Gouvernement est bien conscient de l'ampleur de la crise viticole qui touche presque tous les bassins de production - le Premier ministre a d'ailleurs reçu hier, en présence de M. Bussereau, une délégation nationale de viticulteurs. La gravité de la crise avait conduit le Gouvernement à prendre, dès le mois de mai, des mesures exceptionnelles de soutien à la filière, que M. Bussereau a complétées le 9 décembre lors de son déplacement dans le Gard. Plus de 45 millions d'euros ont ainsi été mobilisés pour soutenir les exploitations en difficulté, auxquels s'ajoutent 70 millions sous forme de prêts de consolidation. Le Premier ministre a appelé les viticulteurs à souscrire à la distillation « alcool de bouche » afin de permettre le retour à l'équilibre du marché.

        M. Jacques Desallangre - Ça s'arrose !

        M. le Ministre délégué - M. Bussereau transmet en ce moment même à Bruxelles une demande complémentaire de distillation exceptionnelle aux autorités européennes.

        Afin, comme l'a demandé le Premier ministre, de s'inscrire résolument dans une logique de résultat, il faut mettre en œuvre sans délai la stratégie de reconquête des marchés internationaux définie en 2004. Enfin, les comités de bassin seront suivis par un coordinateur qui rendra compte de leurs travaux au ministre de l'agriculture. Avec les organisations représentatives de la filière, celui-ci poursuivra son effort afin de s'attaquer aux causes structurelles de la crise en maîtrisant la production, en s'adaptant à l'évolution du goût des consommateurs et en renforçant la spécificité des appellations d'origine - qui, à la demande de la France, ont été renforcées lors de la conférence de l'OMC. Ce n'est pas à vous que nous le devons, Mesdames et Messieurs de l'opposition !

        Soyez assuré, Monsieur Mariton, que le Gouvernement est déterminé à mettre en œuvre des réponses adaptées à chaque région tout en développant une stratégie nationale pour notre viticulture et en accroissant les efforts de promotion à l'exportation pour retrouver les parts de marché perdues.

        CHANGEMENT CLIMATIQUE

        M. Richard Cazenave - Nul ne conteste plus désormais la relation de cause à effet entre les activités humaines et les changements climatiques. La France, notamment par la voix de son président, milite activement sur la scène internationale pour inverser cette tendance. Elle était présente à Rio en 1992, à Kyoto en 1997 et fait partie des pays pionniers qui ont permis, le 16 février dernier, l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto. L'objectif de celui-ci est très ambitieux : réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre avant 2050, et les diviser par quatre pour les pays industrialisés. On ne pourra l'atteindre que si tous les pays respectent cet engagement. Or, les Etats-Unis, pourtant gros contributeurs à l'effet de serre...

        M. Jacques Desallangre - C'est le plus gros pollueur !

        M. Richard Cazenave - ...et certains pays émergents comme la Chine ou l'Inde n'ont pas signé ce protocole.

        La conférence de Montréal, très attendue, devait garantir le respect des engagements souscrits et instaurer un dispositif de vérification des actions de chaque pays. Quels en sont les résultats ? Les pays émergents et les Etats-Unis seront-ils désormais partie prenante des futurs engagements internationaux en la matière ?

        Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable - La conférence de Montréal a en effet permis de franchir un cap important dans la mobilisation de la communauté internationale. La France, contrairement à plusieurs pays industrialisés, est très respectueuse du protocole de Kyoto : nos émissions de gaz à effet de serre sont en dessous du niveau de 1990. Nous avions trois objectifs pour cette conférence. D'abord, assurer la mise en œuvre du protocole de Kyoto et faire approuver les accords de Marrakech. Cela a été fait.

        M. Maxime Gremetz - Par qui ?

        Mme la Ministre - Le second objectif était d'enclencher le mécanisme de développement propre, qui permet à un pays industrialisé d'acquérir des crédits carbone en réalisant un investissement en technologie propre dans un pays en voie de développement. Il a lui aussi été atteint, et il faut noter que chacun a participé financièrement. Enfin, il fallait fixer les objectifs de l'après 2012. Pour l'instant, seuls les pays industrialisés ont pris des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

        M. Maxime Gremetz - Le père Bush n'a pas dit ça ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

        Mme la Ministre - Or, il faut que tous les pays prennent de tels engagements, y compris les pays émergents et ceux qui n'ont pas signé le protocole de Kyoto. Des négociations soutenues avec les représentants de différents pays comme les Etats-Unis, l'Inde et le Brésil nous ont permis de promouvoir notre position et un accord a pu être trouvé à la fin de la conférence.

        M. Maxime Gremetz - Avec qui ?

        Mme la Ministre - Avec les Etats-Unis et les pays émergents. Il faut donc engager un dialogue sur les approches stratégiques, dans le cadre d'une collaboration mondiale.

        M. le Président - Madame la ministre, il faut conclure...

        Mme la Ministre - Une série d'ateliers recensera les solutions proposées par les différents pays. Nous pouvons nous réjouir d'avoir atteint un accord qui rallie l'ensemble des membres de la convention-cadre sur le climat, c'est-à-dire les Etats-Unis et les pays émergents. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) C'est une avancée importante (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

        TAXE SUR LE RECYCLAGE DES VÊTEMENTS

        Mme Marylise Lebranchu - La question que je veux poser sera consensuelle, car je pense que la fin d'année peut aussi être la fête républicaine du respect de l'autre et de la dignité. Mais justement, à ce propos, je dois faire deux remarques. La première est qu'il est vraiment terrible d'entendre un ministre répondre aujourd'hui à une question sur le RMI en se basant sur des chiffres d'avant 2002 et en adoptant un ton extrêmement polémique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La seconde est que l'un de nos collègues de l'UMP vient de demander la mise sous tutelle du maire de Clichy. Cela aussi est indigne de la politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

        Monsieur Bas, si vous avez évoqué les résultats de 2002, c'est peut-être parce que vous vous réjouissiez d'être revenus au pouvoir, mais rendez-vous compte que si les gens ne vont plus voter, ou vont voter aux extrêmes... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) c'est aussi parce qu'on oublie parfois que l'Assemblée nationale est le lieu du débat démocratique et du respect des autres (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) et que le respect des idées fait partie des fondements de la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

        Pour en venir à ma question donc, le ministre du Budget a fait une ouverture intéressante au Sénat, concernant la taxe sur le recyclage des vêtements, dite taxe Emmaüs. Le textile représente 30 milliards de chiffre d'affaires, et la taxe entre 10 et 40 millions. Nous savons qu'il n'y a pas d'obstacle technique, puisque cela existe pour d'autres secteurs, comme celui des farines animales. L'amendement Emmaüs permettrait d'œuvrer pour le développement durable, car il permet de recycler du textile, mais aussi de créer des emplois d'insertion dans la dignité, occupés par des personnes fières de participer à cette œuvre. Confirmez-vous que la taxe sera mise en œuvre le 1er janvier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains).

        M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Madame, entre M. Bas et vous, je ne sais pas lequel a été... la plus polémique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Pour le reste, il me semble comme à vous que la taxe Emmaüs est une question essentielle qui dépasse les clivages politiques. Elle engage notre devoir de solidarité, et c'est la raison pour laquelle j'ai déjà fait des ouvertures à plusieurs reprises sur le sujet. Il me semble toutefois qu'il y a eu dans cette affaire un problème de forme et un problème de fond.

        Sur la forme, il me semble regrettable de vouloir créer une taxe sans même l'évoquer avec les ministres des finances et du budget, mais surtout de prétendre taxer un secteur entier de l'économie sans jamais rencontrer ses responsables. Cela s'éloigne de ma conception de la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        Sur le fond, j'appelle votre attention sur le fait que le secteur textile est un de ceux qui se bat le plus courageusement contre les dangers de la mondialisation. Nous sommes tous responsables de la préservation des emplois, dans tous les secteurs économiques et dans tous les territoires. Alors, on dit qu'on va taxer les méchants distributeurs, parce qu'il faut trouver un méchant... (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Christian Paul - Quelle médiocrité !

        M. le Ministre délégué - Mais c'est aussi s'exposer à ce qu'ils répercutent la charge sur les producteurs. A la fin, ce sont toujours les mêmes qui payent.

        Vous ayant dit tout cela, je répète que la porte reste grand ouverte. Nous devons travailler tous ensemble, de manière concertée, et trouver la meilleure formule pour améliorer encore la solidarité nationale. Et nous pouvons commencer dès janvier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

        DÉCLARATIONS DE REVENUS PRÉREMPLIES

        M. Jean-Marie Binetruy - Depuis 2002, les gouvernements ont fait de gros efforts pour améliorer les relations entre l'administration et les administrés (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pour faciliter l'accès aux services administratifs, simplifier les relations avec l'administration ou améliorer l'accueil, plusieurs moyens ont été employés : je pense, entre autres, à la charte Marianne ou aux diverses initiatives de MM. Dutreil ou Woerth. De nombreuses mesures ont notamment visé l'information des contribuables et leurs relations avec les services des impôts. Ainsi, le développement des services électroniques, et surtout les déclarations en ligne, ont connu un grand succès. Une charte du contribuable a aussi été élaborée, qui repose sur trois principes : simplicité, équité et respect.

        Cette année, vous avez expérimenté la déclaration préremplie dans le département de l'Ille-et-Vilaine. Elle a rencontré un formidable succès : les contribuables y sont favorables à 85 % ! Vous avez récemment annoncé sa généralisation, qui soulagerait nos concitoyens d'une obligation fastidieuse. Pouvez-vous nous préciser les modalités de l'opération et son calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas ça qui remplira les assiettes !

        M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Parallèlement à notre programme de baisse des impôts, nous avons essayé d'améliorer les relations entre l'administration fiscale et le contribuable. Il fallait d'abord mettre fin à certaines bizarreries. Ainsi, il n'y a plus deux poids et deux mesures : l'Etat créancier et l'Etat débiteur payent le même taux d'intérêt ! Il fallait aussi développer l'idée que le contribuable qui paye ses impôts est un client du service public : comme le client est roi, c'est le service public qu'il faut améliorer !

        Cette année, le contribuable recevra une déclaration préremplie par l'administration fiscale concernant ses salaires, retraites et indemnités journalières. La formule a été testée - et elle a un supporter enthousiaste en la personne du président Méhaignerie, puisque l'Ille-et-Vilaine a connu un taux de satisfaction remarquable ! Les déclarations arriveront au mois de mai plutôt qu'en mars. Cette amélioration du service public est due à la qualité de notre administration. Il est bon de rappeler que dans ce domaine, la modernisation, c'est tous les jours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. le Président - Je vois que le président Méhaignerie est effectivement très enthousiaste ! (Sourires)

        EMPLOI DES SENIORS

        M. Jean-Marie Rolland - Nous sommes tous mobilisés pour l'emploi. Nous avons mis en œuvre le plan de cohésion sociale et le plan de développement des services de la personne, créé les maisons de l'emploi, redynamisé l'apprentissage et institué le contrat nouvelles embauches. Les seniors, toutefois, continuent à rencontrer des difficultés particulières. Ils ressentent durement l'obligation de cesser leur activité alors qu'ils ont le sentiment d'être encore utiles à la société. Le plan de cohésion sociale comportait un volet spécifique sur l'emploi des seniors et prévoyait le lancement de négociations avec les partenaires sociaux, qui ont abouti le 13 octobre à un projet d'accord. Où en est-on ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

        M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Le 13 octobre, les partenaires sociaux ont en effet arrêté un projet d'accord extrêmement important, qui marque une rupture pour les plus de 50 ans. Nous sommes un des pays de l'Union européenne où le taux d'activité des plus de 55 ans est le plus faible. Trop longtemps, et dans un consensus général, nous avons fait de l'âge la variable d'ajustement de nos plans sociaux. Le Gouvernement accompagnera bien entendu l'accord qui va être signé dans quelques jours, au travers d'un plan national d'action que le Premier ministre présentera au début de février. Le projet d'accord des partenaires sociaux sera absolument respecté dans les domaines législatif et réglementaire : c'est l'esprit même du paritarisme.

        Nous avons mis en place un groupe de travail pour préparer le plan national d'action, auquel les présidents des commissions des affaires sociales de l'Assemblée, du Sénat et du Conseil économique et social participeront. Il faudra réfléchir au maintien dans l'emploi - gestion prévisionnelle, formation tout au long de la vie -, aux conditions de travail, au retour vers l'emploi - le régime d'assurance chômage en est un point essentiel, mais aussi le contrat de progrès Etat-ANPE - et enfin à l'aménagement de la fin des carrières - temps partagé, cumul emploi-retraite, tutorat. Il faudra aussi sensibiliser les entreprises et l'ensemble de nos concitoyens au fait que les seniors sont une chance pour notre économie et notre cohésion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

        DÉFICIT BUDGÉTAIRE

        M. Didier Migaud - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, pourquoi prenez-vous tant de liberté avec la vérité ? A moins que ce ne soit devenu un sport gouvernemental ? Après avoir salué le caractère pluraliste de la commission Pébereau, vous avez donné hier une lecture politicienne de ses conclusions ! Vous vous dites préoccupé par le poids de la dette : mais alors pourquoi poursuivez-vous une politique qui l'aggrave considérablement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La dette était de 58,5 % de la richesse nationale en 1997, de 56,2 % fin 2001 et de près de 66 % aujourd'hui ! Vous reprochez la dette aux socialistes, mais c'est depuis 2002 qu'elle explose ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous nous reprochez le poids excessif de la dépense publique, mais il a baissé entre 1997 et 2001 et il a remonté depuis ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous niez de la tête, Monsieur le ministre, mais ce sont les chiffres de votre ministère !

        Le gouvernement Jospin a montré qu'il était possible de mener des politiques de croissance, d'emploi et de solidarité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) sans dégrader les comptes publics. Vous invoquez toujours la croissance, mais elle est plus forte aujourd'hui, dans le monde, qu'à l'époque ! Vous aimez vous attarder sur le passé, Monsieur le ministre, mais vous êtes comptable du présent et des décisions que vous prenez. Vous menez une politique qui étouffe la croissance et hypothèque l'avenir en dégradant nos comptes. Il reviendra au gouvernement issu des élections de 2007 de réparer les dégâts de votre gestion injuste et imprévoyante.

        « Faites ce que je dis, mais surtout pas ce que je fais » ! La commission Pébereau recommande de ne pas baisser les impôts, mais vous proposez six milliards de réductions pour 2007 ! C'est électoraliste et irresponsable. Comment réduirez-vous alors la dette ? Par quels impôts, pesant sur l'ensemble des Français, allez-vous compenser une baisse ciblée pour les plus aisés ? Pourquoi présentez-vous un budget qui alourdit encore le déficit ? Comment pouvez-vous mener une politique totalement contraire à votre discours, et aux intérêts de la France et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

        M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - L'honneur de ce gouvernement,...

        M. François Hollande - L'honneur perdu !

        M. le Ministre - ..., c'est de se saisir des problèmes, ce que vous aviez précisément refusé de faire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous nous invitez à nous aligner sur le passé, mais vous savez fort bien qu'entre 1997 et 2002, vous n'avez pas eu le courage d'ouvrir le dossier de la dette (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) à la différence d'autres gouvernements européens qui ont su profiter d'une croissance de 3 % pendant cinq ans en Europe : la dette de l'Italie a ainsi diminué de 10 %, celle de l'Angleterre de 20 %, celle des Pays-Bas de 15 %, celles de la Belgique et de l'Espagne de 20 %. (Même mouvement)

        M. Augustin Bonrepaux - Répondrez plutôt à la question !

        M. le Ministre - En 2002, les seuls intérêts de la dette s'élevaient à 200 milliards auxquels se sont ajoutés les 100 milliards de dépenses supplémentaires liées au financement des 35 heures. (Même mouvement) Ce gouvernement a donc décidé de ne pas augmenter les dépenses en volume et de corriger vos erreurs historiques : la retraite à 60 ans décidée de façon unilatérale, les 35 heures, les nationalisations, l'embauche de 300 000 fonctionnaires entre 1981 et 2000. (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) Le Premier ministre a décidé de convoquer une commission des finances publiques où tout le monde pourra s'exprimer. Il prendra également un engagement chiffré afin de réduire la dette dans les cinq ans qui viennent.

        Croissance, emploi, réduction de la dette : tel est le triptyque de l'action gouvernementale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        OMC

        M. Olivier Dassault - Trop de malentendus demeurent et la mondialisation continue de faire peur. Encore une fois, à Hong-Kong, les altermondialistes, professionnels du désordre, ont montré un visage navrant en attisant les craintes pour faire parler d'eux. La libéralisation des échanges, ne leur en déplaise, est l'un des moteurs de la croissance et l'OMC permet de négocier afin d'œuvrer à la diminution de la pauvreté dans le monde. Contrairement aux idées simplistes, un échec de l'OMC ne ferait que creuser un peu plus le fossé entre le Nord et le Sud. Un accord, en l'occurrence, a heureusement pu être conclu.

        Certes, celui-ci prévoit la suppression des aides agricoles à l'exportation dès 2013, mais cette concession ne touche qu'une très faible partie de la PAC : grâce à la détermination de Mme la ministre déléguée au commerce extérieur et à M. le ministre de l'agriculture, nous avons pu protéger notre agriculture autant qu'il était possible.

        Il reste que les questions concernant les services et le textile sont toujours dans l'impasse alors que ce sont des sujets sensibles, compte tenu de la présence de la Chine au sein de l'OMC. En fait, ce compromis n'est pas favorable au développement des pays émergents, il avantage plutôt les puissances régionales comme le Brésil, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Argentine. Peut-on d'autre part faire raisonnablement confiance aux Américains, champions des aides déguisées, quand ils demandent d'accepter une baisse des subventions ? Nous jouons dans la même cour, mais pas avec les mêmes règles. Comment expliquer que le négociateur européen, M. Mandelson, ait cédé ? Où sont les concessions mutuelles et réciproques ? Qu'avons-nous obtenu en échange, nous, la France et l'Europe ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

        Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur - L'accord de Hong-Kong n'était pas acquis. Il n'est certes pas parfait, mais il préserve les intérêts de la France. La PAC est sauvegardée jusqu'en 2013, en parfaite cohérence avec les conclusions du dernier sommet de Bruxelles. Les autres pays, notamment les Etats-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada devront réformer toutes leurs aides, y compris celles qui sont déguisées, en vertu du principe du parallélisme de la renonciation aux aides à l'exportation.

        L'accord de Hong-Kong porte également sur une série de mesures en faveur du développement. Nous avons ainsi obtenu l'extension du principe « tout sauf les armes » permettant aux pays les plus pauvres d'exporter toute leurs productions vers les pays développés sans aucun droit de douane et sans contingentement. Cela est vrai pour 97 % de leurs exportations, alors que les Etats-Unis et le Japon, quelques jours avant Hong-Kong, étaient hostiles à un tel accord. Dans le secteur du coton, des avancées ont également été réalisées pour les pays africains. Les Etats-Unis se sont engagés à renoncer à soutenir leurs exportations de coton et laisseront entrer en 2008 toutes les productions de coton venant des pays d'Afrique. Les concessions doivent maintenant être rééquilibrées, en particulier dans le domaine des produits industriels et des services. Les pays émergents, emmenés par le Brésil, devront ainsi accepter de faire des concessions en réponse à celles que nous avons proposées dans le domaine agricole.

        Hong-Kong, ce fut le triomphe de la raison et de l'unité européenne. Comptez-sur Dominique Bussereau et sur moi-même : nous ne laisserons pas faire un Yalta entre les Etats-Unis et le Brésil sur le dos de l'Europe et de l'Afrique ! Nous serons vigilants et exigeants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ

        M. Sébastien Huyghe - Avant de poser cette question, qui sera la dernière de l'année, je vous souhaite à tous, ainsi qu'aux Français qui sont devant leur télévision, un joyeux Noël et de bonnes fêtes de fin d'année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

        Monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, vous avez présidé hier un comité interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires dédié aux pôles de compétitivité. Je m'étais particulièrement investi dans le soutien au pôle « Nutrition Santé Longévité »...

        M. Jean-Pierre Brard - C'est de l'auto promotion !

        M. Sébastien Huyghe - ...qui répond à des problématiques de santé publique touchant notamment la population du Nord-Pas-de-Calais. J'avais également appuyé avec force le pôle « Industries du Commerce », particulièrement innovant, dont l'un des objectifs consiste à faire de la métropole lilloise la Silicon Valley du commerce et de la distribution. Vous avez d'ailleurs pu vous rendre compte vous-même, lors de votre déplacement dans le Nord, le 1er septembre dernier, de l'importance de ces deux pôles pour Lille et sa région. Vous avez également pu constater l'implication dans ces dossiers des milieux économiques, de la chambre de commerce Lille-Métropole, du monde universitaire et de la recherche.

        Cependant, les contrats-cadres de ces deux pôles n'avaient pu être validés lors du CIACT du 14 octobre dernier. Le sont-ils à présent ? Pouvez-vous confirmer que les allègements de charges liés aux investissements de recherche et développement ainsi que les financements annoncés seront au rendez-vous ? Pouvez-vous, enfin, faire un bilan d'étape de cette politique gouvernementale de développement et d'attractivité de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. le Président - Permettez-moi d'associer toute l'Assemblée nationale ainsi que le Gouvernement aux vœux que vous venez de formuler à l'égard des téléspectateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire - Puisque je suis le dernier membre du Gouvernement à m'exprimer à la veille des fêtes de fin d'année, permettez-moi de présenter à mon tour les meilleurs vœux du Gouvernement aux Françaises et aux Français qui nous regardent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        Les pôles de compétitivité constituent, Monsieur le député Huyghe, une grande ambition pour le pays. Pour la première fois, nous avons réussi à décloisonner l'université, la recherche publique et privée et l'innovation industrielle pour créer de formidables synergies entre tous les acteurs, publics et privés. L'Etat engage un milliard et demi, dans ces opérations, et puisque Mme Lebranchu nous a invités à être consensuels, je reconnais bien volontiers que les collectivités territoriales dirigées par toutes les forces représentées sur ces bancs contribuent de manière non négligeable à la réussite des pôles. Le Premier ministre m'a demandé hier de présider un CIACT pour valider neuf pôles supplémentaires : sur les 66 sites labellisés le 12 juillet dernier, 64 disposent déjà de leur contrat cadre et de leur système de gouvernance. Tous les moyens sont définitivement engagés, même si quelques ajustements restent nécessaires pour simplifier certains mécanismes. Avec Nicolas Sarkozy,... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Jean-Pierre Brard - Que vient-il faire là ?

        M. le Ministre délégué - ...nous avons fait plusieurs propositions en ce sens au Premier ministre, et un nouveau CIACT se réunira début février pour proposer les indispensables simplifications.

        Vous qui avez, avec d'autres parlementaires du Pas-de-Calais, défendu plusieurs pôles importants en matière de nutrition, de santé, de longévité, d'industries de transport ferroviaire et de commerce, vous pouvez constater que le Gouvernement n'a pas perdu une seconde pour se mettre au service de l'emploi et de la compétitivité de nos territoires. C'est notre honneur que d'avoir su réveiller une sorte de génie français, qui avait dû finir par s'assoupir ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. Bonne année à tous !

        La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Bur .

        PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

        vice-président

         

        CONVOCATION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

        M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre un courrier m'informant qu'il demande la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2005.

        DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite)

        L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

        M. Christian Paul - Rappel au Règlement. Le groupe socialiste n'a pris connaissance que ce matin de l'amendement 228 présenté par le Gouvernement après l'article 14. Il est profondément choquant que cet amendement, présenté comme une première en Europe, sinon dans le monde, et qui restera dans l'histoire comme « l'amendement Donnedieu de Vabres », nous soit communiqué aussi tardivement. La commission des lois ne l'a pas examiné, comme me le confirme M. Bloche. Les ersatz de concertation qui ont eu lieu depuis ces dernières semaines n'ont pas permis le débat.

        Cet amendement dessaisit le juge de son rôle dans l'appréciation des infractions au droit d'auteur et des poursuites à engager à l'encontre des internautes, ce qui est particulièrement préoccupant. Son pouvoir est transféré à une autorité administrative - laquelle reste d'ailleurs à créer. En raison de l'extrême gravité de ces propositions, le groupe socialiste souhaite que le Garde des Sceaux soit présent lors de l'examen de l'article et de l'amendement concernés.

        Par ailleurs, relisant le compte rendu analytique de la séance d'hier soir, nous y avons relevé des propos blessants à l'égard de plusieurs de nos collègues, notamment des jugements de valeur sur leurs propos, formulés en des termes dont devrait se garder tout ministre, en particulier de la culture, dans l'hémicycle. Le sujet que nous abordons est délicat, ce dont témoignent les clivages qu'il suscite sur tous les bancs. Lorsque des points de vue aussi différents s'affrontent, le respect de tous s'impose.

        Permettez-moi de vous lire quelques lignes : « La ligne Maginot que veut mettre en place le projet de loi sur le droit d'auteur dans la société de l'information nous semble incohérent avec les positions historiques de la France en ce domaine, inadapté au regard de nouvelles pratiques numériques et techniques dangereuses. C'est une occasion manquée, deux cents ans après l'apport des Lumières, de donner l'exemple d'un droit adapté à l'économie numérique. On a préféré favoriser le maintien d'oligopoles apôtres de l'obscurantisme technologique. » Ces propos, qui émanent de M. Bernard Carayon, député UMP du Tarn, j'aurais pu les tenir à la virgule près, hier soir, en défendant la question préalable. Je n'en tire pas avantage, de même que, je l'espère, vous n'aurez pas l'inélégance de le faire de telle ou telle déclaration de responsable socialiste.

        Nous sommes tous partagés sur ce texte. Il y aura débat. Celui-ci exige respect et tolérance. J'espère, Monsieur le ministre, que les mots blessants que vous avez prononcés hier soir vous ont échappé et que nous saurons, tout au long de ce débat, entendre les points de vue des uns et des autres.

        M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - La réponse graduée ne dessaisit le juge en aucune manière. (M. Christian Paul fait un geste de dénégation) C'est une innovation qui permet de sortir par le haut de l'antagonisme stérile entre la dérégulation totale de la jungle et la seule répression pénale. Nous avons bien sûr travaillé sur ce sujet en étroite concertation avec la Chancellerie, et ma proposition n'engage pas que le ministre de la culture, elle engage l'ensemble du Gouvernement.

        Je rappelle par ailleurs que la directive en question a été négociée par un gouvernement de gauche entre 1997 et 2001. D'où ma surprise devant certains propos. A ce stade, je formule le souhait qu'il y ait davantage de consensus dans la suite de notre débat. Vous me reprochez d'avoir réagi hier soir avec vivacité. Mais il est vrai que je n'ai pas l'impression, avec ce projet, de mener une « croisade répressive ». C'est pourtant en ces termes que vous avez qualifié mon action.

        L'hémicycle est un lieu de débat où s'exprime la passion politique. J'espère qu'au-delà de vous, parce que je n'espère plus vous convaincre, ceux qui nous écouteront et nous liront comprendront que le projet du Gouvernement représente un point d'équilibre. Vous avez cité un député UMP, je pourrais citer un ancien ministre de la culture socialiste qui a un autre avis que le vôtre, ou encore un grand responsable de collectivité territoriale qui exerce d'éminentes responsabilités au parti socialiste... (M. Mathus s'exclame) Vous avez cité Bernard Carayon. Pour que les choses soient claires, je pense à Jack Lang et Anne Hidalgo. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

        J'espère que, dans le respect de nos différences, nous aurons tous à cœur d'expliquer les enjeux à nos concitoyens, car il nous faut faire œuvre de pédagogie sur le sujet.

        M. Didier Mathus - Le ministre vient d'évoquer la position d'une personnalité socialiste fort respectable, laissant entendre que nous n'exprimerions pas ici la voix unanime du groupe socialiste. Le groupe, après débat, a pris position à l'unanimité. C'est cette position que nous défendons. Pour que vous en soyez assurés, je demande une suspension de séance le temps de faire venir le président de notre groupe.

        M. le Président - Nous vous croyons sur parole. Vous n'avez de toute façon pas, Monsieur Mathus, délégation pour demander une suspension de séance.

        M. Patrick Bloche - Mais, moi je l'ai !

        M. Christian Paul - Ne commencez pas ainsi, Monsieur le Président !

        M. le Président - Je ne commence rien. Je fais appliquer le Règlement. La parole est à M. Dionis du Séjour, pour ouvrir la discussion générale.

        M. Jean Dionis du Séjour - Permettez au rapporteur de la loi sur la confiance dans l'économie numérique de faire part de son expérience, puisqu'il s'agissait là aussi de transposer avec beaucoup de retard une directive européenne d'apparence technique, mais qui soulevait, comme le présent projet, des problèmes éminemment politiques.

        Le présent texte pose la question - majeure pour une société démocratique - de la diffusion de la culture et du financement de la création. Il concerne aussi un grand nombre de citoyens, dont la vie quotidienne peut être modifiée par ses orientations. Enfin, il se situe en aval d'un bouleversement technologique, l'internet, aussi important que purent l'être l'écriture et l'imprimerie.

        Ce projet de loi a donc pour mission de définir les règles du jeu entre les créateurs et les consommateurs de culture. La plupart des pays de l'Union européenne ont traité ce problème, le Gouvernement le fait avec plus de deux ans de retard. Selon le groupe UDF, ce projet méritait d'autres conditions de débat.

        Nous délibérons dans une ambiance de pré-vacances, et de surcroît dans l'urgence. Ce choix crée un climat de méfiance et ne laisse pas le temps de rechercher un consensus de qualité. La loi d'économie numérique dont les travaux ont commencé en janvier 2003 n'a été votée qu'en juin 2004, après deux lectures dans chacune des chambres, ce qui a permis une lente amélioration du texte.

        Enfin et surtout, le nombre et l'importance des amendements déposés hier alors que la discussion avait commencé compromettent la qualité et la sérénité des débats. Ces amendements, dont l'analyse par notre groupe ce matin, a confirmé à la fois l'importance - création de l'autorité de médiation, dispositif de la réponse graduée - et les imperfections, nécessitent un examen approfondi en commission. Le groupe UDF votera donc la motion de renvoi et propose au rapporteur de réunir la commission en urgence jeudi matin.

        M. Christian Paul - Très bien !

        M. Jean Dionis du Séjour - Sur le fond, notre groupe s'est efforcé d'apporter une réponse politique aux problèmes politiques créés par le tremblement de terre que constitue l'internet. Les objectifs que nous nous fixons sont de protéger et de promouvoir la création culturelle au moment où l'internet devient le média majeur de diffusion ; de favoriser l'émergence d'un nouveau modèle de diffusion culturelle fondé principalement sur l'internet, facile d'accès et à faible coût.

        Le groupe UDF s'est attaché à modifier certains aspects essentiels de ce texte, dont les exceptions aux droits d'auteurs et droits voisins. La directive ouvrait de nombreuses possibilités dans ce sens, votre projet a été prudent et vous avez préféré être le ministre des professions culturelles. Nous vous demanderons d'être également le ministre de la communication, ainsi que celui de tous les internautes français.

        Nous mettrons tout particulièrement l'accent sur l'accès à la culture numérique des personnes handicapées. La représentation nationale se doit de faire un geste fort, notamment en faveur des non-voyants, à la hauteur de l'engagement du Président de la République et de la loi handicap. L'amendement que nous présenterons à l'article 21, relatif au dépôt légal numérique, promeut l'accès des non-voyants à la lecture. La technique offre maintenant la possibilité de rendre la lecture sonore ou tactile : quelle belle révolution ! Mais pour alimenter ces fichiers sans passer par la saisie manuelle ou par le scanner, il serait souhaitable que les bibliothèques sonores reçoivent directement les fichiers numérisés.

        Nous voulons également prendre position sur le statut juridique du téléchargement. Constatant la pratique massive du téléchargement illégal, des acteurs du monde culturel, relayés par certains de nos collègues, se sont fait les avocats de la solution dite de « licence légale », qui autoriserait le téléchargement gratuit en contrepartie du versement d'une taxe additionnelle à l'abonnement à l'internet. Il s'agit d'une fausse bonne idée.

        M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Très bien !

        M. Jean Dionis du Séjour - En effet, c'est une taxe supplémentaire, qui concerne potentiellement plus de 20 millions d'internautes pour un montant évalué par la SPEDIDAM à 6,90 euros par mois. Ses promoteurs, qui sentent bien qu'elle serait difficile à avaler par les internautes, la présentent désormais comme une taxe optionnelle.

        Soyons sérieux ! Imaginons que 50 % des internautes qui téléchargent acceptent de s'acquitter de cette taxe. En l'absence de contrôles, ce taux de 50 % s'effondrera de lui-même et rien ne sera résolu. Si on contrôle, alors comment repère-t-on les fraudeurs - environ 4 millions d'internautes -, qui s'en charge, et sur quelle base légale ? Ayons le courage intellectuel de reconnaître que l'habillage optionnel est une plaisanterie.

        Mme Christine Boutin - Un peu de respect, voyons !

        M. Jean Dionis du Séjour - le groupe socialiste n'en a pas fait preuve hier à mon égard. Il faut assumer le choix d'une taxe additionnelle sur l'ensemble des internautes, qui existe d'ailleurs sur les supports vierges, sans la diaboliser. Mais si nous nous posons la question de ses avantages et de ses inconvénients, ceux-ci nous paraissent l'emporter.

        D'abord cette taxe serait aussi acquittée par les internautes français qui ne téléchargent pas et pour qui l'internet représente seulement la messagerie et la consultation d'informations en ligne. A-t-on imaginé ce que sera leur réaction lorsqu'on leur demandera de payer 6,90 euros, soit une augmentation d'environ 33 % de leur forfait ? Cela serait un contresens social et une aberration.

        Mais la cerise sur le gâteau, c'est la répartition de cette redevance légale. Les promoteurs de ce système, quelque peu kolkhozien, imaginent une caisse de répartition aux règles de redistribution approximatives, car non corrélées à la réalité de la consommation en ligne. Si l'on considère en outre que ce système est contraire au droit européen, il convient de ne pas chercher la solution de ce côté-là.

        Nous estimons à l'UDF qu'il est nécessaire de développer des plates-formes légales, seules à même de garantir une rémunération juste de tous les auteurs et ayants droit. Est-ce à dire que « tout, va très bien Madame la Marquise » ? Non, nous sommes encore très loin d'un système populaire, auquel adhèreraient les millions de personnes habituées au téléchargement gratuit.

        Comment les persuader d'utiliser les plates-formes légales ? D'abord en baissant les prix : vous aurez, Monsieur le ministre à prendre des mesures incitatives dans ce domaine. Le mouvement consommateur français et le conseil de la concurrence seraient bien inspirés de s'intéresser à ce problème. Ensuite, en proposant de vrais catalogues : comment expliquer que les enregistrements des Beatles ne soient pas accessibles ? Est-il logique que la durée de protection soit de soixante-dix ans après la mort de l'auteur ? Il faudra avoir un jour le courage de modifier la directive européenne qui nous l'impose.

        S'agissant des mesures techniques de protection et d'information, elles ne doivent en rien être une machine de guerre contre les logiciels libres, et nous serons vigilants à ce que les droits de ceux-ci soient garantis. Nous avions trouvé, à l'occasion de la loi sur l'économie numérique, des amendements de consensus.

        Enfin, concernant nos chères, très chères sociétés de perception et de répartition des droits, à peine effleurées à l'article 19, que penseriez-vous d'une pompe qui ne restituerait que 84 % de l'énergie fournie ? Tout ingénieur conviendrait qu'il y a bien des choses à rectifier. C'est le cas de la Sacem, dont les frais de gestion ont atteint 15,7 %. Notre amendement à l'article 20 propose donc d'instaurer un contrôle de la Cour des comptes sur ces sociétés.

        Nous présentons également un amendement visant à rendre publics les débats de la Commission pour Copie Privée. Enfin, nous vous proposons de procéder à quelques petits réglages de la loi Lang, en portant de 25 % à 30 % la part de la rémunération consacrée au soutien à la création artistique.

        Ne bâclons pas ce débat, écoutons-nous sans nous traiter de noms d'oiseaux, ne nous transformons pas en prophètes de la venue d'un hypothétique Big Brother. L'UDF pense qu'un modèle nouveau de diffusion culturelle est possible avec l'internet, mais attendra de voir le sort réservé à ses amendements pour se prononcer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

        M. Frédéric Dutoit - Ce texte revêt une importance particulière et marque une étape décisive dans le développement du modèle libéral de marchandisation progressive de la culture et de l'information. Des associations de consommateurs aux bibliothécaires, des présidents d'université aux associations d'élus locaux, nombreux sont ceux qui le jugent sévèrement et en ont demandé le retrait.

        Que nous propose-t-on sinon de ratifier une mise sous tutelle des technologies de diffusion de la culture et de l'information, au nom des appétits de ceux qui entendent faire de la maîtrise de la propriété informationnelle la source de leur pouvoir et de leurs profits ?

        Vous avez estimé, Monsieur le ministre, que les opposants à votre projet de loi versaient dans la caricature, mais l'on pourrait aisément vous opposer le même grief. N'est-il pas caricatural en effet de faire reposer le prétendu équilibre de ce texte sur les intérêts individuels des ayants droit et de privilégier ainsi un équilibre purement contractuel, alors que l'équilibre du droit d'auteur français actuel repose lui, avant tout, sur la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques ? Notre droit veut en conséquence qu'une fois l'oeuvre divulguée, l'auteur ne puisse interdire au public certains actes, comme la lecture, la copie privée, la courte citation ou le détournement parodique. Vous allez rater une occasion unique, Monsieur le ministre, de réconcilier le consommateur avec le droit d'auteur. Et votre montage juridique, destiné à protéger des oligopoles dépassés par le progrès technique, va fragiliser la diversité culturelle.

        N'est-il pas également caricatural de présenter les internautes qui se livrent à des téléchargements illégaux comme des délinquants et de vouloir assimiler leurs actes à de la contrefaçon ? Vous vous êtes finalement rangé en dernier recours à l'idée d'une réponse graduée, mais cette formule laisse néanmoins pendante la question de savoir qui contrôle qui et à quelles fins de surcroît sans revenir sur la qualification des faits ?

        N'est-il pas caricatural enfin que d'avoir délibérément choisi de faire du verrouillage la condition sine qua non de la sauvegarde de la création ? De faire entrer les droits de propriété dans la sphère privée ? De ne prévoir aucune exception aux droits exclusifs - mise à part une timide mesure en faveur du handicap - quitte à condamner nos bibliothèques, nos universités, nos centres de documentation et de recherche à négocier âprement et en position de faiblesse avec ceux qui ont vu quel marché colossal pouvait représenter la mise sous tutelle de l'internet ?

        Ces derniers ont bien compris que le virage du numérique pouvait permettre d'en finir avec les notions de prêt gratuit ou de libre droit de citation. Vous leur donnez ici satisfaction. Ainsi, le bien culturel, qui, à l'UNESCO, a échappé à la marchandisation mondiale et intégrale y retomberait dans l'hexagone à la faveur de cette loi !

        Certes, le droit d'auteur, qui est un acquis fondamental de 1791, doit être préservé et oui, il faut mieux protéger les auteurs, mais, non, le droit d'auteur n'est pas le droit du propriétaire ! C'est toute la différence précisément entre le droit d'auteur et le copyright. Or, ce que vous proposez dans ce texte consiste ni plus ni moins à assimiler le droit d'auteur à un brevet. Le fait d'autoriser les grands éditeurs à décider seuls de la diffusion de savoirs numériques n'est pas sans rappeler cette piraterie légalisée que constitue l'exploitation des brevets dans le domaine des biotechnologies. C'est le même processus, qui consiste à favoriser l'appropriation par les multinationales de ce qui constitue un patrimoine commun, en l'occurrence le patrimoine culturel.

        Il est illusoire de penser que le développement des systèmes de gestion des droits numériques et de tous les systèmes de surveillance technique des usages individuels garantiront demain une rémunération plus équitable des auteurs. Certains d'entre eux le croient, mais ils oublient de considérer que les fameuses « mesures techniques » favoriseront une concentration accrue de l'effort commercial sur un petit nombre de contenus.

        Les coûts engendrés par ces mesures de gestion et de surveillance ne pourront être assumés que par les grands groupes de ce qu'il est convenu d'appeler l'industrie culturelle, favorisant là encore les phénomènes de concentration. Pourquoi croyez-vous qu'une bonne part de l'industrie culturelle défend ce texte ? Dans l'intérêt des auteurs ? Ce serait très nouveau!

        Avec ce projet, le Gouvernement fait fausse route. La sagesse aurait été de le retirer pour engager une réflexion plus approfondie sur la façon de mieux protéger les droits d'auteur dans le cadre de l'essor des échanges numériques en ligne, car la question se pose, nul ne le nie.

        Je ne sais pas si la solution alternative, souvent proposée, de la licence légale, qui repose sur l'idée de mutualiser le financement social de la création, constitue la réponse appropriée...

        M. Jean Dionis du Séjour - Non.

        M. Frédéric Dutoit - Des points importants resteraient à éclaircir mais elle s'impose sans doute comme la voie la plus crédible et la plus favorable à l'immense majorité des créateurs.

        Deux cents ans après l'apport des Lumières, ce projet de loi représente une occasion manquée de donner l'exemple d'un droit adapté à l'économie numérique. Le Gouvernement a préféré favoriser le maintien d'oligopoles apôtres de l'obscurantisme technologique. Cela devrait aussi nous faire réfléchir à l'opportunité de réglementer l'action des lobbies - comme elle l'est dans de nombreux pays et à la Commission européenne - afin que l'objectif de la loi reste l'intérêt général.

        Nous voterons bien évidemment contre ce texte.

        M. Dominique Richard - La loi de 1985 prévoit que les trois quarts des sommes perçues par les sociétés de gestion collective, au titre de la rémunération pour copie privée, sont destinés aux auteurs ; les 25 % restants sont affectés « à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation d'artistes ». En clair, c'est la diversité de la création et l'animation culturelle sur tout le territoire qui sont ainsi alimentés.

        Simultanément, notre société est en train de connaître une révolution technologique, dont une étude du CNC et de l'Association de lutte contre le piratage audiovisuel nous donne la mesure : deux films sont copiés pour un billet de cinéma vendu ; 1 million de titres DVD sont échangés chaque jour, soit trois fois les ventes vidéos ; 38 % des films sortis dans les salles françaises sont piratés sur internet. Un film piraté est d'ailleurs disponible sur internet en moyenne quarante-cinq jours seulement après sa sortie en salle. Pire, un tiers d'entre eux est disponible avant même la sortie en salles. Enfin, presque tous les films sont disponibles avant leur sortie vidéo.

        Le système d'échange de pair à pair séduit énormément, notamment les jeunes qui découvrent ainsi le faux eldorado de la musique gratuite et du film gratuit en format numérique, c'est-à-dire d'une qualité comparable à l'œuvre originale. Ce système a toutes les apparences d'un accès facilité et démocratisé à la culture ; il serait l'expression d'une liberté accrue. Mais de quelle liberté parlons-nous ? Celle du renard dans le poulailler ou bien celle qui a permis aux créateurs français de proposer un foisonnement d'œuvres, qui ne soient pas soumis aux fourches caudines du formatage universel ? Qui est le plus libre, du consommateur français, qui aujourd'hui trouve dans les bacs de son disquaire 60 % d'œuvres originales françaises, ou du consommateur allemand, qui ne trouve que 25 % d'œuvres allemandes ?

        Si nous ne faisons rien, le plus grand risque est tout simplement que la source de la création dans notre pays s'assèche. Les conséquences seraient mortelles pour le rayonnement de notre pays dans un monde déjà nettement pénétré par une culture dominante. Cela serait la négation du superbe succès obtenu par la France en faisant adopter la Convention de l''UNESCO sur la diversité culturelle. Si la France a su montrer la voie à l'UNESCO, pourquoi ne serait-elle pas à nouveau le précurseur d'un mouvement appelé à s'internationaliser ?

        A l'UMP, nous sommes extrêmement attachés à la protection de notre système français de filière de création, d'une part, au principe de rémunération pour copie privée, d'autre part.

        Contre le piratage des œuvres, il faut en appeler à une attitude responsable et la présenter comme une chance pour la création et la diversité, alors que la gratuité est en fait un leurre, une sorte de ver dans le fruit appétissant. Mais ne confondons pas l'internaute négligent et le véritable contrefacteur. La dépénalisation de l'usage de bonne foi nous invite à adopter un système de réponse graduée et sans doute à marquer notre volonté de rendre responsables les éditeurs de logiciels permettant l'échange en "peer-to-peer". Selon un sondage récent de l'IFOP, deux tiers des personnes interrogées estiment que ces éditeurs sont responsables des violations des droits d'auteur et 88 % d'entre elles sont favorables à ce que ces éditeurs prennent des mesures garantissant le respect du droit d'auteur. C'est la meilleure réponse aux sirènes qu'on voudrait nous faire entendre et c'est la marque d'une grande maturité des Français vis-à-vis du respect de l'œuvre.

        Notre groupe soutiendra donc la proposition du Gouvernement de recourir à une procédure de réponse graduée. Cette mesure est à même de dissuader l'internaute simplement négligent et constitue parallèlement la meilleure façon d'accélérer la mise en œuvre des offres légales.

        D'autres aspects du texte sont également importants. La représentation nationale ne peut accepter l'idée selon laquelle le fabricant ou le distributeur pourraient confisquer une œuvre en ne la rendant pas accessible, quel que soit le mode de lecture. Ce n'est pas notre conception de la culture que de voir l'œuvre devenir l'accessoire du support ! L'article 9 apportera une réponse. Dans le même esprit, l'amendement introduit par le Gouvernement à l'article 7 renforce considérablement la liberté d'utilisation des logiciels.

        Il faut valoriser les plateformes légales de téléchargement, qui sont l'avenir du marché, en leur donnant les moyens de présenter une solution alternative viable et plus attrayante que le piratage. On défendra ainsi le principe de neutralité technologique tout en protégeant le consommateur, qui ne doit être l'otage d'aucun fabricant.

        Pour autant, ces dispositions ne doivent pas fragiliser l'économie étroite des chaînes de télévision payantes - notamment thématiques. De même, je vous proposerai par amendement de faire respecter le droit à copie privée afin que les fournisseurs ne soient pas tentés de demander aux chaînes d'empêcher l'enregistrement d'un programme diffusé sur les chaînes numériques : la permanence du « double signal » doit être garantie.

        Enfin, toutes les parties concernées doivent être associées à l'application de cette loi. Après la Charte dédiée à la musique en ligne en 2004, vous récidivez par l'accord signé hier avec les organisations du cinéma et de l'audiovisuel, succès considérable dont nous vous félicitons.

        Chaque fois qu'elle peut aboutir, la contractualisation est préférable à la voie législative ou règlementaire. Ainsi, grâce à l'action commune que vous avez menée avec le ministère de l'éducation nationale et les efforts consentis par les sociétés de perception de droits, l'exception pédagogique est facilitée. De même, des accords interprofessionnels devraient permettre de reconnaître aux producteurs de spectacles vivants un droit voisin sur les œuvres de perception de droits.

        Votre texte est bon, Monsieur le ministre, car il est le fruit d'une profonde concertation et d'une adhésion très majoritaire des professionnels. Il est conforme à la tradition française qui magnifie l'œuvre, résultat unique de la fécondation des talents. Refuser sa banalisation, c'est assurer la régénérescence de la création - donc de l'esprit de liberté - et l'émergence de nouveaux auteurs. Le groupe UMP votera donc votre projet avec l'intime conviction d'avoir adapté l'évolution des technologies à la création, tout en garantissant la sécurité des consommateurs face à une offre élargie (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

        M. Didier Mathus - Nous sommes saisis, dans une étrange urgence, de ce projet de transposition d'une directive européenne datant de plus de trois ans. Hier, avec la modestie qui vous caractérise, Monsieur le ministre, vous nous parliez d'un projet « historique » ; le rapporteur, quant à lui - historien désormais reconnu... - évoquait un projet « modeste ».

        Qui dit vrai ? C'est en effet un projet historique, pour trois raisons. Tout d'abord, c'est le projet des occasions manquées : après en avoir hérité de votre prédécesseur, vous avez attendu dix-huit mois sans engager le moindre débat avec les acteurs concernés et laissé le texte évoluer vers toujours plus de répression, sans saisir la chance de vous présenter à ce rendez-vous précisément historique de la dématérialisation des œuvres culturelles. Alors que la révolution numérique transforme sous nos yeux le monde de l'esprit, vous ne faites qu'agiter votre bâton de gendarme. Est-ce une posture historique ou modeste ?

        M. Christian Paul - C'est de l'ignorance !

        M. Didier Mathus - Ensuite, on a rarement vu un texte dont la préparation a autant subi la pression directe des lobbies, déployés sans vergogne au sein même de l'Assemblée - des représentants commerciaux de plateformes de téléchargement arboraient même hier les badges de votre ministère jusque dans la salle des conférences, ces mêmes badges que portent aujourd'hui les collaborateurs qui vous assistent en séance.

        M. le Rapporteur - Un peu de respect !

        M. Didier Mathus - La présence ici même des lobbies est choquante et sans précédent !

        M. Bernard Carayon - Ce n'est pas convenable ! Vous n'avez pas le droit d'attaquer les fonctionnaires !

        M. Didier Mathus - Cet épisode n'est pas anecdotique et doit nous faire réfléchir à une réglementation de l'action des lobbies auprès de la représentation nationale - ce qu'ont déjà fait toutes les démocraties. Quant au côté baroque de l'urgence, la commission s'est déjà réunie pour préparer la prochaine transposition alors que nous adoptons seulement celle-ci...

        Vous choisissez systématiquement les options les plus répressives à l'égard des internautes, et les plus complaisantes à l'égard des intérêts financiers des industries culturelles - sur ce point, la comparaison avec la transposition déjà effectuée dans vingt autres Etats membres est lumineuse. Si l'on adoptait ce texte en l'état, notre pays se retrouverait quelque part entre la Corée du Nord et l'Ouzbékistan...

        M. Jean-Marc Roubaud - C'est de la provocation !

        M. Didier Mathus - L'échange des fichiers numériques à des fins non commerciales est essentiel à la circulation de l'intelligence. Le plébiscite du « peer-to-peer » est mondial et fulgurant. Près de neuf millions d'internautes français l'utilisent et trois milliards de fichiers sont échangés chaque mois dans le monde. Comment consolider ce fabuleux outil de diversité culturelle tout en assurant la juste rémunération des créateurs ?

        Personne ici ne défend l'utopie de la gratuité, qui peut être destructrice - le terme même n'en est pas pour autant un gros mot, comme certains ici semblent le croire... Mais vous répondez à cette question comme les majors du disque et du cinéma : par la répression et l'interdiction, au risque d'esquisser une société orwellienne où les grands industriels contrôleraient la circulation de la matière grise par une sorte de droit de péage - les DRM. Quel étonnant cadeau de Noël vous faites à Microsoft, et à ces autres PME dans le besoin que sont Sony, Vivendi ou EMI...

        Il aurait pourtant fallu accorder plus d'attention à ce sujet, au lieu d'un examen dans l'urgence. Le président de l'Union syndicale des magistrats, M. Barella, qui n'a pas la réputation d'être un dangereux libertaire...

        M. Bernard Carayon - Non, mais c'est un militant socialiste !

        M. Didier Mathus - ...déclarait récemment qu'en revenant sans cesse sur les droits du public au prétexte de lutter contre la contrefaçon, on fait du partage de la musique un acte politique. En effet, peut-on mettre hors la loi toute une génération au nom de modèles économiques obsolètes - la préservation des intérêts de l'oligarchie ?

        Il y a quelques mois déjà, la campagne irresponsable du SNEP sur le téléchargement a donné des multinationales du disque une image étrange... A-t-on jamais vu des industriels partir en guerre contre leurs clients ?

        M. Christian Paul - Voilà la croisade !

        M. Didier Mathus - A cet égard, l'article 9 de la loi d'août 2004 confiant à des sociétés privées le privilège exorbitant...

        M. Christian Paul - Et liberticide !

        M. Didier Mathus - ...de dresser des fichiers de contrevenants est une faute grave. Pour la première fois en France, des sociétés privées se substituent à l'Etat pour établir des listes peu fiables de présumés coupables... Cette privatisation lourde de menaces entraîne des actions judiciaires qui ressemblent à la décimation des légions romaines : on prend un téléchargeur au hasard en espérant que son châtiment en place publique soit dissuasif.

        M. Christian Paul - C'est le pilori !

        M. Didier Mathus - C'est un procédé inacceptable dans une démocratie comme la nôtre.

        Votre grande invention d'hier soir, c'est la « riposte graduée » : vocabulaire militaire bien surprenant, quand on sait que c'est M. McNamara qui l'employa pour qualifier la stratégie de réponse atomique des Etats-Unis pendant la guerre froide. Vos rapports avec les internautes s'apparenteraient-ils donc à une guerre atomique ?

        M. Jean-Marc Roubaud - Quel raccourci !

        M. Didier Mathus - Pourquoi cette obstination à imposer sans débat une loi unilatérale, dans la discrétion espérée de la trêve de Noël ? Vous voulez imposer à neuf millions de consommateurs, aux bibliothèques publiques, aux présidents d'universités, aux enseignants-chercheurs et à nombre d'artistes une législation à contre-courant de l'époque et du bon sens. Ce texte bouleversera la vie quotidienne de millions de consommateurs et dominera pour longtemps l'évolution des comportements culturels. Un authentique débat est indispensable et ne doit pas se limiter aux cercles familiers des couloirs de votre ministère.

        L'industrie du disque tente d'obtenir une interdiction générale de l'échange de fichiers pour préserver sa rente de situation. Dissimulée derrière le masque périmé du droit d'auteur exclusif, elle a pu enrôler dans cette douteuse croisade quelques créateurs de bonne foi, mais il faudrait pour imposer ce modèle mettre en place un arsenal techno-totalitaire qui permettrait de contrôler l'ensemble des échanges sur internet - et se retournerait rapidement contre les créateurs. Il est aberrant de vouloir retourner la technique contre la technique, et consternant que le ministère de la culture ait cédé à cette tentation sans issue, qui imposera une surenchère sans fin. L'amendement dit « Vivendi-Sacem », par exemple, déjà relayé dans nos couloirs, aboutirait à l'interdiction des logiciels non équipés de mesures techniques de protection, c'est-à-dire à la mort des logiciels libres : on livrerait ainsi internet à Microsoft et à quelques grands industriels américains.

        M. Carayon écrivait dans son rapport sur la politique industrielle que l'industrie du logiciel est aux mains de quelques grands éditeurs américains, et que l'éclosion d'une industrie du logiciel libre permettrait à l'Europe de reprendre l'initiative en la matière.

        Mme Christine Boutin - Il a raison !

        M. Didier Mathus - Cette fuite en avant dans l'illusion du tout répressif, qui placerait la France dans un position marginale dramatique - imagine-t-on que, seule au monde, la France interdise Linux et ses dérivés ? - menace les libertés, notamment le droit à la copie privée. Reconnu en 1985 comme une liberté nouvelle, il a été systématiquement bafoué - sans réaction des gouvernements - par les majors du disque. La plupart des dispositifs de protection mis en place par EMI, par exemple, rendait impossible l'exercice pourtant légal de la copie privée et interdisait même de facto la lecture des CD sur de simples autoradios !

        C'est ce qui s'appelle escroquer sans vergogne le consommateur. Pourtant, la puissance publique est restée étrangement inerte face à ce manquement manifeste à la loi. Cette disposition a été contestée devant les tribunaux, jusqu'au jugement de la Cour d'appel de Montpellier rappelant que la copie privée à usage familial sans but lucratif était un droit. Les consommateurs tolèreront-ils longtemps d'acquitter une taxe sur les supports vierges pour un droit à la copie privée qui leur est interdit dans les faits ? Je rappelle que cette taxe rémunère les ayants droit et leur rapportera vraisemblablement en 2005 près de 200 millions. Le droit à la copie privée a été une conquête et sa remise en cause, entérinée par ce projet, constitue un recul. Ne nous dites pas, Monsieur le ministre, que votre projet garantit ce droit.

        M. le Ministre - Si !

        M. Didier Mathus - En soumettant ce droit au filtrage des DRM, c'est-à-dire à trois groupes industriels - Microsoft, Intertrust et Realnetworks - vous leur donnez le droit de vie et de mort sur la copie privée et sur l'ensemble des contenus du net.

        La liberté individuelle est également remise en cause à travers la protection des données personnelles, et tout d'abord avec le transfert à des sociétés privées de prérogatives jusque là accordées à la seule puissance publique par la loi « informatique et libertés ». J'ajoute que les sociétés de gestion de droits auxquelles ce privilège déraisonnable a été accordé sous-traitent elles-mêmes cette tâche à des sociétés prestataires. Ainsi, ce qui relève des missions régaliennes de la puissance publique est en réalité effectué par des entreprises privées, souvent étrangères. Chaque fois que nous pourrons remettre en cause cette disposition scélérate, nous le ferons. L'implantation des DRM constitue également une menace. Qui pourrait être assez naïf pour s'imaginer que Microsoft ou Sony implantent des DRM sur des œuvres numériques afin de venir en aide à l'héritage de Beaumarchais et de protéger le droit d'auteur exclusif ?

        Le libre accès à internet est également remis en cause. La capacité donnée au juge d'ordonner à un fournisseur d'accès d'interrompre l'accès à un contenu illicite ne peut se faire qu'en bloquant la totalité de l'accès, ce qui portera gravement préjudice aux personnes concernées. A l'heure où la réflexion sur la fracture numérique conduit certains à proposer un droit garanti à un minimum de bande passante, cette disposition est particulièrement choquante. La voie que vous avez choisie est donc dangereuse, liberticide, trop liée aux stricts intérêts de l'oligarchie des industries des contenus et des logiciels pour que nous puissions vous suivre. Rien ne peut nous faire admettre que l'influence de ces industries puisse déterminer la norme de la morale et du droit au détriment des consommateurs, des créateurs et de l'amélioration du bien-être collectif.

        M. Jean-Marc Roubaud - Blablabla !

        M. Didier Mathus - Par nos amendements, nous proposerons donc un cadre juridique pour prendre acte du bénéfice qu'apporte le peer to peer aux échanges culturels, pour le sécuriser juridiquement et pour définir un mécanisme de rémunération des créateurs. Nous proposerons également de distinguer la musique du cinéma et d'instituer un forfait optionnel sur les abonnements auprès des fournisseurs d'accès permettant d'alimenter le fonds de répartition de la copie privée pour la rémunération des créateurs. Les mécanismes de financement du cinéma sont complexes, les enjeux économiques sont considérables et nous avons pu maintenir une industrie nationale du cinéma grâce à des dispositions sophistiquées comme la chronologie des médias qu'il serait dangereux de bouleverser. Par ailleurs, le téléchargement de film n'apporte pas de valeur ajoutée à l'exploitation standard en salle ou en DVD, contrairement à la musique. De ce point de vue, le téléchargement de film rejoint effectivement la contrefaçon, ce qui n'est pas le cas de la musique. Nous voyons bien que le succès du peer to peer est essentiellement dû aux possibilités nouvelles et à l'élargissement considérable de l'offre qu'il induit face à une industrie très concentrée : quatre multinationales dominent aujourd'hui 80 % du marché mondial de la musique, avec une production formatée, standardisée à l'extrême et qui s'est donc appauvrie au fil des concentrations. Le peer to peer offre à l'inverse une diversité de choix et une liberté d'assemblage que l'industrie ne sait pas fournir. Accrochées à la rente de situation de la distribution physique du compact-disc, les majors tentent d'interdire le peer to peer pour préserver un modèle économique et un format dépassés. Les majors ne défendent ni la musique, ni les créateurs : elles défendent le portefeuille de leurs actionnaires et ont tout à perdre au changement. Dans le système actuel, les artistes sont vassalisés par leurs maisons qui leur reversent 5 % en moyenne du produit des ventes. La diffusion par le peer to peer peut au contraire donner une liberté nouvelle aux créateurs pour peu que l'on mette en place un système convenable de rémunération.

        Le téléchargement est-il responsable de l'érosion des ventes du disque ? Rien ne le prouve. Cet affaiblissement résulte plutôt de l'appauvrissement de l'offre. Les majors ont gagné énormément d'argent dans les années 80 en imposant le passage au CD qui a entraîné le renouvellement de millions de discothèques vinyles. Les concentrations ultérieures et les mariages morganatiques avec la télévision commerciale et les radios musicales ont ensuite poussé à l'industrialisation, au formatage, au calibrage d'une offre toujours plus pauvre où l'investissement marketing compte plus que la richesse de la création.

        La deuxième explication, souvent négligée, réside dans la disparition progressive du réseau des disquaires au bénéfice des grandes surfaces. L'offre musicale du disque s'est en fait raréfiée. Il est d'ailleurs significatif que les nouveaux talents apparus depuis deux ou trois ans aient été révélés par la scène et le bouche à oreille et qu'ils aient été imposés aux majors par le public. De la même façon, le peer to peer désindustrialise l'accès à la musique. Les recherches thématiques et chronologiques permettent à chacun de satisfaire son goût musical. L'offre n'est imposée par aucune stratégie financière d'un producteur. L'accès à des titres souvent non réédités ainsi que la multiplicité des catalogues offrent une liberté et une diversité inédites. La diversité culturelle est imposée par les consommateurs et non plus régulée par les producteurs. Bien évidemment, c'est tout un modèle économique qui est ainsi remis en cause. Imagine-t-on que l'Assemblée nationale puisse être plus attentive aux inquiétudes financières de quelques grands groupes contrôlant l'industrie des contenus et de logiciels plutôt qu'à l'aspiration de millions de jeunes ? Faut-il pleurer sur le sort de ces groupes ? Non. Je pense même que l'apparition du peer to peer aura été un contrepoison salutaire à la marchandisation de la culture. Si la multiplication des échanges de fichiers à des fins non commerciales affaiblit ne serait-ce qu'à la marge un de ces conglomérats, il n'y a pas lieu de s'alarmer. Qui peut croire, néanmoins, que la copie privée par téléchargement puisse mettre en péril ces énormes structures ? Chacun comprend bien qu'au-delà du prétexte du droit d'auteur ou d'une fallacieuse crise du disque, c'est bien la bataille du contrôle des contenus qui est lancée. Ces multinationales veulent verrouiller le net. L'alibi commode du droit d'auteur ne sert que de prétexte à une implantation massive des DRM rendant toute liberté sur le net improbable, livrant le réseau à une couverture quasi policière, tout cela pour cadenasser la manne financière potentielle de la circulation des contenus. Il y a quelques années, les industriels de la bio-génétique ont tenté d'imposer la brevetabilité du vivant. C'est une démarche du même ordre qu'entreprennent aujourd'hui les industriels des contenus et des logiciels avec votre soutien, Monsieur le ministre. Il s'agit de rendre payant tout échange de fichier, donc de taxer, de breveter, de privatiser tout échange de culture et de matière grise. C'est la marchandisation générale de tous les échanges culturels qui est en cause ! Vous avez parlé à propos du piratage de « crime contre l'Esprit », mais c'est dans ce texte qu'il réside ! Je suis navré que le ministère de la culture, qui jusqu'ici avait contribué à défricher des libertés nouvelles, soit désormais l'opérateur de cette glaciation. (Applaudissements bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Pierre-Christophe Baguet - Je regrette que l'on aborde ce texte dans les pires conditions : quatre ans de retard, date inappropriée, trois nuits consacrées à son examen alors que nous sommes à la fin de l'année, urgence déclarée, amendements déposés à la dernière minute, commission des affaires culturelles non saisie pour avis...

        M. François Bayrou - C'est inimaginable pour un texte aussi important.

        M. Pierre-Christophe Baguet - La seule bonne nouvelle, c'est celle de l'accord conclu hier par les professionnels concernant la VOD.

        M. Pascal Terrasse - Gabegie !

        M. Pierre-Christophe Baguet - J'aurais aimé que l'on soit aussi efficace en faveur des intermittents du spectacle.

        M. Christian Paul - Ce n'est pas demain la veille !

        M. Pierre-Christophe Baguet - Ce texte est pourtant fondateur et touche à la vie quotidienne de millions de nos concitoyens et, au-delà, à la survie de notre exception culturelle.

        M. Christian Paul - C'est le Titanic des droits d'auteur !

        M. Pierre-Christophe Baguet - Cette directive, élément essentiel du projet, vise à rapprocher la législation des Etats membres en matière de propriété littéraire et artistique. C'est bien, car cela renforcera l'Europe de la culture. La question des droits d'auteur a envahi toutes les strates de la création artistique et le contentieux de la propriété intellectuelle et industrielle n'a jamais autant proliféré. Comme le souligne Gabriel de Broglie dans son rapport de l'Académie des sciences morales et politique sur le droit d'auteur et internet, jamais les techniques n'ont permis une si grande capacité de diffusion de la pensée et présenté autant de risques pour l'œuvre et pour les droits de son auteur. Afin de donner tout son sens au principe de la liberté de communication des pensées et des opinions protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, nous cherchons donc un équilibre entre la nécessité de protéger les droits que l'auteur tient sur l'oeuvre de son esprit et celle d'assurer dans les meilleures conditions la diffusion de l'oeuvre en garantissant l'authenticité des copies. Un fait nouveau dans l'environnement numérique rend cet équilibre encore plus difficile à trouver et délicat à maintenir : il est lié au développement des techniques qui permettent une copie parfaite que vous qualifiez, Monsieur le ministre « d'original reconductible à l'infini », à laquelle s'ajoute la terrible facilité des altérations de l'œuvre. C'est donc tout le dispositif qu'il convient de faire évoluer. Heureusement, et contrairement à nombre de déclarations, l'internet n'est pas un espace de non-droit où consommateurs et pirates seraient confondus. Les tribunaux sont particulièrement attentifs à la protection de la propriété intellectuelle mais les auteurs eux-mêmes ont éIaboré des mécanismes de défense contre les nouvelles formes de piraterie. Si l'objectif de renforcer la protection des auteurs contre la piraterie et la contrefaçon est louable, il suscite néanmoins des inquiétudes auprès des consommateurs. En effet, les solutions offertes par les mesures de protection peuvent aboutir à priver le consommateur de la possibilité de faire des copies privées ou, s'il tente de le faire, il s'exposera à des sanctions pénales. Ainsi, en raison de l'incompatibilité des formats de compression, la musique de certains CD protégés ne pourra pas être transférée sur un autre support. Contourner la protection pour l'écouter légitimement sur son lecteur deviendra illégal. L'interopérabilité devrait être une priorité pour les fabricants. Nous déposerons avec M. Dionis du Séjour un amendement en ce sens.

        En outre, ce texte risque de renforcer la domination des grands groupes : si un disque est protégé pour n'être lu que sur Windows, par exemple, il sera illégal de se débrouiller pour le lire sous Linux. II faut veiller à la diversité : tout monopole technique ou industriel est nuisible à la diffusion de la culture.

        M. Frédéric Dutoit - Très juste.

        M. Pierre-Christophe Baguet - Les poursuites judiciaires, qui ne peuvent concerner l'ensemble des pirates, sont arbitraires et peu efficaces pour lutter contre le peer to peer sauvage. Les procès se multiplieront et concerneront désormais tous les réseaux.

        Si les poursuites peuvent freiner la diffusion du phénomène, elles suffiront d'autant moins à l'éradiquer qu'une large part des auteurs n'y sont finalement guère favorables.

        Pour toutes ces raisons, le recours à des techniques de protection transparentes et régulées constitue une réponse mieux appropriée, qu'il s'agisse du marquage des œuvres ou des procédés anti-piratage susceptibles de satisfaire auteurs et usagers. Les procédures de régulation - nationales et internationales - et les concertations se multiplient, ce qui va à l'évidence dans le bon sens.

        Au-delà, il nous revient d'améliorer ce texte sur différents points. Un premier progrès consisterait à étendre l'exception en faveur des personnes handicapées, afin d'aider les associations qui accompagnent les handicapés visuels. Dans le même esprit, il convient aussi de reprendre les deux exceptions admises dans la directive, que vous avez curieusement écartées. La première concerne les actes de reproduction des bibliothèques publiques et la seconde les photographies d'œuvres et de bâtiments. En effet, en l'état actuel du code de la propriété intellectuelle, la presse ne peut diffuser aucune image de la pyramide du Louvre , de la tour Eiffel illuminée ou du pont de Normandie, ni faire état - en l'illustrant - d'aucune exposition publique, ni photographier une personnalité dans un cadre public ou privé où une œuvre soit visible ! Chacun garde en mémoire la condamnation d'une chaîne du service public pour un reportage sur une exposition Utrillo ou celle de Maison française pour avoir reproduit une robe de Sonia Delaunay, en l'absence de tout préjudice pour les ayants droit !

        Il est donc indispensable de concilier la protection légitime des auteurs et la liberté d'informer, comme parviennent à le faire nos principaux partenaires - qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Suisse, de la Belgique ou de la Grèce -, en ouvrant dans leur droit une exception relative à la reproduction des œuvres si l'actualité le justifie, ainsi qu'une exception générale pour les œuvres situées dans l'espace public.

        Monsieur le ministre, compte tenu des rudes attaques dont la presse ne cesse de faire l'objet, nous serons très attentifs à l'accueil que vous réserverez à nos amendements : on ne peut se présenter comme le premier défenseur de la presse et supprimer nuitamment, en seconde délibération, 1 488 450 euros de crédits de paiement à son profit dans le prochain PLF ! Je vous le répète : la position de notre groupe dépendra directement du sort que vous ferez à ses amendements. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

        M. Pascal Terrasse - Je m'associe sans réserve aux critiques de nos collègues de l'UDF sur la manière scandaleusement désinvolte qu'a retenue le Gouvernement pour nous soumettre ce texte important. Alors que le sujet passionne des millions d'internautes, l'urgence a été déclarée de manière parfaitement injustifiée...

        M. Frédéric Dutoit - C'est un véritable passage en force !

        M. Pascal Terrasse - Et nous avons appris moins de deux heures avant l'ouverture du débat, dans la séance des questions au Gouvernement, qu'un accord sur la diffusion des films sur l'internet était intervenu avec l'industrie du cinéma...

        M. Christian Paul - Quel heureux hasard !

        M. Patrick Bloche - Cela tient de la magie !

        M. Pascal Terrasse - En tout cas, le sort qui est réservé aux parlementaires n'est pas sérieux et ces tentatives de passer en force tranchent avec le dialogue fécond ouvert par Jack Lang en 1985, lequel a débouché sur la meilleure loi sur le droit d'auteur dont dispose notre pays, votée - faut-il le rappeler ? - à l'unanimité ! Las, les ministres changent et les méthodes se dégradent. Pourtant, peu de sujets attirent autant de monde dans nos tribunes, peu de nos débats sont aussi attentivement suivis sur la Toile. Je ne vois guère que le Pacs, ou la chasse, pour avoir autant mobilisé l'opinion...

        M. Christian Paul - Et ce n'étaient pas forcément les mêmes qui s'intéressaient à ces deux sujets ! (Sourires)

        M. Pascal Terrasse - Rien ne justifie que l'on nous présente un texte qui ne satisfait finalement personne à la veille des fêtes de fin d'année !

        Sur le fond, je tiens à souligner l'insécurité juridique dont est porteur ce projet de transposition, et mon propos s'articulera autour de trois préoccupations majeures : sauvegarder la copie privée et les libertés qui s'y attachent, préserver la liberté des diffuseurs par un mode de rémunération équitable - et n'allez pas dire que certains parlementaires souhaitent que l'on ne rémunère plus les créateurs ! -, promouvoir l'accès au patrimoine culturel.

        S'agissant de la copie privée - dont les redevances garantissent aux artistes un revenu essentiel -, il convient de mettre fin à la gratuité destructrice sans privilégier la voie répressive. A titre personnel, à la différence de certains socialistes, je suis donc plutôt favorable à une licence globale obligatoire - plutôt qu'optionnelle -,...

        M. Christian Paul - Commençons par la licence optionnelle !

        M. Pascal Terrasse - ...aujourd'hui plébiscitée par nombre d'artistes et d'audionautes.

        M. le Rapporteur - Revoilà les motions du PS !

        M. Pascal Terrasse - Nous assumons parfaitement nos différences de point de vue. Et n'ai-je pas lu ce matin, dans Libération, un excellent article de l'un de vos collègues de l'UMP ?

        M. Christian Paul - M. Terrasse aurait pu le co-signer ! (Sourires)

        M. Pascal Terrasse - Sur de tels sujets, il faut accepter que chacun ait sa propre sensibilité, et il revient au Gouvernement de dégager une synthèse équilibrée...

        M. François Bayrou - Allons donc ! C'est notre responsabilité de législateur. Mais encore faudrait-il que l'on nous laisse le temps d'aller au fond des choses !

        M. Pascal Terrasse - Il convient aussi de garantir une rémunération équitable aux diffuseurs, en vue de préserver leur liberté. Sans elle, point de diversité musicale : les quatre multinationales qui détiennent 90% du marché du disque peuvent continuer d'imposer leurs choix aux diffuseurs. Or n'est-il pas scandaleux que des artistes reconnus ne puissent vivre de leur talent ? Aussi, la liberté de diffuser un phonogramme du commerce doit-elle s'accompagner de l'obligation de verser une rémunération assise sur les recettes et partagée entre producteurs et artistes-interprètes.

        Un mot, au passage, sur vos promesses passées d'obtenir le taux réduit de TVA pour les disques : où en est-on ? Pourquoi ne pas afficher la même résolution que pour la restauration ou les travaux dans le bâtiment ? Il semble bien que vos engagements en la matière soient passés par pertes et profits ! Pourquoi ne pas aborder la question lors du prochain conseil ECOFIN ?

        S'agissant de l'accès au patrimoine, il est impératif de ne pas mettre en situation d'insécurité juridique les acteurs essentiels de diffusion de la culture que sont les bibliothécaires, les chercheurs, les enseignants et les agents des collectivités territoriales.

        A quelques jours de la fin de l'année, le plus sage est à l'évidence d'adopter la motion de renvoi en commission que défendra tout à l'heure Patrick Bloche. Nous avons besoin de temps pour retravailler ce texte important. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Bernard Carayon - Le présent texte n'échappe hélas ni aux critiques - justifiées lorsque les motive la recherche de l'intérêt général - ni aux caricatures, elles, inacceptables compte tenu des enjeux du débat. Plantons le décor : il y eut d'abord, sous l'impulsion du Président Chirac, l'adoption par 148 Etats de la charte de l'UNESCO sur la diversité culturelle, tendant légitimement à affirmer la spécificité non marchande de l'œuvre d'art. Merci, Monsieur le ministre, d'avoir pris une part active dans une démarche dont l'esprit va éclairer nos travaux. La toile de fond, c'est l'ouverture au monde que procure l'internet. Las, la maîtrise technique et financière de ce réseau global est désormais l'apanage de quelques grands groupes...

        Mme Martine Billard et M. François Bayrou - Absolument !

        M. Bernard Carayon - A tous égards, les enjeux sont considérables et notre débat doit se concentrer sur l'essentiel : la sécurité des Etats, la compétitivité des entreprises, la protection de la vie privée des individus. Sur ces enjeux bien connus se sont greffées des habitudes, une forme de délinquance - voire de criminalité - et des menaces de tous ordres.

        L'habitude, c'est celle d'accéder gratuitement à des milliards de pages de contenus, des centaines de milliers d'ordinateurs connectés entre eux proposant une quantité faramineuse de documents mais aussi de biens culturels. Et je veux tordre le cou à l'une des caricatures entourant ce texte au sujet de la notion de gratuité. De grâce, ne mélangeons pas tout ! Il y le « gratuit collaboratif », issu du don de temps et de compétences de dizaines de milliers d'hommes et de femmes, créateurs d'oeuvres et développeurs de logiciels : c'est le gratuit qui rapporte à tous, qui enrichit notre patrimoine intellectuel et culturel, améliore la compétitivité de nos entreprises et allège nos dépenses publiques ; c'est celui de la communauté du logiciel libre. Mais il y a aussi le gratuit qui coûte à tous, celui du piratage des œuvres à des fins mercantiles ou de la copie qui ne débouche jamais sur l'achat de CD ou de DVD. S'il faut combattre le second - et ce doit être le seul objectif de ce texte, il ne faut pas tuer -ni même mettre en danger - le premier !

        C'est pour cette raison qu'il nous faut être ensemble particulièrement attentifs aux rédactions des articles 7, 13 et 14 , lesquels ne doivent pas être maladroitement instrumentalisés contre le logiciel libre. J'espère que le Gouvernement tiendra compte, non seulement les résultats de la réunion qui a eu lieu aujourd'hui à Matignon avec les entreprises de ce secteur créateur d'emplois, mais aussi des amendements, déposés avec mes collègues Marland-Militello, Cazenave, Chatel, Colombier, Goasguen, Luca, Martin-Lalande, Remiller et Wauquiez, qui concernent l'interopérabilité, seule garantie de concurrence libre et non faussée, ainsi que la possibilité pour les universitaires et chercheurs de travailler dans des conditions normales.

        J'en viens à présent aux menaces et aux vulnérabilités. Elles sont issues de l'utilisation des réseaux à des fins déstabilisatrices : rumeurs, vol d'informations d'entreprises ou d'Etat, atteintes à l'image, etc... Nous devons, chers collègues, avoir également à l'esprit ce type d'avatars, que peuvent favoriser des textes imprécis.

        Votre projet de loi, Monsieur le ministre, est nécessaire, d'abord parce qu'il transpose une directive européenne, trop longtemps différée et qu'il vous revient aujourd'hui d'assumer. Mais loin d'être seulement nécessaire, votre texte contient deux principes que je salue : celui de la juste rémunération des auteurs que ne malmènent pas seulement des internautes pratiquant le « pair à pair », mais aussi, disons le, les grands groupes industriels qui, avec habileté, ont su dissimuler la protection de leurs intérêts marchands derrière la promotion de la création culturelle.

        Le second principe est celui de la réponse graduée, une idée novatrice qui intègre l'information et la prévention dans un dispositif qui aurait pu n'être que répressif.

        Ce texte soulève des questions fondamentales et recèle de formidables enjeux humains : personne ne s'étonne donc qu'il ait porté en gésine tant de malentendus. Sous un aspect technique, il touche en fait à la relation de chacun à l'oeuvre, à notre patrimoine et à notre idée du partage. On ne transmettra évidemment pas demain à nos enfants un disque dur truffé de mesures techniques comme on transmet aujourd'hui la bibliothèque d'une vie de lecture ou une collection de CD ou de DVD. Pour éviter la rupture interne entre bien culturel et patrimoine, votre texte doit absolument réconcilier le consommateur de biens culturels et le droit d'auteur. C'est pour cette raison que je ne peux me faire à l'idée que nos enfants - ceux de mes collègues, bien sûr - puissent un jour être assimilés à des contrefacteurs passibles de lourdes peines ! La sanction doit être proportionnée à la faute. A ce propos, qui détiendra les informations concernant les infractions constatées ? Qui constatera ces infractions, et donc aura accès aux informations personnelles de millions d'internautes ?

        M. Pascal Terrasse - Big Brother !

        M. Bernard Carayon - Qui gardera les informations sur la réponse graduée? J'espère que les débats apporteront des réponses précises : il s'agit tout de même de la vie privée de nos compatriotes !

        Réconcilier le consommateur et le droit d'auteur, c'est également permettre la copie privée - le texte initial était si peu clair que le rapporteur a cru bon de préciser que le nombre de copie ne pouvait être inférieur à un ! - et éliminer le tracas des lecteurs liés à l'œuvre : seule une véritable interopérabilité dispensera le consommateur de s'affranchir des mesures techniques de protection et lui évitera donc de se mettre hors la loi. A ce propos, il me semble qu'on aurait pu envisager, pour la consultation des œuvres à distance, une mesure technique de protection universelle s'appuyant sur une infrastructure clé publique-clé privée et permettant le marquage des œuvres. Cela aurait évité toute pratique anticoncurrentielle et le partage du marché par un très petit nombre d'acteurs.

        Enfin, les enseignants et les chercheurs utilisent quotidiennement des logiciels libres. Avec la rédaction actuelle, ils deviennent tous des contrefacteurs, ainsi que tous ceux qui souhaiteraient indexer leurs documents numériques sous une forme non prévue par la mesure technique de protection - bibliothécaires, documentalistes ou tout particulier voulant mettre de l'ordre dans sa bibliothèque numérique. Nous ne pouvons laisser prospérer une telle insécurité juridique. Un dialogue serré, mais ouvert s'est engagé avec vous, Monsieur le ministre. Je connais assez votre sens des responsabilités pour ne pas douter que vous prêterez à nos amendements une attention bienveillante (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

        MM. Christian Paul et Pascal Terrasse - Il aurait fait un bon rapporteur !

        Mme Martine Billard - Je voudrais d'abord protester contre votre méthode de travail. Le projet de loi n'a pas été présenté devant la commission des affaires culturelles, qui n'a même pas été co-saisie, mais devant la commission des lois - à croire que le culturel est bien moins important que le répressif : ce choix en dit plus que tout le reste ! Le projet a été rédigé en 2003, mais examiné en commission seulement en juin. Il nous est aujourd'hui présenté en urgence. Ce délai aurait pu être mis à profit pour organiser un débat pluraliste plutôt qu'une course aux lobbies. La commission n'a même pas entendu les associations de bibliothécaires, documentalistes et archivistes réunies, qui, au côté de l'Association des maires de France et de la fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, dénoncent ce projet comme l'une des législations les plus déséquilibrées d'Europe. Elle n'a pas non plus auditionné les chercheurs ni, sauf en catastrophe ces derniers jours, les utilisateurs de logiciels libres qui sont plus de cent mille à vous demander le rejet du texte en l'état.

        Beaucoup présentent cette discussion comme un arbitrage entre propriété intellectuelle et gratuité sur internet et citent, pour faire peur, les quelques internautes accusés d'avoir téléchargé de la musique pour la revendre. Il s'agit d'une utilisation commerciale frauduleuse déjà réprimée par la loi. Le débat n'est pas là : il est entre deux conceptions de la culture. La conception ouverte respecte le droit des auteurs et les rémunère, mais n'oublie pas que la culture est aussi échange, partage, don plutôt qu'une addition de consommations individuelles, chacun devant son écran d'ordinateur - et en fonction de ses revenus. L'autre conception s'intéresse au verrouillage du partage des oeuvres et se préoccupe surtout des intérêts des majors de la musique et du filM. Ce ne sont pas uniquement les échanges sur internet, mais tous les supports, notamment multimédias, qui sont concernés par les nouveaux dispositifs. Cette loi qui légalise les mesures techniques de protection aura pour conséquence de renforcer le monopole d'une grande entreprise nord-américaine, bien connue, de systèmes d'exploitation et de logiciels.

        Ce sont donc aussi deux conceptions de l'informatique qui s'opposent, l'une dans les mains de quelques multinationales qui cherchent à drainer l'ensemble des flux financiers, l'autre fondée sur le logiciel libre. La concurrence entre elles est déjà inégale, mais au moins le choix existe-t-il. Après le vote de ce texte, ce ne sera plus le cas. En effet, les mesures anti-copies ne visent pas uniquement à empêcher une reproduction illimitée des œuvres, mais plus globalement à en rendre chaque utilisation marchande, à limiter le nombre de lectures en instituant des péages permanents. Ainsi, en achetant un DVD, vous devrez acheter en même temps l'appareil et le logiciel compatibles ! Nous sommes en pleine régression ! Il faudra se résoudre soit à ne pas pouvoir accéder à de nombreux biens culturels, soit à posséder le matériel requis, ce qui va introduire une nouvelle fracture numérique entre ceux qui auront les moyens et les autres. Cela rappelle la bataille des formats des premières vidéo-cassettes du début des années 1980. Si l'acquisition s'effectue en ligne, votre ordinateur sera truffé de mouchards, sans compter le risque d'introduction de virus, comme l'a montré la récente expérience de Sony. Et avez-vous pensé à tous ceux qui utilisent des logiciels libres - simples particuliers, mais aussi chercheurs, institutionnels et entreprises comme Thalès ? Ces mesures techniques risquent de limiter les possibilités d'accès gratuit aux œuvres légalement tombées dans le domaine public, dont le principe est dès lors remis en cause.

        En outre, ce texte va bien au-delà des obligations de la directive européenne qu'il est censé transposer. Les articles 13 et 14 assimilent à un délit de contrefaçon, passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende, les simples faits de contournement ou de neutralisation des mesures techniques. Je sais que la riposte est graduée...

        M. le Ministre - La réponse ! Et justement, elle est graduée !

        Mme Martine Billard - Ainsi, si quelqu'un contourne une mesure anti-copie afin de faire une copie privée, ce qui est licite, il peut être condamné pour contrefaçon ! Si ce n'est pas une guerre contre le logiciel libre, cela y ressemble beaucoup.

        Il est donc indispensable de prévoir des garde-fous pour que les mesures techniques ne viennent pas faire obstacle à l'interopérabilité entre systèmes d'exploitation. Je soutiendrai également l'amendement de certains collègues de la majorité qui exclut plusieurs éléments de la définition des mesures techniques, ainsi que celui qui vise à interdire toute restriction du nombre de lectures lorsque le premier accès est licite. Par ailleurs, comment comprendre que le Gouvernement refuse d'étendre aux bibliothèques, musées et archives ainsi qu'aux enseignants et aux chercheurs les exceptions aux droits de propriété intellectuelle ? Quant à celle concernant le handicap, elle est, en l'état actuel, insuffisante. Je rappelle que lors du débat sur le droit à prêts en bibliothèque, certaines vérités avaient été énoncées qui ne semblent plus l'être aujourd'hui !

        Au-delà de mon opposition à la philosophie générale du texte ainsi qu'aux amendements scélérats de certains de nos collègues qui se font les relais des grands lobbies contre le monde du logiciel libre, il reste la question de la juste rémunération des créateurs face au développement du téléchargement de fichier et des échanges « peer-to-peer ». Chaque nouvelle technologie est accusée de mettre en péril la diffusion des œuvres et leur rémunération. Cela fut le cas pour les cassettes audio, puis les films en vidéo ou le prêt en bibliothèque... Pourtant, toutes les études ont démontré que les plus gros emprunteurs étaient les principaux acheteurs de livres ! La question est donc bel et bien de trouver à chaque fois un nouvel équilibre. Le projet de licence globale optionnelle, mûri depuis plusieurs mois, peut être une solution. Il mérite en tout cas un examen sérieux. Je maintiens donc l'opposition des députés Verts à ce texte qui va à l'encontre de l'esprit de liberté et de partage des cultures numériques, dans le respect du droit d'auteur, que doivent continuer à promouvoir internet et les technologies multimédias (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

        M. Thierry Mariani - Le présent projet dont nous débattons enfin, a été déposé le 12 novembre 2003 et examiné en commission des lois le 31 mai 2005. C'est un exercice de transposition d'une directive européenne, mais surtout un outil crucial pour donner à la France les moyens de figurer parmi les leaders de la société de l'information. L'enjeu est en effet de fixer des règles du jeu, afin que l'ensemble des parties prenantes de la révolution numérique tire bénéfice du potentiel de développement qu'elle offre.

        Je souhaite vous exposer mon amendement relatif au « peer to peer ». La rédaction que je propose, qui est très proche de celle du rapporteur, a pour objet d'inscrire dans la loi la position clairement exposée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique dans son avis du 7 décembre dernier, que certains ont déjà envie de remettre en cause bien qu'elle résulte d'une large consultation de l'ensemble des acteurs : industries culturelles, industries du logiciel et opérateurs de télécommunication. Pour ma part, je constate que le respect des droits de propriété intellectuelle est l'un des moteurs de cette économie de la connaissance et des biens immatériels. Renoncer au respect des droits d'auteur et des droits voisins au nom d'un chimérique accès de tous, sans limites, aux biens culturels, sans assurer de juste rémunération, c'est également accepter à court terme leur stérilisation, leur banalisation, donc leur appauvrissement. Pour parler vrai, nous devons favoriser l'accès de tous nos concitoyens à la culture mais aussi sauvegarder les intérêts économiques des industries,...

        M. Frédéric Dutoit - Voilà !

        M. Thierry Mariani - ...petites et grandes qui créent au quotidien notre richesse culturelle. C'est pourquoi je vous proposerai de responsabiliser les éditeurs de ces logiciels qui facilitent les échanges de fichiers protégés sur internet sans l'autorisation des ayants droit en incitant les internautes à mettre des œuvres en libre disposition.

        M. Christian Paul - Mariani Vivendi, même combat !

        M. Thierry Mariani - La voie sera ainsi ouverte à l'ensemble des acteurs pour développer, en partenariat, de nouveaux modèles économiques. Le potentiel de développement de ces nouveaux services à forte valeur ajoutée et les gisements d'emplois qu'ils promettent sont considérables : les secteurs concernés enregistrent déjà un taux de croissance supérieur à celui de l'économie nationale !

        En donnant une chance à l'essor du « peer to peer » légal, l'internaute aura le bénéfice d'une offre légale enfin élargie, dans des conditions de sécurité juridique et technique absentes aujourd'hui. Dans l'ensemble, ce texte était un exercice difficile. Vous n'êtes tombé, Monsieur le ministre, dans aucun piège et restez dans une approche équilibrée. Je soutiendrai cette démarche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

        Mme Christine Boutin - Ce projet de loi va beaucoup plus loin qu'une simple actualisation juridique et technique de la protection du droit d'auteur. Cette transposition de la directive européenne du 22 mai 2001 concerne l'ensemble de la société, et soulève des questions essentielles en matière de libertés publiques et d'accès à la culture.

        Nous vivons dans une société de l'information dont l'internet est l'emblème. Mais l'internet n'est pas une simple innovation technologique, il modifie l'organisation même de notre modèle de société. En 1968 en France et en 1970 en Amérique du nord, d'importantes secousses sociales ont amené les individus à s'interroger sur leur modèle de société. Un modèle de communication de masse à deux pôles, le citoyen et la société, devient l'outil de prédilection des majors. Mais, à partir des années quatre-vingts, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication fait se substituer à ce modèle bipolaire un modèle à quatre piliers : le citoyen, ses groupes informels, ses groupes formels et la société. Avec l'internet, prend forme un modèle socio-économique à visage plus humain, puisque chacun peut s'exprimer, s'approprier son territoire, inscrire son univers personnel dans un monde de sens. A cet égard, internet est une chance pour notre démocratie et il nous faut en encourager le développement, en déterminant l'attitude la plus juste, surtout en matière culturelle. Entre pillage et protectionnisme, relativisme et monopole, notre modèle de démocratisation culturelle peine à trouver ses marques pour rendre une offre culturelle de qualité accessible au plus grand nombre.

        Nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat sur la place de la culture sur Internet. Quelle culture voulons-nous pour demain ? Monopole et conformité ou bien partage et diversité ? Tout l'enjeu est là.

        Dans ce projet de loi, je vois trois priorités à défendre. Tout d'abord, la sauvegarde de la copie privée et des libertés qui y sont attachées.

        M. le Rapporteur - Tout à fait.

        Mme Christine Boutin - Les artistes tirent un revenu financier majeur des droits qu'ils cèdent à leurs producteurs lors de leurs enregistrements.

        La deuxième priorité est de préserver la liberté et la diversité des diffuseurs en garantissant une rémunération équitable, et la troisième de faciliter l'accès au patrimoine culturel.

        Conformément à ces trois priorités, j'ai choisi de défendre les amendements tendant à instituer une licence globale optionnelle.

        M. Christian Paul - Très bien.

        Mme Christine Boutin - Ce dispositif garantirait la rémunération des auteurs, assurerait la sécurité juridique des internautes pratiquant le peer-to-peer et autoriserait la mise à disposition à des fins non commerciales de fichiers téléchargés. Selon un sondage de Médiamétrie, 75 % des internautes y seraient favorables. La licence globale optionnelle présente l'avantage de rendre conformes les nouvelles pratiques au respect du droit d'auteur, mais surtout d'instaurer une véritable culture de la générosité et de la responsabilité. Elle permet de plus de rémunérer les ayants droit - auteurs, artistes-interprètes, producteurs... - pour des usages pratiqués par six à huit millions de personnes, que l'on ne parvient pas à interdire et qui ne heurtent ni l'équité sociale ni l'ordre public. De nombreuses études démontrent qu'il n'existe pas de lien de cause à effet entre les difficultés de l'industrie du disque et le développement des échanges de fichiers entre particuliers à des fins non commerciales. Il ne s'agit donc pas de compenser un éventuel préjudice, mais de rémunérer les nouveaux usages.

        M. Christian Paul - Absolument.

        Mme Christine Boutin - Parce que cette dimension nouvelle de l'échange représente une chance pour notre société, je ne peux me satisfaire de la solution de la répression, même adoucie par la mise en place d'une réponse graduée, qui, hélas, procède de la même philosophie.

        Avec internet, une nouvelle soif culturelle est apparue, et c'est tant mieux !

        M. Frédéric Dutoit - Bien sûr.

        Mme Christine Boutin - A nous de la concilier avec le droit d'auteur et d'encourager chacun à être responsable de ses actes, à respecter les œuvres et à goûter le plaisir de s'éveiller au contact d'une richesse culturelle immense.

        Nous ne pouvons pas mettre la culture en quarantaine sur internet. Il nous faut au contraire lui donner la place reconnue et acceptée qui lui revient, car internet offre à tous un immense trésor, dont il convient de fixer dès maintenant les règles d'utilisation afin que tous soient gagnants.

        Vous savez, Monsieur le ministre, l'amitié que je vous porte. Mais sur ce sujet particulier, les enjeux sont tels que nous devons avoir une discussion responsable. Le public est ce soir aussi nombreux dans les tribunes que lors de l'examen du Pacs. C'est bien la preuve qu'il s'agit là d'un véritable enjeu de société. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Frédéric Dutoit - Très bien !

        M. le Rapporteur - Quelle conversion !

        Mme Christine Boutin - Non, une simple cohérence.

        Mme Muriel Marland-Militello - J'avoue que la façon dont se déroule ce débat me surprend. Nous sommes tous ici convaincus de la nécessité de protéger les droits d'auteur et pour cela d'instituer des mesures techniques de protection.

        M. Christian Paul - Non.

        Mme Muriel Marland-Militello - C'est alors un point de divergence entre nous. Nous savons également qu'il nous faut transposer la directive européenne.

        M. Patrick Bloche - Pas n'importe comment !

        Mme Muriel Marland-Militello - Face à ce consensus, ou du moins à ce que je croyais être un consensus, des voix divergentes se sont élevées, parfois avec violence.

        L'un des problèmes de ce projet de loi est qu'il établit une égalité de droits entre des acteurs qui se trouvent dans des rapports de force très différents. Or, nous ne le savons que trop, l'égalité des droits ne suffit pas à garantir l'égalité des chances.

        Les auteurs ont a priori tout intérêt à la mise en place de mesures techniques de protection qui, pour être véritablement efficaces, doivent être secrètes. Mais il faut voir plus loin. Quelles en seraient les conséquences pratiques ? Pour mettre en œuvre de telles mesures de protection, il faut disposer de moyens techniques considérables, ce qui inévitablement créerait une inégalité entre les distributeurs. Le risque est que seules demeurent les grandes entreprises internationales comme Microsoft ou Sony, au détriment de la concurrence, donc au prix d'une limitation du nombre d'artistes distribués. Les grands distributeurs de musique et, d'une manière générale de culture, rechignent à investir dans de jeunes artistes dont le succès n'est pas assuré. Pour se faire connaître, ces jeunes artistes créent donc leur propre site internet où ils diffusent leurs œuvres sans frontière, lesquelles trouvent une audience parmi les internautes de leur âge qui n'ont pas nécessairement les moyens d'acheter des œuvres mais achètent des CD vierges sur lesquels ils téléchargent l'œuvre et qu'ils distribuent autour d'eux. Ce n'est qu'une fois que ces jeunes créateurs ont fait leurs preuves que les grands majors les prennent sous contrat. Ils n'ont peut-être pas compris tout l'intérêt qu'il y avait pour eux à disposer encore de logiciels libres.

        Pour autant, le rôle des grands distributeurs de culture est essentiel. Leurs investissements sont indispensables. Parallèlement à leurs diffusions sur internet, ils créent les grands spectacles. Il faut reconnaître leur qualité. Loin de les critiquer, je demande simplement qu'ils permettent l'existence de plus petits qu'eux, à côté d'eux. Ma question est de savoir si ce projet de loi protège suffisamment ces plus petits.

        Venons-en maintenant aux consommateurs. Comment ceux-ci pourraient-ils refuser de s'acquitter d'un droit pour regarder ou écouter une œuvre ? Sur ce point, nous avons le choix entre deux possibilités. Ou bien le consommateur loue une œuvre pour quelques heures ou en dispose à des conditions telles qu'il n'en est pas véritablement propriétaire et ne peut donc pas en faire ce qu'il veut.

        Ou bien, à l'image de celui qui achète un livre en librairie, il en devient le véritable propriétaire, à titre privé. La première possibilité constitue un danger pour les droits d'auteurs et pour l'art. Le patrimoine français s'est constitué grâce aux collections privées, et louer une œuvre dévalorise considérablement la relation privilégiée entre le consommateur - si vous me passez le mot - et le créateur. Quant aux personnes qui proposent de former à la créativité informatique grâce à des logiciels évolutifs et ouverts, leur dynamisme et même, leur existence, sont compromis.

        L'avenir de la diffusion réside dans la dématérialisation des supports. Si celle-ci va à l'encontre de certaines logiques économiques, elle est une chance pour la création artistique et informatique, à condition, Monsieur le ministre, de lui laisser une certaine liberté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

        La discussion générale est close.

        M. le ministre - Ce débat fera date. La passion qui l'anime est légitime, car il s'agit d'un sujet important pour l'ensemble de nos concitoyens. Lorsque j'en avais le temps, je me livrais moi-même aux libres débats, aux confrontations d'idées, à l'écriture d'un blog et d'éditoriaux sur rddv.coM. Les Français de toutes générations, férus de culture et avides de technologies sont attachés au rayonnement et à la diversité de notre culture, comme aux créateurs sans lesquels la culture serait un ensemble de standards uniformisés.

        Notre débat départagera ceux qui attisent les peurs et ceux qui tentent d'ouvrir avec nous une voie d'avenir, donnant au plus grand nombre l'accès à la culture et favorisant la création dans notre société de l'information.

        M. Christian Paul - Quel schématisme ! N'est pas Malraux qui veut !

        M. le Ministre - Comme vous l'avez souligné, M. Dionis du Séjour, il s'agit bien d'un débat politique. Je vous remercie d'avoir évoqué avec cœur la priorité nationale qu'est celle de l'accès des personnes handicapées à la culture.

        M. Jean Dionis du Séjour - Il faut le faire, Monsieur le ministre !

        M. le Ministre - Comme l'a rappelé M. Richard, ce texte a été soumis à une longue concertation. Je me permettrai de citer les instances et de souligner la multiplicité des réunions qui portent depuis dix-huit mois sur ces questions.

        M. François Bayrou - Nous ne sommes pas dans une réunion, mais à l'Assemblée nationale !

        M. le Ministre - Je suis à la disposition permanente de l'Assemblée, des commissions et de l'ensemble des groupes, parce que j'aime le débat et le dialogue.

        M. François Bayrou - Ne parlez pas de vous ! Le Gouvernement vient de décréter l'urgence !

        M. Christian Paul - Très bien ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

        M. le Ministre - Le conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, les fournisseurs d'accès ont pris part à ces concertations. Celles concernant l'accord sur le cinéma et la vidéo à la demande ont été nombreuses et larges, de même que celles qui portaient sur la musique. Des missions ont été par ailleurs confiées à MM. Chantepie et Bernicot, à MM. Kahn et Brugidou. Ce travail, qui était celui de l'exécutif, n'exclut pas l'enrichissement apporté par le Parlement.

        A ceux qui veulent faire passer ce Gouvernement pour liberticide, je réponds qu'internet demeure plus que jamais un formidable espace de liberté, d'échanges et de création, et que la liberté ne signifie pas l'anarchie.

        Pour qu'elle demeure une valeur aux yeux de nos concitoyens, ceux-ci doivent avoir accès aux œuvres. Tel est l'objet de ce texte qui donne un véritable statut à la copie privée et en assure la rémunération, ce qui est essentiel pour de nombreux artistes. A ceux qui voient comme alternative à la jungle ultralibérale la geôle, je rappelle qu'il existe une troisième voie, le développement d'une offre légale de musique et de cinéma.

        L'accord sur le cinéma à la demande a été signé hier rue de Valois. A ceux qui poussent des cris d'orfraie en entendant accolés les termes d'industrie et de culture, je réponds que les industries culturelles constituent l'une des grandes sources du rayonnement de la France et qu'il convient de sauvegarder les emplois dans ce secteur stratégique.

        Selon une étude de l'INSEE, les industries culturelles regroupaient en 2003 environ 1 200 entreprises employant moins de vingt salariés. Elles sont aujourd'hui en plein essor mais M. le rapporteur a cité des chiffres démontrant combien ce secteur est menacé. Je vous appelle à la responsabilité face à certaines outrances. Mesdames et messieurs les députés de l'opposition, allez dire aux salariés de ces entreprises, aux artistes et aux techniciens que vous ne vous préoccupez pas de sauver leur emploi, et aux internautes que vous ne les appelez pas à la prise de conscience !

        Ajoutez que vous ne voulez pas voir émerger de nouveaux modèles technologiques, économiques et culturels ! Définir les termes d'une sécurité juridique permettra au contraire l'apparition d'une multitude d'offres légales culturelles et artistiques. Enfin, dites-leur que vous ne souhaitez pas que la France soit pionnière dans ce domaine et s'inspire de l'expérience des pays qui protègent juridiquement les mesures techniques.

        A ceux qui déplorent le vide actuel entre l'absence de tout avertissement et l'application des actions pénales, qui peuvent d'ores et déjà être très sévères, j'opposerai la réponse - et non la riposte - graduée.

        M. Christian Paul - C'est la même chose, c'est Guantanamo !

        M. le Ministre - Les litiges pourront être arbitrés par cette institution novatrice qu'est le collège des médiateurs, et toutes les précautions ont été prises après avis de la CNIL. L'Europe entière nous envie ce nouveau dispositif, la Commission l'examine avec une attention toute particulière et le conseil des ministres de la culture l'a approuvé à l'unanimité.

        M. Christian Paul - Quelle honte ! Quel message !

        M. le Ministre - Oui, c'est un message très positif car il sort de l'alternative pénale comme élément de régulation !

        A ceux qui s'inquiètent des effets de la réponse graduée, je réponds qu'un internaute, à la suite d'une dénonciation des titulaires des droits, sur saisine du juge, encourt une sanction pouvant aller jusqu'à 500 000 euros et cinq ans de prison. Demain, si ce dispositif est adopté, il sera d'abord averti par message électronique puis mis en demeure par lettre recommandée avant d'encourir sur saisine de l'autorité de médiation une amende maximale de 300 euros.

        Ce dispositif ne se cumule pas avec le dispositif judiciaire et ne s'y substitue pas. Lorsqu'il ne s'agit pas d'actes de contrefaçon de grande envergure, la voie de la sanction administrative sera privilégiée.

        M. Christian Paul - Faites venir le Garde des Sceaux, que nous puissions parler le même langage !

        M. le Ministre - Arrêtons-là un mythe : ce texte ne modifie en rien le droit des logiciels. Le projet ne remet aucunement cause certains droits importants comme « l'exception de décompilation », qui permet de décoder un logiciel pour en comprendre le fonctionnement et recréer un autre logiciel interopérable, celui-ci pouvant ensuite être diffusé sous une licence libre. Pour dissiper tout malentendu, le Gouvernement présente un amendement qui exclut spécifiquement des actes de contournement des mesures techniques ceux réalisés pour favoriser la compatibilité et l'interopérabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        Ainsi, ce texte garantit à d'éventuels nouveaux entrants dans le domaine des mesures techniques un accès aux fichiers existants.

        Je comprends les remarques de MM. Dionis du Séjour et Baguet sur l'élargissement des exceptions. Nous avons fait sur ce sujet le choix de l'équilibre en utilisant la voie contractuelle.

        L'objectif du Gouvernement est de favoriser le développement de l'excellence française dans le domaine des mesures techniques, tout en préservant le développement des services en ligne et l'accès aux œuvres qu'il permet.

        Qui a déclaré : « l'Etat doit procurer un cadre juridique efficace à l'utilisation des systèmes techniques anti-piratage, en interdisant par exemple, les procédés qui permettraient de contourner de tels dispositifs »? Catherine Trautmann, en mars 1999 ! Qui préconise « une intransigeance sans faille et permanente à l'égard du piratage » ? Catherine Tasca, en juillet 2000. A ceux qui prétendent que ce texte est archaïque, je réponds que je n'y puis rien si la directive qu'il transpose a été négociée entre 1997 et 2001 par des gouvernements que vous connaissez bien !

        Les dispositions que nous y avons ajoutées sur la réponse graduée, l'interopérabilité ou le collège des médiateurs en font un texte moderne, tourné vers l'avenir, dans le respect des droits des créateurs.

        Je tiens aussi à faire litière d'une crainte, que je comprends mais qui relève du fantasme ! Les professionnels de l'information et de la documentation, au premier chef les bibliothécaires, ne risquent en aucun cas d'être poursuivis pour avoir fait leur travail d'indexation !

        M. Patrick Bloche et Mme Martine Billard - Il faut l'écrire !

        M. le Ministre - Leur mission est essentielle et le projet de bibliothèque numérique européenne illustre leur capacité à se saisir des nouvelles technologies pour en faire bénéficier le plus grand nombre.

        A ceux qui prétendent faire de la licence légale la panacée, je réponds qu'elle ne profite ni au consommateur ni au créateur, car elle va fortement augmenter le prix de l'abonnement, alors que nous voulons que le plus grand nombre de Français aient accès aux nouvelles technologies de l'information. Elle nécessite des mesures de surveillance de tous les internautes - qui sont évidemment passées sous silence par les tenants de la licence légale - et menace l'existence des créateurs français. J'ajoute qu'à ce stade, il n'y a pas de proposition de répartition viable.

        A ceux qui sont prompts à faire flèche de tout bois, à utiliser la démagogie ou à nous intenter de mauvais procès, je dis « que notre politique culturelle doit être offensive et reposer à la fois sur le soutien à l'action publique et sur le développement d'industries culturelles européennes. Sans nous tromper d'époque ou de combat : entre l'artisanat indépendant, prétendument protégé par des barrières que de nouvelles technologies ont fait tomber, et l'économie de groupes mondiaux surpuissants régulés par des normes américaines, l'Europe doit inventer son propre modèle. La France peut et doit en être l'une des initiatrices. » A ceux qui taxeraient cette conviction d'ultra libérale, je réponds simplement que les propos que je viens de citer sont de Laurent Fabius, en juillet 2004.

        Au terme de cette discussion générale, je souhaite que nous ayons au moins tous à cœur de dissiper un certain nombre d'idées fausses. Chacun peut penser ce qu'il veut, mais je vous demande de ne pas trahir l'esprit du texte et de ne pas faire naître des peurs inutiles. Internet est une chance, mais le législateur a dans ce domaine un travail à accomplir. (Applaudissements bancs du groupe UMP)

        MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

        M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

        M. Patrick Bloche - Dans le tout premier traité des droits d'auteur, paru en 1838, Renouard écrit qu'une loi sur cette matière ne saurait être bonne qu'à la double condition de ne pas sacrifier le droit des auteurs à celui du public, ni le droit du public à celui des auteurs. Cette mise en garde reste d'actualité et nous permet de voir à quel point votre approche diffère de la nôtre.

        Là où vous voulez maintenir les contraintes de rareté des biens physiques dans le monde d'abondance qu'est la société de l'information, nous considérons au contraire que la création culturelle se nourrit avant tout du partage des savoirs et de la circulation des œuvres. Alors que vous considérez la copie privée comme le spectre du droit d'auteur, nous y voyons au contraire un point d'équilibre ente le droit des créateurs et l'intérêt du public. Là où vous n'envisagez que des mesures de repli, qui sont souvent des sanctions, nous préférons défendre des solutions novatrices permettant le fonctionnement efficace d'une économie de la culture.

        Campant sur ses positions, le Gouvernement nous propose un texte inadapté, à l'analyse biaisée et aux mesures inefficaces, voire anachroniques. Sur une matière en perpétuelle évolution, le Gouvernement nous propose en effet un projet vieux de deux ans et s'appuie en cette circonstance sur un rapport de commission datant du mois de juin ! Alors que l'on en sait plus aujourd'hui sur les mesures techniques de protection ou sur l'impact des réseaux « peer-to-peer », le Gouvernement reprend soudain ce projet et l'inscrit à l'ordre du jour. Qui plus est, après en avoir constamment reporté la discussion jusqu'à être sanctionné pour retard de transposition, il a cru bon de demander qu'il soit discuté en urgence ! Moyennant quoi, nous devrions expédier à la va-vite, en fin de session, une révision importante du droit d'auteur, qui a des implications lourdes sur l'économie et la circulation des biens culturels !

        Nous n'avons eu que 48 heures pour déposer de nouveaux amendements et nous allons devoir nous prononcer sur des amendements importants - certains créent même de nouvelles incriminations pénales ! - qui n'ont pas été examinés en commission. Je pense en particulier à ceux visant à instaurer une « réponse graduée », dont l'objectif n'est en fait que de contourner les exigences de la CNIL, qui a repoussé, rappelons-le, les dernières demandes de l'industrie musicale.

        On est tenté de s'interroger sur les raisons qui vous poussent à demander l'urgence. Bien sûr, il faut transposer la directive du 22 mai 2001, mais est-ce une raison pour restreindre le débat démocratique ? A l'évidence, non, d'autant qu'il y a bien d'autres directives - 73 ! - en retard de transposition. La précipitation soudaine du Gouvernement se comprend d'autant moins que la Commission européenne prépare une nouvelle directive sur le droit d'auteur.

        Vous nous avez accusés de pratiquer la désinformation et la caricature. Or, c'est le Gouvernement qui n'a distribué qu'au dernier moment aux parlementaires des amendements visant à proposer une « réponse graduée » - mesure pourtant placée au cœur de votre texte. Où est la désinformation ? Et, c'est vous, Monsieur le ministre, qui avez qualifié hier soir les propos de M. Paul de « lamentables » et « minables », sans pour autant répondre à aucune de nos objections de fond et en feignant de croire que nous étions les apôtres de la gratuité. Où est donc la caricature ?

        Plus grave encore : ces deux années d'attente ont été l'occasion manquée d'un vrai débat public avec l'ensemble des partenaires de la création et les représentants des utilisateurs. Vos atermoiements successifs et cet élan soudain illustrent votre volonté de passer en force contre l'avis des consommateurs et de nombreux artistes, contre l'avis des internautes et des bibliothécaires, contre l'avis de l'Association des maires de France et contre l'avis même de certains députés de la majorité ! Vous ignorez la complexité de ce dossier, que vous simplifiez pour satisfaire les intérêts des majors de la culture.

        Votre conception du droit d'auteur n'est pas celle sur laquelle s'est édifiée la création culturelle en France. Vous ne vous contentez pas de transposer simplement une directive, vous la surchargez de mesures répressives supplémentaires tout en écartant les enjeux actuels de la société de l'information.

        Vous n'apportez comme réponse au partage de fichiers que la criminalisation. Vous opposez les intérêts du public à ceux du créateur, la liberté d'accès au droit à la rémunération de la création. Ces choix sont inquiétants. En vous attaquant à l'exception pour copie privée, vous assimilez les citoyens à de simples consommateurs et poursuivez votre offensive contre la création - déjà bien entamée par la remise en cause du statut des intermittents du spectacle.

        Alors, de grâce, ne nous taxez pas de passivité ou de laxisme lorsque nous refusons votre logique répressive ! N'allez pas nous enfermer dans le rôle des pourfendeurs du droit d'auteur ! C'est tout le contraire : notre refus de considérer le partage de fichiers comme un fléau à éradiquer ne fait pas de nous des partisans du laisser-faire ! La création doit entraîner une rémunération, mais sans diluer le droit d'auteur dans la conception anglo-saxonne du copyright !

        Plusieurs députés UMP - Et Mme Hidalgo ? Et M. Lang ?

        M. Patrick Bloche - Voilà qui scellerait le divorce entre les créateurs et leur public. Pour nous, le droit d'auteur est le principal régulateur des relations économiques et sociales au sein des professions culturelles. Il protège les auteurs face aux éditeurs et aux diffuseurs qui contrôlent l'accès au marché et disposent ainsi d'un pouvoir de négociation. Au contraire, le copyright privilégie les investissements et les droits des producteurs. Le droit d'auteur est un rempart contre la marchandisation de la culture et une reconnaissance de l'acte créateur. C'est pourquoi sa protection est un pilier du combat pour l'exception culturelle.

        Le droit d'auteur est aussi un instrument essentiel au bon fonctionnement de la société de la connaissance, où un nombre croissant d'activités est concerné. Légiférer en la matière implique d'envisager les conséquences qu'aura sa modification dans des secteurs où les logiques sont parfois différentes de celles de la filière culturelle.

        Enfin, le droit d'auteur est un contrat social : la recherche permanente d'un équilibre entre les droits des créateurs et l'intérêt du public. Les exceptions - dont celle pour la copie privée - en font un véritable pacte pour les citoyens. Depuis le XVIIIe siècle, la quête de cet équilibre est au cœur des législations sur le droit d'auteur, qu'elles soient explicites comme aux Etats-Unis ou implicites comme en France. En reconnaissant un monopole provisoire des auteurs sur les œuvres, les Révolutionnaires de 1789 veillèrent aussi à leur retour rapide dans le domaine public. De même, c'est cet équilibre que recherchaient Jean Zay et le Front populaire lorsqu'ils travaillaient à une loi dans laquelle l'auteur serait considéré non comme un propriétaire, mais comme un travailleur intellectuel.

        M. Christian Paul - Très bien !

        M. Patrick Bloche - Le groupe socialiste refuse la logique conflictuelle qui oppose les intérêts des créateurs à ceux du public, les droits d'auteur et les libertés publiques, l'accès aux œuvres et leur rémunération. Voilà pourquoi nous demandons au Gouvernement de renoncer à l'urgence : une lecture dans chaque assemblée et la réunion d'une CMP pour boucler l'examen de ce texte, c'est inacceptable !

        M. François Bayrou et Mme Martine Billard - Exactement !

        M. Patrick Bloche - Le droit d'auteur, garant de la diversité culturelle, ne peut souffrir un traitement à la hâte, d'autant que vos arguments sont contestables - et très contestés. En ignorant les nombreuses objections qui vous sont faites, vous nous entraînez dans un faux débat.

        Tout d'abord, vous prétendez défendre le droit d'auteur, mais vous en assurez en fait le dévoiement. La société de l'information porte en germe la démocratisation de l'accès aux œuvres culturelles, mais elle a aussi bouleversé les conditions économiques de la création comme celles de la diffusion et de l'accès au patrimoine culturel. La première étape de cette mutation numérique a beaucoup profité aux industries culturelles - grâce au passage du vinyle au CD, par exemple. La seconde étape, c'est la dématérialisation actuelle des œuvres avec le développement d'internet et du numérique. La compression et la numérisation des données, la généralisation du haut débit et le développement de l'interactivité ont presque annihilé les contraintes liées à la pénurie des ressources. Les technologies arrivent aujourd'hui à maturité, et une floraison d'outils sont disponibles sur les marchés. Les usages de millions de citoyens sont ainsi profondément modifiés.

        Dans le même temps, le mouvement de l'appropriation privée s'accélère dans tous les domaines de la création. En effet, la mutation numérique bouleverse les intérêts financiers attachés au droit de la propriété intellectuelle. Comme chaque innovation technologique, elle ravive les tensions autour de la rémunération. D'un côté, les créateurs se sentent menacés par l'évolution des pratiques et adoptent une position défensive qui entrave parfois le dialogue ; de l'autre, les utilisateurs ne comprennent pas toujours les obstacles à la diffusion de contenus.

        Jusqu'à présent, ces conflits se sont toujours conclus par des compromis : reconnaissance de nouveaux droits, nouveaux modes de rémunération, extension de la gestion collective, ouverture de nouveaux marchés ou émergence de nouveaux opérateurs... A leur apparition, les cassettes audio et les magnétoscopes furent dénoncés comme une menace pour les industries concernées. On sait ce qu'il en advint... Dans chacune de ces crises, le droit d'auteur a révélé ses capacités d'adaptation et les pouvoirs publics sont intervenus pour préserver l'équilibre entre les intérêts des titulaires de droit et ceux du public.

        La notion de droit d'auteur doit évoluer, mais elle ne peut pas être un simple outil d'appropriation comme le copyright. La propriété intellectuelle, certes vitale pour les auteurs, ne doit pas empêcher la circulation des œuvres. L'extension du domaine privé est donc une réponse paradoxale aux effets de la numérisation et de l'interconnexion des réseaux, qui favorisent un plus large accès aux œuvres. Il ne faut donc pas modifier le droit dans un sens plus répressif. Le renforcement des droits de propriété intellectuelle que vous proposez risque de conduire à son affaiblissement car à raisonner en termes de répression, à assimiler les œuvres à des biens de consommation courante et à criminaliser les internautes, le droit d'auteur se perdra.

        Hélas, et c'est le deuxième élément de ce faux débat, vous comptez sur l'industrie du disque pour développer une offre dite légale, alors que son objectif principal est de poursuivre les pirates. Reprenant à son compte le langage des industries du disque, le Gouvernement est responsable des conflits actuels et du fossé grandissant entre l'industrie musicale et son public.

        On a cru, à l'été 2004, à une légère correction de tir avec la signature, à l'Olympia - propriété de Vivendi Universal, tout un symbole - de la charte sur la musique en ligne qui visait à impliquer les fournisseurs d'accès dans la lutte contre le piratage et devait associer la promotion des offres légales et payantes à la pédagogie auprès des internautes. Pourtant, le développement de l'offre légale fut faible ; les mesures répressives, en revanche, nombreuses. Pascal Nègre, principal promoteur de cette charte, en résumait ainsi l'esprit : « Vous voulez la plus belle discothèque du monde, chacun a ses rêves : il y a des filles qui veulent 153 diamants, mais elles ne peuvent pas se les payer et elles n'en ont aucun ». Tout est dit : les œuvres sont réduites à des produits de consommation courantes. Cette charte s'appuie sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique qui prévoit jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour les actes de contrefaçon, ainsi que sur la révision de la loi informatique et libertés qui autorise désormais des personnes morales à relever et traiter les données relatives à des infractions dont elles s'estiment victimes. Elle n'a eu qu'un seul but : entamer dès la rentrée de 2004 une vague de procès pour l'exemple.

        Qu'en est-il aujourd'hui du développement de l'offre dite légale, alors présentée comme l'unique solution ? Nous doutions de l'efficacité des mesures proposées. L'objectif de 600 000 titres nous paraissait très faible et correspond à peine au nombre d'albums disponibles dans un grand magasin. Nous avions également émis des craintes quant au coût de la numérisation, celle-ci ne portant que sur des best-sellers, ce qui entraîne de facto une baisse de la diversité culturelle. Aucune obligation, en cette matière, n'était d'ailleurs prévue. Cette charte, enfin, n'envisageait rien de concret quant à l'interopérabilité des plateformes de téléchargement en ligne et du matériel d'écoute.

        Un an plus tard, nos craintes se sont confirmées. Le bureau européen des consommateurs vient de publier deux études pointant les carences de la seule alternative officielle aux usages actuels des internautes. La conclusion est sans appel : pauvreté de l'offre et casse-tête technique. Concernant la diversité culturelle, le résultat est affligeant : les disponibilités des œuvres de 260 artistes ont été testées sur sept sites. En moyenne, les deux tiers ne sont pas disponibles et ce chiffre atteint 90 % sur le seul répertoire consacré à la musique classique. En somme, comme titrait récemment un quotidien, « télécharger légal, c'est télécharger banal. » Concernant l'interopérabilité des plateformes, la situation est également ubuesque. Chaque site légal dispose de son propre système et il est quasiment impossible de lire un fichier téléchargé sur un baladeur numérique, comme si l'acheteur d'un CD devait se préoccuper de la marque de sa chaîne Hi fi.

        Troisième élément de ce faux débat : l'établissement d'un lien entre la baisse de ventes de disques et le téléchargement sur les réseaux de peer to peer. Cette incapacité de s'adapter aux évolutions de la société de l'information et cette volonté d'une répression accrue sont fondées sur ce présupposé initial contestable : en effet, ce n'est pas parce que ces deux phénomènes sont concomitants qu'ils sont directement liés. Aucune étude sérieuse ne confirme une telle hypothèse : seule une part très limitée de la réduction des ventes de disques est due au réseau d'échange en ligne. Une étude américaine publiée en 2004 conclut par exemple qu'il faut 5 000 téléchargements de fichiers pour diminuer la vente d'un disque. Dans ces conditions, les réseaux d'échange ne seraient responsables que d'une baisse des ventes de 2,5 pour 1 000. Le département des études de la prospective et de la statistique du ministère de la culture a, quant à lui, publié une étude sur les pratiques déclarées de téléchargements de fichiers. Le nombre d'internautes qui téléchargent régulièrement sur les réseaux d'échange est évalué à 31 %, mais le téléchargement n'a pas modifié leurs pratiques concernant le cinéma, les jeux vidéos ou la musique. Depuis qu'ils téléchargent des fichiers de films, 75 % d'entre eux ont déclaré ne pas avoir modifié leur fréquence de sorties au cinéma. 64 % des personnes qui téléchargent des fichiers musicaux déclarent acheter des CD neufs autant qu'avant, et 12 % plus qu'avant.

        M. Frédéric Dutoit - Très juste.

        M. Patrick Bloche - La motivation première des internautes, d'ailleurs, n'est pas la gratuité. Ils veulent profiter d'une offre plus abondante que sur les plateformes légales. Une étude de l'OCDE souligne que les industries du disque n'ont pas encore su tirer profit des nouvelles technologies. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 8,5 millions de personnes téléchargent des fichiers sur les réseaux peer to peer ; plus de 20 milliards de fichiers musicaux ont été téléchargés en 2004 à travers les serveurs d'échanges contre seulement 310 millions sur les sites payants. Les internautes ont bel et bien adopté le peer to peer. Comme le souligne Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats...

        M. le Rapporteur - Et membre du parti socialiste !

        M. Patrick Bloche - ...quand une pratique qui est une infraction se généralise pour toute une génération, c'est la preuve que l'application d'un texte à un domaine particulier est inepte.

        M. Frédéric Dutoit - Et rétrograde !

        M. Patrick Bloche - Quatrième élément de ce faux débat : vous criminalisez des pratiques tout en ignorant les récentes avancées jurisprudentielles. Cette inadéquation entre la règle et la pratique est source d'une insécurité juridique importante. Or, les termes de piraterie et de piratage ne sauraient viser uniformément le téléchargement d'œuvres protégées, leur mise à disposition ou leur contrefaçon dans un but commercial. Le caractère illicite du téléchargement est controversé. La commission canadienne du droit d'auteur a par exemple conclu que télécharger sur internet constitue un acte de copie privée tout à fait légal à condition de ne pas vendre, louer ou communiquer la copie au public. En France, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour demander une clarification de la ligne de partage entre le licite et l'illicite. Ainsi, le Conseil économique et social a récemment proposé de qualifier de copies privées les téléchargements d'œuvres au lieu de les assimiler systématiquement à du piratage. Le 10 mars 2005, la cour d'appel de Montpellier a confirmé la relaxe d'un internaute ayant téléchargé des œuvres. Il n'est donc pas nécessaire de disposer d'un exemplaire original acheté dans le commerce pour bénéficier de l'exception pour copie privée. Ces décisions mettent non seulement un frein aux tentatives de poursuite des pirates mais elles doivent être le point de départ d'une réflexion renouvelée sur le devenir de la copie privée comme point d'équilibre du droit d'auteur.

        Cinquième élément de ce faux débat : vous prétendez agir pour sauvegarder la vitalité économique de l'industrie culturelle mais vous l'empêchez de profiter des bénéfices de la société de l'information. L'avis du conseil d'analyse économique est éclairant. Il montre en effet que les logiques défensives cherchent à maintenir le plus longtemps possible le fonctionnement classique des marchés et à restaurer la liaison entre le contenu d'une œuvre et son support physique. Il estime également que ces tentatives sont non seulement vouées à l'échec mais que leur persistance prive la société des bénéfices de la révolution numérique. Gageons que ceux qui mènent ces combats d'arrière-garde auront, comme l'affirme l'économiste Pierre-Noël Giraud, autant de chances de succès que ceux qui se seraient opposés à l'imprimerie pour sauvegarder l'emploi des copistes...

        M. Christian Paul - Voilà la ligne Maginot !

        M. Patrick Bloche - ...et l'art de la calligraphie dans l'Occident médiéval. Les technologies de l'information multiplient les capacités de production et de diffusion des programmes. Elles représentent un gain considérable et sont une chance pour les artistes : potentialité de diffusion accrue, prime à la diversité, lutte contre la standardisation, promotion des labels indépendants. C'est un nouveau modèle économique que nous devons inventer ! Malheureusement, nous n'en trouvons nulle trace dans ce projet. Le Gouvernement navigue ainsi à vue, sans se soucier du long terme. Il donne son blanc-seing aux majors du disque qui s'ingénient à mettre en place des moyens juridiques et techniques pour faire payer ce que le progrès technique rend accessible au plus grand nombre. Celles-ci n'ont pas su profiter du développement du commerce électronique et souhaitent se voir reconnaître les moyens d'endiguer ce phénomène par le recours à un arsenal pénal et technologique. Mais l'internet ne peut être le bouc émissaire d'une industrie qui peine à renouveler son modèle économique. Même les artistes ne vous suivent pas dans votre volonté de barricader le droit d'auteur. Ils ont bien compris que cette révolution culturelle était inéluctable ! D'après une enquête menée aux Etats-Unis auprès de 2 700 artistes, 3 % seulement des musiciens estiment qu'internet nuit à la possibilité de protéger leurs créations.

        Reconnaissons tout de même que le Gouvernement a le mérite de la cohérence. Force est de constater que ce projet repose sur la même base que l'ensemble des textes que vous avez présentés depuis 2002 : la dimension répressive. Ce texte ne se contente pas de transposer une directive mais il ajoute des sanctions supplémentaires et constitue une nouvelle étape dans ce que Philippe Aigrain appelle une « course aux armements de la propriété intellectuelle. » Peut-être l'idée de la riposte graduée en est-elle d'ailleurs issue. L'assimilation du contournement d'une mesure technique de protection à de la contrefaçon en est la parfaite illustration.

        Transposer une directive ne doit pas nous faire oublier notre rôle de régulateur mais nous conduire plutôt à nous interroger sur des dispositions plus problématiques qu'il n'y paraissait il y a quatre ans. Las, vous avez ignoré les difficultés et durci les problèmes ! Ce durcissement est particulièrement vrai pour ce qui concerne les mesures techniques de protection - les MTP.

        Jusqu'à présent, la protection des droits sur les œuvres était essentiellement juridique. Désormais, des techniques numériques permettent d'envisager une protection physique des documents multimédias et des droits d'auteur qui s'y rattachent. Pourtant, aucun de ces procédés ne résiste à l'inventivité des ingénieurs et autres hackers. Toutes les logiques de codage peuvent être contournées, de même que les procédés de marquage. Les promoteurs des MTP l'ont du reste bien compris. Conscients de leur vulnérabilité, ils ont souhaité que les MTP soient elles-mêmes protégées, ce que font le traité de l'Organisation mondiale sur la propriété intellectuelle de1996 et la directive en voie d'être transposée. Ainsi s'est constitué un empilement de protections : la loi sur le droit d'auteur, les MTP, la protection des MTP, un utilisateur les contournant se rendant coupable de la violation du droit d'auteur et de celle des dispositions relatives aux MTP ! Cependant, alors même que la directive ne le requiert pas, vous avez souhaité ajouter un quatrième palier de protection, en considérant comme un délit le fait de divulguer une information sur le contournement d'une MTP. Gardons à l'esprit que les MTP n'ont pas été conçues pour répondre aux échanges de fichiers sur le réseau peer to peer. La directive qu'il nous est proposé de transposer remonte à 1996 - elle tend à intégrer dans le droit communautaire le traité de l'OMPI, lequel introduit la notion de mesures techniques de protection contre la copie en droit international. Elle est donc antérieure au phénomène du peer to peer, qui n'a démarré qu'en 1999. Aussi, en 1998, date à laquelle ont été entamées les négociations sur la directive, nous n'avions qu'une idée très vague de ce que recouvraient réellement les MTP. Notre vision s'est aujourd'hui précisée, et sans doute convient-il de distinguer les finalités à leur assigner.

        Certaines mesures techniques tendent simplement à notifier à l'utilisateur le régime de protection de l'œuvre, la manière dont il peut en disposer et comment s'acquitter, le cas échéant, du paiement d'une redevance. Ce type de mesures ne soulève aucune objection de principe. Elles participent d'une démarche bienvenue de responsabilisation des usagers.

        D'autres, par contre, visent à contrôler ou à restreindre l'utilisation des œuvres. Ces dispositifs peuvent être anti-copie, anti-usage ou tendre à identifier l'utilisateur, à tracer l'usage de l'œuvre ou à la tatouer... Au-delà de leurs aspects intrusifs - je pense au fameux rootkit de Sony que les éditeurs de logiciels anti-virus ont récemment classé dans la catégorie des produits espions ! -, la généralisation des dispositifs de protection risque de transformer en profondeur le régime du droit d'auteur. D'abord, les MTP peuvent porter atteinte à la vie privée, en violant notamment le secret des choix de programmes. Certaines peuvent même espionner les utilisateurs qui accèdent à des œuvres sur leur machine et envoyer des données à leur insu. De telles mesures autorisent ainsi un industriel à savoir qui lit quoi et à quel moment ! Elles peuvent également faire obstacle à la faculté de procéder à des copies privées, et leur développement non contrôlé annulerait de fait l'exception reconnue en la matière.

        Comment, par exemple, un utilisateur pourrait-il accepter de payer une redevance de copie privée sur les supports vierges et, dans le même temps, se voir interdire par une MTP d'exercer un droit effectif à copier à titre privé ? Au surplus, la directive repose sur un mauvais équilibre et il est à craindre que les exceptions pour copie privée ne soient peu à peu annulées par les progrès des MTP. Le groupe socialiste unanime (Murmures) a ainsi déposé un amendement visant à transcrire une disposition essentielle de la directive, que vous avez délibérément écartée. Nous proposons en effet que le degré d'utilisation des MTP soit pris en compte dans la répartition de la rémunération pour copie privée. C'est du reste à l'unanimité que le groupe socialiste présentera les amendements qui viendront en discussion...

        M. François Bayrou - L'unanimité ne garantit jamais la vérité !

        Plusieurs députés UMP - C'est la synthèse !

        M. Patrick Bloche - Je souhaite la même unanimité au groupe UMP ! Et puisse-t-elle convaincre le ministre de nuancer certains de ses propos !

        Comme je l'évoquais précédemment, vous avez durci la directive en assimilant à de la contrefaçon le contournement d'une MTP. Vous n'y étiez pas du tout obligés ! En Italie, une simple amende est prévue, et, en Espagne, les copies à des fins non commerciales ne portant pas atteinte à l'exploitation de l'œuvre sont tolérées.

        Désormais, en France, un utilisateur ayant légalement acquis une œuvre, et qui parvient à en faire une copie privée malgré les MTP, sera poursuivi pour contrefaçon. Ainsi, la simple jouissance de la copie privée devient un délit passible de trois ans de prison et 300 000 euros d'amende ! D'où l'un de nos amendements, qui vise à ce que l'exception pour copie privée ne soit pas que théorique, en excluant du délit de contrefaçon les actes de contournement des MTP des œuvres par celui qui les a licitement acquises.

        Par ailleurs, les MTP peuvent porter atteinte aux droits dont dispose chaque auteur, qu'il s'agisse du droit au respect des œuvres, au droit moral qui leur est reconnu depuis le XIXe siècle, tant il est vrai que le droit d'auteur n'est pas seulement patrimonial mais aussi moral. L'exercice de ce droit moral permet aux auteurs de choisir la manière dont leurs œuvres sont mises à la disposition du public. Rien n'empêche, par exemple, qu'une mesure technique impose le visionnage d'une publicité au milieu d'une œuvre. Il est donc impératif que les auteurs soient associés aux choix des MTP et puissent contester un abus manifeste de mesures techniques. Tel sera l'objet de deux de nos amendements.

        Enfin, les MTP posent un problème d'interopérabilité. Didier Mathus et Christian Paul ont déjà évoqué cette question et je voudrais y revenir brièvement. Il nous faut lever l'incertitude des consommateurs quant à la capacité du matériel dont ils disposent à lire une œuvre acquise légalement. Le fournisseur doit donner les éléments qui garantissent que les œuvres protégées doivent pouvoir être converties dans un format accepté par tout autre système de lecture. Plus globalement, la généralisation des MTP est préoccupante puisqu'elle place la filière musicale sous la dépendance de la poignée de fournisseurs de solutions techniques que sont Microsoft, Apple ou Sony. Le secteur de la musique, déjà hyper concentré, confie son avenir à des acteurs industriels de l'informatique, dont le modèle économique repose sur l'organisation de marchés captifs : Microsoft via Windows Media Audio et Appel via l'iPod. Comble du paradoxe, nombre de technologies de numérisation et de diffusion des biens culturels ont été développés grâce à des financements communautaires ! Malheureusement, loin de se conformer au patriotisme économique prôné par le Premier ministre, le Gouvernement encourage la filière musicale à se tourner vers des solutions techniques américaines, relevant pour l'essentiel de Microsoft.

        Christian Paul a rappelé hier, dans un remarquable exercice didactique (Exclamations sur divers bancs), le casse-tête auquel est confronté tout détenteur de baladeur numérique. D'ailleurs, d'ici trois jours, je puis vous garantir que ces appareils figureront en bonne place au pied des sapins de Noël ! Quel message envoyez-vous à leurs futurs propriétaires ? « Attention ! Vous êtes des délinquants potentiels et, bientôt, des pirates ! » Tel est votre propos à trois jours des fêtes ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

        Et je reprends à ce point de mon propos la démonstration de Christian Paul, en vous invitant à l'écouter en pensant à vos enfants !

        Plusieurs députés UMP - Nos amendements vont régler le problème !

        M. Patrick Bloche - Avec un iPod, je ne peux transférer les titres d'un CD assorti de MTP, même si je l'ai acheté légalement. Pour les lire, je suis donc obligé de les contourner. Sanction prévue par le projet de loi : jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende. Avec le même appareil, je ne peux transférer un titre acheté dans une boutique en ligne - vous savez bien, les marchands du temple qui se tenaient hier à proximité immédiate de cet hémicycle ! -, les formats et les MTP de ces plateformes n'étant pas compatibles avec les formats du baladeur. Pour le lire, je vais donc devoir contourner les MTP installées par la maison de disque. Sanction encourue : jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende !

        La FNAC - premier vendeur européen d'iPod - vend sur sa plateforme de musique en ligne des fichiers, protégés par le format et les MPT de Microsoft, que l'iPod ne peut pas lire. Dès lors, elle donne l'astuce de graver le titre ! Sanction encourue : jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende.

        Avec un iPod, la seule option légale qui s'offre à moi si je souhaite acheter de la musique en ligne, c'est de me rendre sur la plateforme d'Apple. Je vous le demande : le but du projet de loi est-il de conforter le monopole d'Apple ? Il me reste la solution d'acheter un second baladeur, d'une autre marque, acceptant les formats Microsoft, pour lire les titres que j'acquiers sur d'autres plateformes. Le but du projet de loi est-il dans ce cas de renforcer le monopole de Microsoft sur les systèmes d'exploitation ? N'est-ce pas pourtant pour avoir lié le format de diffusion de la musique et celui des films que Microsoft a été condamné récemment pour abus de position dominante par la Commission européenne ? Alors, certes, quel que soit mon baladeur, je peux lire de la musique en format MP3. Malheureusement, aucune plateforme de musique en ligne n'en propose à la vente. Je suis donc obligé d'aller sur un réseau d'échange peer to peer. Sanction prévue par le projet de loi : jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende !

        M. le Ministre - C'est faux !

        M. Patrick Bloche - Voilà, Monsieur le ministre, ce que vous appelez un point d'équilibre ! Mais vous avez tout de même bien compris que cet arsenal était mal compris et fortement contesté. Alors, vous nous sortez cet amendement 228, tendant à instaurer une réponse - il vaudrait mieux parler de riposte ! - graduée à l'égard du peer to peer. Je ne reviendrai pas sur les conditions de transmission de cet amendement. Nombre de nos collègues ont déjà dit qu'elles faisaient injure aux parlementaires ! Avouez que la création d'un nouveau chapitre dans le code de la propriété intellectuelle, composé de sept articles, méritait un examen plus sérieux ! Nous n'avons eu l'amendement qu'hier soir ! Ses dispositions sont dignes de la loi anti-casseurs : elles instaurent une responsabilité pénale collective et créent de nouvelles obligations pour les internautes : il leur appartient désormais de prendre les précautions nécessaires pour ne pas reproduire ou communiquer au public des œuvres sans autorisation des titulaires des droits d'auteur ! La peine plancher, en cas de récidive dans l'année, est entre 150 et 300 euros, et elle peut atteindre 1 500 euros ! Compte tenu du nombre de personnes obligées de contourner les mesures techniques de protection, il y a fort à parier que de telles dispositions seront source d'un contentieux important.

        L'amendement 225 transforme le collège des médiateurs en autorité de médiation et de protection de la propriété littéraire et artistique, nouvelle autorité administrative indépendante chargée de statuer sur les différends relatifs aux mesures techniques et de prononcer les sanctions à l'encontre des internautes. Il y a vraiment deux poids deux mesures : à l'endroit de l'industrie culturelle, qui porte sciemment atteinte au droit de la copie privée, le Gouvernement choisit la conciliation, mais à l'encontre des internautes, la répression aveugle ! Il contourne ainsi la justice, qu'il trouve visiblement trop clémente vis-à-vis de ces derniers et trop sévère avec l'industrie culturelle. Christian Paul a raison de demander la présence du Garde des Sceaux ! Tout laisse en effet à penser que le Chancellerie est foncièrement opposée à vos amendements !

        M. le Ministre - Mais non !

        M. Patrick Bloche - Vous mettez en place une justice d'exception qui n'a pour objectif que de servir une fois de plus les intérêts de l'industrie culturelle. Quel sens de la graduation !

        Tels sont les problèmes concrets que posent les mesures techniques. On marche sur la tête ! Nos amendements permettraient de relativiser le bénéfice de l'utilisation d'une mesure de protection pour les ayants droit et d'apporter les garanties d'interopérabilité essentielles aux utilisateurs de logiciels libres. Les deux amendements identiques, que nous appelons Vivendi Universal, qui rendent les mesures de protection obligatoires pour tout logiciel de communication, nous inquiètent fortement car ils auront pour effet de brider l'innovation dans les technologies de diffusion, notamment pour les logiciels libres et ceux qui organisent l'interopérabilité. Ces effets dépassent très largement la seule musique en ligne et nous ne pouvons accepter que, sous couvert de transposer une directive, le Gouvernement entame tout simplement un processus d'éradication du libre !

        Enfin, et contrairement aux mesures techniques de protection, on ne peut pas dire que vous ayez profité de toutes les possibilités laissées par la directive pour décider des exceptions ! Seules deux ont été retenues, l'une à caractère technique, qui concerne les copies temporaires, et l'autre relative aux personnes handicapées. Il est vrai que la France a une tradition restrictive en la matière, mais il y avait là une formidable opportunité de faire respirer la loi de 1957 ! Certaines des pétitions qui circulent contre ce projet de loi demandent l'extension des exceptions à d'autres domaines, pour des raisons professionnelles. Les bibliothécaires et les archivistes doivent pouvoir continuer leur mission dans le contexte numérique ! Les enseignants et les chercheurs ne doivent pas être obligés de violer la loi chaque jour, ils ne doivent pas être entravés sans cesse dans leurs activité ! Cette situation ne peut plus durer ! Dès 1998, j'avais remis à Lionel Jospin un rapport qui en faisait état. J'avais souhaité que tous les acteurs se réunissent pour parvenir à un accord. Certaines négociations ont été entamées, mais elles sont trop lentes face à la rapidité du développement du réseau. C'est pourquoi il nous faut mettre en place un dispositif d'exceptions aux droits d'auteur à des fins de recherche et d'enseignement.

        Notre position ne résulte pas de la volonté de s'opposer coûte que coûte. L'opposition à ce texte ne se trouve d'ailleurs pas seulement sur nos bancs ! Nous refusons votre logique exclusivement répressive, qui est vouée, et à court terme, à l'échec. Mais évitons les faux procès : si nous ne recherchons pas l'éradication des réseaux de peer to peer, nous ne voudrions pas pour autant du laisser-faire ! Entre les deux, il existe d'autres solutions, qu'une concertation préalable et un renvoi en commission permettraient à l'Assemblée d'explorer. L'internet et les réseaux peer to peer sont les laboratoires où s'activent les créateurs d'aujourd'hui, où vit une partie de notre jeunesse et où s'inventent les cultures de demain. Leur utilisation est durablement inscrite dans les pratiques de millions d'internautes. Avec les 250 millions d'utilisateurs qu'il a gagnés en cinq ans, le peer to peer est la technologie adoptée le plus rapidement de tous les temps ! C'est une architecture de diffusion remarquablement efficace et économe. C'est un instrument idéal pour la valorisation des œuvres du domaine public ainsi qu'un puissant outil de découverte, d'exposition et de promotion des œuvres.

        La croissance exponentielle du peer to peer et ses qualités intrinsèques le rendent incontournable pour les industries culturelles. Il n'est ni un fléau, ni une nuisance, ni une parenthèse. Il ne doit pas être un espace de gratuité et n'annonce pas la fin des intermédiaires que sont les éditeurs et les producteurs. Mais il est certain que la situation actuelle ne peut plus durer : poursuites judiciaires contre le public, insécurité juridique, absence de rémunération pour les œuvres téléchargées et échangées... Il est plus qu'urgent d'encadrer ces pratiques et de les intégrer dans l'économie culturelle.

        La voie moyenne consiste à reconnaître la légitimité des échanges non commerciaux et à en encadrer l'exercice. En tout état de cause, l'utilisation des œuvres doit donner lieu à une rémunération. Le groupe socialiste n'est en rien l'avocat de la gratuité ! Attachés au droit d'auteur, nous revendiquons, plus que jamais, des solutions novatrices ! Ainsi, les fournisseurs d'accès à internet sont aujourd'hui, avec les fournisseurs d'équipement, de stockage et de lecture, les principaux bénéficiaires du téléchargement des œuvres. Par conséquent, ils ne peuvent s'exonérer d'une double obligation, envers leurs abonnés, pour leur garantir une certaine sécurité juridique, et envers les créateurs, dont les œuvres sont massivement utilisées sans aucune contrepartie.

        Il y a deux manières d'aborder la question de la rémunération. La première s'inscrit dans une logique de compensation du préjudice : l'on considère que le téléchargement se substitue à l'achat des œuvres. L'ampleur de cet effet de substitution et du manque à gagner qui en résulte est très difficile à mesurer. La seconde se base sur le constat que les échanges d'œuvres sur internet n'engendrent aucune rémunération pour les créateurs : il faut dès lors étendre aux échanges de fichiers non commerciaux les principes de la rémunération forfaitaire qui existe pour les supports vierges ou la radio. C'est à cette option que va notre préférence. Cette démarche n'est d'ailleurs pas très différente de celle qui conduisit en 1985 le législateur à reconnaître le phénomène de la copie privée et à l'encadrer par un mécanisme de rémunération assis sur les supports vierges.

        La philosophie de la rémunération pour copie privée n'est pas de faire payer les utilisateurs pour les autoriser à faire des copies : elle vise en fait ceux qui tirent profit de la vente de supports. Son extension aux échanges sur internet aboutirait à faire supporter la rémunération des créateurs par les fournisseurs d'accès. Nous proposerons par amendement d'expérimenter une licence globale contractuelle, qui autoriserait les internautes à accéder à des contenus culturels sur internet et à les échanger à des fins non commerciales en contrepartie d'une rémunération pour les auteurs, versée à l'occasion du paiement mensuel de l'abonnement à l'internet.

        M. Richard Cazenave - Ça ne tient pas la route ! Ce n'est même pas conforme à la directive !

        M. Patrick Bloche - Mais si ! Vous avez entendu le terme « licence » et vous n'écoutez plus rien ! Cette licence, qui serait expérimentée pendant trois ans pour pouvoir en mesurer tous les effets, permet d'éviter le tout répressif et de rendre parfaitement claire la ligne de partage entre le licite et l'illicite - comme la contrefaçon à grande échelle de CD et de DVD, réalisée à des fins commerciales. Elle permet aussi de remédier à l'absence de rémunération pour les œuvres échangées, car nous savons que la gratuité n'est pas le motif essentiel des internautes : ils ne disposent d'aucune solution pour payer les œuvres qu'ils veulent avoir ! Un récent sondage montre d'ailleurs que 75 % des internautes sont prêts à payer sept euros par mois pour accéder librement aux réseaux d'échanges.

        Cette solution entérinerait la jurisprudence actuelle qui considère que les téléchargements peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée. C'est tout le sens de l'un de nos amendements visant à garantir une sécurité juridique pour les utilisateurs de réseaux numériques amenés à reproduire des œuvres protégées. La seconde justification de cette solution est qu'elle permet de rétribuer les ayants droit au titre du droit exclusif de mise à la disposition du public. L'autorisation est donnée aux internautes, et la rémunération est ensuite redistribuée aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs. Dans son rapport, le professeur Lucas compare d'ailleurs cette solution à celle trouvée dans le cas de la photocopie. Elle donne toute sa place à la gestion collective à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Nous serons d'ailleurs très vigilants sur les initiatives de la Commission européenne visant à ouvrir à la concurrence le secteur de la gestion collective, ce qui pourrait fragiliser la position des créateurs et conduire à un moins-disant culturel.

        Notre solution, adaptée au réseau, ne va pas à contre-courant des usages de millions d'internautes, et, mettant fin à la gratuité, permet de rémunérer les ayants droit. L'alliance public-artistes, qui défend également la licence globale, a d'ailleurs calculé que si cinq euros par mois avaient été prélevés au niveau des fournisseurs d'accès à internet et auprès des internautes connectés au haut débit, 600 millions d'euros auraient déjà pu revenir aux ayants droit. Cela montre combien la situation pénalise les créateurs.

        Il faut cela étant rappeler ici le caractère illicite d'activités qui compromettent l'exploitation normale des œuvres, comme le téléchargement d'œuvres avant leur fixation sur un support ou avant la diffusion en salle pour un filM. Il importe dans le domaine du cinéma, de respecter la chronologie des médias. C'est d'ailleurs pourquoi aucun de nos amendements ne concernera ce domaine.

        Les adversaires de cette solution équilibrée considèrent que tous les internautes ne fréquentent pas les réseaux d'échanges, ce en quoi ils ont raison. C'est pourquoi nous souhaitons que la licence globale soit optionnelle.

        Elle devrait être mise en place pour une durée provisoire afin d'en tester l'efficacité et de ne pas compromettre des développements futurs. Le secteur de la musique en ligne est en effet en pleine évolution. Les grandes maisons de disques, comme les labels indépendants, développent actuellement des offres commerciales à partir de forfaits et d'une nouvelle génération de plates-formes fondées sur les technologies peer to peer. Un régime transitoire permettrait d'accompagner l'industrie de la musique dans sa transition vers le numérique, laquelle est inéluctable à plus ou moins long terme. L'avantage de cette solution est de n'écarter aucune piste. Il permet, au contraire, de poursuivre la réflexion pour mettre au point les modèles économiques, techniques et sociaux les plus pertinents.

        Monsieur le ministre, votre projet de loi fait la part trop belle aux mesures répressives. Soyons réalistes : la multiplication des procès et les stratégies défensives de lutte contre les réseaux peer to peer sont vaines. Ils produiront, si ce n'est déjà fait, l'inverse des effets attendus et aboutiront à affaiblir le droit d'auteur.

        Faute d'une analyse approfondie de la situation, faute de propositions innovantes et adaptées, votre texte, s'il n'est pas sérieusement amendé, sera inapplicable et source d'importants contentieux, au risque de dévaloriser et délégitimer la loi. Je ne parle même pas de ses dommages collatéraux. En effet, le droit d'auteur ne concerne pas uniquement l'industrie culturelle. Il régit aussi des pans entiers de la société des connaissances et du savoir. Nous ne pouvons l'ignorer, comme vous ne pouvez ignorer les divisions que suscite votre texte parmi l'ensemble des professions artistiques mais aussi chez les juristes, les économistes, et même dans votre propre majorité.

        Affaiblissement du droit d'auteur, dévalorisation de la loi, dommages collatéraux pour de nombreux secteurs, contestations, divisions : à l'évidence, ce projet de loi n'est pas mûr. Peut-être, datant de deux ans, est-il trop vieux pour saisir tous les enjeux actuels ? L'Assemblée doit disposer de plus de temps et de moyens pour l'examiner en profondeur. C'est le sens de notre demande de renvoi en commission.

        Par nos amendements, nous avons tenté d'ouvrir d'autres pistes et de montrer que des solutions alternatives, servant la création, respectant les libertés fondamentales et renforçant le respect de la loi, étaient envisageables. Elles ne demandent qu'à être explorées, discutées, améliorées. Nous vous demandons, Monsieur le ministre, d'ouvrir rapidement une large concertation sur l'avenir des industries culturelles avec l'ensemble des auteurs, artistes-interprètes, producteurs, distributeurs, médiateurs culturels et utilisateurs finaux. L'ensemble des capacités d'expertise des administrations - direction du développement des médias, ministères de l'industrie et de la culture, réseau des ambassades... -, doit être mobilisé pour poser un diagnostic et analyser la situation concrètement, sans parti-pris idéologique.

        L'enjeu est d'importance. Nous n'avons qu'une infrastructure commune pour toute la société de l'information. Nous ne pouvons l'abandonner à ceux qui redoutent par-dessus tout la diversité. Il est plus que temps de se remettre au travail. Ce renvoi en commission est un acte de prudence nécessaire car, en ce domaine, plus qu'en d'autres encore, nous devons légiférer en tremblant... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe UDF).

        M. le Ministre - L'alternative à l'apocalypse que vous avez longuement décrite, Monsieur Bloche, c'est tout simplement le projet du Gouvernement. La pire des choses aujourd'hui serait d'attendre et de ne rien faire, de ne proposer aucune stratégie.

        Vous avez parlé à outrance de criminalisation. Pourquoi n'avez-vous pas rappelé que des offres légales vont voir le jour en plus grand nombre, après la concertation qui a permis le rapprochement des points de vue entre les fournisseurs d'accès à internet et le monde de la musique, de la radio, de la télévision et du cinéma ? J'aurais aimé que vous en arriviez à voir que la troisième voie que vous appelez de vos vœux, mais que vous n'avez que très succinctement exposée, c'est celle même que propose le Gouvernement. L'alternative à la pénalisation, c'est l'information, l'éducation, la prévention, à conduire notamment dans les établissements scolaires. Les valeurs de la diversité culturelle, du respect de soi comme des créateurs et de la propriété intellectuelle doivent l'emporter. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

        L'alternative, c'est le texte du Gouvernement dont j'espère, qu'il deviendra celui de la majorité présidentielle. Je compte sur les solides parlementaires de l'UMP pour soutenir ce beau projet qui permettra d'en finir avec des rapports antagonistes dignes du XIXe siècle. Notre majorité, tournée sur le XXIe siècle, aura permis que les plus jeunes comme les plus âgés de nos compatriotes qui ont le goût de la découverte sur internet puissent s'y livrer le faire avec joie et passion, dans le respect de la diversité culturelle et des droits des créateurs. Soyez-en fiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

        M. Philippe Houillon, président de la commission des lois - M. Bloche a longuement développé des arguments en faveur du renvoi en commission. Mais j'ai bien compris qu'il était opposé au projet du Gouvernement et qu'il était parfaitement informé, voire surinformé, sur le sujet, comme en témoigne le fait qu'il a parlé pendant près d'une heure et demie. Nous nous situons donc hors du champ d'application de l'article 91-7 de notre Règlement. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement quand le rapporteur, que je félicite, a procédé à pas moins de 53 auditions...

        M. Christian Paul - Oui, mais en solitaire, il y a un an !

        M. le Président de la commission - ...au cours desquelles il a entendu 107 personnes ? Le rapport a, pour sa part, été présenté en commission le 31 mai dernier. La commission s'est réunie hier au titre de l'article 88, et comme quelques amendements ont été présentés tardivement, dont il eût certes été préférable de disposer avant cette réunion, j'ai décidé de la réunir de nouveau ce soir à 21 heures pour qu'elle puisse les examiner.

        M. Dominique Richard - Dans l'intervention, pourtant ô combien documentée, de M. Bloche, à laquelle nous avons prêté toute notre attention, nous avons entendu beaucoup d'approximations, de contrevérités, d'amalgames. Mais à aucun moment de cette entreprise de désinformation, nous n'avons entendu un argument susceptible de justifier le renvoi en commission. De toute façon, le président de la commission vient de rendre sans objet la demande de renvoi, puisque l'amendement en objet sera examiné à 21 heures. Le groupe UMP ne votera donc pas cette motion qui n'est qu'une nouvelle manœuvre dilatoire.

        M. Christian Paul - Patrick Bloche a développé avec fougue et rigueur les nombreux motifs qui motivent que notre assemblée approfondisse son travail en commission. Le président de la commission des lois a fait le compte des auditions menées par le rapporteur, mais celles-ci remontent à dix-huit mois, parfois à deux ans. Les reports successifs du texte, au moment où le débat prenait de l'ampleur dans le pays, font que ce travail est terriblement daté et aurait mérité d'être repris.

        M. le Rapporteur - Il l'a été.

        M. Christian Paul - Le groupe socialiste a demandé il y a un an la création d'une mission d'information, qui lui a été refusée par la majorité.

        Pourquoi demandons-nous un renvoi en commission ? Nous attendions un grand débat de politique culturelle, nous espérions prendre la mesure des solutions à cette crise, nous souhaitions que l'exception culturelle française se manifeste. Mais nous en avons une autre idée que vous.

        Nous aurions aimé démontrer qu'il est possible d'échapper aux lois d'airain de l'économie mondialisée, de refonder la légitimité de l'intervention politique en matière culturelle. Or vous proposez, à la manière d'un Garde des Sceaux ou d'un ministre de l'Intérieur, de raffiner la répression qui est censée s'abattre depuis des mois sur les internautes. En effet, les juges se rebellent et la CNIL a refusé d'accréditer les méthodes d'identification des infractions.

        Vous êtes en train d'inventer une usine à gaz répressive, à base d'interceptions électroniques, de dénonciations, et utilisant un régiment de gardes assermentés. Il nous faut désormais choisir entre la Bastille et le pilori. Nous attendions Malraux, ce fut Maginot !

        M. Richard Cazenave - Elle n'est pas très bonne celle-là !

        M. Christian Paul - Vous vouliez que ce débat soit historique, il constituera sans doute le débat majeur de la législature sur les enjeux sociétaux. Mais si vous continuez ainsi, vous légiférerez contre la société. Prenons donc le temps d'une réflexion supplémentaire.

        Cette controverse, qui est notre bataille d'Hernani, partage tous les groupes, même si les socialistes ont progressé (Rires sur les bancs du groupe UMP) et sont parvenus à une position unanime. Peut-être trouverions-nous, Monsieur le président de la commission des lois, si nous échappions à la conception paresseuse du travail en commission qui est la vôtre, des points d'accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

        M. le Président - Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe UDF d'une demande de scrutin public.

        M. Frédéric Dutoit - J'aurais volontiers demandé une interruption de séance pour aller acheter un deuxième baladeur à mon fils, qui ne comprendrait pas que le père Noël l'envoie en prison dès dimanche...

        Le groupe des députés communistes et républicains votera cette motion car ce projet de loi est un texte d'arrière-garde. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il est techniquement possible de diffuser un socle commun de culture et de connaissances auprès de centaines de millions d'individus, simultanément et à un moindre coût.

        Confrontés à cette nouvelle réalité, les grandes industries du loisir et de l'information multiplient les entraves et les contrôles liberticides. Nous n'acceptons pas que la diffusion du savoir soit considérée comme un crime. Au péage généralisé, nous préférons le partage. Nous souhaitons une réforme globale du droit d'auteur, qui garantisse aux créateurs des revenus justes et équitables. Aux nouveaux modes de consommation doivent en effet correspondre de nouvelles logiques de rémunération. Ce texte de loi ne correspondant en rien aux exigences de la société du XXIe siècle.

        M. André Chassaigne - Très bien !

        M. François Bayrou - Le groupe UDF votera la motion de renvoi en commission. L'unanimité, qui aurait pu régner sur ces bancs quant au soutien à la création et à la diffusion culturelle sur l'internet, disparaît au fur et à mesure que la réflexion avance et que les risques semblent grandissants.

        Tout d'abord, ce texte, en imposant une cohérence absolue entre l'enregistrement et la diffusion, donne un avantage extraordinaire aux auteurs de logiciels propriétaires. Ensuite, il crée, par un amendement gouvernemental de sept pages déposé hier soir, une police de l'internet destinée à contrôler l'usage privé de nos outils informatiques.

        Cet amendement prévoit entre autre qu'« un agent mentionné à l'article L. 331-2 peut, lorsqu'il constate des actes mentionnés à l'article L. 336-2, demander à la personne dont l'activité est d'offrir l'accès à des services de communication au public en ligne au moyen duquel ont été commis ces actes de lui communiquer une référence correspondant au titulaire de l'accès en cause. »

        Monsieur le ministre, comment un agent peut-il constater ces actes ? De quelle manière cette police de l'internet filtrera-t-elle les fichiers techniques que nous recevrons, et comment fera-t-elle la part entre un fichier de nature artistique et un fichier de nature industrielle ? Nous donnons des outils exorbitants du droit public à une police, mise en place sans que nul ne s'en aperçoive, sans qu'aucune autorité publique ait été saisie, sans même que le conseil des ministres en ait délibéré !

        Et comment ferez-vous pour communiquer les adresses postales nécessaires aux lettres recommandées mentionnées par votre texte ? Je doute, Monsieur le président de la commission des lois, que la réunion de trente minutes que vous avez annoncée pour ce soir suffise à examiner la création subreptice de la police d'internet.

        Par ailleurs, les logiciels libres, qui se définissent par le fait que les codes sources sont à la disposition de tous les utilisateurs, permettent de contourner les mesures de protection. Ils se trouvent donc pénalisés, au bénéfice des logiciels propriétaires.

        Lorsqu'un sujet est aussi lourd de conséquences, il mérite une navette entre les deux assemblées. Cela permet à l'opinion publique de s'investir dans le débat parlementaire : en 17 jours, 117 000 personnes ont signé une pétition sur ce sujet. Lorsque le Gouvernement décrète l'urgence, il interdit aux parlementaires d'effectuer le travail pour lequel ils sont élus, celui d'élaborer la loi.

        Voilà pourquoi nous pensons qu'il est de la plus extrême sagesse de renvoyer le texte en commission, de demander au Gouvernement de renoncer à la procédure d'urgence et de réfléchir aux risques que nous sommes en train de prendre, sans que nul ne nous ait mis au courant à l'avance des dispositions que le Gouvernement avait décidé de prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

        A la majorité de 46 voix contre 20, sur 66 votants et 66 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.

        La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

        La séance est levée à 20 heures 15.

        La Directrice du service
        du compte rendu analytique,

        Catherine MANCY

         

         

        COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL

        Session ordinaire de 2005-2006 - 48ème jour de séance, 109ème séance

        2ème SÉANCE DU MERCREDI 21 DÉCEMBRE 2005

        PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD

        vice-présidente

        Sommaire

        DROIT D'AUTEUR
        DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite) 2

        ARTICLE PREMIER 2

        ORDRE DU JOUR DU JEUDI 22 DÉCEMBRE 2005 18

        La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

        DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite)

        L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

        Mme la Présidente - La commission des lois se réunissant en ce moment même, nous reprendrons la séance une fois qu'elle aura achevé ses travaux.

        La séance, suspendue à 21 heures 35, est reprise à 21 heures 50.

        M. Patrick Bloche - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58.

        Avec d'autres collègues ici présents, nous sortons de la réunion de la commission des lois, convoquée à 21 heures pour découvrir officiellement les deux amendements sur la « riposte graduée » que le Gouvernement nous avait présentés. Nous sommes sidérés par leur contenu. S'agissant de l'amendement 228 rectifié, nous remercions notre collègue Warsmann de nous avoir apporté quelques éclaircissements sur la rectification dont il a fait l'objet : avant celle-ci, il prévoyait la poursuite de tout abonné qui aurait, « y compris par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à l'obligation de prudence », « reproduit, représenté ou communiqué au public des œuvres de l'esprit sans l'autorisation des titulaires de droit ». Il semble que le Gouvernement se soit ressaisi, et que dans sa nouvelle version la sanction ne soit pas possible sans intention coupable. Il reste qu'on crée une infraction de présomption de contrefaçon, en méconnaissant la présomption d'innocence. Par ailleurs, le Gouvernement nous propose ex abrupto de créer une nouvelle autorité administrative indépendante... Vraiment, nous légiférons dans les pires conditions, alors qu'il s'agit d'un sujet majeur. Au nom du groupe socialiste, je tenais à dire à nouveau notre mécontentement.

        M. Jean Dionis du Séjour - Au nom du groupe UDF, je voudrais moi aussi faire un rappel au Règlement, fondé sur le même article.

        La réunion de la commission des lois a duré une demi-heure, avec trois commissaires, pour traiter de sujets extrêmement lourds. Comment sort-on de la situation d'illégalité dans laquelle se trouvent les huit millions de personnes qui téléchargent ? Le Gouvernement - je veux bien lui donner acte de ses bonnes intentions - propose une « réponse graduée ». Soit, mais il faudrait au moins avoir là-dessus un débat d'opportunité ! Pour le groupe UDF, ce n'est pas la bonne solution : mieux vaudrait rendre les plateformes légales beaucoup plus accessibles, avec une baisse des prix sensible et un élargissement du répertoire.

        Le premier des deux amendements crée une autorité administrative à caractère sectoriel, alors qu'on tend plutôt actuellement à supprimer ce type de structures ; et on lui donne un pouvoir de sanction, ce qui bouleverse complètement l'organisation judiciaire... Sur un sujet de cette importance, la commission n'a pas travaillé dans des conditions correctes.

        Le dispositif de réponse graduée heurte deux principes : celui du caractère privé de l'activité de l'internaute - on ne sait pas comment cette nouvelle police de l'internet va détecter les illégalités - ; la non responsabilité des prestataires techniques, principe posé par la loi de confiance dans l'économie numérique.

        Le Gouvernement serait donc bien inspiré de retirer ces deux amendements et d'organiser la concertation sur ce problème.

        Mme la Présidente - Cette question a déjà été abordée par le Bureau et le Président de l'Assemblée a donné des consignes précises. Je ferai part de vos observations.

        Nous en venons à la discussion des articles.

        ARTICLE PREMIER

        Mme Christine Boutin - Je n'interviendrai pas sur l'article 2, mais je voudrais faire maintenant une intervention globale.

        Les conditions dans lesquelles nous travaillons, c'est vrai, ne sont pas optimales. Pour ma part, je veux défendre la licence globale optionnelle.

        Depuis qu'internet est apparu dans nos foyers, de nombreux auteurs et artistes sont victimes de contrefaçon. La première affaire, jugée en août 1996, concernait la mise en ligne de paroles de chansons de Jacques Brel et de Michel Sardou par deux étudiants. Ceux-ci avaient été condamnés par le tribunal de grande instance de Paris à retirer ces œuvres de leurs sites sous astreinte. La multiplication de ce type d'affaires et l'accroissement de la répression n'ont pas empêché la contrefaçon sur internet d'augmenter... Aujourd'hui, des dizaines de milliers de partitions musicales, de morceaux de musique en MP3, de photographies et d'autres œuvres s'échangent entre les internautes, non seulement sur les réseaux peer to peer mais aussi à partir de sites web et de forums de discussion. Comment prétendre résoudre le problème de la contrefaçon sur les réseaux de pair à pair si nous ne sommes pas parvenus depuis près de dix ans à endiguer ce phénomène sur des technologies moins récentes et moins performantes ?

        La jurisprudence est certes unanime pour considérer que la mise en ligne d'œuvres sur internet relève de la contrefaçon. En revanche, je m'étonne d'entendre trop souvent parler de « piratage » quand des millions de Français et nombre de nos enfants ne font que télécharger des œuvres sur internet. Ces actes relèvent tout simplement de la copie privée ; on ne peut interdire de tels actes, effectués dans le cadre de la sphère privée. Nul ne veut, je pense, revenir sur le principe fondamental de protection de la vie privée !

        La quasi-totalité des tribunaux qui ont eu à se prononcer sur les actes de téléchargement sur les réseaux peer to peer ces deux dernières années ont décidé qu'ils relevaient effectivement de l'exception pour copie privée. Alors, je vous en supplie, ne parlons plus de « piratage » !

        Enfin, force est de constater que nous ne parvenons pas à empêcher les particuliers de s'échanger des œuvres entre eux. Certains lobbies proposent d'accroître la répression. Il est vrai que la philosophie sécuritaire est à la mode, ce que personnellement je dénonce. La réponse dite « graduée » n'empêcherait pas d'aller plus loin dans la traque des internautes. Certaines personnes proposent des mesures de filtrage et multiplient les systèmes de protection des œuvres et de contrôle des usages à distance. Mais la réponse est-elle vraiment proportionnée à l'attaque ? Je ne le crois pas, au vu des effets pervers.

        La répression concerne tous les amateurs de musique, y compris les plus fidèles consommateurs, puisqu'il a été démontré que les plus gros acheteurs sont aussi, souvent, ceux qui pratiquent le plus la copie.

        Le filtrage présente d'autre part de nombreux risques : il mélange souvent le bon grain et l'ivraie, ce qui est incompatible avec la liberté de communication.

        Quant au contrôle à distance, il menace la protection des données personnelles. Il faut donc s'orienter vers la voie plus originale - mais aussi plus équilibrée - de la licence globale, qui réintroduit une réelle valeur économique dans les nouveaux échanges actuellement gratuits. Cette autorisation couvre à la fois les actes de copie par téléchargement, mais aussi les mises à disposition du public à des fins non commerciales. Elle consolide la sécurité juridique tout en prévoyant une juste rémunération des ayants droit. La loi donne les autorisations de téléchargement, et les ayants droit autorisent quant à eux les mises à disposition du public. Ce principe a déjà été mis en œuvre dans la loi sur la reprographie de 1995.

        Enfin, la licence globale est optionnelle : l'internaute peut choisir d'en bénéficier ou non.

        M. Jean Dionis du Séjour - Quelle naïveté !

        Mme Christine Boutin - S'il accepte, il pourra partager des œuvres dans un but non commercial. S'il refuse, il ne pourra plus télécharger ou mettre des œuvres à disposition du public. Comment cela marche-t-il ?

        M. Jean Dionis du Séjour - Cela ne marche pas !

        Mme Christine Boutin - L'internaute, s'il accepte la licence globale, s'acquittera d'une rémunération complémentaire auprès de son fournisseur d'accès qui, à son tour, la reversera à une société unique chargée de la répartir entre les trois collèges d'ayants droit.

        La licence globale a donc un intérêt triple : les internautes n'y sont pas obligatoirement soumis, ils sont responsabilisés, et un véritable espace de sécurité juridique est ainsi créé. Cette solution est majoritairement souhaitée par les internautes et a été plébiscitée par plus de 14 000 artistes et interprètes.

        M. Frédéric Dutoit - Je m'étonne que le titre du premier chapitre de cette loi n'ait pas fait l'objet d'un amendement rédactionnel, car il mentionne plusieurs exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins, alors que le texte n'en comprend qu'une seule - importante, certes, mais unique, concernant les personnes handicapées.

        M. Jean Dionis du Séjour - C'est vrai !

        M. Frédéric Dutoit - Or, la directive permet diverses exceptions, dont certaines relèvent de valeurs essentielles de notre République, notamment celles qui concernent l'enseignement et la recherche, et les bibliothèques et centres de documentation. Pourtant, aucun des premiers articles du texte ne les prévoit : c'est inadmissible. Comment le Gouvernement peut-il prétendre avoir trouvé une solution équilibrée, alors qu'il revient sur des acquis fondamentaux comme le droit de prêt, le droit de citation ou encore le droit de la copie privée ? Pourquoi n'avoir pas voulu entendre les revendications des archivistes, des bibliothécaires, des présidents d'université et des élus locaux ? Il ne suffit pas de négocier des protocoles d'accord avec les représentants des ayants droit pour régler le problème : il faut les prévoir dans la loi ! Sinon, que fera-t-on demain s'ils sont dénoncés ? Le Gouvernement peut-il nous répondre dès maintenant ?

        M. Patrick Bloche - La rédaction actuelle de l'article 122-5 du code de la propriété intellectuelle, élaborée par la loi de 1957, autorise toutes les reproductions sans distinction. Le législateur de l'époque aurait sûrement rédigé autrement s'il n'avait pas voulu éviter d'exclure les procédés modernes de reproduction. En effet, les pourfendeurs de la copie privée arguent que le numérique permet une duplication parfaite : au lieu d'un original et de ses copies, il n'y a plus que des originaux de même qualité. Or, en 1957, l'exception de copie privée était liée au fait que la quantité de travail requise pour les produire limitait le nombre de copies. Décider aujourd'hui que leur qualité et leur nombre illimité justifie l'interdiction de la copie privée au motif que seule une copie de qualité inférieure à l'original est autorisée par la loi, c'est méconnaître l'esprit de la loi de 1957. En outre, interdire la reproduction numérique reviendrait à condamner nombre de productions industrielles et à censurer le développement de la connaissance en entravant le progrès technologique.

        Le code de la propriété intellectuelle protège les droits d'auteur et des industries qui les servent, mais ne fait que très peu mention des droits du public, dont le droit au progrès. L'amendement 80 rectifié bénéficie donc au progrès technique tout en défendant l'exception de la copie privée.

        M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Avis défavorable. Reconnaître un droit d'exception au profit des utilisateurs, c'est remettre en cause l'approche personnaliste qui sous-tend notre droit d'auteur. En effet, c'est l'auteur qui donne à ce droit sa raison d'être. Or, cet amendement créerait un équilibre des intérêts préjudiciable à la sécurité juridique de l'auteur, car les juges devraient déterminer les cas où le droit d'auteur cède le pas au droit de l'utilisateur. L'article 9 garantit l'exception de copie privée grâce à un mécanisme de médiation. Rappelons-le : c'est l'auteur qui a la liberté et la capacité de mettre ses œuvres en circulation.

        M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Même avis. La copie privée n'est pas une exception liée à l'évolution technologique. Certes, la directive 2001-29 permet la possibilité de limiter le nombre de copies, mais la technologie actuelle aussi - ce n'était pas le cas il y a vingt ans. L'amendement nous fait donc régresser. Par ailleurs, la commission a voté l'amendement 30, plus précis, qui garantit le droit à au moins une copie privée.

        L'amendement 80 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

        M. Christian Paul - L'amendement 101 rectifié, massivement réclamé par les enseignants, les chercheurs et les collectivités locales, concerne l'activité d'enseignement et de recherche qui exige une utilisation croissante d'œuvres protégées. En l'état actuel de la législation, aucune solution simple et globale ne permet de sécuriser l'usage de tels contenus pour les enseignants. Si la directive prévoit l'exception pour l'enseignement « à des fins exclusives d'illustration », le cas n'est pas vraiment inclus dans le code de propriété intellectuelle. Le projet de loi propose donc une solution plus restrictive que dans les autres pays européens. En outre, le Gouvernement n'est pas parvenu à un accord qui préciserait la participation du budget de l'Etat à une compensation, que ne prévoit pas la directive, mais qu'il serait équitable de consacrer dans la loi. Si l'Etat n'y contribue pas, la charge risque de retomber indûment sur les collectivités locales.

        Nous souhaitons que cette négociation aboutisse rapidement de manière à sécuriser juridiquement les enseignants et les chercheurs. Notre amendement vise à consacrer une véritable exception pour l'enseignement et la recherche en introduisant la notion d'« extraits », qui nous semble moins restrictive que celle de « courte citation ». Il vise également à étendre ce droit de citation à des domaines aujourd'hui exclus par la jurisprudence, et en particulier aux œuvres non littéraires.

        Mme Martine Billard - L'amendement 120 est identique. En effet, nous ne pouvons maintenir l'actuelle rédaction de l'article 122-5 du code de la propriété intellectuelle faute de quoi les situations conflictuelles se multiplieront. La directive permet une exception pour la recherche et l'enseignement mais votre projet n'en tient pas compte. Il serait pourtant regrettable que des enseignants ou des chercheurs ne puissent recourir à des sources documentaires pour illustrer leurs travaux. Dans certaines missions auxquelles nous participons, des chercheurs qui présentent par exemple des graphiques appartenant à différentes institutions ne seront-ils pas en infraction ? J'ajoute que les enseignants, quant à eux, utilisent tous les dispositifs technologiques possibles dans leurs cours, tout comme d'ailleurs les étudiants dans le cadre de leurs travaux. Il importe donc d'aller au-delà de la formule de « courte citation » et d'intégrer dans le code d'autres modes d'expressions et de connaissances.

        M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il est en effet prématuré d'inscrire dans la loi une exception aux droits exclusifs des auteurs et des éditeurs car une démarche contractuelle est en cours pour encadrer les modalités d'utilisation des œuvres dans un cadre pédagogique sans complètement spolier les auteurs et les maisons d'édition. Il convient en effet de trouver un équilibre entre le coût que cela peut représenter pour le monde scolaire et l'université mais aussi pour le monde de l'édition, dans sa diversité et sa fragilité. Une loi ne pourrait répondre avec suffisamment de précision à des situations extrêmement variées.

        M. le Ministre - La loi ne détermine pas tout de façon rigide. Une démarche contractuelle est en l'occurrence nécessaire. Ce projet ne crée pas de charges financières nouvelles pour les universités. L'exception très large incluant tous les modes d'exploitation en ligne, sans rémunération, est incompatible avec la directive et les traités internationaux qui interdisent toute exception de nature à porter atteinte à l'exploitation normale des œuvres ou à causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des ayants droits. Des accords entre ceux-ci et le ministère de l'éducation nationale et de la recherche sont en cours de finalisation sur la base de la déclaration commune signée le 14 janvier dernier entre les deux ministres. Ils prendront en compte le caractère spécifique des missions et les contraintes financières des établissements et des collectivités. Un principe de gratuité pour tout usage d'illustrations dans l'enseignement et la recherche laisserait penser que la création n'a pas de valeur. Là encore, le point d'équilibre n'est pas facile à trouver. J'ajoute que les législations des Etats membres de la Communauté européenne sont plus complexes que l'amendement ne le laisse penser et que dans de nombreux cas, des droits à rémunération sont prescrits. Avis défavorable.

        Mme Martine Billard - L'argumentation de M. le rapporteur sur une démarche qui serait prématurée m'étonne beaucoup : la directive date de mai 2001 et nous sommes en décembre 2005. Ce projet devrait pouvoir bénéficier des conclusions de ces négociations. Votre façon de travailler est toujours surprenante, même si nous commençons à nous y habituer un peu.

        M. Richard Cazenave - Et avant, comment était-ce ?

        Mme Martine Billard - Vous annoncez toujours un nouveau projet censé modifier celui dont nous débattons. Je le répète, le monde de l'enseignement pouvait fort bien bénéficier d'une exception qui ne remettrait pas en cause la rémunération des auteurs.

        Mme Christine Boutin - En préambule aux interventions que je serai amenée à faire, je précise que je ne veux pas de procès d'intention de la part de mes collègues de l'UMP quant à des alliances objectives que je nouerais avec l'opposition. Mon attitude n'est guidée que par la force de mes convictions : je peux me tromper, mais je ne resterai pas silencieuse sur les principes fondamentaux qui sont en jeu dans ce texte.

        Je n'ai pas été convaincue par M. le rapporteur et M. le ministre car la négociation ne permettra pas non plus de répondre aux multiples situations qui se présenteront dans le cadre de l'évolution de la recherche et de l'enseignement. Je suis plutôt favorable à ces amendements.

        M. Christian Paul - Nous comprenons évidemment fort bien que des négociations aient lieu et que la loi et le domaine contractuel ont chacun leur champ d'action. Néanmoins, prévoyez-vous une participation budgétaire de l'Etat pour cette nécessaire compensation ? En outre, le remplacement de la formule « courte citation » par « extraits » ne relève-t-il pas du domaine législatif ?

        M. le Ministre - Les deux exceptions nouvelles, je le répète, concernent le dépôt légal et les personnes handicapées. Nous sommes en train de discuter afin de trouver un point d'équilibre pour ménager les différents intérêts en présence,...

        M. Christian Paul - La loi ne nous y aiderait-elle pas ?

        M. le Ministre - ...pour faire comprendre que la gratuité n'est pas toujours légitime. Nous progressons, et je pense que cette négociation aboutira très prochainement.

        M. Christian Paul - Je vous ai posé ces questions pour savoir jusqu'où le Gouvernement ne voulait pas aller. Des milliers d'enseignants et de chercheurs nous écoutent et nous regardent. Vous avez un audimat d'enfer, Monsieur le ministre ! Il est regrettable que vous refusiez l'inscription dans notre droit d'une exception pour l'enseignement et la recherche.

        M. Richard Cazenave - Que ne l'avez-vous fait ? Quelle démagogie !

        M. Christian Paul - Si vous aviez dit que le Gouvernement était prêt à travailler à la mise en place de compensations équitables pour les éditeurs, cela pouvait aider la négociation. Le vote de ces amendements constituerait une avancée considérable.

        Les amendements 101 rectifié et 120, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

        M. Alain Suguenot - Je veux rendre un hommage particulier au ministre, car son rôle de conciliateur d'intérêts contradictoires n'est vraiment pas facile à tenir. Quant au législateur, il lui revient de servir l'intérêt général en envisageant tous les enjeux du problème, sans se contenter de transposer à l'identique une directive européenne.

        L'objectif central - beaucoup l'ont déjà dit -, c'est de concilier les intérêts des créateurs et ceux des utilisateurs de l'internet, porte ouverte sur la diversité culturelle. Mon amendement 153 - qui fait suite à ma proposition de loi sur le même objet - tend à relever ce défi en créant la licence globale optionnelle, dont Christine Boutin a rappelé l'économie générale. A moyen terme, cet outil doit permettre de trouver une réponse adaptée aux problèmes en suspens, conforme à la jurisprudence et de nature à mettre en sécurité juridique la copie privée, les échanges de fichiers par peer to peer et, plus généralement, les technologies émergentes d'accès à la diversité culturelle. Je ne vois pas au nom de quoi l'on devrait se priver de telles possibilités, même si j'accorde au Gouvernement que sa philosophie de la réponse graduée est éloignée du tout-répressif.

        Les outils de gestion des droits numériques doivent permettre de rémunérer de manière plus équitable les auteurs en identifiant les internautes et en les incitant à acquitter une redevance forfaitaire, sans attenter à la facilité d'accès à l'offre culturelle. Même si de bonnes nouvelles sont tombées hier pour ce qui concerne le cinéma...

        M. Christian Paul - C'est Noël !

        M. Alain Suguenot - Beaucoup reste à faire, notamment pour conforter l'exception pour copie privée. Mon amendement va dans ce sens, fixe le régime des copies par téléchargement sur internet et respecte la directive européenne comme la règle dite des trois étapes, qu'un prochain amendement viendra préciser.

        Mme la Présidente - Le groupe socialiste demande un scrutin public sur le vote des amendements identiques 153 et 154.

        M. Didier Mathus - Je défendrai notre amendement 154 dans des termes voisins de ceux d'Alain Suguenot et nous sommes en effet au cœur de la question posée, à laquelle le présent texte tente de répondre. Il est tout à fait essentiel de prendre en compte la jurisprudence récente, en particulier l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier de mars dernier entérinant le fait que les téléchargements de fichiers par des réseaux peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée posée dans la directive européenne.

        J'observe qu'au milieu des années 1990, le Gouvernement de l'époque - soutenu par la famille politique dont se réclame aujourd'hui l'UMP - avait su trouver une réponse adaptée pour faire face au développement massif de la photocopie. Nous sommes aujourd'hui dans une situation assez analogue : confrontés à l'apparition d'une technique nouvelle à croissance rapide, il nous faut franchir le gué en adaptant l'arsenal juridique à la nouvelle donne. Notre amendement 154 propose une esquisse pour tenter de mettre en sécurité juridique les nouvelles formes de circulation de l'intelligence globale. Les techniques nouvelles commandent de nouvelles règles : après tout, on n'applique pas le code de la route aux aéronefs ! En faisant entrer les échanges de fichiers de pair à pair dans le champ de l'exception pour copie privée, nous franchirons une étape décisive.

        M. le Rapporteur - Ces amendements étendent la notion de copie privée aux téléchargements sur internet réalisés - et je le souligne - sans autorisation, notamment des auteurs, en contrepartie d'une rémunération forfaitaire. C'est donc la question de la licence légale, qui légalise les pratiques du piratage - et je souligne aussi ce terme -, en prévoyant une contrepartie financière qui sera nécessairement d'un montant très faible, sans rapport avec le préjudice subi, notamment par les auteurs. Une telle évolution irait dans le sens d'une gestion collective - et je souligne encore ce terme - des droits, alors que la technique va permettre de revenir à une gestion personnaliste - et je souligne le terme ! - des droits d'auteur et des droits voisins. La technologie d'aujourd'hui permet d'en revenir à la conception française traditionnelle du droit d'auteur, humaniste et personnaliste, où l'auteur est reconnu en tant que tel. Je déplore que certains ici ne se soucient que des utilisateurs. Tout le texte et l'ensemble de mon rapport consistent à établir un équilibre entre les uns et les autres. Si l'on ne pense qu'aux utilisateurs, pensez-vous qu'il y aura encore des auteurs demain ? Bien sûr que non ! Et c'est la raison pour laquelle il faut revenir à une conception équitable de la rémunération des auteurs. Aujourd'hui, la technologie le permet. Il faut donc accepter la technique et non pas la diaboliser comme s'emploient à le faire certains.

        S'agissant du cinéma - et j'observe que ces amendements ne distinguent pas la musique du cinéma -, l'adoption de ces dispositions serait catastrophique eu égard à la chronologie des médias. Si l'on permet de télécharger sans risque un film américain qui n'est même pas sorti en France, on ruinera les salles de cinéma et les vendeurs de DVD, sans parler de ce qui se passera ensuite à la télévision.

        Il faut être un peu sérieux : ces amendements sont parfaitement irresponsables.

        En ce moment, et M. le ministre l'a rappelé pour ce qui concerne le cinéma, une action en faveur des plateformes légales a été engagée. A l'évidence, si l'on accepte ce genre d'amendements, alors, on peut fermer les plateformes légales !

        M. Jean Dionis du Séjour - Il a raison !

        M. le Rapporteur - Autant admettre tout de suite que, dans le fond, le piratage, c'est bien et que la culture, ça ne vaut rien ! Voilà ce que à quoi correspond cette idée...

        M. André Chassaigne - Caricature !

        M. le Rapporteur - Au plan juridique, une telle mesure serait difficilement compatible avec la directive en vigueur comme avec les traités signés au sein de l'OMPI en 1996. Cela nous amènerait à renégocier ces traités, car la mise à disposition du public sans autorisation - je souligne - constitue un délit de contrefaçon, au sens des accords internationaux dont la France est partie. Il faudrait quand même que certains se rappellent que le village gaulois, en général, ça ne marche pas !

        Permettez-moi pour conclure de faire une citation de M. Ambroise Soreau, tirée du Livre blanc sur le peer to peer : « la gestion collective a été un mal nécessaire dans l'environnement analogique ; il nous appartient de faire en sorte qu'elle ne devienne pas un mal inutile dans l'environnement numérique ». Réfléchissez à cela ! Beaucoup ici, sur ma gauche, font profession d'archaïsme, sans doute parce que leurs idéologies les poussent vers le passé. J'espère qu'à droite, on saura choisir le chemin de l'avenir ! En tout cas, la commission a émis un avis défavorable.

        M. le Ministre - Les services de communication en ligne ne doivent pas nécessairement prévoir une copie privée en application de la directive et une telle exception générale ne serait pas compatible avec le développement d'offres légales en ligne. Le bénéfice de l'exception pour copie privée ne peut être ici revendiqué, car les actes de copie visés ne répondent pas aux exigences du test en trois étapes. Les décisions de justice que les uns et les autres ont évoquées ne sont pas pertinentes... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Les décisions du tribunal de Vannes du 29 avril 2004 et de celui de Pontoise le 2 février dernier...

        M. Didier Mathus - Et Montpellier ?

        M. le Ministre - ... ont condamné sans trop de distinction et l'upload et le download. Quant à l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, il ne vise pas des actes de téléchargement mais seulement des reproductions subséquentes du disque dur vers des supports amovibles.

        Si l'on veut maintenir une copie privée équilibrée, ce qui est clairement notre objectif, il ne faut pas la dévoyer : elle doit rester dans le cercle de famille, lequel ne peut être étendu au monde entier ! La copie privée, oui ; le cercle de famille au sens du XXIe siècle, encore oui... mais le monde entier comme cercle intime, c'est autre chose ! Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

        Mme Christine Boutin - J'ai cosigné l'amendement d'Alain Suguenot et vous n'en serez pas surpris ! Je voudrais répondre plus particulièrement à M. le Rapporteur. D'abord, vous avez invoqué la nécessité de se conformer à la directive européenne : cher Monsieur, je vous resservirai l'argument lors d'un prochain débat, en lien avec les travaux de la mission sur la famille ! La France ne se conforme pas toujours strictement aux directives, et, selon que cela arrange ou non, on manie l'argument dans un sens ou dans l'autre. L'argument ne vaut donc pas.

        En outre, la directive date de 2001 : depuis son élaboration, figurez-vous que la technique a bien avancé !

        Ensuite, je ne vous traiterai pas d'irresponsable, et je n'accepterai pas d'être ainsi qualifié. La licence globale optionnelle prévoit le financement par autorisation des ayants droit. Arrêtons donc cette discussion ! Et en ce qui concerne le cinéma, que vous nous avez envoyé à la figure, vous devez savoir qu'il a été retiré de nos amendements suivants. S'il n'y a que cela qui vous empêche de voter le présent amendement, je veux bien le rectifier tout de suite !

        Enfin, nous n'allons pas nous lancer dans une course à l'échalote pour savoir qui est le plus réactionnaire ! Franchement ! Nous discutons de libertés fondamentales, et la seule chose qui vous intéresse est de savoir qui est de gauche et qui est de droite ? Si vous voulez un début de réponse, je vous signale que les jeunes, c'est-à-dire la France de demain, soutiennent cette proposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Frédéric Dutoit - Nous entrons là dans le vif du sujet. Le Gouvernement n'a aucune volonté d'adapter le droit aux évolutions technologiques extraordinaires que nous connaissons, afin que les auteurs puissent être rémunérés dans de bonnes conditions. En fait, tout ce qu'il souhaite, c'est faire de nos enfants des délinquants ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

        Mme Claude Greff - Ça ne va pas commencer !

        M. Frédéric Dutoit - Nos enfants téléchargent de la musique régulièrement, nous le savons ! Vous justifiez vos mesures en disant que les échanges de fichiers sur internet sont nuisibles à l'économie culturelle...

        M. le Ministre - Je n'ai jamais dit ça !

        M. Frédéric Dutoit - ...mais vous n'avez jamais apporté la preuve d'un quelconque impact ! Vous auriez eu du mal, d'ailleurs, puisque aucune des études de ces dernières années ne l'a fait. En France, 16 millions de fichiers musicaux circulent tous les jours, et vous pensez qu'ils représentent un manque à gagner pour les auteurs et éditeurs. Mais croyez-vous vraiment que si vous interdisez à quelqu'un de télécharger ses cent disques par mois, il va les acheter ? Bien sûr que non ! Le manque à gagner n'existe donc pas. Et comment expliquez-vous que les vente de disques aient progressé de 16% au premier trimestre et que les plateformes de téléchargement légal se développent à un rythme effréné ? Le peer to peer ne leur fait donc pas obstacle ! La vérité est que le téléchargement ne porte aucunement préjudice aux créateurs. Raisonner en termes de manque à gagner est donc une erreur. De la même façon que pour le prêt d'ouvrages en bibliothèque, nous avons affaire à un moteur de la création culturelle et non à un obstacle. L'Assemblée doit réfléchir à cette licence globale.

        M. Jean Dionis du Séjour - Le groupe UDF est opposé à ces amendements. D'abord, la licence ne peut être « optionnelle ». Aujourd'hui, 8 millions d'internautes pratiquent le téléchargement. En pariant sur la nature humaine, on peut escompter que 4 millions vont choisir de payer 7 € par mois : comment allez-vous contrôler ? Parce que si vous ne contrôlez pas, bien sûr, il n'y a aucune raison pour que quiconque décide de payer ! Les défenseurs de ces amendements ne pourront donc pas être contre les dispositions de l'article 9. Alors, comment allez-vous organiser un contrôle qui respecte la vie privée ? Et comment identifierez-vous les fraudeurs au sein des quelque 22 millions d'internautes ? Avec quels bataillons de fonctionnaires ? Une licence optionnelle n'est donc rien d'autre qu'une fumisterie.

        On peut ensuite réfléchir à une licence globale obligatoire. D'abord, il s'agit d'une taxe. Or, 60% des internautes ne téléchargent pas. Je vous laisse le soin de leur expliquer qu'ils doivent payer 7 € par mois ! Ensuite, en imaginant que vous y réussissiez, comment répartirez-vous les recettes ? Selon quel audimat et quelles règles ? Vous ne dites pas un mot là-dessus ! La répartition ne peut pas être dissociée de l'achat en ligne !

        Enfin, vous faites une distinction entre les films de plus ou moins de quatre ans. Alors, l'internaute aura-t-il droit à Un long dimanche de fiançailles ? Non. A Amélie Poulain ? Oui. Et aux Bronzés 3 ? Non ! C'est ingérable ! Je répète l'opposition absolue du groupe UDF à cette proposition. La vision d'avenir, ce sont des plateformes légales à des prix beaucoup plus bas qu'aujourd'hui et avec de véritables catalogues en ligne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

        M. Christian Paul - Ces deux amendements nous placent en effet au cœur du débat, puisqu'il s'agit d'un choix de stratégie. Je suis heureux de tordre le cou, dès l'article premier, à l'idée qu'il y aurait ici d'un côté les partisans de la gratuité et de la liberté totale et de l'autre les vertueux défenseurs de la création. Il n'y a que deux conceptions du soutien à la création, qu'il faut explorer toutes les deux avant que l'Assemblée ne choisisse. Nous ne sommes pas en train de découvrir je ne sais quelle terra incognita ! Les licences existent déjà - pour les radios par exemple - et les systèmes de gestion collective aussi, avec par exemple la loi Toubon de 1994 sur la reprographie. Nous prenons appui sur des pratiques qui existent parfois depuis des décennies pour trouver des solutions.

        Quel est le problème ? La mise en place d'une rémunération alternative pour l'ensemble des auteurs, artistes et ayants droit. Il ne s'agit pas de compenser un préjudice : on ne peut pas avaler toutes crues les revendications d'un certain nombre d'acteurs économiques qui crient au pirate pour expliquer à leurs actionnaires pourquoi leurs résultats ne sont pas au meilleur niveau ! J'aimerais que le Gouvernement cesse de parler de la crise du marché du disque comme si elle était entièrement due au téléchargement !

        Quant au respect de nos engagements internationaux, je vous signale que selon le professeur André Lucas, spécialiste reconnu de la propriété intellectuelle, ces amendements ne contreviennent pas à la règle du test en trois étapes : d'abord, si la gestion collective est imposée dans un cas assez précisément défini, on peut y voir un cas spécial ; ensuite, cette solution ne porte pas atteinte à l'exploitation normale des droits dès lors qu'il est pratiquement impossible de recourir à une licence privée ; enfin, puisque le système envisagé assure une rémunération équitable des ayants droit, il ne cause pas de préjudice injustifié à leurs intérêt légitimes. Les trois conditions sont remplies. Nous sommes bien en train de construire une nouvelle rémunération qui permette le soutien aux artistes et à la création.

        Vous misez tout sur les plateformes commerciales. Nous pensons que la cohabitation est possible entre les différents canaux de diffusion et sommes persuadés que les artistes seraient favorables à une nouvelle ressource permettant de soutenir la création française, à un moment où elle en a grand besoin.

        M. Dominique Richard - En ma qualité de porte-parole du groupe UMP, je considère que cet amendement est le type même de la fausse bonne idée. Je ne reviendrai pas sur la question de la compatibilité avec le droit international, et notamment les traités de l'OMPI.

        M. Christian Paul - Mais si, revenez-y !

        M. Dominique Richard - Sur le fond, le présent texte a pour raison d'être la protection des auteurs. Votre proposition présente déjà deux défauts. D'une part, la rémunération forfaitaire globale n'est pas équitable puisqu'elle ne prend pas en compte le nombre de téléchargements. La rémunération des auteurs sera donc nécessairement inférieure...

        M. Christian Paul - Pourquoi ?

        M. Dominique Richard - ...d'autant que, dans l'état actuel de la technologie, il n'est pas possible d'individualiser les droits. On ferait ainsi se tarir la source de la création. La quasi-totalité de la profession est d'ailleurs hostile à cette forme de rémunération.

        D'autre part, comme l'a fort bien dit notre collègue Dionis du Séjour, le caractère optionnel de cette licence est certes une idée généreuse mais c'est une vue de l'esprit.

        Mme Christine Boutin - La liberté des personnes n'est pas une vue de l'esprit !

        M. Dominique Richard - Autant demander aux internautes qui ont actuellement des pratiques illégales de les modifier spontanément ! En outre, la licence globale optionnelle obérerait la viabilité économique de la filière d'offre légale. Comment les catalogues de celle-ci pourraient-ils grossir s'il demeure possible, parallèlement, de télécharger gratuitement les œuvres ?

        N'oublions jamais que la France a inventé un dispositif qui lui a permis de sauver son cinéma, contrairement à ce qui s'est passé en Italie ou en Grande-Bretagne. Ne pas respecter la chronologie des médias, c'est la mort annoncée du cinéma français au profit des blockbusters américains. Pour toutes ces raisons, nous sommes hostiles à ces amendements.

        M. Patrick Bloche - L'intérêt du débat parlementaire est aussi d'éclairer les choix. N'oublions pas que beaucoup de nos concitoyens suivent nos débats en direct sur leurs ordinateurs.

        Certains de nos collègues pourraient-ils cesser leurs procès d'intention ? Je note avec satisfaction que l'on ne nous intente plus celui de la gratuité totale, que l'on nous a fait durant toute la première partie du débat, comme si nous étions les représentants de je ne sais quelle idéologie libérale et libertaire, dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas, non plus que Christine Boutin, puisqu'en l'espèce nous défendons les mêmes objectifs.

        Qu'en dépit des opinions divergentes que nous avons elle et moi, notamment au sein de la mission d'information sur la famille à laquelle nous participons tous deux, nous nous retrouvions ce soir sur un tel sujet, au-delà des clivages partisans, devrait d'ailleurs interpeller. Nous avons le souci commun de rassembler là où le projet de loi divise. Nous voulons servir l'intérêt général en défendant à la fois les internautes et les créateurs.

        Le groupe socialiste demandera maintenant une suspension de séance chaque fois que lui sera fait le procès de choisir les utilisateurs contre les créateurs ou de causer un dommage irréparable à la création. Ces accusations sont insupportables.

        Que nos collègues ne perdent pas de vue qu'il nous appartient de rassembler nos concitoyens, et d'être compris des plus jeunes d'entre eux.

        M. le Ministre - Parmi les internautes, il n'y a pas que des jeunes !

        M. Patrick Bloche - Ces deux amendements ne sont par ailleurs contraires ni au traité OMPI de 1996 ni à la directive européenne du 22 mai 2001. Ils ne font d'ailleurs qu'en transposer exactement l'article 5-2-B. Enfin, contrairement à ce que prétend le ministre, ils répondent au test en trois étapes. En effet, l'exception est limitée au cas des copies réalisées pour un usage privé à des fins non commerciales, disons dans le cadre familial - cette famille du XXIe siècle qui, Monsieur le ministre, m'amène sans doute à être plus proche de vous que de Mme Boutin... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste) Ensuite, cette copie ne cause pas de préjudice dès lors qu'est bien prévue une rémunération des créateurs. Enfin, elle ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre dans la mesure où il n'existe pas d'alternative pour couvrir les reproductions effectuées massivement sans autorisation des ayants droit depuis plusieurs années.

        M. Marc Le Fur - Je soutiens l'amendement de notre collègue Suguenot.

        M. Christian Paul - Très bien !

        M. Marc Le Fur - Nous cherchons à satisfaire les intérêts à la fois des internautes et des créateurs.

        M. Dominique Richard - Non.

        M. Marc Le Fur - J'ai aujourd'hui des enfants de quatorze et seize ans dont internet constitue la culture et l'espace de liberté (Interruptions sur certains bancs du groupe UMP). C'est ainsi, mes chers collègues ! Sans doute téléchargent-ils des fichiers, et je suis incapable de les contrôler, ne maîtrisant pas comme eux ces techniques (Exclamations sur certains bancs du groupe UMP). Dans la situation actuelle, ils pourraient être considérés comme des délinquants (Mêmes mouvements). Seule la licence globale permet d'éviter ce risque en leur permettant, pour quelques euros par mois, de retrouver la liberté de télécharger sans porter atteinte au droit d'auteur puisque les sommes prélevées seront mutualisées et redistribuées aux auteurs, à l'instar de ce que pratique la SACEM.

        Au moment d'encadrer les libertés du XXIe siècle, inspirons-nous de Tocqueville pour qui la société civile devait toujours prévaloir. Dans la société civile d'aujourd'hui, notamment pour les jeunes, internet est un espace de liberté. Ne le restreignons pas à l'excès.

        M. André Chassaigne - Très bien !

        A la majorité de 30 voix contre 28, sur 59 votants et 58 suffrages exprimés, les amendements identiques 153 et 154 sont adoptés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

        M. Dominique Richard - Notre collègue Jean-Paul Garraud m'a demandé de défendre son amendement 5 rectifié. Si le ministre assure qu'il sera possible aux grandes écoles formant les agents publics de catégorie A d'utiliser pour leur pédagogie les émissions audiovisuelles et, au-delà, d'utiliser et de mettre en ligne sur leurs réseaux internes des publications extérieures les intéressant, cet amendement pourrait être retiré.

        M. le Rapporteur - Avis défavorable.

        M. le Ministre - Dans la pratique, les organismes de radiodiffusion et la presse ont conclu des accords généraux avec les sociétés d'auteurs qui leur permettent d'utiliser des œuvres protégées dans des conditions simples. S'agissant des besoins pédagogiques et scientifiques, les projets d'accords en cours de finalisation entre les ayants droit et les ministères chargés de l'éducation nationale et de la recherche permettront des utilisations répondant au besoin d'informations. S'appuyant sur l'arrêt du 15 mars 2005 de la Cour de cassation, les tribunaux ont clairement posé que la représentation d'une œuvre accessoire au sujet traité n'est pas soumise à autorisation.

        L'amendement 5 rectifié est retiré.

        Mme Martine Billard - L'amendement 128 précise l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle. Il supprime l'obligation de la brièveté de la citation, qu'il remplace par celle de proportionnalité par rapport à l'objectif poursuivi. Cela évitera des contentieux.

        L'amendement 128, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

        M. Patrick Bloche - Rappel au Règlement. Je suis surpris que le rapporteur et le ministre n'aient pas réagi à l'adoption des amendements 153 et 154. Nous nous trouvons en effet dans une configuration totalement nouvelle puisque nous venons de légaliser les téléchargements peer to peer et donc de sécuriser les pratiques des internautes.

        Or, le ministre et le rapporteur font comme si de rien n'était ! Au nom du groupe socialiste, je demande une suspension de séance. Nous devons en effet tirer toutes les conséquences de ce vote et nous repositionner dans le débat.

        La séance, suspendue à 23 heures 20, est reprise le jeudi 22 décembre à 0 heure 10.

        M. le Rapporteur - L'amendement 12 est rédactionnel.

        L'amendement 12, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

        M. Jean-Luc Warsmann - Mon amendement 111 tend à insérer trois alinéas supplémentaires à l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, pour viser respectivement les actes de reproduction spécifiques effectués par des bibliothèques accessibles au public, par des établissements d'enseignement ou des musées, ou par des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect ; l'utilisation à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi ; l'utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherche ou d'études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux des établissements visés précédemment, d'œuvres et autres objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à des conditions d'achat ou de licence.

        M. le Rapporteur - Avis défavorable. Nous avons décidé de ne retenir qu'une seule exception : celle qui concerne les handicapés.

        M. le Ministre - Même avis. Les usages visés sont en conflit avec les conventions sur la reprographie et les projets d'accords entre les ayants droit et le ministère de l'éducation. Cet amendement favoriserait le transfert d'exploitation de la copie sur papier à la copie numérique - exception que ne prévoit pas le texte.

        Néanmoins, le projet de loi répond en partie à votre préoccupation, puisqu'il prévoit une exception au profit des services chargés du dépôt légal. La directive précise qu'il est opportun de promouvoir des contrats spécifiques avec ces établissements pour leur permettre de réaliser leur mission de diffusion.

        Le principe de gratuité appliqué à tout usage dans l'enseignement ou la recherche laisserait penser que la création n'a pas de valeur. Dans ce domaine, les législations des autres pays européens sont d'ailleurs plus complexes.

        M. Patrick Bloche - Comme sur toutes les questions essentielles, le ministre nous renvoie au cadre contractuel. Or, nous légiférons ! Notre devoir est de répondre par la loi aux préoccupations des bibliothécaires, des enseignants et des chercheurs : c'est l'objet de l'amendement 111, que le groupe socialiste votera parce qu'il s'agit de l'intérêt général et de l'accès à la connaissance ! Et nous demandons un scrutin public.

        Mme la Présidente - Le scrutin est annoncé.

        Mme Martine Billard - Je soutiens aussi cet amendement, et la réponse du ministre ne m'a pas satisfaite. C'est l'ensemble des bibliothèques de tous types - des bibliothèques municipales aux bibliothèques d'entreprise - qui devront négocier, pied à pied, pour obtenir le droit d'utiliser des œuvres numérisées. Jadis, au cours de débats ardus, certains voulaient refuser aux bibliothèques le droit de diffuser des cassettes vidéo ou des CD et de devenir ainsi les actuelles médiathèques. Aujourd'hui, le même débat a lieu sur les nouvelles technologies : il est temps de prendre en compte l'évolution technologique, et d'autoriser ces usages dans les bibliothèques sans attendre de longues et difficiles négociations entre des acteurs très différents. Il serait donc sage d'inclure toutes les bibliothèques publiques et assimilées dans le projet de loi. Nous favoriserons ainsi la fréquentation de ces établissements et l'accès à la connaissance !

        M. le Ministre - Je comprends vos préoccupations, et ne serai pas dilatoire : je prends l'engagement de vous transmettre au plus tôt un état des lieux des négociations en cours. Vous avez droit à cette information, et je n'ai aucune volonté de ne pas aboutir. Néanmoins, ce sont des questions complexes : rapprocher des points de vue différents implique une dépense de temps et d'énergie !

        M. Patrick Bloche - L'information du Parlement est un minimum syndical ! Mais nous ne pouvons pas confier à un cadre contractuel des négociations dont nous ne savons rien ! Nous sommes sollicités par la FNCC et l'AMF. Les bibliothèques publiques jouent un grand rôle en France ! Il faut donc légiférer dès maintenant !

        M. Christian Paul - Je ne sais si nous prendrons des décisions historiques sur tous sujets, mais en l'espèce, il faut, avec l'amendement de M. Warsmann, créer une exception culturelle pour répondre aux préoccupations de centaines de milliers de professionnels.

        A la majorité de 40 voix contre 20, sur 60 votants et 60 suffrages exprimés, l'amendement 111 n'est pas adopté.

        M. Emmanuel Hamelin - L'amendement 158, fidèle à une directive européenne, permettra de favoriser la fréquentation des expositions grâce à leur publicité par des organes d'information, notamment les journaux télévisés.

        M. Dominique Richard - L'amendement 159 est identique.

        M. le Rapporteur - Avis défavorable.

        M. le Ministre - Même avis. Pour les expositions à but lucratif, les artistes doivent demeurer maîtres des modes de promotion de leur création. Les autorisations nécessaires doivent être obtenues auprès des artistes ou des sociétés de gestion, à des tarifs qui favorisent la vente.

        Les amendements 158 et 159, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

        M. Emmanuel Hamelin - Sur le même principe, l'amendement 157 vise à créer une exception pour la reproduction d'œuvres visibles en permanence dans les lieux publics.

        M. le Rapporteur - Avis défavorable : il faudrait créer une nouvelle exception, et les intérêts du public entreraient en contradiction avec ceux des artistes plasticiens - une profession fragile. Je préférerais que soit adopté tout à l'heure l'amendement 11 sous-amendé par la commission.

        M. le Ministre - L'équilibre des intérêts ne peut conduire à donner un avantage économique à certains acteurs, eux-mêmes titulaires de droits, au préjudice des créateurs. Cet équilibre est particulièrement important à maintenir dans le nouveau contexte des évolutions techniques. Le but d'information, raison d'être de la presse, ne peut justifier en tant que tel une exception qui porte atteinte à la préservation des intérêts économiques et moraux des auteurs. La jurisprudence demeure souvent le moyen le plus adéquat de tracer les équilibres entre les droits et devoirs car elle apprécie les situations concrètes et permet aux parties de défendre leurs prétentions. Le droit en vigueur permet d'ores et déjà aux entreprises de presse et de communication d'assurer leurs missions en utilisant des œuvres d'art graphiques, plastiques ou architecturales, sans ressentir de contraintes excessives, et les organismes de presse ont déjà conclu des accords généraux avec des sociétés d'auteurs leur permettant d'utiliser des œuvres et des prestations protégées. Les modèles économiques de la distribution en ligne sont en cours de construction. Avis défavorable.

        L'amendement 157, mis aux voix, n'est pas adopté.

        Mme Martine Billard - L'article premier concerne donc l'exception pour les personnes handicapées en matière de reproduction et de représentation d'œuvres. Or, cette formulation est insuffisante, et l'amendement 121 vise à rajouter « la transcription » en braille ou sous forme sonore. Le texte dispose que cette reproduction est assurée par des personnes morales, mais des établissements, notamment des bibliothèques ou des centres de documentation spécialisés, réalisent aujourd'hui ces reproductions. Ceux-ci doivent donc être ajoutés à ces personnes morales. Enfin, pour bénéficier de la reproduction ou de la transcription, encore faut-il que les œuvres d'origine soient disponibles sous forme de fichiers accessibles sans qu'il soit besoin de tout ressaisir, car cela prend évidemment beaucoup de temps. D'ailleurs, seuls 1 500 ouvrages sont actuellement disponibles aux fins de transcription : l'inégalité dans l'accès à la culture est flagrante.

        M. le Rapporteur - Avis défavorable, la commission ayant adopté un amendement plus performant, qui limite aux associations l'accès au fichier source, sans l'étendre aux établissements publics - afin de limiter les risques de fuites.

        M. le Ministre - Je partage le souci de Mme Billard, mais l'ajout du mot « transcription » n'est pas nécessaire car le droit de reproduction couvre la transcription dans un format adapté. Le droit de reproduction est en effet conçu en droit français de manière synthétique, ce qui explique que le droit de traduction et le droit d'adaptation soient considérés comme des corollaires du droit de reproduction et ne soient pas érigés en prérogative distincte. Les modifications apportées à la forme et au contenu des œuvres pour les besoins de la transcription ou la réalisation de formats adaptés comme le braille ne soulèveront pas de difficultés, notamment au regard du droit moral au respect des œuvres.

        M. Christian Paul - Il s'agit-là d'une question fondamentale. Le groupe socialiste a d'ailleurs déposé quatre amendements concernant l'exception pour les personnes handicapées, et je suis surpris qu'ils ne soient pas discutés en même temps que celui de Mme Billard, qu'évidemment nous soutenons. Actuellement, une transcription en braille implique de scanner les ouvrages. C'est une tâche très lourde, dont le coût est considérable. Mme Billard l'a rappelé, seuls 2 000 ouvrages, environ, ont été transcrits. Or, nous souhaitons, sans mégoter, que les personnes non voyantes aient accès au patrimoine littéraire ainsi qu'aux ouvrages scolaires et universitaires. Cela ne sera possible qu'à travers des fichiers numériques ouverts, et pas seulement « adaptés ». Nous proposons donc qu'à l'occasion du dépôt légal, les éditeurs remettent ce type de fichiers permettant rapidement et à moindre coût une transcription en braille ou par des logiciels de reconnaissance vocale. Ce serait un progrès essentiel.

        M. Pierre-Christophe Baguet - Tout à fait.

        Mme la Présidente - Si l'amendement de Mme Billard est discuté à part, c'est qu'il propose une nouvelle rédaction d'un alinéa. Si nous n'avions pas organisé notre débat ainsi, ce sont plus de trente amendements qui auraient été soumis à une discussion commune, et l'expérience montre que plus personne ne s'y retrouve.

        M. Jean Dionis du Séjour - Je soutiens la démarche de Mme Billard et de nos collègues socialistes. Nous traitons en effet d'un point essentiel, aussi important que l'aménagement de l'accès à l'école pour les enfants handicapés dont il a été question dans la loi défendue par Mme Montchamp. D'excellents logiciels de transcription en braille ou de synthèse vocale existent et nous devons légiférer en conséquence. Il s'agit d'imposer à chaque éditeur le dépôt légal d'un exemplaire numérisé d'un ouvrage de façon à ce qu'il soit accessible aux associations. Ce serait un geste de générosité de la part de la nation mais aussi de la part des ayants droit. J'insiste pour que nous ayons un débat global sur cette question, Madame la présidente.

        Mme Martine Billard - Pour que cette exception soit efficace, l'amendement précise donc : « A cette fin, les éditeurs garantissent l'accès à une version définitive de l'œuvre dans un format électronique exploitable, lorsqu'un tel fichier existe. » C'est fondamental, et il y a urgence ; il ne faut pas attendre la fin des négociations ou le bon vouloir des éditeurs. Enfin, concernant le risque de fuites, Monsieur le rapporteur, l'amendement précise : « Dès lors que les personnes bénéficiaires ont un accès à une version définitive de l'œuvre, elles garantissent aux éditeurs la confidentialité et l'absence de divulgation de ces fichiers, dont l'usage reste limité en leur sein et à l'objet prévu. »

        Mme la Présidente - Sur l'amendement 121, je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

        M. le Ministre - Franchement, c'est pour moi un objectif impératif et ma seule réserve est d'ordre sémantique. L'ajout de ce terme n'apporte rien mais il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur le fond : nous partageons le même objectif et l'amendement 16 de la commission, que nous proposerons de sous-amender, viendra encore préciser les choses.

        A la majorité de 38 voix contre 13, sur 51 votants et 51 suffrages exprimés, l'amendement 121 n'est pas adopté.

        M. le Rapporteur - Compte tenu des explications du ministre, l'amendement 13 est retiré.

        M. André Chassaigne - J'assiste à ce débat sans être un internaute rompu aux subtilités des nouvelles technologies, mais plutôt en modeste expert du quotidien, fort de l'expérience de son petit village de cinq cents âmes.

        Il y a quelques années, avec l'aide du ministère de la culture, nous avons réalisé un investissement qu'il faut bien qualifier de remarquable en créant une médiathèque multimédia qui profite à toutes les générations, aux scolaires comme aux touristes. Soucieux de préserver ce joyau, et en pensant à tous ceux qui lui ressemblent dans nos territoires, nous voulons, par notre amendement 160, que l'exception profite à tous les établissements ouverts au public tels que les bibliothèques, services d'archives et centres de documentation. Las, la philosophie de ce texte semble guidée par un seul principe : traquer d'une manière quasi obsessionnelle toutes les pratiques susceptibles de constituer un manque à gagner pour le marché, quitte à inclure dans celles-ci le prêt gratuit de livres, dont chacun s'accorde pourtant à reconnaître qu'il représente l'un des meilleurs agents de promotion de la culture. Permettez-nous de poursuivre l'œuvre engagée et de l'étendre au numérique. Nos concitoyens ne fréquentent pas les médiathèques pour contourner le droit d'auteur mais par besoin vital de s'ouvrir l'esprit et parce qu'ils n'ont pas toujours les moyens d'acheter les biens culturels. Nombre d'auteurs et d'éditeurs ont bien compris qu'il ne fallait pas tarir la source et décourager le plus grand nombre de se cultiver. Ceux qui refuseront l'extension de l'exception aux bibliothèques publiques scient la branche sur laquelle ils sont assis.

        M. le Rapporteur - Défavorable.

        M. le Ministre - Même avis car le champ du texte tel que nous vous le soumettons est suffisant. Mais vous ne trouverez pas plus fervent défenseur que moi de l'offre culturelle de proximité, qu'elle soit dispensée par les bibliothécaires ou par les libraires. Vous en avez parlé avec talent et conviction, mais la question n'est pas là. En réalité, l'ensemble des personnes morales peuvent être agréées dès lors qu'elles sont en mesure de démontrer que leur action profite directement à des personnes handicapées. Au surplus, l'extension de la liste des organismes agréés aux services d'archives n'est pas souhaitable, leur vocation première étant d'assurer la conservation des œuvres plutôt que leur diffusion.

        L'amendement 160, mis aux voix, n'est pas adopté.

        M. le Rapporteur - L'amendement 14 rectifié est rédactionnel. Il tire les conséquences du remplacement des COTOREP et des CDES par les commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées créées par la loi du 11 février dernier. Il convient toutefois de faire référence aux trois commissions pour ne pas exclure toutes les personnes dont le taux d'incapacité a été fixé par une COTOREP ou une CDES.

        L'amendement 14 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

        M. Pierre-Christophe Baguet - L'amendement 114 de M. Pélissard est en quelque sorte un amendement AMF ou FNCC, puisqu'il vise à étendre l'exception à tous les établissements ouverts au public tels que les bibliothèques, les services d'archives, les centres de documentation et les espaces culturels multimédia, en vue de mieux diffuser la politique culturelle de proximité.

        M. le Rapporteur - Rejet pour les mêmes raisons que précédemment.

        M. le Ministre - Sous réserve que soit supprimée la référence aux archives, je suis prêt à donner un avis favorable.

        M. André Chassaigne - Décidément, mieux vaut ne pas présenter une patte rouge dans cet hémicycle pour faire aboutir une proposition ! A un mot près, mon amendement 160 était identique et il aurait d'ailleurs dû faire l'objet d'une discussion commune avec le 114 ! Quoi qu'il en soit, je suis agréablement surpris de la proposition du Gouvernement et je souhaite que l'amendement 114 porte aussi le nom de M. Dutoit et le mien.

        M. Pierre-Christophe Baguet - Nous terminons cette séance sur une note oecuménique ! Déposé par un député de l'UMP, cet amendement aura été défendu par un UDF, avec le soutien de communistes et l'avis favorable du Gouvernement !

        M. le Ministre - C'est un petit miracle !

        Mme la Présidente - Puis-je considérer que l'amendement 114 rectifié est ainsi rédigé : « Dans la dernière phrase du troisième alinéa de cet article, après les mots : « personnes morales », insérer les mots « et tous les établissements ouverts au public tels que bibliothèques, centres de documentation et espaces culturels multimédia », la référence aux archives étant supprimée ? (Assentiment)

        L'amendement 114 ainsi rectifié, mis aux voix, est adopté.

        La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, jeudi 22 décembre, à 9 heures 30.

        La séance est levée à 1 heure.

        La Directrice du service
        du compte rendu analytique,

        Catherine MANCY